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Ziasuelli

Occitanie.
Défi
Ziasuelli
Il s'agit de répondre au défi de @PM34@, dérouler des textes à partir d'un album de musique, chaque titre constituant un chapitre, sans forcément de lien entre eux. En italique, une phrase issue du titre en question.
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Ziasuelli


La première chose que les mots m'ont appris, c'est le mensonge qu'ils renferment en eux. Parce que le langage s'interpose entre les êtres, il travestit le monde.
Il y a longtemps maintenant, j'ai donc décidé de me taire. Ne plus entendre, jamais, le son de ma propre voix. J'espérais ainsi ne plus me mentir, j'espérais la liberté, j'espérais me rassembler.
J'ai cessé de parler un matin d'avril, parce que le printemps était là et que je déteste les fleurs. Je déteste les nommer : tulipes, narcisses, magnolias, forsythias. Je déteste leurs parfums, leurs couleurs, et par-dessus tout, je déteste leur insolence. Je hais l'espérance du printemps, les dialogues polis : "avec le beau temps", "il fait bon cette semaine". Les phrases passe-partout, qui n'engagent à rien, vides de sens, les dialogues bric-à-brac, le verbiage prêt-à-porter dont on se vêt pour les autres.
L'idée de me taire pour toujours ne m'est pas venue brutalement, elle s'est insinuée en moi et a fini par s'imposer comme une évidence. J'ai commencé par faire le tri : choisir mes mots et leurs destinataires. Une sorte d'écologie du langage, ne rien gaspiller, conserver l'indispensable et se défaire du superflu. Parler peu, à peu d’interlocuteurs, chercher l'essentiel du propos, la justesse du ton. Puis, petit à petit, je n'ai plus posé de questions ni relancé les conversations. Au fur et à mesure que je perdais le fil du langage, les mots ont fini par me paraître incongrus, étranges, factices. Peu m'importait la gêne de mes interlocuteurs et leurs tentatives désespérées pour briser le monologue que je leur imposais.
Je glissais doucement vers le silence avec délectation : ne plus me faire violence, avoir à m’expliquer, à justifier, à exister au travers du discours. Les mots étaient toujours là, bien sûr : sur mes écrans, à la radio ; tandis que ceux des autres continuaient d'entrer en moi.
Au départ simple révolte, ce silence que j'opposais au monde était devenu jubilatoire : je me fiche de ce que vous avez à me dire, je ne suis pas dupe de vos faux-semblants, de vos discours huilés, construits, policés. Le seul langage de vérité est celui du silence.
Plus personne ne pouvait me percer à jour. Je voyais la panique s'emparer de ceux-là mêmes qui avaient autrefois tant de questions à me poser ; non, je n'ai rien à vous dire, rien, rien, rien !

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Ne m'avais-tu pas dit que tu m'aimais ? Tant de fois ces mots susurrés, affirmés, proclamés, brandis comme un étendard, une justification de nous. Futilité. Blasphème. Fiction.
Ne m'avais-tu pas confié tes désirs, tes projets ? Je me les étais appropriés, ils étaient devenus les nôtres. Ne me parlais-tu pas d'avenir ?
Ce soir de novembre-là, je t'ai retrouvée étendue sur notre lit, lèvres blêmes, veines ouvertes. A ce moment précis, j'ai compris que l'avenir n'était qu'un mot. Un mot comme les autres. Tout un univers de paroles, habilement agencées, mais artificielles. Tous ces mots qui sonnaient si vrai faisaient écran à la réalité.
En partant, tu t'es emparé des miens, tu les as pris un par un, jour après jour, jusqu'à ce matin d'avril où il ne m'en restait plus aucun.
En me taisant pour toujours, j'espérais ne plus mentir, j'espérais la liberté, je croyais pouvoir rassembler le peu qu'il restait de moi.
Mais le dialogue n'est jamais rompu ; il s'immisce à l'intérieur, les mots s'écrasent dans ma tête et ma voix est toujours là, à côté de la tienne, dans mon cerveau vide de tout, sauf de toi. Tu m'as emprisonné. Je suis affamé de tes paroles, piégé dans notre passé et enchaîné à ton cercueil.
Je déteste le printemps, l'été et l'automne.
Je déteste les mots.
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Je porte le verre à mes lèvres, sans le quitter du regard. Que peut-il voir en moi ? Peut-être rien. Peut-être…ce crépitement de désir qui monte lentement.
Je me demande si le vin tiède et épais qui coule dans ma gorge pourrait s’enflammer au contact du brasier qui, tout doucement, réchauffe mon ventre. Il me parle depuis plusieurs minutes, mais je n’écoute pas ses mots. Seule parvient à mes oreilles, la musique de sa voix grave et teintée d’une pointe d’hésitation. Oui, sa voix vacille parfois, marque des pauses. Sa respiration semble jouer à contre-temps, ses phrases se perdent dans des impasses.
Dans cet espace-temps où séduire paraît inapproprié, je tente de conserver la maîtrise de mes pensées.
Un incendie : voilà ce que je veux. Et je sais que je l’obtiendrai. Mais combien de temps vais-je devoir attendre ? Combien de temps avant l’effleurement, avant l’empoignement, avant la sueur, avant le déferlement qui m’emportera ?
Pour l’instant, une solide table en bois marque la frontière entre nous.
Et tandis que mon regard entre en lui pour tenter de m’emparer de son âme, tous mes sens sont aux abois.
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Palpitations, battements cardiaques, pulsations du sang dans mes veines.
Percussions, djembé, batterie, vibrations.
Chaleur du latex, gainage, seconde peau.
Humidité, sueur, gouttes qui roulent entre mes seins.
Cheveux collants, empoignés, tirés.
Mains fermes sur mes hanches, tenue, maintenue, entravée.
Yeux clos, ouverts, perdus dans le vague ou accrochés à toi.
Ondulations, transes, saccades.

