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Austeriena

Austeriena

Ma belle sauvage,
féline discrète,
tapie dans la brume,
le souffle bas,
dents saillantes
prête à jaillir,
splendide carnassière,
affamée d'existence.

Tu marches, silencieuse,
vers ce monde insouciant,
meurtrier,
qui se pense en paix,
sans savoir que tu rôdes encore,
seule, avide,
les yeux blancs,
attirée par l'odeur de la vie.

J'entends ton pas,
tu viens, toute proche,
rien qu'une ombre encore,
puis soudain tu es là !
Et tu m'observes,
tes yeux vides dans les miens,
et tu sais qui je suis,
Suprême instant !

Maintenant bondis, ma sœur,
je suis venu en offrande,
à genoux,
te donner ma gorge.
Saisis, mords, transperce,
à ma veine, viens boire,
aspire le souffle vivant,
Et quitte le séjour des morts !

Puis va, ravage,
pourchasse
et te venge,
répands la fureur,
déchire,
extermine,
et jette en enfer
ceux qui ne voulaient pas de toi.

Et moi, mourant,
répandant au sol,
le flot de mon dernier sang,
je te regarde,
sublime reine du monde,
crier au ciel,
et hurler ta joie,
d'être enfin née.

Je meurs,
ma belle sauvage,
dans ton regard brûlant d'amour,
agrippé à ta main chaude,
chancelant, heureux.
Et j'ai froid,
et je glisse, vers l'éternel bonheur,
où tout ce qui vit se retrouve.
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Austeriena

"Maudit l'homme, penché sur sa table chancelante,
qui, dans la nuit et sous la bougie dansante
pose devant lui encore son cahier blanc,
sort sa plume et la plonge dans l'encrier de sang,
recommence à écrire, hésitant et pensif,
laisse filer sa main et souffre comme Sisyphe,
d'un poème, paresseux, qui ne veut pas naître,
farouche, sauvage, insensible au talent du maître
qui, au désespoir, déchire la page rebelle
et la jette, vierge des lignes qu'il rêvait si belles.
Alors dans l'ombre, conquise par tant de révérence,
donnant à l'homme un nouveau souffle d'espérance,
la Muse amoureuse tend vers la sienne sa main pâle,
et caresse la page, chatoyance d'opale,
où l'âme du poète tout à coup peut fleurir,
son cœur déborder et sa joie enfin s'écrire."
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Austeriena

Fillette au visage blanc
à la chevelure blonde nouée,
enroulée sur l'épingle d'or et d’opale.

Chère enfant au teint si pâle
aux boucles d'ambre accrochées,
versées sur ton beau front blanc.

Fillette aux yeux noirs
aux paupières d'encre de sanglots versés,
apeurée dans la nuit mortifère.

Chère enfant maudite et solitaire
par l'oubli à jamais emportée,
jetée au froid des limbes noires.

Mais fillette, maintenant viens !
jusqu'à Lui ta prière est montée,
déliée, sors au jour qui t'attend.

Chère enfant au cœur vibrant
renais, bondis et viens danser,
chanter ta vie au matin qui vient.
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Austeriena

Le temps qui passe,
comme une eau fuyante,
une caresse humide,
sur les âmes qui pleurent.

Flots du temps qui passe,
rivière de sang, de larmes,
pulsation terrible,
qui voit tout naître et mourir.

Le temps qui passe,
eau noire, froide,
profondeur heureuse,
où j'entre sans regret,

pour le Suprême instant d'amour,
le baiser éternel,
de Celle qui, pour moi,
est le chant du monde.
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Austeriena

L'automne,
ciel triste,
saison froide,
il pleut des cordes.
J'en saisis une,
je l'attache à mon cou,
et je saute,
vers l’éternel printemps.
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Austeriena


Un jour, solitaire, au Louvre, je m'assoie sur un banc, de marbre grand et classe comme on fait là-bas, un truc chic pour touristes qui paient au prix fort.
J'étais dans un tel état de décomposition mentale, un truc qui devait presque puer à l'extérieur, que je ne savais même plus où j'étais.
A l'époque, j'étais jeune, malade, sans avenir, sans femme et sans gosse, le genre de moment qui vous fait ressentir jusqu'à la moelle ce que c'est que la vraie solitude, pas celle de l'adulte ensuite qui rêve qu'on lui foute la paix parce qu'il a déjà tout.

