Ariane

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Elle descendait les marches de l'escalier en béton armé, étroites, qui menaient au sous-sol, froid, sinistre, sombre. Elle tenait la rampe fermement de sa main gauche, faisant crisser ses ongles contre le métal rouillé. Son vernis rouge était écaillé, sa bouche carmin défigurée. De la chaleur de la soirée, du rouge des flammes du feu, du teint feutré des rideaux de velours, il ne restait que les nuances de gris, le noir au bout de cet escalier. Le bourdonnement des insectes, le bruit des gouttes tapant le béton avait remplacé les violons et les applaudissements. Ariane descendait chaque marche en posant son léger pied de biais, délicatement. Ce qui l'attendait en bas n'était pourtant pas terrifiant, loin de là. C'était Gaspard qui lui avait donné rendez-vous, après le spectacle. Il voulait la voir, dans un endroit discret, calme. Et c'était son vernis abîmé et ses lèvres mal dessinées qui la rendait plus nerveuse que l'atmosphère glaciale de l'escalier. Sa robe longue cachait ses pas, habillée de noir, elle et son ombre ne faisaient plus qu'une en ondulant sur les murs grisâtres. Sur ce qu'il y avait en bas, elle n'en savait rien, si ce n'est que la chaleur de Gaspard l'y attendait. Ils devaient se retrouver dans une pièce plus accueillante, meublée. La lueur pâlotte du néon parcourant le plafond était suffisante pour qu'elle puisse mesurer son avancée. Gaspard devait probablement être arrivé, il devait même y être depuis un bon moment. Il attendait ce jour avec impatience, avait demandé plusieurs fois à Ariane l'assurance de sa venue. Elle avait répété qu'elle descendrait après le spectacle, par la trappe des coulisses. Qu'elle avait fait des repérages lors de la répétition générale, qu'il n'y aurait pas de souci. Elle l'avait prévenu d'un possible retard, si le public demandait plusieurs rappel. Gaspard avait répondu qu'il attendrait, qu'il l'attendrait. Ils ne s'étaient pas vu depuis quelques mois, lui était parti à l'étranger, elle était en tournée. L'escalier en colimaçon paraissait sans fin. Il était pourtant petit, quelques dizaines de marches. Néanmoins, elle avait un pas lent, entre attention à ne pas tomber et appréhension d'arriver. Elle se repassait le fil de leur rencontre, le fil de leur relation.

C'était à l'occasion d'une soirée, il discutait avec des amis dans un coin du grand salon de réception. De son côté, elle dansait, elle dansait aux bras de cavaliers différents. Elle avait valsé toute la nuit, dans une robe de couleur or, tournoyant au gré des notes. Il ne l'avait pas invité à danser, il avait passé la soirée à discuter, dans un costume trois pièces. Il n'était pas grand, pas blond ni brun, un châtain délicat. Il avait toujours une coupe de champagne dans la main, à moitié vide, à moitié pleine. Accoudé à la manière d'un dandy sur le rebord d'une fenêtre aux rideaux de soie verte, il parlait. Un vrai maître de maison.

Elle l'avait remarqué, depuis l'embrasure d'une porte, pendant qu'un cavalier la faisait danser. Le regard un peu hautain, il avait une grâce féline, une allure divine. Elle était tombé sous son charme et avait cherché à faire sa connaissance tout au long de la soirée, sans succès. Il était parti tôt, ne laissant aucune adresse, aucun nom, rien qu'un visage, un regard. Alors elle avait demandé à ses amis s'ils le connaissaient, personne ne voyait de qui il s'agissait. Elle avait continué son enquête, sans en voir le bout. Finalement, elle s'était habituée à l'idée de ne plus jamais le revoir.

Après tout, elle ne lui avait même pas parlé. A cette époque, elle travaillait à la bibliothèque, grande salle tapissée de livres. Elle ne venait pas pour emprunter des livres, elle venait par plaisir, pour le cadre. Jamais à la même heure, toujours quand il y avait peu de personnes. Ariane appréciait lever ses yeux sur tous ces livres, distinguer les reliures anciennes, le doré des lettres du titre, le cuir vieilli. Elle avait sa place, une à chaque extrémité, pour avoir une vue d'ensemble superbe. Ensuite, une fois ce qu'elle avait à faire fait, elle s'en allait et se baladait. Le même périmètre, pris d'une rue à l'autre au hasard des jours. Elle était passé dix fois devant cet immeuble aux fenêtres bleues, dix fois devant cette fontaine de bronze, dix fois par ce passage couvert. Mais elle ne voyait jamais dix fois cet arbre de la même façon, elle ne voyait jamais dix fois le petit carreau cassé de l'immeuble aux fenêtres de la même façon. Elle pouvait donc garder le même périmètre sans s'en lasser.

Et un jour, c'est l'escabeau de l'allée droite, d'ordinaire jamais déplacé, ou très peu, qu'elle ne vit pas de la même façon. A la dernière marche se hissait de dos un homme aux cheveux d'un châtain délicat. Celui du bal, cet inconnu longtemps cherché, s'offrait à ses yeux. Ariane gardait les yeux levés, surprise, étonnée, ravie. Elle ne savait pas quoi faire, comment l'aborder, ne pas paraître trop empressée. Elle n'avait pourtant qu'une envie, apprendre qui il était, elle en trépignait d'impatience. Il descendit les marches de l'escabeau et vint s'asseoir en face d'Ariane. Elle se demandait s'il l'avait reconnue. Son visage ne laissa pas un pareil espoir s'éterniser, il avait le regard hagard, ailleurs. Le livre qu'il venait de prendre datait du XIXème siècle et Ariane ne put lire le titre sur la tranche, à plat contre le bois verni de la table vieillie. Il lisait sans lire, un crayon et une feuille dans la main droite. Elle essaya de détourner ses yeux du visage de son inconnu fantôme en chair et en os devant elle. Le jeune homme quitta sa chaise, laissant ses affaires. Il partait sans doute faire une pause à l'extérieur. Ariane hésita à le rejoindre, mais en constatant ses mains tremblantes, elle préféra rester assise, de peur de dire des bêtises. Elle observa le crayon, la feuille, pensa à inscrire son nom, ses coordonnées, un petit mot dessus. Elle se rétracta, elle avait trop peur de froisser la feuille ou d'avoir une écriture trop tremblotante. La main d'Ariane se posa sur son sac et elle eut l'idée de glisser une de ses cartes de visites dans le livre.

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FlashbackChapitre4 messages | 6 ans
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