Toucher du doigt l’instant où tout se désintègre, où le désir devient amour et l’amour est explosion.
Capturer l’ici et maintenant.
Jouir pulvérisée, ne plus savoir si la mort m’appelle ou si la vie me retient.
Me perdre dans nos râles, défaillir de nos émotions entremêlées, capituler.
Vouloir fuir pour ne pas sombrer, disparaître entre tes bras, renaître par tes baisers.
N’être qu’animale, primaire, mammifère, liane ou roseau.
Entendre l’appel de la liberté, sentir l’immensité du territoire, la chaleur de la savane, l’âpreté du désert.
Disloquer nos pudeurs, fissurer nos interdits, agréger nos âmes.

Musique, déhanchements, danse.
Débordements, éruption, vacarme et chuchotements.
Répit, brume tempérée, instant irrésolu, en suspens.
Dialogue du manque et de l'abondance, silence dans l'effusion.

Être pénétrée par les sons, par ta voix, par ta langue, par tes doigts.
Goûter ta chair, me suspendre à toi, m’arrimer.
Entrer en toi, te posséder, te shooter à ma peau.
Eprouver l’air et l’abîme, la cendre et le brasier, le bois et la poussière, la surface et le limon.

T’aimer.
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Le premier signe d’alerte eut lieu cet été. Je me levais ce matin-là avec un étrange sentiment. Une sorte de malaise. J’avais la bouche pâteuse et les idées embrouillées, comme un lendemain de soirée trop arrosée.
Je pris ma douche en me disant que cela passerait. Un virus peut-être ?
Joshua se leva et me prit dans ses bras : « - çà va ?
- oui, pourquoi ?, lui rétorquai-je, sur la défensive.
- Ben, çà fait 1 an aujourd’hui…
- Ah, oui. Un an, déjà, … soupirai-je.
- Pardon Johanna, je ne voulais pas… ».
Je croisai mon regard dans le miroir. Aurai-je oublié cet anniversaire, si Joshua ne me l’avait rappelé ? Un an, déjà. Une année, seulement. La durée calendaire me semblait être un paramètre insignifiant. Depuis le 10 juillet dernier, le compteur avait semblé tourner beaucoup plus vite pour moi.
Alors que je me brossais les dents, certaines images s’entrechoquaient violemment dans mon esprit. Des réminiscences de dialogues aussi :
« - pourquoi fais-tu çà ? ! Pourquoi fais-tu çà ? Estelle, je t’en prie… »
Mon sentiment de malaise grandissait. Je m’habillai avec hâte, pris ma sacoche et sortit, sans un mot pour Joshua.
J’arrivai au bureau. En passant devant les vitres réfléchissantes de la tour dans laquelle je travaillais, je m’aperçus que le choix de ma tenue vestimentaire n’était pas des plus heureux. Tant pis.
Je repris mes croquis inachevés de la veille. Je devais absolument rendre le projet Bolton le soir même.
A 11h30, alors qu’un désagréable pressentiment ne m’avait pas quitté depuis mon arrivée, je reçus un appel de la secrétaire.
« - Mademoiselle Perrault ?
- Oui, Christine.
- Je sais que vous ne vouliez pas être dérangée ce matin, mais l’accueil me fait savoir qu’un certain Monsieur Ambiel demande à vous voir. Il dit que c’est urgent. »
Au prononcé de ce nom, mon stylo m’échappa.
« - Connais pas. Ce doit être une erreur.
- Mais, il insiste. Il prétend être de votre famille. Il s’appelle Paul Ambiel.
- Ecoutez, Christine, je ne connais personne de ce nom. Appelez-la sécurité et faites-le sortir », assénai-je, intransigeante.
« Bon sang ! Pas aujourd’hui ! ».
Je tapai du point sur la table, rageusement.
Je restai enfermée toute la journée dans mon bureau, annulant le déjeuner prévu avec ma collègue Lucie. Joshua essaya de me joindre plusieurs fois dans la journée, mais j’avais donné consigne à Christine de ne me passer aucun appel. Le soir, vers 21 heures, après avoir remis à mon chef le dossier Bolton au complet, je quittai le bâtiment, ayant pris soin d’enrouler autour de ma tête un foulard en soie.
Je descendis les marches quatre à quatre, oppressée par l’angoisse, et filai au sous-sol récupérer ma voiture. C’est après le claquement de la porte de service du parking, que j’entendis une voix masculine me héler :
« - Alors comme çà, tu ne me connais pas ?! »
Je fis volte-face et me trouvai nez à nez avec Paul. Il scruta ma chevelure, qu’un courant d’air avait découverte.
« - Tu t’es coupé les cheveux…Dommage.
- Qu’est-ce que tu fais là ?
- Et toi, à quoi tu joues ? m’interrogea-t-il, sur un ton à la fois narquois et blessé.
- Tu as mauvaise mine, Paul.
- Tu te fiches de moi, Estelle ? Pardon je veux dire, JOHANNA ? J’ai quelques raisons de ne pas être en forme, non ?
- Cela fait combien de temps que tu me cherches ? »
Il soupira.
- Voilà, çà recommence, le dialogue de sourds ? Je te pose une question, tu esquives ! Je suppose que tu vas bientôt tourner les talons ?, lança Paul, râgeur.
- Ecoute, effectivement, je ne vois pas trop l’utilité de cette discussion. Tu ferais mieux de rentrer chez toi. Tu as fait tout ce chemin pour rien.
- Il paraît que tu vis avec quelqu’un ? Tu as bien de la chance.
- Je vois que tu ne t’es pas contenté de me retrouver, ripostai-je, tu as aussi mené ton enquête… que me veux-tu à la fin ?! »
Il hésita un moment. Pendant quelques secondes, je pus ressentir la brûlure de ses yeux sondeurs rivés dans les miens.
- Il y a certaines personnes qui attendent un signe de toi.
Il me tendit une enveloppe volumineuse.
- C’est quoi, çà ?
- Ce sont des lettres de ceux qui t’aiment. Faut croire qu’on a des choses à te dire.
- Paul, je ne sais pas pourquoi tu es venu, mais encore une fois tu perds ton temps.
Je désignai l’enveloppe du menton.
- J’ai déjà suffisamment à faire avec mes propres sentiments. Je n’ai pas envie de gérer en plus ceux des autres.
Je fis demi-tour et me dirigeai vers ma voiture d’un pas empressé.
Paul se mit à crier :
- Tu ne pourras pas continuer à fuir tout le temps comme çà !
« J’essaie juste d’avancer. », pensai-je.
Paul de reprendre, dans un élan désespéré :
- Nous sommes encore mariés !
« Et alors ? »
Cette visite m’avait un peu déstabilisée, il faut bien l’avouer. D’autant que Paul n’avait pas choisi sa date par hasard, bien sûr. J’aurais dû me douter que cela arriverait un jour, mais pas si tôt.
Au volant de ma petite citadine, je repensais à ces retrouvailles, à mon passé ; et au fond, en interrogeant mon âme, je me rendis compte que tout cela m’était devenu…indifférent.
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Le deuxième évènement troublant survint trois mois plus tard.
Le téléphone avait sonné exceptionnellement tôt, vers 6h30. Joshua reprenait le rythme diurne en sirotant un café fumant, le regard perdu dans le vide. Il sursauta au bruit de la sonnerie. Nous étions hésitants, nul n’osait répondre à cet appel importun. Je saisis finalement le combiné :
« - Allô, Estelle, c’est Paul.
- Je croyais avoir été claire, répondis-je sèchement.
Paul enchaîna, la voix grave :
