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Adalie33

Adalie33
J'écris pour l'instant tout ce qui me passe par la tête, sans me censurer. Je pense qu'ensuite, j'essaierai de trouver une "architecture" mieux structurée ?.... Je remercie tous ceux qui auront la patience de lire mes logorrhées, voire de les annoter sur le fond si possible. Merci à tous !
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Adalie33
1er décembre et ses calendriers de l'Avent.
Pourquoi pas sous forme d'histoires ?
Un épisode par jour jusqu'au jour J. Tentons...
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Adalie33



Elle chante la petite, je la regarde, soyeuse dans sa robe longue. On devine ses jambes dessinées comme un soir sans fin sous la toile d’organdi rose pale.
Elle chante une petite mélopée sirupeuse d’une voix légèrement rocailleuse.
Je l’observe, tapi dans l’ombre légèrement honteux de mon voyeurisme. Mes yeux ne parviennent pas à se détacher de sa chevelure brune et courte. Elle a passé sa main dans sa tignasse de sauvageonne qui conserve le souvenir de ses doigts. Je hume l’air alentour pour essayer de deviner son parfum. Est-il alourdi par des senteurs de patchouli ? Chaud, réchauffé par des fragrances d’épices rares ? Est-il léger avec de doux effluves d’agrume ? Je ferme les yeux. Il me semble sentir un petit chatouillis de sous-bois odorants. Plus de mélodie… j’entrouvre les yeux, panique, elle a disparu… A sa place, une toute jeune fille tout en blondeur suédoise rassemble patiemment des fleurs éparses sur sa jupes de tulle. Puis d’un geste fluide et rapide, elle ramasse une mèche fluide qui lui tombe dans les yeux. Derrière mon arbre, je suis subjugué, hypnotisé par la grâce de ces gestes. Sa peau claire joue avec le soleil du printemps quand elle se relève et se hisse sur la pointe des pieds pour secouer une branche du tilleul. Le cri d’un oiseau me fait détourner le regard quelques secondes à peine. Juste assez pour qu’une autre ait pris sa place. Elle est grande, formidablement musclée et son regard perçant semble m’avoir découvert tant elle fixe intensément ma cachette. Je me rencogne un peu plus, visage perdu dans le feuillage odorant. Je ne m’enfuis pas. J’en suis incapable. Elle a le sein lourd de la femme qui a vécu l’enfantement. Combien d’enfants a-t-elle ? est-elle une mère parfaite ou une à la fois bonne et mauvaise ? Je devine quelques ridules çà et là sur le visage de la femme, parchemin d’une vie déjà bien entamée. Elle est simplement assise, perdue, solitaire. J’oublie de respirer. Je partage simplement cet instant hors du temps avec une inconnue. D’un bond, elle se lève maintenant. D’un geste sec, elle envoie valser les feuilles tombées sur ses vêtements. J’observe son pas assuré quand elle disparaît à ma vue. Je suis seul et mal à l’aise, une sensation de manque… Mon regard se pose à nouveau sur l’espace que des femmes ont occupé si rapidement. Une petite fille maintenant. Toute ronde, frisée, elle pose des cartes une à une sur la pierre devant elle. Ses lèvres remuent sans qu’aucun son ne vienne perturber les bruits de la forêt. Elle peut avoir entre six et sept ans. Soudain, un papillon passe dans son champ visuel. Un grand pan-du-jour je crois. L’enfant interrompt son jeu. Elle essaie de capter le visiteur, qui peu enclin à se laisser emprisonner, monte s'enrouler dans la lumière du soleil, plus haut, hors de portée de la petite main. Le charme est rompu. La fillette abandonne ses cartes et disparaît sans un bruit. Toujours dans l’ombre du saule qui m’abrite, je crois que je me suis assoupi. Un rai de lumière m’éveille. Sur la pierre, une vieille dame est maintenant posée. Son visage est flétri comme une pomme reinette en fin de saison. La courbe de son nez, les pommettes rondes, le tronc monolithique, jusqu’au sourire vague inspire la douceur. L’envie de la protéger, d’embrasser encore ses vieilles joues froissées. Elle m’envoie un léger baiser du bout des doigts et disparaît, comme dissoute dans l’air. Puis une autre femme menue, discrète, un sourire timide bloqué sur ses lèvres s’installe sous mes yeux. Elle semble triste et malheureuse malgré son rictus. Malade ? délaissée ? Petite chose fragile, elle déclenche en moi l’envie irrépressible de la prendre dans mes bras, de la consoler.
Peu à peu, je me suis détendu, j’ai oublié ma position de voyeur pour jouir longtemps du spectacle.
Jamais tout à fait surpris, mais jamais très sûr de celle que tu seras demain, tu seras mon amour mon amour.
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Défi
Adalie33

Luluberbu attrapa la poêle pour me cuisiner, puis un immense couteau et une fourchette monumentale.
"Quoi ? Pour me faire cuire mais quelle outrecuidance m'insurgeai-je !! Et quelle compagnie penses-tu me donner ? Des petites carottes pour parfumer le ragout ? Des poivrons dodus pour colorer mes bras charmants ? Des petits pois sucrés pour charmer tes papilles ? Une tranche de citron pour titiller la langue ? Du pilipili pour relever le plat ? Ca ça ne serait pas bien raisonnable Luluberlu fis-je narquoise, ma douce chair en serait toute éteinte. "
"Non, dit Luluberlu dans ma recette, il y a juste du pain grillé et du café "
"Du pain grillé et du café ? Quel drôle d'idée" répondis-je en m'étirant après un bâillement intempestif
"Tu as bien dormi ma chérie ?"
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Défi
Adalie33


La longue dame blanche a perdu ce dimanche son doux gilet de brume.
Eperdue, elle languit de douleur au cœur du vieux manoir.
Sa robe vaporeuse traine au sol, misérable dentelle de tristesse.
Qui saura consoler son chagrin de plomb dans des rêves à la lune ?
La longue dame blanche a perdu ce dimanche son doux gilet de brume.
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Défi
Adalie33


Monstre pourri, géant bancal, poux nauséabonds… la princesse en lambeau proférait des insultes lourdes et fétides avec la délicatesse d’un pélican obèse ;
Je hais les histoires d’amour, j’exècre les contes idiots et j’étale ma colère comme d’autres leur mollesse, leur paresse, leur implacable connerie ou leur stupide candeur.
Imbéciles notoires, détestation séculaire… les mots honnis ont un sens qui me réjouit.
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Défi
Adalie33



Je ne veux pas me mettre à la fenêtre. La ville pue, les pneus des voitures crissent sur l'asphalte, les gens s'interpellent. On entend les talons des filles, les klaxons, les carcasses des bus grincent, les fenêtres et les portent claquent. Je ne veux pas ! Traitez-moi de vieux grincheux, ça d'accord mais tous ces gens, ces visages étrangers, ces odeurs corporelles... tout me dégoûte ! Regardez-moi ces donzelles qui se tortillent en suivant le mâle du coin de l'œil, méprisable ! Et ce vieux beaux qui bombe le torse en rentrant l'ampoule bedaine qui le précède habituellement, ridicule ! La nuit ? C'est encore pire ! les bruits y sont tenus mais têtus : ils vous enroulent, vous saoulent d'une présence perfide, ils vous bercent d'odeurs fétides, ils vous promettent un lendemain pire encore que ce jour-là !
Parfois, au milieu de ce capharnaüm, on entend un misérable oiseau dont la voix desséchée me ferait pleurer tant elle est pathétique. Ah ça oui, le roucoulement des pigeons déplumés, ça oui ; il me vrille les nerfs et attaque ma matière grise.
Vous me dites, Monsieur Voltaire qu’il est dangereux de se mettre à la fenêtre ? Mais je ne veux pas m’y mettre, moi Monsieur !
Attendez, mais que vois-je… Que fait cet homme en noir dans mon appartement ? et toute ces gens éplorés qui se penchent au-dessus de moi ? Mais qu’ils s’en aillent tous, je ne veux voir personne ! Partez bande d’imbéciles, il y a bien longtemps que je me refuse au monde de ces pantins ! La vie ne vaut que lorsqu’on est peinard en charentaises, affalé sur un canapé à contempler le plafond. La télé ? Vous n’y pensez pas ? Pour voir défiler des images bien pires que celle de la rue, je n’en veux pas ! Qui me dit que ces mirifiques paysages basques existent réellement ? et puis, sont-ils réellement beaux ? d’accord c’est vert et alors ? Ça veut dire qu’il pleut tout le temps, tu parles d’un bonheur.
Allez, voilà qu’ils pleurent ses pitres tragiques qui m’enserrent de leur bras… Reculez ! mais reculez ! Ne me touchez pas !
Je reconnais… il y a ma soeur Jeanne, celle-là elle pleure à gros sanglots la tête coincée dans ses mains. Ou alors, elle fait semblant ! Ce serait bien son genre. Je l’ai fichue dehors, il y a bien longtemps. Je n’en pouvais plus de ses embrassades sirupeuses. Elle est partie vexée comme une pintade, bouche pincée et cul serré. J’ai jubilé, mais j’ai jubilé ! Et voilà qu’elle est présente, pleurant à gros bouillon chez le monstre qui l’a jetée dehors. Réjouissant ! Je ne lui dirai rien pour la consoler. Pas envie.
Mon frère Marcel, ne parle pas. Il est concentré sur quelque point affligeant. Tous les traits de son visage tendent vers le bas. Qu’il a vieilli ! Ah l’attraction terrestre ne lui fait aucun cadeau ! Peut-être qu’à l’étape suivante, il entrera dans le sol ? Lui, j’ai fait en sorte de me fâcher avec lui pour une sombre histoire de cadeau qui ne me convenait pas. Prétexte, pardi !
Derrière il y a Macha. La belle Macha, enfin, ce qu’il en reste ! Bouffie, les yeux rouges et les cernes combatives, elle ne ressemble plus du tout à cette jeune femme alerte et pétillante que j’ai connue. Tout le monde l’aimait et chacun voulait un petit morceau de sa tendresse, de sa bonne odeur de fleur sauvage. Tout le monde… oui tout le monde…. Elle a préféré mon frère. Celui-là même qui me regarde avec des yeux de bovin à viande. Mais cessons-là, elle est moche, moche et moche !
Enfin, tourbillonnant comme un ressort trop longtemps compressé un moufflet ! Comment il s’appelle lui ? Très longtemps que je ne lis plus leurs lettres. J’en sais rien et je m’en fous ! Qu’ils sortent, mais qu’ils sortent tous diantre !