Et d'un coup, surgissant de nulle part, quelque chose qui me distrait et me refocalise instantanément sur le monde réel. Une fille, assise à côté de moi qui me sourit et me tend un morceau de je ne sais quoi (un gâteau ?).
Je crois que j'ai pris le morceau, sans rien dire, j'ai dû le mettre en bouche en la regardant.
Puis je suis parti, sans un mot.
Pourquoi je suis parti, pourquoi j'ai rien dit ?
Est-ce que j'ai même souri en retour ?
Je n'ai qu'un vague souvenir d'elle.
Je sais qu'elle était jolie et qu'elle semblait très douce.

Ça fait 25 ans, et j'oublie pas.
J'en reviens toujours pas non plus.

Pourquoi elle a fait ça, sans un mot, tendre un morceau à un inconnu en train de sombrer, un cadavre derrière un visage fermé, surement baissé ?
Est-ce qu'elle a ressenti quelque chose ?
Est-ce qu'elle a vu à quel point le type assis à côté d'elle était en train de mourir ? Est-ce que c'était un ange ?
Ou est-ce qu'après le sourire elle m'aurait juste demandé un renseignement ?

Je ne le saurai jamais.
Mais je n'oublierai jamais cette fille.

Avec cette morale : à la moindre tendresse, quelle qu'elle soit, qui frappe à sa porte, il faut ouvrir, toujours, et pas partir comme un con.

C'était il y a 25 ans et ça s'est jamais reproduit.
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Austeriena

"Quarante ans après sa mort, maintenant que je n'ai plus nulle part où la chercher hormis dans le passé, je la découvre, elle, comme la présence sacrée qui aura accompagné ma vie entière.

Pas d'événement mémorable ou de tragédie où ne se dévoile pour moi son visage, où ne s'entende un de ses rires ou un de ses pleurs.
Comme si, à travers tout et tous, d'une façon ou d'une autre, je n'avais jamais connu personne d'autre qu'elle.
Je ne connais ni odeur, ni chaleur, ni douceur qui ne soit pas d'elle, ni pleurs, ni tristesses, ni plaintes qui ne soient pas siennes.
Il n'y a pas de soleil, il n'y a pas de lune, ni printemps ni hiver, il n'existe que la lumière de ses yeux et les saisons de son cœur.
Elle est devenue l'âme du monde où je demeure, le seul où il y ait une place pour moi.
Et sans elle, il n'y a rien.
Et avec elle, moi je suis aussi.
Elle et moi par-delà la vie et la mort.

Et je ne crois pas qu'on puisse aimer dans ce monde avec la même ferveur que j'adore cette belle qui m'est tout."

Austeriena
(Octobre 2021)
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Austeriena


Mon cher, mon inconnu, mon tant aimé et mon si proche,
Peut-on vraiment renaître d'un seul sourire,
D'une seule caresse, d'une seule seconde,
D'un si bref dévoilement d'infini ?
Oui, merveille !

Maintenant je sais,
Mon invisible mais infiniment là,
Que je ne suis qu'à un soupir de toi,
Et si je meurs, tu es devant moi,
Et si je passe, incommensurable joie,
J'ai mon regard dans le tien, enfin,
Et nous sommes debout devant Lui.

Mystère joyeux de mon existence,
Passion douloureuse qui m'a anobli,
Toi que je cherchais et qui m'avais déjà trouvé,
Toi qui me connais depuis longtemps,
Et moi qui ne t'avais jamais su.

Tant d'années sans toi et qui n'étaient rien,
Mon cher tendre,
Mais aujourd'hui je sais et je respire,
Je n'ai jamais été seul et ma main jamais vide.