- Je voulais juste t’informer que ta mère est décédée hier. Accident vasculaire cérébral. Les obsèques auront lieu demain à 14 heures, à l’église paroissiale. Je … »
Paul ne put terminer sa phrase, j’avais raccroché.
« - C’était qui ? interrogea Joshua.
- Ma mère est morte. »
Joshua et moi demeurions interdits. Lui cherchait certainement les mots de circonstance à prononcer au sujet de cette femme dont il n’avait jamais entendu parler, de mon côté je me demandais ce que je devais penser de cette nouvelle. Car, pour sûr, je ne ressentais rien.
Joshua tenta de prendre ma main, geste que j’esquivai aussitôt. Je lui souris et passai à autre chose.
Un peu plus tard dans la journée, un malaise identique à la première fois m’envahit peu à peu : bouche pâteuse, angoisse diffuse, frissons, nausée.
« - C’est la gastro ! » jura ma collègue Lucie.
Nous avions décroché le marché Bolton, et mon chef m’accorda trois jours de congés exceptionnels, pour me féliciter.
C’est en rentrant chez moi que je me sentis accablée. Une ombre malsaine semblait peser de tout son poids sur mes épaules.
Joshua avait organisé une petite sortie pour fêter les 6 mois de notre rencontre. Je me prêtais à ce cérémonial de bonne grâce. Pourtant, en regardant mon reflet dans les vitrines illuminées, dans la douceur de cette nuit automnale, je me vis pour la première fois, légèrement voutée.
Je ne fis pas le lien avec le décès de ma mère. Je me demandais juste ce qui était en train de m’arriver. Un signe de surmenage ?
Je passais mes trois journées de congé à déambuler dans les musées. Depuis que j’étais arrivée ici, je n’avais pas vraiment pris le temps de me cultiver.
Dans l’une des salles du Musée National, une exposition était consacrée au peintre Edvard Munch. C’est alors que je fus littéralement happée par son tableau « Le Cri ». Je ne pouvais me détacher de l’emprise que semblait exercer sur moi le dessin de cet être mû par l’angoisse. Je sentis comme une explosion au fond de mon ventre. Je baissai les yeux vers mes mains, qui m’apparurent maculées de sang.
« Qu’est-ce qui m’arrive ? »
Je courus vers les toilettes et aspergeai mon visage d’eau glacée.
« Reprends-toi, Johanna, reprends-toi. »
Je quittai précipitamment le Musée National, non sans avoir acquis l’intime conviction que le personnage du cri me poursuivrait à jamais.
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L’apocalypse ne tarda pas à survenir.
Elle m’emporta une nuit, au cœur de mes rêves entremêlés.
Mon premier cauchemar vit surgir ma mère. Celle-ci se tenait dans le jardin de mon enfance, cueillant des colchiques, et murmurant à mon intention : « sais-tu ce que cela signifie, ma fille ? Les beaux jours sont finis, Estelle. Les beaux jours sont finis ».
Mon deuxième rêve me projeta le 10 juillet de l’année précédente. Il était 10 heures. Nous nous étions levés tôt pour profiter de la relative fraîcheur matinale. Tom m’avait pris la main : « - Maman, on va à la balançoire ? ».
Je me revis le pousser en riant : « - attention, tu vas toucher le ciel ! »
Paul nous regardait en fumant une cigarette.
Dans mon songe, les sons étaient démultipliés, ils résonnaient dans mon home cinéma inconscient. J’entendis les cris de frousse et de joie mêlés de Tom, j’entendis ma voix qui lui parlait.
Puis j’entendis le bruit violent de sa chute. Les hurlements de Paul, le bruit sourd de sa course vers nous, le son strident de la sirène des pompiers. Je revis Tom inanimé au sol, ses beaux cheveux roux souillés de sang brun. Je me revis dans la cuisine, saisissant un couteau de boucher. J’entendis Paul me supplier : « -pourquoi fais-tu çà ? ! Pourquoi fais-tu çà ? Estelle, je t’en prie… ne fais pas çà…c’est un accident… »
Cette nuit là, je sautais hors du lit et tentais de m’échapper en courant. Je fus réveillée par Joshua qui me tenait par les bras :
« - Johanna, réveille-toi ! Qu’est ce qui se passe ? Réponds-moi ! »
Je passai le reste de la nuit à essayer de comprendre ce qui n’avait pas fonctionné dans mon scénario.
J’en voulais à Paul de m’avoir retrouvée.
Je croyais pourtant avoir tout parfaitement organisé. Deux mois après la mort de Tom, tout était prêt : j’avais trouvé un emploi dans un grand cabinet d’architecte, à plus de 1.000 kilomètres de chez moi et de l’autre côté de la frontière ; je m’y étais faite embaucher sous mon nouveau nom (en réalité, mon deuxième prénom, Johanna, et mon nom de jeune fille, Perraut, modifié par l’ajout de la lettre « L »), un compte bancaire ouvert sous ma nouvelle identité, sur lequel j’avais déposé l’argent liquide que j’avais retiré de mon compte épargne. Une partie de cet argent m’avait en outre servi à acheter une vieille Peugeot d’occasion, qui m’attendait sur le parking de la gare voisine.
Il ne me restait plus qu’à disparaître. Le plus compliqué. J’étais alors en effet surveillée de près par mes amis et ma sœur, qui se relayaient pour m’établir un planning dans lequel je n’étais jamais seule. L’occasion me fut donnée lorsque l’un de mes gardes-chiourmes ne put m’accompagner à la visite hebdomadaire chez mon psychiatre (enfin, celui qui m’avait été imposé), cloué au lit par une mauvaise angine.
J’avais donc pris la poudre d’escampette, laissant derrière moi un passé mortifère et une vie que je n’habitais plus.
Et depuis ce jour, je n’avais plus repensé à rien. Comme une armoire à souvenirs solidement verrouillée.
Sauf…quelques semaines après avoir rencontré Joshua. Une soirée de fête trop arrosée, où ma vigilance était tombée, et au cours de laquelle les vapeurs de l’alcool m’avaient emportées dans des confidences inopportunes.
J’en voulais à Joshua de savoir. J’en voulais à Paul d’avoir refait surface.
C’était de sa faute si j’en étais là désormais.
Les jours qui ont suivi furent particulièrement pénibles.
J’avais perdu le sommeil ; ou plutôt, je refusais de me laisser aller à dormir, pour ne pas être trahie par mon subconscient.
J’avais aussi perdu l’appétit et l’énergie de continuer.
J’étais en permanence talonnée par l’homme du « Cri », qui hurlait en silence dans mon dos.
Jusqu’au jour où j’ai compris que, « Le Cri », c’était moi.
Que je n’avais cessé d’être un cri : rugissement de vie à la naissance, éclats de frustrations ou de joie dans l’enfance, hurlements de colère à chacun de mes échecs, cris de bonheur à chaque évènement heureux, mugissement désespéré à la mort de Tom.
Et que ces cris étaient inexorablement happés par le trou noir de l’éternité.
J’ai voulu lutter à ma façon contre cette incontournable réalité.
J’ai voulu fuir de toutes les manières possibles, au devant de la machine à broyer.
Aujourd’hui, j’essaie toujours et encore d’avancer.
Mais désormais, je sais qu’elle m’attend.
Et quelque part, peut-être que je l’attends aussi.
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Défi
Ziasuelli