Coincé dans la porte d’entrée, des gendarmes ! Mais qu’ai-je donc fait pour qu’on m’emmène les forces de l’ordre ? Ils ont démoli ma porte en plus ? Qui va payer ? Mais dites-moi qui va payer ? Pas moi en tout cas, puisque je n’ai rien fait ? Est-ce bien sûr que je n’ai rien fait ? J’ai bien jeté un tout petit pot de fleurs l’autre jour sur des
jeunes qui squattaient mon devant de porte pour s’embrasser à pleine bouche en se susurrant des mots incroyablement idiots que j’entendais jusque chez moi ! et « tu es si douce, ma douce » « tes cheveux oh mais tes cheveux ! regarde ils s’enroulent si bien autour de mon cou, comme s’ils me faisaient l’amour » et l’autre dindonne rougissante et stupide l’embrassait à petite lampée comme on sirote un Spritz ! D’un geste brusque, j’ai ouvert cette fichue fenêtre et j’ai jeté le yucca qui m’encombrait la vue de toute façon ! De la légitime défense en quelque sorte ! Pas de quoi m’envoyer les flics quand même !
Incroyable, malgré mes vitupérations, ils restent tous là, plantés comme des aillets avec leur tête de dix pieds de long sauf le marmot qui court dans tous les sens. Il a déjà fait tomber l’ancienne théière de Maman, mais ça m’est bien égal, elle était affreuse… pas Maman, la théière. Quoique, à bien y réfléchir… non, Maman était ma Maman à moi… seul !
Je suis mort. Ca y est j’ai compris ! Enfin débarrassé du fardeau de cette vie. Le plafond commençait bien à s’écailler et je ne m’ennuyais pas trop. Mais là ça y est, c’est fini, je crois bien que je vais enfin pouvoir arrêter de penser, de parler, de crier, de pleurer, de souffrir… « qu'il est difficile d'être heureux dans cette vie ! »
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Adalie33
Ecriture d'après consigne en 10 minutes ! Ouf, c'est sportif !
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Adalie33


1.
« Paco, passe le ballon ! ».
Celui-ci leva les yeux de son livre et sans même prendre la peine de répondre secoua la tête en signe de dénégation. Non, il ne prendrait pas la peine de se lever pour aller chercher la baballe de ces idiots du ballon rond.
« Paco, passe le ballon, j’ te dis ! ».
La voix de Julien se faisait plus menaçante, mais Paco s’en fichait. Il avait l’habitude.
« Purée Paco, si je suis obligé de venir jusqu’à toi, tu vas voir ce que tu vas voir ! », rugit Julien et en plus, je serai pas seul. On va te faire passer un sale quart d’heure… Tu seras prévenu ! », fulmine le jeune footballeur.
Les autres enfants grondaient également contre cette interruption de jeu. Pourtant, pas un n’envisageait de s’interposer ou d’aller chercher le ballon. Il faut dire que Julien le leur aurait fait payer cher, très cher même !
« Paco, j’arrive ! J’te préviens ! », continuait Julien rageur.
Paco ne bougeait pas. Il leva seulement les yeux pour vérifier la présence d’un adulte. Ne voyant personne à l’horizon, il reprit sa lecture, résigné. Pas d’enseignants dans les parages, il savait bien ce qui allait lui arriver. Il avait vécu ça des millions de fois ! Il n’avait même plus peur ! Julien et ses lieutenants, le bourreraient de coups de pied, le traiterait de « gros plein de soupe » ou « sale gros ». Paco trouvait d’ailleurs qu’ils manquaient d’imagination, parce que, lui, Paco, il avait bien d’autres idées plus drôles, moins attendues comme par exemple « crotte de doberman, ou de mammouth », ça avait une autre gueule quand même. Il se garderait bien de leur dire tout de même.


Après, comme d’habitude, Julia ou Romain ou un autre irait chercher la maîtresse qui gronderait tout le monde sans trop chercher à savoir qui avait commencé. Trop compliqué de démêler le vrai du faux. La bande des Julien, comme il les appelait in petto, n’avait pas son pareil pour noyer le poisson et passer pour des victimes ! Lui, Paco, baisserait le nez et ne chercherait même pas à se défendre. De toute façon, c’est vrai qu’il était gros. S’il ne voulait pas être l’objet de leur mépris, il n’avait qu’à maigrir. Alors, il avalait un peu plus son amour propre sans plaisir, mais sans tristesse non plus.
Effectivement, Julien, Lucien et Titouan s’approchaient de lui, menaçants. Derrière, on surveillait les alentours pour éviter qu’un adulte ne s’en mêle. Parfois, Gisèle, une dame de service, sortait précipitamment de la cantine et sonnait l’alerte et ça c’était pas bon du tout. Elle, elle savait que les petites terreurs s’en prenaient aux enfants fragiles. Elle les voyait faire au restaurant scolaire : mettre un papier dans la purée, renverser volontairement un verre d’eau sur le pantalon d’un malheureux ou cracher sur le steak haché trop sec avec un grand rire imbécile. Un jour elle avait même surpris Lucien en train de gaver comme une oie un petit CP à coup de petites cuillères d’épinard.


Ce jour-là, personne dans les parages. Les coups commencèrent à pleuvoir sur l’enfant qui ne criait pas. Il attendait que l’averse s’arrête. D’une voix grave, et basse pour éviter d’attirer l’attention, ses tortionnaires lui jetaient des « C’est bon ça, tu aimes quand ça fait mal, Hein ? Oh, mais c’est tout mou, ça, on dirait du beurre ! ».
Devant silence de Paco, les coups redoublaient d’intensité. Coups de poing, coups de pied, la violence des enfants se déchaînait contre ce garçon mutique. Après de longues minutes de jeu de massacre, ils finissaient par renoncer, délaissant leur victime pour reprendre leur activité footballistique. Julien criait : « Je crois qu’il a compris, allez zou, Ursule, va chercher le ballon, on reprend ! ».
Paco, seul sur son banc, le nez en sang et le moral dans les chaussettes, ramassa son livre, se leva en titubant et se rendit aux toilettes pour tenter de se rendre un peu présentable. La récréation allait prendre fin, il n’était pas question qu’il se fasse punir en plus ! Alors qu’il cheminait, furtif, la tête cachée sous sa capuche, la directrice, le prit par le bras.
« Qui es-tu toi sous ta capuche ? ». Paco ne répondit pas. Alors, Madame Dupin, se baissa et ôta le vêtement de son crâne. Elle eut un mouvement de recul, puis :
« Qui t’a fait ça ? demanda-t-elle.
- Rien, Madame, ce n’est rien.
- Ça, c’est toi qui le dis, mais qui t’a fait ça, dis-le-moi, insista-t-elle.
- Moi tout seul, je me suis cogné et puis je suis tombé.
- Non, ce n’est pas possible Paco, on ne s’esquinte pas le visage comme ça tout seul.
- Si, si, c’est moi tout seul, je me suis cogné », disant ces mots, l’enfant s’effondra en larmes.
Sur le terrain de foot, juste à côté, les Julien n’en menaient pas large. Sans entendre ce qui était dit, ils surveillaient l’échange avec inquiétude. La perte du ballon ne les faisait plus hurler contre le maladroit et même le but mis par un joueur contre son camp n’avait plus aucune importance. Ils savaient que s’ils étaient dénoncés, ils mangeraient chaud, chaud, comme ils disaient entre eux. Dame punition s’abattrait sur leurs épaules comme une avalanche de criquets sur les cultures.
Julien savait que Paco n’était pas un rapporteur, c’est bien pourquoi quand il avait les nerfs, il lui tombait dessus ! Après, égoïstement, il se sentait mieux. Mais peut-être que cette fois-là, Paco allait-il craquer et le dénoncer, lui, le cerveau de la bande ? Quand il vit, Madame Dupin, prendre Paco par les épaules, il souffla un peu et cria aux autres : « Allez, zou, on reprend ! »
La directrice amena Paco dans la salle de maîtres, celle qui sentait bon le café. Tout le monde essaya de faire parler l’enfant. Celui-ci restait obstinément muet enfermé dans une souffrance dont personne ne possédait la clé. On finit par renoncer, on le soigna avec douceur, on lui lava le visage à la l’eau tiède, on répara son livre légèrement déchiré et taché et tout le monde rentra en classe.