Alors maintenant, encore ici,
Mon cœur te respire,
Partout où je marche même la tête basse,
Je suis plein de lumière et je languis,
Et je prie sans cesse pour toi,
Mon incommunicable certitude,
Depuis que je sais oui, merveille !
Que j'ai un frère du beau nom de Paradis.
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Austeriena


"Mon esprit est comme une vaste maison avec de nombreuses pièces, à plusieurs étages, où alternent et s'agencent des pièces réelles où je peux recevoir du monde. Et d'autres sont imaginaires, cachées et inaccessibles. Cette grande maison est plus qu'une simple demeure, c'est en fait tout un territoire en grande partie secret dont personne ne possède la carte complète à part moi.
Les pièces communes sont belles ou simplement pratiques, petites ou grandes, passées par le temps ou aux odeurs fraiches, aux décorations recherchées ou simples. Elles sont toutes différentes mais leurs fenêtres donnent toutes sur la même réalité, celle des maisons d'en face où brillent d'autres fenêtres. On peut venir me rendre visite dans ces pièces-là, les portes en sont accessibles, même s'il faut parfois frapper longtemps.

Mais les pièces imaginaires sont bien plus nombreuses, toutes reliées entre elles par un chemin mystérieux, un parcours d’enfilades et de recoins, d'escaliers et de dérobades que moi seul sait emprunter. Ces pièces-là n'ont pas de fenêtre mais on y voit clair, elles sont comme illuminées par leurs propres vies intérieures mais aussi par une mystérieuse et inquiétante source de lumière commune qui est ailleurs.

Dans ces pièces, dans ces mondes fantasmagoriques, j'entre et je sors à ma convenance, châtelain émerveillé ou inquiet, pressé ou séduit. Je passe d'une fantaisie éveillée chatoyante et vivace à un rêve en clair-obscur perdu dans la brume. D'une forêt de significations majestueuses, enroulées comme des lianes géantes à des troncs immenses tendus vers le ciel; à un désert d'absurdité où mêmes les scorpions meurent de soif avant de s'entretuer.
Je passe de torrents de joie pure au désespoir le plus insondable, de l'amour angélique à la sensualité des bêtes. J'aime aller ainsi à toutes ces pièces si différentes où tout s'imagine, tout s'exprime des infinies possibilités du monde, sans les chaînes impitoyables du temps ou de l'espace, sans le jugement du vieillard grinçant de la réalité qui vous scrute et qui dit oui ou qui dit non. Ici, chez moi, tout ce qui peut être imaginé est véridique, nulle limite, juste les lois de l'émerveillement ou de la terreur.

Mais dans ce monde imaginaire qui m'appartient, il y a une pièce plus importante que les autres. Elle est le vrai coeur de toute la bâtisse, une pièce belle et effroyable à la fois où j'aime aller, bien plus que dans toutes les autres. Et même, voilà mon secret, bien davantage encore que dans les pièces réelles qui à la vérité m'ennuient et me désolent.
Pour aller là-bas il faut, à la fin d'un long chemin, descendre un dernier escalier dans l'ombre, de deux marches, une grande et une plus petite, large comme le pied d'une enfant. Jusqu'à une petite porte blanche derrière laquelle elle habite, sur laquelle il n'y a rien d'écrit et qui ouvre sur une pièce à nulle autre pareille, redoutable et irrésistible, où l'imaginaire là s'enflamme et brûle comme un feu de fosse ardente.
C'est de cette unique petite pièce enfouie dans les profondeurs que s'illumine toute la demeure, comme un cœur irradiant qui alimente tout le reste et dont proviennent et les rêves et les cauchemars, toutes les joies et les épouvantes.