Lorsque Laure et moi nous sommes rencontrés, nous étions très jeunes. Surtout elle. Normalement, je n’aurai pas dû être attirée par cette nana.
Primo, elle était tout juste majeure, et moi, je ne fréquentais que des filles de mon âge, voire même un peu plus âgées.
Secundo, elle était petite et rondelette ; je ne sortais qu’avec de grandes plantureuses.
Tercio, on occupait le même job d’été, alors que je m’étais juré « jamais au boulot ».
Que des bonnes raisons.
Au final, je me suis pourtant laissé tenter, bien que Laure n’ait rien fait pour m’encourager. Peut-être sa manière de soutenir mon regard d’un air narquois m’avait-elle attiré ? Toujours est-il qu’il ne nous fallut pas longtemps pour baiser dans la réserve du magasin : quinze jours, tout au plus.
Je m’étais ensuite promis que cette histoire ne durerait pas : j’avais d’autres plans bien plus alléchants en tête. Je m’apprêtais donc à rompre avec élégance lorsque Laure me devança en m’indiquant qu’entre nous, cela avait été très sympa mais sans lendemain.
J’ai toujours détesté être pris en défaut : une semaine après, nous ressortions ensemble. J’avais assez bien joué le coup puisque ce fut Laure qui me relança. Quelques temps plus tard, sur un coup de tête, probablement, je la présentais à mes meilleurs potes.
Et puis, de fil en aiguille, sans que rien ne laisse présager un tel enchaînement…nous nous sommes mariés, trois ans après notre rencontre.
A bien y réfléchir, c’était pourtant un peu de ma faute. A l’approche de son vingtième anniversaire, ne sachant quoi lui offrir, je passai en flânant devant la vitrine d’une bijouterie. Je remarquai une bague, assez simple somme toute, rehaussée d’une aigue-marine. Peut-être mon inconscient avait-il parlé ; en tous cas, je ressortis innocemment du magasin, la bague en poche.
Curieux tout de même comme les femmes d’aujourd’hui croient encore au Prince Charmant. A force d’avoir été abreuvées, gamines, de Blanche-Neige, Cendrillon et autres Belle au Bois Dormant, il suffit qu’un homme leur tende un écrin pour qu’elles soient persuadées de l’avoir rencontré.
En ce qui me concerne, je ne compris pas immédiatement dans quel pétrin je m’étais fourré, lorsque je la vis rosir et s’écrier « oui !» en plein restaurant. Quand les applaudissements de la salle se turent, ma conviction était faite : je venais, sans le vouloir, sans même l’avoir un seul instant envisagé, de demander Laure en mariage.
Heureusement, mes amis étaient là pour me soutenir, et le débriefing du lendemain fut l’occasion de la plus mémorable cuite de toute ma vie.
Après quelques jours d’embarras légitime, je pris le parti de laisser faire les choses, pas mécontent après tout d’avoir acquis auprès de ma « fiancée » une stature plus noble. Oubliées, mes deux ou trois incartades, mes amitiés collantes et mes manies d’enfant gâté : Laure me considérait désormais comme un véritable héros, et c’est peut-être, comme tout homme, ce dont j’avais le plus besoin.
Le plus difficile fut de convaincre nos familles respectives de la pertinence de notre décision, tâche d’autant plus ardue que je n’étais pas moi-même franchement convaincu. De plus, Laure était relativement pressée, et l’idée d’organiser un mariage hivernal n’enchantait pas vraiment les futures belles-mères.
Toutefois, le 31 décembre 1997, nous nous dîmes « oui », sous le regard pontifiant du curé et les vivas de mes vieux copains.
L’année suivante, ou plus exactement le lendemain, nous emménagions ensemble.
Il me semblait vivre au beau milieu des années cinquante : j’avais 25 ans, je venais de terminer mes études, Laure n’en était encore qu’à la moitié des siennes, et nous venions de nous marier, sans un seul jour de vie commune à notre actif. Dans mon esprit, les ennuis commençaient.