La division euclidienne, une dictée et puis Maman viendrait le chercher pour le déjeuner…

2.
À midi, Paco sortit rapidement de la classe, attrapa son manteau suspendu dans le couloir et se dépêcha de rejoindre Maman qui l’attendait sur le trottoir. À cette heure, la maîtresse faisait confiance aux enfants et les laissait partir seuls au portail. Il est vrai que beaucoup d’enfants restaient manger à l’école et peu avait la chance de rentrer chez eux ! Cela faisait partie des raisons qui poussaient ses adversaires à lui tomber dessus régulièrement. « Eh, le bébé à sa maman…. T’as encore du lait qui sort de ton nez si on le presse ! ». Ils pouvaient bien se moquer, il s’en fichait.
Comme d’habitude, sa mère était à l’heure. Sous son manteau un peu trop grand, elle paraissait si fragile. Paco, la comparait souvent à un petit mulot aux yeux fiévreux. Maman était belle. Maman était douce, Maman était sa maman.
Comme chaque jour, elle prit sa main tendrement, se baissa vers sa tête pour lui déposer un baiser sur le sommet du crâne. Elle eut un petit rire de gorge : « Bientôt, c’est toi qui te baisseras pour m’embrasser ! ». Paco, ne répondit pas mais serra la petite main qui trouvait si bien sa place dans la sienne.
Chemin faisant, elle l’interrogea sur sa demi-journée de classe. Paco, n’eut aucun mal à lui raconter les heures de classe à essayer de comprendre le diviseur, les dividendes et tous ces mots qui ne lui serviraient probablement plus jamais ! Il la fit rire en lui racontant un problème qu’il jugeait idiot :
« Tu y crois, toi à un bonhomme qui monte dans un train, puis en redescend pour remonter dans un autre un quart d’heure plus tard ? ».
Maman souriait et tentait d’expliquer à Paco qu’on s’en fichait que ce soit possible puisque c’était juste pour s’entraîner en mathématiques. Paco, lui, en rajoutait encore, c’était si bon de voir Maman sourire.
« Ben c’est tellement idiot, ces problèmes que l’autre jour Bastien, tu sais ce qu’il a dit ? Maman fit non de la tête. « J’te raconte l’énoncé : un vendeur vend des chemises à 45 euros, puis comme les acheteurs ne sont pas là, ben il baisse le prix de 10%. Ensuite, pris d’une folie subite, il remonte le prix de 10%. Et le pompon sur le bonnet : la question ! Que remarques-tu ? Alors Bastien a répondu « que le vendeur change souvent d’avis ! On a ri dans la classe ! Même la maîtresse n’arrivait pas à reprendre son souffle !»
Maman se laissa aller à un joli rire tintinnabulant. On arrivait à la maison. Maman ôta son manteau mais garda son foulard coloré sur la tête. Elle était vraiment toute menue, Paco aurait pu faire le tour de ses épaules avec ses deux bras. Le couvert était déjà mis dans la pimpante cuisine rose. Maman avait toujours aimé cette couleur et bien que ce ne soit pas à la mode, elle avait tenu à repeindre tous les murs de cette couleur « églantine » comme elle disait avec une pointe d’accent qu’elle estimait chic.
Toujours en devisant gentiment, ils mangèrent d’un bon appétit pour Paco, comme un petit oiseau pour Maman. De temps en temps, Paco insistait un peu pour le principe. « Maman, tu ne manges pas assez, force-toi un peu quand même. ». Alors, elle acceptait de mettre un petit bout de viande en plus, un chou de Bruxelles ou un morceau de carotte supplémentaire. Tous les deux savaient pertinemment que cela ne changerait pas grand-chose au final mais c’était leurs règles du jeu à eux.
À la fin de repas, Paco sortit de table, Maman voulut lui emboîter le pas. Elle se leva, manqua perdre l’équilibre et se rassit. Des gouttes de sueur perlaient sur son front. Paco ne dit rien. Pas la peine de lui faire remarquer. Ils savaient tous les deux ce qui se passait et parler ne changeait rien. Il rangea tout consciencieusement, fit la vaisselle puis, aida sa mère à se relever. Il l’installa confortablement dans le grand canapé brun du salon, la déchaussa et lui plaqua un gros bisou sur la joue.
« Je repars à l’école. Tu fais attention à toi ? »
Lasse, elle opina de la tête et ferma les yeux, tellement fatiguée !
Paco s’habilla et repartit vers ce lieu qu’il n’aimait pas : l’école.

3.
Ses camarades avaient eux aussi terminé leur repas. L’équipe de foot squattait encore la moitié de la cour de l’école. Les filles préféraient danser, jouer à l’élastique ou jouer aux cartes assises tranquillement sur les rebords de porte. Il remarqua Pati au loin. Paco aimait bien cette fille, elle était joyeuse et rigolote. Elle attachait ses longs cheveux bruns en un chignon très haut pour pouvoir jouer à « loup » ou au basket. Elle aurait voulu les couper mais elle avait expliqué à Paco que son père ne voulait pas ! En disant cela elle avait grommelé que si elle était née garçon on ne lui aurait jamais imposer cet espèce ce coussin poilu sur la tête.
Il s’approcha de Pati. Puisqu’il avait oublié son livre à la maison, il devait trouver une activité pour éviter de se retrouver encore à la merci de ses bourreaux. Une fois par jour suffisait.
« Pati ! Hep Pati ! »
Celle-ci accourut vers lui. Il ne s’était pas vu de la journée car elle était dans la classe de Monsieur Duparc, lui chez Madame Delaplanche.
« Hey, Paco, comment ça va ?
- Bof… comme d’habitude ».
Pati était la seule personne à qui il pouvait au moins dire qu’il était « bof ». Et, rien que cela lui faisait du bien.
« Viens… » dit-elle en le prenant par la main. Brutalement, elle s’élança au pas de course.
Paco qui n’aimait pas courir car il ne supportait pas l’idée de ses bourrelets flottant au vent, se laissa embarquer. Ils passaient en courant devant le bureau de la directrice. Pati pressait le pas. Curieusement, Paco suivait et son corps ne lui semblait pas souffrir. Dans la salle des maîtres, les grandes personnes présentes s’étaient rapprochées de la fenêtre et observaient interloquées le manège de ses deux enfants qui tels des toupies folles couraient en rond autour de la petite cour. Pati accéléra encore, Paco sur ses talons. Autour d’eux, les autres enfants avaient stoppé leurs jeux, interloqués. Puis, soudain, leurs pieds ne touchèrent plus le sol. Paco n’y croyait pas : lui, si gros comment pouvait-il voler ?
Au sol, on entreprit de les arrêter, Julien surtout. Il sautait pour attraper un pied, il crut y parvenir mais dut se contenter d’un tennis de Pati. Les adultes étaient tous sortis des salles dans lesquelles, à l’abri des cris d’enfants, ils dégustaient un café, papotaient, échangeaient des tuyaux pédagogiques ou simplement se reposaient. Tous levaient les yeux vers les deux corps qui progressivement s’éloignaient du sol. Madame Dupin criait, appelait, complètement affolée. Madame Delaplanche avait plaqué sa main sur la bouche et paraissait abasourdie. Seule, à l’autre bout de la cour, Gisèle ne paraissait pas surprise. Le nez vers le ciel, les poings sur les hanches, elle regardait passer les enfants comme elle le faisait toujours lors du passage des grues en novembre et en février : un rendez-vous attendu et plaisant.
Les enfants dépassaient maintenant les murs d’enceinte et les bâtiments de l’école. Ils voyaient encore leurs petits camarades s’agiter comme des fourmis mais il n’y en avait plus pour longtemps ! Lorsque Paco eut repris ses esprits, il pressa la main de son amie :
« Où m’emmènes-tu ? Comment fais-tu ça ? Et pourquoi ? Tu sais, il faut que je sois rentré chez moi ce soir. Maman… »
Pati, ne le laissa pas continuer mais ne répondit pas immédiatement. Elle se contenta de lui envoyer un de ces papillons dont elle avait le secret. En réalité, il ne s’agissait pas de vrais lépidoptères avec des ailes, trois paires de pattes et une trompe. C’aurait été un tantinet effrayant. Non, dans son œil parfois, il y avait comme une petite étincelle, un sourire joyeux, une lueur d’espoir et Paco appelait ça un papillon. Donc, Pati, lui adressa son plus charmant papillon et Paco se calma illico.
On volait maintenant au-dessus de la ville. Au loin, on entendait les coups de klaxon, quelques cris qui remontaient qui prenaient un air ascendant. Mais globalement on était plutôt au calme.
« Tu veux voir la campagne ? lui proposa Pati ;
- Si tu veux…
- Non, mais dis-moi ce que tu veux toi ! reprit sa compagne.
Paco se rendit compte qu’il n’en savait rien. Il n’avait pas pour habitude de dire ce qu’il voulait. Il se contentait d’accepter toujours ce qui lui arrivait ou ce qu’on décidait pour lui.
« Je ne sais pas » finit-il par dire piteusement.
Pati pressa sa main et lui retourna un autre papillon. Sans un mot, elle obliqua vers la droite. Les deux enfants passèrent au-dessus du fleuve étincelant. Les eaux limoneuses prenaient de jolies teintes ocre au soleil
« On peut descendre un peu si tu veux voir de plus près, suggéra Pati
- Je veux bien. » se contenta-t-il de marmonner.
On plongea alors vers le fleuve cuivré, on rasa les vaguelettes au point de mouiller un peu le bas des jambes de pantalon. Paco et Pati riaient. Un poisson curieux sauta juste devant eux. Pati lança le bras pour l’attraper. Il retourna vite nager au plus profond.
« Bien, dit Pati, c’est pas l’tout mais on a du chemin… »
Paco n’eut pas à cœur de protester. Il ne voulait pas ennuyer son amie avec ses questions.
On remonta vers le bleu du ciel.
« L’avenir est à nous » cria Pati en secouant son chignon jusqu’à ce qu’il s’écroule libérant sa longue chevelure brune.
« Oh, on dirait une voile de bateau. » murmura juste Paco.
Il faisait bientôt nuit lorsque les deux enfants se posèrent dans un champ. La fatigue se faisait sentir. Ils partagèrent un biscuit rescapé du goûter et s’endormirent là où ils étaient : dans un immense champ de marguerites bleues, jaunes et rouge.