Alors j'entre et, comme à l'accoutumée, je m'assieds sans bruit.
Et elle est là, toujours à sa table d'écriture, un carnet devant elle, écrivant des pages d'une petite écriture serrée, des pages tachées d'encre noire et rouge et qu'elle jette à chaque fois dans une corbeille toujours vide, alignant sans fin les vers d'un poème qu'elle me destine et dont elle ne trouve jamais la rime.
Comme à l'accoutumée, je lui souris sans rien dire.
Éclairée par une seule bougie qui chancèle, elle m'observe en silence avec ses yeux blancs, une larme traçant sa ligne de la paupière jusqu'à la lèvre, comme une coupure de rasoir profonde et qui ne guérit pas. Elle est belle, jeune et vieille à la fois, enveloppée d'un suaire, à côté d'un grand miroir, les cheveux noirs noués autour d'une épingle d'or avec une opale.
Ici, elle n'a d'autres visites que les miennes, quand elle veut bien en avoir. Elle n'a jamais connu personne d'autre bien que sa porte ne soit jamais fermée. Mais elle n'est jamais sortie. Elle est pudique, effrayée, parfois féroce mais solitaire, recluse.

Alors, comme elle me le demande à chaque fois que je viens, je me tourne et je regarde au travers du grand miroir qu'elle me montre, déjà triste parce que je sais que cela ne sert à rien et qu'elle va encore souffrir et que personne n'y peut rien. Et dans le grand miroir qui maintenant scintille d'une aura spectrale se met à défiler sa vie, épopée à chaque fois nouvelle, ré-écrite, déclinée à l'infini, où tout semble varier à chaque fois mais où toujours elle meurt de la même façon, avant avoir réussi à vivre.
Parfois dans le miroir elle apparaît comme une petite fille qui chante avec un sourire espiègle. Prête à bondir sur moi, cachée dans des massifs de fleurs éclatantes et douces où elle me guette comme une féline certaine d'être invisible.
Ou alors elle rit aux larmes sur une balançoire tendue à une branche que je fais monter toujours plus haut, jusqu'à l'effrayer et la ravir.
Ou alors elle est une majesté du ciel, une belle sauvage affamée, chasseuse impitoyable, dévoreuse de mondes.
Ou une femme rayonnante attendant la délivrance et la joie de donner au monde la vie qui bouge en elle.
Ou alors une dame fragile à côté de moi, une canne à la main, au bord d'une rivière, intriguée par l'eau si froide qui coule entre ses doigts transparents, jusqu'à ses poignets de dentelle jaunies.
Ou alors une vieille, affaissée, à l'âge impossible, les dents abîmées, un rictus méchant à la bouche, un tas d'os recroquevillé derrière un doigt accusateur pointé vers moi.
Jusqu'à ce que tout s'efface dans le miroir puis recommence encore une fois, une nouvelle existence qui défile et qui à la fin rate toujours.

Alors je me détourne du miroir, ni tenant plus et même si je sais que c'est impossible, j'essaie de poser ma main sur la sienne qui la traverse.  Elle pleure. Comme à chaque fois. De ce sanglot long qui ressemble à un râle. 
Elle est la folie répétitive d'une âme piégée, close sur elle-même, qui se fait écho sans cesse, sans pouvoir parler, prisonnière interminable d'un temps qui ne passe pas et qui la tue à répétition, dans une souffrance sans fin, une ronde d'où elle ne peut s'extraire et où elle hurle et où elle ne nait pas.

Alors j'essaie encore une fois de lui parler.
Mais elle n'écoute pas. Elle n'écoute jamais. Et elle rebaisse la tête, déchire la dernière page qu'elle vient d'écrire, la jette et en recommence une autre. Elle ne sait qu'écrire. Alors je la laisse pour cette fois, je sors sans bruit, le cœur serré, je reviendrai quand elle le voudra.
Je la laisse seule devant son carnet, devant sa table d'écriture, tenter encore et encore d'écrire sur le papier ce qu'aurait pu être sa vie.