Aujourd’hui, j’y vois plus clair qu’il y a encore quelques mois. Un certain nombre de choses s’est éclairci dans mon esprit.
Guillaume vous dirait sûrement qu’à l’époque de notre rencontre, j’étais encore une petite fille pleine d’idéaux, et il aurait presque raison.
A vrai dire, je n’ai jamais compris pourquoi il m’avait demandé en mariage si tôt. Il paraît que lorsqu’on rencontre l’homme de sa vie, on le sait immédiatement. Pourtant, moi, même à genoux dans la chapelle, je doutais.
Que devais-je faire? Le garçon dont je m’étais amourachée venait de demander ma main ! Aurais-je dû lui dire « désolée, mon chou, mais tu t’es trompé d’époque ! » ? Ou encore lui rire au nez en lui tapotant la joue ? Je ne suis pas si cruelle.
On prétend parfois que les femmes sont expertes dans l’art de la simulation. Dans certaines circonstances, les hommes ne nous laissent pas le choix, pourtant ! Encore que « simulatrice » ne soit pas le terme exact, dans mon cas. J’ai toujours été attiré par le risque, les émotions fortes. Explication qui n’a pas tout à fait convaincu mes amies, persuadées que Guillaume était le dernier des crétins, et que j’avais beaucoup d’autres choses à vivre avant de me jeter la tête la première dans le nœud coulant.
Lorsque nous nous sommes rencontrés, j’étais loin d’être la demoiselle fleur bleue qu’il s’imaginait. Je ne l’ai jamais été, d’ailleurs.
Que sa nouvelle conquête, prétendument vierge, accepte de se donner à lui pour la première fois dans une arrière-boutique de cinq mètres carrés n’avait pas surpris Guillaume. Preuve que malgré son apparente assurance, il ne comprenait pas grand-chose à ses alter ego féminins.
De mon côté, j’avais déjà parfaitement saisi qu’un homme retire une grande fierté à être « le premier ». La virginité comme un trophée, çà vous attache un mec pour un bon bout de temps, même s’il s’en défend.
C’est ainsi qu’après deux ans d’une relation plus ou moins houleuse, Guillaume m’offrit une bague de fiançailles. A ce moment-là, me revint une phrase maternelle : l’amour ne se refuse pas.
Je ne suis pas contrariante.
Ma mère, de son côté, fut bien embêtée lorsque je lui rappelais cette phrase, alors que, lui ayant annoncé notre projet, elle essaya de tempérer mon ardeur.
Mais plus notre entourage tentait de nous décourager, et plus notre détermination grandissait : nous étions à des âges où le désir d’émancipation est tel que toute parole parentale doit être exorcisée par un acte contraire.
Sans le savoir, Guillaume et moi avions conclu un pacte dangereux : nous nous unissions « contre les autres », au lieu de nous unir "l'un pour l'autre".
Je crois aussi que nous avions quelque chose à nous prouver.