4.
De lourds vrombissements firent sursauter les deux enfants. Rapidement sur leur séant, ils constatèrent qu’il faisait encore bien sombre. Des bruits sourds et puissants parvenaient aux oreilles de Paco et Pati. Instinctivement ils se rapprochèrent à se toucher et ils resserrèrent leur bras autour de leurs jambes de façon à présenter le moins de surface possible à un éventuel agresseur. Ensuite, telles des autruches effarouchées, ils plongèrent le regard sur leurs chaussures, comme si ce qu’ils ne voyaient pas n’existaient pas.
Soudain, la terre s’arrêta un instant de trembler, le silence se fit. Les enfants reprirent espoir. Pas longtemps. Les bruits reprirent plus proches, plus inquiétants. On aurait dit des bruits de voix… en plus monstrueux. Sans mot dire, les enfants se regardèrent un instant et se mirent à ramper sur les fesses à toute vitesse à la recherche d’un arbre protecteur. Et c’était bien compliqué ! La veille, ils avaient, en effet, choisi une clairière pour atterrir, puis, trop fatigués ils s’étaient endormis sur place. Maintenant, assourdis par ses sons terribles, ils se sentaient un peu trop vulnérables au milieu du champ de fleurs. À force de reptation, ils parvinrent cependant à la lisière du bois qui bordait l’espace découvert. La peur donne des ailes, dit-on, Paco et Pati vérifiaient qu’elle aide aussi à ramper vite !
Arrivés sous un vieux chêne, ils eurent la surprise de voir bouger une branche chenue. D’abord imperceptiblement puis, lentement, comme glissant dans l’air saturé de bruit, elle descendit jusqu’à cacher complètement les enfants. Malgré le tumulte environnant, les deux compères poussèrent ensemble un soupir étouffé ! Ouf ! sauvés ! Paco écarta quelques feuilles odorantes pour, enfin, se confronter à la réalité.
Ce qu’il vit, dépassait l’entendement. Le soleil venait de se lever, pourtant, il faisait sombre. Deux gigantesques montagnes obturaient l’horizon. « Jusque-là, rien d’anormal » pensera le lecteur sauf que celles-là bougeaient et émettaient des sonorités aussi formidables qu’incompréhensibles. Elles semblaient se parler et peut-être même se disputer.
Progressivement, les monstres se rapprochaient d’eux. Pati tira vivement sur le bras droit de Paco pour qu’il renonce à sa curiosité. Elle ne savait pas ce qui les effrayait autant, mais elle n’avait pas du tout envie d’une rencontre. Puis, les deux « choses » s’éloignèrent, la branche du chêne reprit sa position initiale et les deux amis respirèrent alors franchement. Pati, la première, retrouva ses esprits :
« Bon, ben c’est pas le tout, lança-t-elle en époussetant son pantalon couvert de brindille à la suite de sa promenade sur les fesses, mais j’ai faim ! »
- Moi aussi, dû concéder Paco. Mais ici, à part de la nourriture pour les vaches, je ne vois pas ce qui pourrait nous sustenter ! ».
- On va aller voir si tu veux. On s’envole comme hier ?
Ils se mirent à courir en rond, à toute vitesse comme la veille, mais rien n’y fit : la machine était en panne. Ils ne volaient plus. Paco, s’arrêta, hors d’haleine. Ses yeux se mouillèrent et il se mit rapidement à hoqueter. Pati n’était pas fière non plus.
« Voilà, à cause de toi accusa Paco, je ne reverrai pas ma Maman ! Et elle a besoin de moi… elle n’a que moi. » Rajouta-t-il piteux après un court instant.
- Moi non plus je ne verrai pas mes parents, tu sais… Pati tentait de le consoler.
- Oui, mais moi je ne t’avais rien demandé ! grogna le garçon.
- Là, tu es injuste Paco, tu étais si malheureux et hier tu étais bien content que je te sorte des griffes des autres imbéciles.
- Mais, mais…
Paco était à court d’arguments, il sentait bien qu’il avait tort. Son esprit se torturait pour trouver une issue à son chagrin. Pati, lui prit la main et pragmatique lui dit :
« Ça ne sert à rien de revenir sur ce qui est passé. Maintenant, il faut trouver une solution. Une chose après l’autre ! Problème n°1 : j’ai très faim et tu as très faim. Donc, trouvons à manger !
- À ceci près, qu’il y a de drôles de créatures dans ce pays ! C’est pas comme si on allait au supermarché du coin ! Pleurnichait Paco.
- Oui, on a qu’à faire attention, on n’a pas peur de fourmi mais de trucs énormes, on les verra avant qu’ils ne nous voient ! Allez Paco, les humains doivent gagner leur pitance, partons à la chasse ! Tu verras, on va bien s’amuser.
Dans un coin de sa tête, Paco remarqua que Pati ne s’était pas moqué de lui, de sa peur ou de sa couardise. Simplement, elle l’avait encouragé avec des mots tout simples. Ils se levèrent, observèrent les alentours avec attention puis, en suivant la lisière de la forêt, ils avancèrent vers l’inconnu.
« Tu t’y connais en arbres et arbustes ? » Questionna Pati.
- Pas plus que ça, bredouilla-t-il, Pourquoi ?
- Si on veut manger, une pomme ou une prune, ça peut être bien… On ne va pas tuer un lapin ou un petit oiseau.
- Ah ! Ok, oui je sais reconnaître un pommier ou un prunier, mais dans la forêt, ça m’étonnerait qu’on trouve ça !
- Alors où ?
- Dans un verger pardi.
- Alors cherchons-en un ! Pati le prit par la main et partit en courant :
« Eh fais gaffe quand même il y peut y avoir les monstres ! » protesta Paco.
La fillette se retourna, eut un petit rire un tout petit peu étouffé et reprit sa course.