Je l'aime à la folie cette petite porte blanche où il n'y a rien d'écrit et que je viens ouvrir dès que je le peux. La créature qui y demeure est belle, effrayante, captivante. Elle est le coeur de la grande maison, sa chaleur et aussi son épouvante. Je l'héberge depuis longtemps et elle mourra chez moi.
Dans cette grande maison, il y a beaucoup de pièces, réelles ou imaginaires, où je vagabonde comme je le désire au gré du temps qui passe, observant parfois par les fenêtres de mes yeux froids et indifférents le monde qui va. Et l'oreille toujours aux aguets, sur mes gardes, pour savoir si elle m'appelle.
Cette maison, au fond, n'est qu'une façade, un semblant, sise rue Potemkine. Ce n'est pas une maison, c'est un écrin, presque un reliquaire. Juste une unique pièce en fait, derrière une petite porte blanche, en bas de deux marches, où il n'y a rien d'écrit, aucun nom, et où elle doit continuer à vivre. Je suis l'unique gardien de quelqu'un qui n'est pas née et je tiens la veille.
Avec un seul impératif. Au grand jamais personne ne doit un jour apercevoir, par un impossible accident, son terrible visage à côté du mien à une des fenêtres de notre maison."
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Austeriena

La mélancolie, quelle terrible jouissance.
Une musique, comme la trompette des temps derniers, qui tout à coup vous prend aux tripes et vous fait passer instantanément derrière un voile, vers une réalité solide comme le roc mais dont on ne connait pas la valeur ni la consitance.

Elle peut vous saisir partout, chez vous dans une musique triste, dehors au coin d'une rue, au détour du plus banal événement du quotidien. Et quand elle vous attrape c'en est fini. C'est pour des heures de douleur, de désespoir sans nom, de voyage dans l'enfer d'une solitude amoureuse poussée jusqu'à la déréliction.
Mais le plus terrible, c'est qu'on vendrait tout ce qu'on possède pour que ça ne s'arrête jamais, pour continuer à se tordre l'âme de cette souffrance atroce mais qui conduit à l'absolue vérité de la mort, à la beauté du néant.
Il y a tellement d'amour dans la mélancolie, si pur, si profond, si total, qu'on ne le retrouve nulle part ailleurs, même dans la joie, même dans le plus beau moment de l'existence, même dans le sourire de ses gosses.
Et on se sent mourir dans cette fournaise ardente où on se consume avec délice, dans cette torture à laquelle on donne son approbation la plus totale.

Puis en une seconde, en un seul souffle, ça se dissipe. Ce qui semblait si réel, si véritable, a disparu comme un brouillard du matin sous le soleil. Et on reste là, à se demander brusquement si on a rêvé, si on a tout imaginé, si ce n'était qu'un mirage sans consistance, juste un fantasme ou une présence spirituelle qui est passée, l'ombre d'un fantôme qui a traversé votre âme. Ou une terrible illusion démoniaque.
Et on reste tremblant, on a encore vieilli de plusieurs semaines en une heure et on espère déjà, comme un drogué, que ça revienne et qu'on ne perde jamais cette puissance, ce don, de ressentir jusqu'à la racine toute la tristesse du monde.
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Austeriena

Un matin de Mai,
Près d'une rivière profonde,
Une dame aux yeux ardents est venue,
Les cheveux dénoués sur un col de dentelle,
Une canne à la main où s'appuie encore sa vie.

Un matin de Mai,
Sous l'azur infini et sans obstacle,
La grande dame à peine penchée,
Porte un arc de perles sur sa gorge étroite,
Et une bague à la pierre trop lourde.

Un matin de Mai,
Sur un tapis d'herbe et de cailloux,
Une femme vaincue va vers sa mort,
Une robe large sur un corps profané,
Aux poches profondes comme des tombeaux.

Un matin de Mai,
Près de la rivière profonde,
Une unique seconde la dame hésite.
Puis ramasse des pierres,
Les serre dans ses poches,
Et s'avance les pieds nus,
Dans l'eau glaciale,
Qui tout de suite la mord et l'encercle,
Elle avance, avance encore et trébuche,
Et sans un cri, sans un regard jeté vers la rive,
Se laisse emporter par le courant tournoyant,
Qui la submerge et qui la tue.

Ainsi meurt, un beau matin de Mai 1941,
Une femme si belle que la vie a rendu folle.
Ainsi meurt Virginia Woolf.

(l'autrice anglaise Virginia Woolf s'est suicidée en Mai 1941, après avoir connu la gloire mais aussi la maladie psychiatrique qu'elle n'a plus voulu supporter).
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