A l’aube de ma vie commune avec Laure, je me sentais bien embarrassé.
Je n’avais pas réalisé, emporté par le flot des derniers événements, à quel point le partage de nos cinquante mètres carrés habitables amputerait ma liberté. Je n’avais finalement du mariage qu’une vision administrative. J’étais engagé sur papier, et je pensais sincèrement que mon investissement ne pourrait aller plus loin.
La vie m’a contraint à changer mon fusil d’épaule.
Nul besoin de souligner la malaise qui m’habitât lorsque je me retrouvais face à Laure le premier soir de notre vie sous le même toit.
Je dissipais ma gêne en déployant toute mon énergie à vider les cartons et ordonner les armoires, à tel point que lorsque je me glissais dans les draps, Laure était déjà profondément endormie. Cela aurait pourtant dû être notre nuit de noces.
Les premiers mois furent douloureux pour Laure. Je la sentais déçue par ma froideur, quant à moi, je profitais de mon premier emploi et de mes nouvelles activités sportives pour tenter d’excuser mes retours tardifs et mes absences récurrentes.
Je tentais malgré tout de remplir ce costume, trop grand pour moi, d’homme respectable en couvrant Laure de cadeaux et de promesses.
Lorsque je me revois à cette époque, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur l’origine de cette inconséquence.
Comme un scénario de fiction mal écrit, ce ne fut que lorsque je faillis perdre Laure que je commençais réellement à m’attacher à elle. Ou peut-être fut-ce la peur de me voir ridiculisé par un rival qui me fit reconsidérer la situation...
A présent que plusieurs années se sont écoulées, je constate que nous n’avions pas choisi la manière la plus simple de devenir adultes ; mais au bout du compte, nous avions réussi le pari de grandir ensemble.
A l’heure où je vous parle, notre fils a presque quatre ans.
»
Je me souviens encore du jour où Guillaume et moi avons emménagé ensemble : comme nous nous sentions bêtes l’un face à l’autre !
J’étais toutefois pour ma part assez heureuse d’avoir pu quitter le domicile parental, et les premiers mois de vie commune furent pour moi l’occasion d’expérimenter à quel point cet anneau à mon doigt m’avait libérée.
Je dois avouer que mon statut de femme mariée m’emplissait d’une certaine fierté, surtout à l’université, où je me plaisais à susciter des jalousies auprès de mes congénères, qui, elles, sincèrement amoureuses, se désespéraient de voir leurs chers et tendres s’engager plus avant.
Je ne sais si nous avons réussi, mais aujourd’hui, certains de nos amis sont déjà divorcés, d’autres commencent à souffrir de leur célibat.
»
Laure a certaines qualités, mais surtout beaucoup de défauts.
Le premier, et presque le seul qui vaille la peine d’être évoqué, tant il surpasse les autres, est son inconstance.
Prenez Laure au réveil, par exemple. Vous trouverez une femme d’humeur assez agréable, tout sourire malgré ses yeux encore collés de sommeil. Laissez la partir sous la douche et retrouvez-la, dix minutes plus tard devant son bol de café : vous aurez en face de vous une espèce de furie, vitupérant après tout ce qui bouge, en l’occurrence, vous. Pourquoi un changement d’attitude si soudain ? Je n’en ai jamais eu la moindre idée, ni la plus petite explication de sa part. Me voilà réduit à imaginer un changement hormonal, dû au passage de la position allongée à la station debout...
Je me suis longtemps interrogé sur ces sautes d’humeur, et seules les hypothèses ésotériques semblent convaincantes.
Donc, avec Laure, j’ai rapidement appris à faire preuve de la plus grande prudence. A ne jamais m’installer dans le confort d’une parole d’amour ou d’un geste tendre de sa part. A me comporter tantôt comme une bête traquée, tantôt comme un funambule, tantôt comme un gros matou ronronnant.
»
J’ai souvent eu du mal à me regarder dans un miroir. Non que j’ai jamais été complexée par mon apparence physique, mais lorsque je me regardais en face, je voyais au-delà de mon regard, et cela m’était particulièrement désagréable. Je ne suis pas celle que vous croyez, ni celle que Guillaume a toujours connue : je suis bien pire.
Dans ma vie quotidienne, j’avais mes petits secrets. L’un d’eux était cette irrépressible envie de fuir. De fait, souvent, je fuyais, mais personne ne s’en rendait compte. Ce que mon entourage prenait pour de l’excentricité, pour une sorte de folie douce, était ma manière de m’évader de la réalité. Oui, souvent, je riais lorsqu’il fallait rire, je pleurais lorsqu’il fallait pleurer, j’accomplissais tous ces actes indispensables à ma survie.
Je me sentais schizophrène. Un ange et un démon dans la même enveloppe charnelle, vous imaginez les ravages que cela peut faire à l’intérieur. Je me revois, enfermée dans les toilettes, chez moi ou ailleurs, à pleurer toutes les larmes de mon corps en me demandant ce que je foutais là. Et puis, cela passait. Je reprenais le cours de ma vie, l’œil brillant, que les autres croyaient allumé d’une flamme intérieure.
J’aurais voulu être un pur esprit, un esprit pur aussi, et ma condition humaine m’était intolérable.
J’alternais des moments d’insouciance et de légèreté avec des périodes de questionnements effrayants. La plupart du temps, je m’accrochais à l’image de ce que je pensais devoir être la vie et je calquais mon comportement sur ce cliché.
De fait, il y avait toujours un décalage entre mes actes et mon ressenti.
Parfois, ce décalage était à mon honneur, mais la plupart du temps, il m’était défavorable, lorsque l’affection et l’empathie que je pouvais ressentir pour mes proches étaient effacés par une attitude égocentrique et agacée.
Je réalise aujourd’hui à quel point il est difficile de vivre face au mur que l’on peut-être pour soi-même.
»
Si je devais décrire ma femme sous une seule de ses qualités, j’évoquerai sa grande capacité à me surprendre. J’admirais l’insondable mystère et l’énergie inépuisable de la femme qui vivait à mes côtés.
Un exemple ? Lorsque je l’ai connue, Laure avait toujours porté les cheveux longs. A la naissance de notre fils, sa chevelure dense et brillante lui tombait sur les reins (je trouvais cela particulièrement sensuel).
Un soir, en rentrant du travail, je la trouvais…le crâne rasé. Pas les cheveux courts, non, le crâne rasé, presque à blanc. J’en restais bouche bée, mais déjà cette folie m’avait conquis. Qui d’autre que Laure aurait pu oser une chose pareille? Je ne connaissais aucune femme capable de tout réinventer ainsi.
Laure était dotée d’un charisme indéniable et animée d’un feu intérieur qui la dévorait. L’exubérance et la joie de vivre succédaient pourtant à des moments de grande hébétude.
Au fond, je sentais bien que tout cela cachait un profond malaise, même si je me refusais à y penser la plupart du temps.
Il m’est arrivé de voir Laure en rêve, au bord d’un gouffre, regardant obstinément au fond de l’abîme, comme hypnotisée, sourde à mes appels (je sais, c’est très nietzschéen ; je dois être un peu philosophe, au fond… ).
Parfois, j’étais stupéfait de la naïveté, voire de la stupidité de certaines de ses réflexions, qui, dans les moments de colère, me faisait considérer son âge mental comme proche de la minorité sexuelle.
Laure faisait pourtant preuve au quotidien d’une intelligence brillante, sans laquelle elle n’aurait pu exercer sa profession d’ingénieure spécialisée dans les nano-technologies.
A croire qu’elle me réservait les moments où son esprit se relâchait, pour ne plus ressembler qu’à celui d’un poulpe rassasié. Bien qu’un poulpe soit paraît-il doté d’une grande intelligence, qui lui permettrait d’ouvrir un récipient afin d’aller y retirer sa nourriture. Enfin, rien de comparable à l’être humain, tout de même.
Vous me trouvez dur ? Pas tant que çà, et je parle d’expérience.
Ce soir-là, Laure et moi avions décidé de passer une soirée « rien que tous les deux ». Voilà plusieurs mois que cela ne nous était pas arrivé.
Nous avions acheté deux places de concert ; notre fils était gardé à la maison par une baby-sitter. Comme Laure travaillait non loin de la salle de spectacle, il était convenu que je passerais la chercher là-bas, et qu’elle récupèrerait sa voiture au retour. Nous sommes partis manger un morceau avant le concert, repas au cours duquel nous faillîmes nous jeter les assiettes au visage. Lorsque l’on passe 90% de son temps en présence d’un enfant, les retrouvailles avec son conjoint sont parfois délicates. Ce fut le cas ce soir-là.
Laure m’exaspérait par son inquiétude : « dis, il faut surveiller l’heure, sinon on va être super mal placés, dans la salle…après, on rentrera vite, hein ? C’est la première fois qu’on fait garder Matthias par une baby-sitter…Ton portable, il est bien branché, dis, hein ?dis ? ».
De mon côté, je souhaitais juste profiter de l’instant présent, mais je crois que mon indolence l’énervait.
Le début du concert fut l’occasion d’un certain apaisement. J’étais fasciné par la dextérité des musiciens, électrisé par leur talent. Laure, elle, semblait intéressée par autre chose. Je le compris lorsqu’elle me souffla, en parlant du guitariste, « je trouve qu’il a une chevelure magnifique… ». Quatorze ans d’âge mental, je vous dis.
Toujours est-il que le concert se passa dans les meilleures conditions pour chacun d’entre nous.
Nous échangeâmes nos impressions durant le trajet qui nous mena jusqu’à sa voiture. Lorsque Laure descendit du break familial en me glissant avec un clin d’œil « c’est ici que nos chemins se séparent », elle ignorait à quel point elle était proche de la vérité. Moi aussi, d’ailleurs.
Arrivé à la maison, je réglai la baby-sitter et commençai à l’attendre.
J’aurai préféré apprendre qu’elle était partie, décidant de nous laisser, Matthias et moi, sur le bord de son chemin. Au moins, j’aurais eu quelque chose à lui reprocher, au lieu de la pleurer toutes les nuits comme un crevard.
Huit mois que je mords tous les soirs dans mon oreiller pour me retenir d’hurler.