5.
« Eh Pati ! Ne cours pas si vite, que veux-tu que nous voyions à cette allure ? »
- Tu as raison, nous ne devons pas quitter l’abri des arbres. Si les monstres revenaient…
- À peine eut-elle fini de dire ces mots que les bruits énormes reprirent. Pati et Paco se pelotonnèrent contre l’arbre le plus proche. Comme le chêne, l’aulne fit descendre une branche pour les protéger. Pati repoussa délicatement quelques feuilles. Elle pressa la main de son compagnon à plusieurs reprises comme pour lui délivrer un message codé. Celui-ci ne comprenait pas pour autant mais saisit qu’il y avait quelque chose à voir…
Il avança son visage et ses yeux, comme ceux de son amie s’arrondirent.
« Non, mais tu as vu ça ? chuchota Pati ;
- Incroyable ! »
Cette fois-ci les deux créatures n’étaient pas à contre-jour. On distinguait donc parfaitement leurs contours phénoménaux.
Si leurs corps ressemblaient bien à celui des humains mis à part des dimensions hors normes, les monstres possédaient deux têtes et deux cous qui partaient du torse comme deux fleurs géantes.
« Cerbère ! » murmura Paco qui, on le sait, lisait beaucoup. Pati le regarda, interloquée :
« Tu les connais ? Tu les as déjà rencontrés ?
- Non ! Non ! C’est un chien de la mythologie grecque. Il gardait la porte des enfers. Sauf que lui, il avait trois têtes, pas deux.
- Ben dis donc, c’est pas bon ça ! Si Cerbère garde les portes de l’enfer, je me demande ce que ces gros patapoufs peuvent bien garder ! réagit Pati.
- En tout cas, ça m’étonnerait que ce soit des gentils, restons cachés », conclut Paco.
Les deux enfants reprirent leur position initiale, auprès du grand aulne. Très régulièrement, l’un ou l’autre allait vérifier la présence des deux êtres bicéphales.
« J’ai faim… », grommela Paco. Effectivement, son estomac criait famine et les borborygmes se faisaient de plus en plus bruyants.
« Tu vas nous faire repérer, Paco ! se plaignit Pati.
- J’y peux rien, j’ai trop faim !
- Viens, on va partir en douce sous les arbres. Ils nous protégeront. »
Pliés en deux, les enfants cheminèrent le long de la rangée d’arbres. Systématiquement, les arbres abaissaient leurs branches pour les protéger. Ils atteignirent le dernier arbre :
«Et là, qu’est-ce qu’on fait ? questionna Paco.
- On regarde et on avise », répondit la fille.
Ils glissèrent le visage comme ils avaient maintenant pris l’habitude de le faire. Là, devant eux se dressait un champ de sucettes, de sucres d’orge, d’éclairs au chocolat et à la vanille, de nounours en gelée et toutes sortes de confiseries alléchantes. Au milieu coulait une rivière d’un liquide brun visiblement gazeux.
« Du soda ! » s’exclamèrent-ils ensemble. Ils plaquèrent ensuite leurs mains sur leur bouche. Trop tard, le mal était fait. Les bruits monstrueux reprirent. Maintenant, les deux amis savaient bien qui étaient les responsables de ce vacarme. Il fallait à tout prix s’éloigner du champ de confiserie parce que, bien sûr, les deux monstres gardaient le champ de sucreries !
Toujours sous le couvert des arbres, ils rampèrent vite, vite…
Les géants bicéphales approchaient. La terre vibrait sous leurs coups de talons. Ils grognaient aussi…
« Et si on montait à l’arbre ? suggéra Paco…
- Ils sont plus grands, que les arbres et ils auront moins à se baisser pour nous choper. Pas cool ! Allez avance ! » ordonna Pati. On sentait à sa voix qu’elle était sous pression car ce n’était pas dans ses habitudes de gronder Paco ainsi. Celui ça obtempéra.
Ils entendaient les deux personnages effrayants balayer de leurs bras les arbres pour repérer les intrus.
« Il faut trouver une solution Paco ! Ils vont nous attraper.
- Si on coupait par le champ ? »
Ni une, ni deux, pliés en deux, ils se frayèrent péniblement un chemin à travers les grandes herbes du champ. Bientôt, ils arrivèrent de l’autre côté.
« Là, on sera enfin tranquille. Visiblement, ils font les cents pas le long des arbres, déclara la fillette.
- Sauf qu’on n’a toujours rien mangé et que j’ai vraiment très faim ! objecta Paco.
- Je sais bien mais comment faire, tu as bien vu que le champ est hyper-bien protégé. Ou alors…
- Ou alors quoi ? se précipita Paco.
- Ou alors, il va falloir trouver un subterfuge pour éloigner les cerbères… mais, là, tout de suite, je sèche !
- Et si on envoyait un objet dans la direction opposée ? proposa le garçon.
- Non, ils nous repéreraient. Nous ne sommes pas assez fort.
Ils restèrent silencieux un moment, puis Paco reprit la parole.
« Mais on est bête !
- Parle pour toi ! » se rebella Pati.
Paco fit comme s’il n’avait pas entendu :
« Puisque les géants surveillent ce coin, au lieu de chercher à les faire partir ailleurs, laissons-les là et cherchons un autre passage !
- Pas bête », fit-elle avec un clin d’œil.
Toujours pliés en deux, les deux amis continuèrent à progresser à l’opposé des géants. Bientôt, ils atteignirent une nouvelle rangée d’arbres bien ordonnés. Là, ils décidèrent de la suivre pensant qu’avec un peu de chance, ils arriveraient au champ tant convoité. Parvenus au bout, à nouveau, ils entendirent les sons puissants et la terre tremblait à nouveau.
« Zut, il y en a d’autres ! pesta Pati.
- Ou alors, ils nous ont suivis… »
Ils glissèrent un œil entre les feuillages. Deux monstres à nouveau, deux monstres, toujours aussi grands, à… trois têtes !
« C’est mort, se lamenta Paco, on n’y arrivera jamais ! »
- Paco, te rends-tu compte de ce qu’on a déjà fait ? On a volé, on a dormi dans un champ, on a échappé aux premiers géants… Pourquoi vois-tu toujours le monde en noir ? Ne désespère pas. Je suis sûre qu’on va trouver une solution. Tu te rappelles ? Un problème, une solution. »
Paco n’eut pas le cœur de contredire son amie, elle faisait tellement d’effort pour lui. Il se contenta donc de hocher la tête.
« Allez, on tente ailleurs ! » murmura Pati.
Seulement, à nouveau, ils se heurtèrent à deux géants à quatre têtes cette fois….
« Bon, on va peut-être arrêter, proposa la fillette, sinon on va finir par des géants qui auront cent têtes peut-être ! Il faut donc partir du principe que ces sinistres individus gardent et protègent tout le champ. Il doit bien y avoir une solution pour qu’on puisse manger, c’est pas possible ! ».
L’énervement de Pati était palpable, elle se sentait responsable de son ami. Paco ne dit rien. Il se leva et marcha droit vers les géants. Interdite un instant, la fillette reprit vite ses esprits lorsqu’elle comprit que son ami se dirigeait tout droit dans la gueule du loup.
« Noooonnn, reviens ! » souffla-t-elle d’une voix étouffée.
Paco ne se retourna pas. Pati constata alors que plus il avançait, plus il devenait petit… Déjà, elle ne le voyait pratiquement plus… Elle le devinait à peine.
Paco avançait toujours d’un pas sûr. Lui qui s’était toujours excusé de respirer, d’un coup il se sentait courageux.
D’un coup, les herbes lui parurent bien hautes. « Ça ne peut pas avoir poussé si vite », songea-t-il. Pourtant, il devait se rendre à l’évidence, la prairie était en train de l’engloutir.
« Tu croyais te débarrasser de moi comme ça ? » entendit-il subitement dans son oreille. Bien sûr, il reconnut la voix immédiatement. Il sourit.
« On ne doit pas se séparer, Paco, c’est trop dangereux ici ! Tu as vu les bébés qui se promènent ici ? » gronda-t-elle. Puis elle rajouta : « Tu as un plan ? » et puis encore « t’as vu qu’on est tout pitchounet maintenant ? »
Paco s’arrêta net. C’était donc ça, il était plus petit qu’avant : l’herbe n’avait pas poussé, non, c’est lui qui avait rétréci. Pati l’observait de ses yeux noirs. Ses cheveux en bataille lui donnaient un peu un air de sorcière.
« Dis donc Pati, je crois qu’avec la tête que tu as, tu ferais bien peur à ces grands monstres, rigola-t-il.
-Tu dis ça parce que tu ne t’es pas vu ami ! Un oiseau pourrait bien faire son nid dans ta tignasse si d’aventure il cherchait un abri : des brindilles, des bouts de feuilles et des nœuds, beaucoup de nœuds, une montagne de nœuds ! » chantonna-t-elle à la façon d’un rap.
Paco essaya de passer les doigts dans ses cheveux. Effectivement, ça paraissait mission impossible.
« On s’en fiche, finit-il pas affirmer. Moi, j’ai faim et il faut que je mange…
- Ouep, tu as raison allons chercher de quoi remplir nos estomacs. Maintenant qu’on est tout minuscule on devrait pouvoir se faufiler, » répliqua son amie.
Effectivement, ils parvinrent sans encombre jusqu’au champ de confiseries. Au loin, ils aperçurent les géants à quatre têtes mais, eux, ne les remarquèrent pas.
« A nous la victuaille, les bonbons et les gâteaux ! », claironna Paco. « Le clairon d’un petit homme minuscule n’atteint pas les oreilles d’un monstre », pensa-t-il tout joyeux.
Effectivement, les géants ne bougèrent même pas une oreille.


6.
Paco, fou de joie, courut vers un superbe éclair au chocolat. Dodue, dégoulinante de chocolat, paré d’un glaçage brillant, la pâtisserie semblait l’appeler. Encore un pas, encore un autre, Paco tendit la main. Le gâteau se déroba prestement.
« Impossible, il n’est pas vivant », pensa l’enfant.
Décidé, il s’approcha. L’autre s’échappa. Paco se frotta les yeux :
« J’ai la berlue ou cet éclair refuse que je le mange ? »
Il retenta l’expérience : nouvel échec.
Pati de son côté était aux prises avec un magnifique mille-feuilles qui lui jouait le même tour. Plus elle avançait, plus il s’éloignait. Voir cette gourmandise pure se tortiller pour se soustraire à d’éventuels tortionnaires aurait pu être drôle si les deux amis n’avaient pas eu si faim !
On changea de cible. Paco choisit un fraisier géant, Pati une gaufre coiffée d’une montagne de chantilly appétissante. Les enfants en furent pour leurs frais, les deux douceurs sucrées décampaient dès qu’elles voyaient ne serait-ce que le bout d’un doigt.
Paco et Pati se rejoignirent, un tantinet découragés.
« Impossible ! » murmura tristement le garçon.
- Te rends-tu compte, Paco, du nombre de fois où tu emploies ce mot ? »
Il ne répondit pas et pensa par devers-lui que la réalité était toujours plus morose que les rêves et qu’il avait souvent quelques raisons de se décourager…
« Ok, répondit-il, alors toi, tu as certainement une meilleure idée ? » finit-il par lâcher, bougon.
Pati réfléchit un bon moment en silence. On entendait de drôles de petits bruits que Paco n’arrivait pas à identifier, comme des froissements, de légers sifflements suraigus, des chuintements. La fillette continuait à se taire. Elle tendait l’oreille :
« Tu entends ? susurra-t-elle.
- Oui, et alors ?
- Il suffit d’essayer de comprendre, j’ai l’impression qu’ils se parlent, reprit-elle.
- Moi, tu sais, je n’ai jamais été bien bon en langue, alors, le langage des gâteaux, c’est pas pour demain la veille ! répondit le garçon décidément de méchante humeur.
- Bon, faisons un essai, choisissons une pâtisserie ensemble et essayons de comprendre », poursuit-elle sans se formaliser des mots de son compagnon.
De mauvaise grâce, Paco obtempéra. Ils avancèrent silencieusement vers une somptueuse religieuse au café. Luisante comme une étoile en hiver, elle portait de délicates virgules de crème au beurre qui fit saliver nos deux affamés. Lorsqu’elle fut à portée de main, ils s’immobilisèrent et tendirent l’oreille.
« Pscccchhh… psch… tix ». Elle parlait ou du moins semblait s’exprimer.
« Ben voilà, on est bien avancé ! » conclut Paco.
Méline, sans mot dire, se dirigea maintenant vers un cake garni de cerises confites. :
« Tix ! Tix ! Tix ! »
Ainsi, les enfants firent s’exprimer tour à tour une brioche moelleuse, un Saint-Honoré copieusement caramélisé, un cheese-cake parfumé à la fraise, une tarte Tatin dorée. Chaque fois, le scénario se répétait : d’abord ils se tortillaient pour éviter le contact puis :
« Pscccchhh.. tix ! »
Il y avait quelques variantes mais toujours, le son « Tix » se répétait.
« Bien on sait maintenant que le mot Tix doit signifier Non, s’enthousiasma Pati.
- Pour autant, on a toujours l’estomac vide, » grommela le jeune bougon.
Sans relever les dernières paroles, la fillette avisa une merveilleuse charlotte aux poires. Les biscuits à la cuiller, serrés au pourtour d’une crème d’un jaune pâle délicat, semblaient monter la garde pour protéger un trésor. Pati fit un pas dans sa direction. Le gâteau ne bougea pas. Alors, l’enfant avança d’un pas supplémentaire sans éveiller sa méfiance. Puis comme elle s’aventurait un peu plus, le sucre glace frémit. Elle stoppa net sa progression :
« Madame Charlotte, nous comprenons parfaitement votre appréhension à vous faire croquer mais, réellement si nous ne mangeons pas, nous allons défaillir…
- Tix ! Tix ! » et tous les biscuits s’agitèrent frénétiquement.
Sans se démonter, la petite fille insista :
« Moi, je sais que vous n’êtes pas de mauvais bougre. Et vous ne voudriez pas que nous perdions la vie dans votre champ quand même, ça ferait désordre, n’est-il pas ? Nous vous serions extrêmement reconnaissants de nous permettre de nous nourrir. La faim, c’est horrible. Promis, nous ne mangerons que ce dont nous avons besoin, pas plus ! »
La charlotte ne répondait pas. Pati avança un doigt vers la crème soyeuse. Miracle, la charlotte ne chercha nullement à l’en dissuader et resta sur place.
Alors, La fillette plongea résolument la main dans le gâteau puis entreprit de se lécher les doigts.
« Oh ben ça alors !! J’en reviens pas ! s’exclama-t-elle.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Il y a que… goûte ! » ordonna-t-elle à Paco
Celui-ci, à son tour fourra ses doigts dans la crème et porta le contenu ainsi récupéré dans sa bouche.
« Pouark ! Qu’est-ce que c’est que cette cochonnerie ! Lança-t-il.
- Paco, ça ne se fait pas, notre amie nous laisse manger et tu lui recraches tout à la figure.
- Mais c’est dégoûtant ! qu’est-ce que c’est ?
- On dirait de la crème de butternut. J’aime bien, c’est surprenant parce que je m’attendais à du sucré mais finalement c’est bien aussi. Après tout, tu as faim ou c’est de la pure gourmandise ?
Paco dut en convenir il avait une faim de titan ! Alors, il remercia copieusement puis se tournant vers sa compagne demanda si on ne pouvait pas essayer ailleurs. Pati obtempéra.
La voisine de la charlotte était une splendide crêpe à la banane aussi haute et grande que les deux enfants. Méfiants cette fois ils en prélevèrent un tout petit bout. Elle avait le goût du chou-fleur en béchamel.
Ainsi, ils firent le tour du champ et constatèrent qu’invariablement il s’agissait de trompe-l’œil : pas de sucre que des légumes ! Paco, champion de pâtes et riz en tous genres, expérimenta les lentilles vertes, brunes et corail, les blettes, les épinards et même la salade qu’il avait jusqu’alors en horreur.
Lorsqu’enfin ils comprirent qu’ils avaient » sorti leur ventre de la misère » comme disait le tonton de Paco, ils remercièrent chaleureusement leurs sauveurs, puis se mirent en quête d’une boisson. La rivière de soda devrait faire leur affaire. Ils en avaient l’eau à la bouche.
Ils se penchèrent, mirent leurs deux mains en cuillère et prélevèrent un peu du précieux liquide.
« De la soupe ! » s’exclamèrent-ils de concert.
« Je vais faire une overdose de légumes », certifia Paco avec un clin d’œil, puis indiquant un coin sombre tout au fond du champ, il rajouta : « là-bas, de l’eau ! » une claire cascade d’eau fraiche éclaboussait en effet le sol.
Enfin repus, rassasiés et réconfortés, les deux enfants s’allongèrent contre une immense sucette qui déploya son emballage argenté pour les abriter du soleil.
« C’est bon la vie », chuchota Paco en se laissant glisser dans un sommeil tranquille.

6.
Le soleil avait considérablement baissé à l’horizon quand Paco s’éveilla. Il prit le temps de retrouver ses esprits puis il secoua légèrement sa compagne qui souriait dans son sommeil.
« Hey Pati, réveille-toi, la sieste est finie.
- J’ai pas fini mon rêve, laisse-moi juste un instant » supplia-t-elle.
Le garçon patienta donc en admirant ce magnifique mais trompeur champ de pâtisseries plus alléchantes les unes que les autres. Il devait admettre cependant que ce qu’il avait consommé avant de s’endormir n’était pas si mauvais que cela. Il en était là de sa rêverie éveillée lorsque…
« Hep Pati, je crois que ton rêve est fini ou alors il va rapidement se transformer en affreux cauchemar ! Pitié réveille-toi ! ». D’un bond, Pati fut sur ses pieds :
« Quoi ? Quoi ? »
Quelque chose de gigantesque cachait leur soleil.
« Les trois têtes », souffla Paco.
Leurs deux cœurs battaient à une allure folle. Impossible de fuir, les géants les avaient repérés ! Face à eux les monstres à trois têtes, à leur gauche les bicéphales, à droite les quadricéphales… Il restait bien le sud. Leur fuite semblait cependant bien compromise. Déjà, un des géants se penchait au-dessus d’eux.
« Maman…, Maman », implora Paco.
Une tête rousse et l’autre brune, l’espèce de créature présentait une de ces deux faces aux enfants terrifiés. Elle avait un nez tout petit à proportion de son visage et des yeux immenses dans lesquels se reflétaient les paysages environnants. On n’aurait pas pu déterminer leur couleur tant elle changeait au gré de ce qu’il regardait. Pour l’heure, la face monstrueuse s’intéressait de fort près à Paco : pull-over rouge, yeux rouges. Puis il détourna le regard vers Pati : tee-shirt jaune, œil jaune. Quand il décida de regarder les deux enfants en même temps, alors il eut des yeux verrons ! La tête brune chassa l’autre. Sur celle-là, le nez prenait toute la place au détriment de deux petits yeux en bouton de bottine. L’extraordinaire personnage les renifla longuement, sortit une longue langue et les lécha à petits coups légers. Paco et Pati se ratatinèrent autant qu’ils purent, les malheureux, sans parvenir à échapper à leurs bourreaux.
« Hey ! Gros plein de soupe, tu vois pas que tu nous inondes de bave ! » vociféra Paco hors de lui.
La créature s’interrompit, surprise. Les autres géants s’approchèrent vivement intéressés par ces « trucs » qui parlaient. Toutes les têtes se penchèrent sur eux. Gros yeux, gros nez ou grandes bouches alternaient avec d’autres attributs moins effrayants ou carrément absents. À nouveau les deux petits se recroquevillaient. Au-dessus d’eux, on parlait un langage bizarre et assourdissant.
« J’en peux plus, mes tympans vont exploser vitupéra Pati.
L’espace se chargea de sons encore plus atroces.
« Je pense qu’on les intrigue, s’égosilla Paco pour se faire entendre de son amie.
- Qu’on les intrigue, ok ! Mais par pitié, qu’ils le fassent en silence ! C’est horrible ! » répondit la fille les mains toujours plaquées sur ses oreilles.
Brutalement, les têtes se replacèrent tout au sommet de ces corps gigantesques. Une main imberbe aussi large qu’un lac de montagne descendit puis deux doigts formant une pince saisirent Paco avec, malgré sa taille, beaucoup de délicatesse. Une autre attrapa Pati avec également beaucoup de ménagement.
« Bon, déjà, ils ne nous ont pas mangés, chuchota la fillette avec soulagement.
- Peut-être, font-ils cuire leur repas, on n’en sait rien, lui répondit Paco pragmatique.
- Mais non, sois positif pour une fois ! s’agaça sa compagne. Si tu dois être mangé, tu le seras que tu t’inquiètes ou pas, alors profite donc de ces quelques temps à ne pas l’être. Ça ne changera rien au fond, sauf que tu te pourris la vie.
- Je vais essayer… Au fait, tu sais pourquoi ils nous repéraient ?
- Non… Tu sais toi ?
- Oui, pendant qu’on dormait, nous avons grandi à nouveau ! En me réveillant, je ne m’en suis pas aperçu de suite. Maintenant, j’en suis sûr ! On a repris notre taille habituelle.
- Pas d’bol », conclut Pati.
Le convoi s’ébranla. Confortablement installés dans les larges pattes et un peu ballotés, les deux enfants décidèrent de prendre les choses comme elles arriveraient ! Avait-on les moyens de faire autrement ? Assurément non, pas pour le moment en tout cas !