Je comprends maintenant certaines choses qui ne m’étaient pas accessibles autrefois. J’emploie ce mot comme s’il s’agissait d’une époque lointaine, comme si j’avais acquis la sagesse sans l’âge, mais certaines situations font véritablement basculer dans la pleine conscience de soi-même.
En fait, j’étais simplement fragile. Totalement inadaptée à la vie humaine.
On ne sait jamais quand viendra le dernier instant. On vit la plupart de nos journées comme si elles devaient se renouveler sans fin.
Ce soir-là, Guillaume et moi avions besoin de nous retrouver. Je lui avais offert deux places de concert pour son anniversaire. Je ne sus pas vraiment si j’avais bien choisi, mais j’avais crû qu’une soirée à deux serait un bon cadeau.
Le repas se passa plutôt bien. Nous savourions ce moment de complicité. Le concert, au contraire, fut plutôt tendu. Chacun de nous semblait absorbé par son propre plaisir.
Guillaume partit devant, après m’avoir laissée à ma voiture. Il était environs deux heures du matin.
Là où je suis, il m’est permis de faire certains aveux, en l’absence d’oreille pour les entendre et de cœur pour en souffrir.
Lorsque, au volant de ma petite citadine, je vis la voiture qui arrivait en face de moi se déporter dangereusement sur ma voie de circulation, je ne fis pas vraiment grand-chose pour l’éviter. Juste un léger coup de frein, pour le principe, manière qu’on ne puisse rien me reprocher.
Je n’ai jamais suffisamment aimé la vie pour m’attacher réellement à quiconque. Je veux dire, pas suffisamment pour avoir envie de me battre pour quelqu’un.
Tout ce que je voulais, c’est que l’on me laisse la possibilité de partir. Aussi l’impact m’arracha-t-il un cri de douleur et de soulagement.
Au moins, aujourd’hui, je ne peux décevoir personne, même plus moi-même.
Le souvenir fera de moi une bien meilleure personne que je ne l’ai été de mon vivant.
Affreusement égoïste, dites-vous ? Pas tant que çà, et je parle d’expérience.
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Silence, on tourne
L'histoire de toi et moi
Sans aucun bruit
Juste un frôlement
Une hardiesse
Tais-toi
Emoi.
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Apprendre la leçon
Celle que tu veux bien me donner
Leçon de danse et de sensualité

Je veux être brûlée
Sentir la morsure de ta flamme
L’humidité de tes baisers
L’empreinte de ton désir carnassier

Réciter cette prose
Qui me laissera sans voix
Te faire croire à ma douceur

Je veux te posséder
Car je ne suis pas douce
Devenir toi
T’ôter toutes tes forces

Aspirer ton âme
Par la fenêtre de tes yeux
Animal tapi dans l’ombre

Je veux t’apprendre
Sans hésiter, entrer en toi
Sentence définitive
Qui t’assujettira

Pour le moment, seulement palpiter
Par nos corps qui ondulent
Au son du rythm’n’blues

Je veux l’éternité
Dans ce bar si ordinaire
Oublier que l’éphémère
T’entraînera au loin

Capturer l’instant
Celui que tu veux bien m’offrir
Entre tes bras, contre tes reins

Je veux m’approprier
Ta fraîcheur, ton odeur
Et peut-être ton cœur
Car je n’en ai pas assez

Donner le change
Peut-être un peu
Etourdir tes sens

Je veux t’éblouir
Voir la sidération animale
S’engrener dans ton esprit
Trouble mental que je suis

Ainsi, devenir immortelle
Car à cet instant précis
Tu es désir, tu es la vie.

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Ziasuelli


Debout face à lui, je le regardai.
De mon index, j’effleurai légèrement le creux derrière le lobe de son oreille droite.
Je descendis ainsi le long de son cou, jusqu’au col de sa chemise, puis mon doigt s’arrêta au premier bouton, que je dégrafai.
Je déposai un baiser sur son torse, là où l’ouverture juste créée laissait apparaître une peau épaisse et hâlée.
Les yeux mi-clos, j’imprimai ainsi sur lui, la marque de ma bouche rouge.
Sa respiration se fit discrète.
Je remontai alors jusqu’à ses lèvres, que ma langue entrouvrit fermement.
A vrai dire, il n’opposa pas de réelle résistance, l’on eût dit plutôt que ma détermination le surprenait.
Ma conviction devint la sienne ; et nos langues engagèrent un ballet à la chorégraphie non écrite.
Mes mains étaient muettes ; je ne voulus donner que de ma bouche et de mon ventre palpitant qui se livrait au sien.
Remontant par ma nuque, il libéra ma chevelure de son attache métallique.
Je relâchai mon emprise buccale, et guidai ses mains jusqu'à mes hanches.
Brusquement, je lui tournai le dos et il plaqua mon buste contre la surface de la table.
Il remonta le tissu de ma robe légère et put constater que le chemin jusqu’à ma vulve était exempt de tout obstacle sous-vestimentaire.
Il déboutonna rapidement son pantalon, et déjà sa verge entrai en moi.
L’émotion était intense, tout autant que les vagues impulsées par son bassin dans mon intimité fragile.
La chaîne de mon collier en argent tintinnabulait au rythme de ses assauts, et ce son semblait envahir l’espace entier.
Il relâcha un instant son effort, j’en profitai pour me dégager de son emprise et reprendre l'avantage.
Je m’agenouillai devant lui, et le pris dans ma bouche.
Très peu de temps, juste assez pour le laisser envisager sa défaillance.
Je m’interrompis et me relevai.
Debout face à lui, je le regardai.
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Ziasuelli