7.
On les installa dans une espèce de pièce « aussi immense que la cathédrale de Chartre » pensa Paco. Puis, leurs ravisseurs fermèrent la porte à double tour, laissant les enfants à leur triste sort de captifs. Pati, la première sortit de la léthargie où l’avait plongé la peur.
« Ben, on est dans de beaux draps » commenta-t-elle.
Paco, silencieux, grattait le sol avec la pointe de son soulier droit. Il remarqua d’ailleurs que la poussière qu’il soulevait avait une drôle de couleurs… Fine et légère, elle prenait en s’envolant toutes sortes de couleurs : rouge carmin, bleu roi, vert canard… Chaque envolée ressemblait à un arc-en-ciel éphémère. Pati, d’ordinaire si avenante, s’agaça :
« Franchement, c’est tout ce que tu as trouvé à faire ? Balancer de la poussière tous azimuts ? gronda-t-elle.
- Pati, regarde mieux… »
La fillette interrompit ses vitupérations et approcha son museau du sol.
« Ah ben ça alors ! » s’exclama-t-elle.
Comme Paco, elle s’aperçut ainsi que les minuscules particules qui se détachaient du sol uniformément gris prenaient des teintes somptueuses et complexes : vert anis, bleu turquoise, jaune paille, rose bonbon… Puis, tout retombait au sol, à nouveau gris, banal.
« Paco, je te propose de laisser tomber tout ça pour l’instant. Il faut que nous fassions le tour de notre prison. Comme nous sommes tout de même bien plus petits que nos geôliers, peut-être trouverons-nous une sortie qu’ils ne soupçonnent même pas !
- Tu as raison, comme d’habitude ! admit-il en souriant.
- Ah ! Enfin, tu reconnais la supériorité des filles ! conclut-elle dans un grand éclat de rire. »
La peur avait disparu, ils savaient qu’ils étaient là l’un pour l’autre et leur complicité leur tenait chaud.
Ils firent le tour de leur domaine, furetant partout, écartant des obstacles ici ou là. Ils durent se rendre à l’évidence, ils ne parviendraient pas à se sauver, du moins pas comme ça.
« Ulysse et le cyclope ! dit l’érudit Paco.
- Ben quoi ?
Paco entreprit de lui raconter l’histoire de la fuite d’Ulysse et de ses hommes pris au piège du vilain Polyphème. Sous les brebis !!!
« Sauf que des brebis, je n’en vois pas la queue d’une », se désespéra sa compagne.
- Je croyais qu’il fallait rester positif ! » se moqua gentiment Paco.
Penaude, la fillette baissa la tête.
« Laisse tomber Pati, c’est pour rire… Moi, je vois souvent tout en noir, alors, pour une fois que c’est toi !! L’occasion était trop belle. »
Une idée fusa dans la tête du garçon :
« Au fait, on dit bien de la poussière qu’elle forme des moutons, non ?
- Oui et ?
- Ben, on les a nos moutons ! Et même, ils seront multicolores.
- Tu crois qu’on va en suspendre suffisamment dans l’air pour nous cacher dessous ?
- Essayons, on n’a rien à perdre !
Ensemble, ils entreprirent de frotter le sol avec leurs semelles, puis, se mirent à quatre pattes et enfin se couchèrent au sol pour gratter davantage de surface. La poudre multicolore s’élevait un instant, délicate et joyeuse. L’instant d’après, l’ensemble retombait.
« Il nous faudrait un outil », déclara Paco
- Un gros outil, alors ! Tu veux pas qu’on demande aux géants par hasard, ironisa Pati.
- Pfff ! que cette fille est bête ! répondit-il en levant les yeux au ciel.
La dite « bête » se jeta en riant sur lui et lui promit un tombereau de chatouilles si d’aventure il répétait cette phrase rien qu’une seule fois.
« Promis ! Promis ! je ne recommencerai plus, certifia le garçon mi-rieur mi-honteux.
- Bon, en tout cas, ça ne nous dit pas ce que nous allons faire. On ne peut vraiment pas rester ici », décida Pati.
Les enfants refirent un tour… rien qui puisse servir à envoyer la poussière plus haut.
« De toute façon, elle ne reste pas en suspension alors, on ne pourra jamais se cacher dessous ». Paco admettait que sa solution n’était pas encore la bonne.
« Quelle heure est-il d’après toi ?
- Certainement l’heure de manger, Pati, j’ai une faim éléphantesque!
Il finissait ces mots lorsque d’une trappe dissimulée dans le mur, ils virent apparaître un plateau couvert d’une grosse cloche servant à couvrir les plats dans les grands restaurants. Ils s’approchèrent à pas de loup. La trappe se referma bruyamment avant qu’ils n’y arrivent. Les enfants hésitaient.
« Trop faim, j’y vais ! » lança Paco.
Avec une précaution de sioux, il leva le couvercle argenté. Sur une vaste assiette mordorée, ils trouvèrent deux énormes bouquets de brocoli et deux majestueuses portions d’un mets qui, à l’odeur, devait être du poisson. Sur une petite assiette trônaient deux cylindres qui sentaient diablement bon.
« Pouark du brocoli, on n’est pas copain lui et moi », s’étrangla le garçonnet.
- Moi, je mange. Tu fais ce que tu veux moi j’y vais.
- Je vais attaquer par le dessert, je crois. Il joignit le geste à la parole et recracha tout dans l’assiette.`
« Et alors ? On n’aime plus les gâteaux ?
- C’est pas ça, reprit Paco, mais ça a goût de brocoli…
- Oh ! Oh ! Ils sont malins ces géants : si tu ne manges pas les aliments salés alors, ton dessert se transforme en légume !
- Moi, je dirai retors plutôt… dit-il d’un air boudeur.
- Tu ne manges pas alors ? interrogea Méline en lorgnant sur l’assiette de son copain.
- Non, c’est trop pas bon…
Pourtant, lorsque Pati eut achevé son repas, elle ne toucha pas à celui du garçon pensant que peut-être, plus tard, il aurait trop faim pour faire le difficile.
« Cherchons un coin pour dormir, proposa la petite fille, la nuit se lève et les événements de la journée m’ont épuisée ! »
Traînant les pieds, Paco obtempéra. Ils trouvèrent rapidement une grosse serviette de toilette. On décida qu’elle ferait office de matelas. Le torchon roulé sur le plateau du repas servirait de drap et comme il ne faisait pas froid du tout cela suffirait.
Allongés sur sa couche de fortune Paco ne décolérait pas. Lui faire manger ces horreurs ! quelle offense ! En fait les géants voulaient le mettre à leur merci…, pensait-il. Et puis cette idiote de fille avait marché dans leur jeu. Il se retourna vers sa compagne qui dormait déjà du sommeil de l’innocence et s’en voulut immédiatement d’avoir envisagé les choses de cette manière-là. Non, ce n’était vraiment pas une idiote, elle avait même un je-ne-sais-quoi d’un ange… Il sourit in petto, enfin un ange avec des cheveux bien emmêlés et un peu noirs !
Il se tourna de l’autre côté, ferma les yeux. Non, pas possible, il n’allait pas pouvoir dormir : son estomac criait famine atrocement. Il fulminait : non, il ne céderait pas, pas de brocoli pour lui, trop infect !
Une nouvelle fois, il pivota sur ses coudes et se retrouva nez à nez… avec l’épaule de Pati. D’un bond, il fut sur fesses, ébahi :
« Pati, Pati, appela-t-il en la secouant un peu
- Mmmm… qu’est-ce qu’il y a ?
- Réveille-toi vite, c’est important, c’est même de la plus haute importance.
Pati, bonne fille, accepta de sortir de son sommeil. Elle s’assit sur leur couche improvisée. Paco, s’installa tout contre elle et conclut :
« C’est indéniable, tu mesures une bonne tête de plus que moi !
- Bah, tu dis n’importe quoi, c’est la faim qui te fait dire ça. » Ce disant, elle lui fit face et dut admettre qu’effectivement elle pouvait admirer maintenant le sommet de son crâne. Elle reprit « Tu crois que c’est ce que j’ai mangé ? »
- Nous allons vite le savoir !
Le garçon, moitié par faim, moitié par curiosité se dirigea vers la victuaille. Il engouffra plus qu’il ne dégusta, l’intégralité de son repas.
Satisfait, il se recoucha tout près de son amie et s’endormit, espérant que la digestion ferait le même office sur lui que sur elle.