Dormir.
Me lever ce matin comme plonger en apnée dans un bassin olympique.
Avaler mon café. Prendre une douche. Chaude, comme pour y rester piégé. Enfiler mon costume beige. La même chemise qu’hier. Froissée. Pas grave. Penser à ne pas ôter ma veste. Aller au charbon. Dans la voiture, Nirvana à plein volume. Ou The Doors. Ou Selah Sue, suivant l’humeur.
35 minutes de trajet : fumer.
Me garer. Passer le hall. Monique. Lucette. Bonjour, politesses urbaines. Oui, merci. Aller bien, pas le choix.
Première réunion ; objectifs trimestriels. Nouvelles modalités de calcul. La chemise du chef : impeccable.
Boire un, deux, trois cafés. Remercier Michel pour le sucre. Clin d’œil : constater son ennui aussi profond que le mien.
Gestion du personnel : congés, etc. José : pas encore fait sa demande. « Lui rappeler pour pouvoir tout planifier ». OK. José : délégué du personnel. Elément problématique = ne rien lui laisser passer.
Des questions ? Non. Réunion terminée.
Direction bureau. Virginie. Bonjour, politesses et civilités. Aller bien, merci. Quels rendez-vous aujourd’hui ? Des appels, des messages urgents ?
M’enfermer dans mon bureau. Quatrième clope. Consulter mes mails. Avocat : faire passer bulletins de salaire Dubosc depuis son embauche. Mylène : manger un bout ensemble à midi ? Bof. Midi pris, demain aussi. Une autre fois peut-être ? Antoine : décompte mensuel des retards dans son équipe. Lancer avertissement, voire plus si griefs communs contre Robert : cinq retards ce mois-ci. Une altercation avec Abdel. Plus de détails svp, merci.
Trier les CV. Préparer note sur nouveaux objectifs. Appeler l’agence de pub. Mettre le haut-parleur, regarder par la fenêtre.
19h30 : quitter mon bureau : rendez-vous chez le psy.
Parler, un peu. Pour quoi faire, au juste ? Ecouter ses remarques. Enfin, vaguement.
Merci, 45 euros, au revoir.
Dehors. Prendre la voiture. Feu rouge. Première à gauche. Rocade.
La maison : enlever les chaussures. Jeter la veste. Tomber le pantalon. Boire un verre d’eau. Me servir un pastis. Faire chauffer le bolino. Coup de fil à Momo. Bonjour, politesses, banalités. Boulot, nouvelles des autres. Sortir ce week-end ? OK à samedi.
Manger le bolino devant la météo. Ma chemise ? Bof, au sale.
Regarder le film. Quel film ? M’en foutre.
Me brosser les dents, laver les mains. Très important, les mains. Me les relaver encore.
Me coucher. Eteindre la lumière. Dormir : respirer.
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Avait-elle dormi ? S’était-elle seulement assoupie ? Avait-elle clos ses paupières un seul instant ? Peut-être pas.
Elle se leva pourtant.
Etait-elle seule ? Avait-elle une famille, des parents, des amis ? Me l’avait-elle seulement dit ? Peut-être pas.
Ce matin-là, elle s’habilla et sortit sans même se retourner.
Le trajet lui parut-il long ? A quoi, à qui pensa-t-elle ? Dut-elle s’arrêter pour se rassembler, ne pas perdre le contrôle ? Peut-être pas.
Je l’imagine, coupant le contact, prenant son sac à main.
Combien de questions dut-elle affronter ? Combien de sourires et de bons sentiments dut-elle distribuer ? Chercha-t-elle seulement à faire ce qu’on attendait d’elle ? Peut-être pas.
Elle mit sa blouse et porta le premier plateau repas.
Du moins, c’est ce que j’imagine car au fond, je n’en sais rien.
Eut-elle un mot plus haut que l’autre ? Y eut-il seulement une seule tâche qu’elle fit mal ? Peut-être pas.
Elle vint m’embrasser avant de quitter le service. De cela, j’en suis sûr car je m’en souviens.
Mais à part ça ? Rien. Pas la moindre idée.
La suite, c’est qu’elle n’est jamais revenue. Elle qui n’était, pour moi, rien, ni personne. Cela n’avait donc aucune importance.
Lorsqu’on retrouva son corps, ma vie s’était poursuivie, j’avais continué mon chemin.
Mais du sien, je n’en avais, en vérité, jamais rien su.
J’avais tout ignoré d’elle, de ses passions, de ses tourments, de ses plaisirs, de ses renoncements.
Elle demeura, pour toujours et à jamais, l’incarnation de ma sècheresse.
Celle qui m’avait fait, toute ma vie, passer à côté des gens sans les voir.
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Le visiteur du soir
Entre sans frapper
Il ne fait aucune promesse
Ne porte pas de gants
Se présente tel qu’il est

Le visiteur du soir
N’est pas celui qu’elle croit
Il peut agripper son bras
Attraper ses hanches
Brusquement, envahir son espace

Puis l’effleurer des yeux
Abandonner sa tête
Contre sa nuque
Et cet instant unique
Devient éternité

Le visiteur du soir
Elle ne l’attendait pas
Il n’a rien demandé
Elle lui a offert son lit
Il s’est laissé dévoiler

Et dans ce moment incalculé
La vérité du désir
Devient le seul sujet
Terre lointaine et fantasmée
Où se rencontrent deux êtres

Demain l’hôte d’une nuit
Se fera Pénélope
Espérant le retour
De celui qui l’a trouvée ici,
Précieux visiteur du soir.
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