8.
Sur le plateau du petit déjeuner arrivé par la trappe comme la veille, un œuf énorme était posé en équilibre sur un objet en métal brillant qui ressemblait à une petite bassine. De grandes lamelles briochées entouraient ce dispositif.

8.
Sur le plateau du petit déjeuner arrivé par la trappe comme la veille, un œuf énorme était posé en équilibre sur un objet en métal brillant qui ressemblait à une petite bassine. De grandes lamelles briochées entouraient ce dispositif. A l’autre extrémité du plateau, un saladier accueillait des morceaux de fruits de toutes sortes. Du moins on pouvait penser qu’il s’agissait de fruit car Paco et Pati ne reconnaissaient ni l’orange, ni la banane et encore moins la pomme ! Les couleurs variaient du bleu profond au rose églantine. C’était beau, un peu comme un tableau d’Arcimboldo.
Sans hésiter, les deux compères se jetèrent sur le repas. Après tout, le souper les avait fait grandir cette nuit, peut-être que le contenu de ce plateau continuerait ? Ensuite, ils pourraient sûrement atteindre la grande verrière là-haut et se sauver ? Ils avaient la tête remplie de questions mais pour l’heure, ils s’appliquaient à se remplir l’estomac. Etait-ce bon voire délicieux ? Ils ne pouvaient pas dire, le but n’était pas la dégustation. Il s’agissait de sauver sa peau !
Alors qu’ils finissaient la dernière bouchée, un mal étrange les saisit.
« Paco, je ne me sens pas bien du tout…
- Moi pareil ».
Immédiatement, ils furent pris dans un tourbillon. Lorsqu’il cessa, les enfants se regardèrent, inquiets et ne purent constater qu’une chose :
« Minuscules ! nous sommes devenus minuscules, encore plus petits que l’autre jour dans le champ de pâtisseries ! » se lamenta Paco.
Pati leva les yeux vers l’immense verrière qui servait de toit et poussa Paco du coude.
Là-haut, quatre paires d’yeux les observaient, l’air content de lui.
Paco montra le poing, un poing si minuscule que seule une puce aurait pu en avoir peur. Méline tenta un argumentaire :
« Monsieur le géant, implora-t-elle en fixant un des yeux qui lui semblait le plus compatissant, laisse-nous partir, je vous en prie. Nous ne vous faisons pas de mal et puis nous repartirons immédiatement, promis ! Nous ne traînerons plus dans le champ de gourmandises. Nous nous engageons même à travailler pour payer ce que nous avons grignoté… »
Peine perdue, les sons produits par de si petites cordes vocales ne pouvaient pas atteindre les oreilles de si grand monstre, bien sûr ! Et puis, ce genre d’arguments n’aurait probablement pas eu d’impact sur des êtres qui les gardaient prisonniers.
Les deux enfants retombèrent sur leur séant, légèrement découragés :
« J’ai l’impression qu’ils vont jouer avec nous : un coup tu es grand, un coup t’es petit, un coup t’es moyen et de nouveau grand ! C’est leur bouffe qui fait ça, je suis sûr, grogna le garçon.
- Tu as vu les têtes ? Lui, il en avait quatre et chacune avait une expression différente, tu as vu ?
Bien sûr, Paco n’avait rien remarqué, trop encombré par sa colère. Comme le monstre se penchait une nouvelle fois, il fit l’effort de regarder vraiment comme le lui avait suggéré sa compagne. Elle avait raison, une fois de plus. Une des têtes semblait compatir avec leur malheur, un autre avait l’air très en colère, la troisième paraissait soucieuse, quant à la dernière, elle riait à gorge déployée.
« Que veux-tu faire de cette information ?
« Je ne sais pas pour l’instant, répliqua Pati mais il faut le retenir, c’est tout, » puis changeant de sujet « On est aussi minuscule que la poussière du sol, on pourrait peut- être en profiter ?
- En profiter pour quoi ?
- Réfléchissons… au moins. Je n’ai pas la certitude que cela va marcher mais sans rien tenter, j’ai bien peur qu’on soit ici jusqu’à la Saint Glinglin !
- Tu crois qu’on pourrait essayer de se cacher sous un nuage ?
Alors, les deux enfants frottèrent, grattèrent le sol avec toute l’énergie du désespoir. La poussière s’envolait, les masquait un court instant puis se redéposait invariablement. Ils interrompirent leurs efforts, hors d’haleine.
« Bon, ça, c’est mort » conclut Paco calmement.
- Ouh, tu progresses mon ami, même pas une toute petite indignation ? » plaisanta Pati.
Paco lui tira la langue en roulant des yeux et entama une petite danse joyeuse.
« Ben non, tant pis pour toi ! Le Paco est nouveau est arrivé !
- Tu sais quoi ? Je l’aime mi…
Pati ne put terminer sa phrase. Au-dessus d’eux, ça s’agitait. Les quatre têtes se relevèrent et un autre de ces monstres, un bicéphale cette fois, apparut. On distinguait assez nettement les deux émotions portées par chaque visage du nouveau venu : exaspération et rage pour l’un, sérieux et réflexion pour l’autre. Cependant, il était très net qu’aucun des deux n’était ravie ! Des sons puissants parvinrent jusqu’à leurs oreilles et le quadricéphale disparut subitement. Délicatement la créature restante souleva la toiture de verre et plongea sa grosse tête calme à l’intérieur, au plus près des enfants. Ceux-ci, terrorisés s’étaient soudés l’un à l’autre. Soudain, l’énorme bouche émit une sorte de chuintement délicat, suivi d’un roucoulement presque tendre. Paco et Pati levèrent le nez vers leur hôte. Alors les grandes cordes vocales entamèrent une longue modulation suave difficile à comprendre pour des oreilles non averties. Cependant, les enfants sentaient bien que cet « chose » n’était pas hostile. L’espoir renaissait et Pati s’enhardit. De sa voix la plus charmante elle entama un discours des plus affables :
« Monsieur, nous avons été ravis d’être invités chez vous. C’est très confortable, vos aliments sont extrêmement raffinés. Nous avons particulièrement apprécié la luminosité de votre demeure. Les animations étaient de qualité mais maintenant nous souhaiterions vraiment rentrer chez nous. Vous savez, nous avons des parents et ils sont très certainement morts d’inquiétude. Si vous le souhaitez, nous prendrons votre adresse pour vous rembourser tous les désagréments causés. Ma maman se fera un plaisir de vous envoyer un chèque… » de gros yeux multicolores la regardaient avec douceur. « …ou des billets, si vous préférez… » rajouta-t-elle parfaitement consciente que l’individu penché au-dessus d’elle n’avait absolument rien compris. Les modulations reprirent, tendres et chaleureuses. Le géant retira sa tête et remit la verrière en place, laissant les enfants perplexes à nouveau seul.
« Je crois qu’ils ne nous veulent pas de mal, déclara Pati
- C’est sûrement pour ça qu’ils nous retiennent enfermés, railla son compagnon.
- Oui, c’est sûr, c’est pas cool… reconnais qu’il avait l’air gentil…
- Comme la sorcière d’Hansel et Gretel : pour nous manger, il faut qu’on soit plus gros !
- Comme tu y vas, toi ! et que proposes-tu alors ? On fait la grève de la faim par peur de trop grandir ? On se nourrit d’espoir et de l’air du temps ? ». Ses mains virevoltaient devant les yeux de Paco. « Ou, alors, on grandit et on leur en colle une dès qu’on sera à leur taille ? Moi entre les deux solutions, j’en choisis une, devine laquelle ? »
Paco savait bien ce que choisirait son amie.
« Je te rappelle que nous n’avons qu’une tête et eux deux a minima.
- D’accord, persifla-t-elle, et bien toi tu restes minuscule, moi je grandis et j’agis ! Même si je n’arrive à rien, au moins j’aurais essayé ! »
Mais pour l’instant, il n’y avait rien à se mettre sous la dent. Ils se détournèrent l’un de l’autre, boudant chacun dans leur coin. C’était la première fois et Paco n’en menait pas large. Il savait bien que Pati avait raison mais elle l’agaçait à la fin cette minus à toujours le prendre à défaut. C’était quand même énervant ! Il se sentait à la fois misérable et en colère. « Tiens, pensa-t-il, je pourrais bien avoir deux têtes moi aussi ». Il tâta la naissance de son cou, et se rassura : « Il n’aurait manqué que ça ! » pensa-t-il. Il jeta des petits coups d’œil à Pati qui ne bronchait pas. À l’autre extrémité du plateau, un saladier accueillait des morceaux de fruits de toutes sortes. Du moins on pouvait penser qu’il s’agissait de fruits car Paco et Pati ne reconnaissaient ni l’orange, ni la banane et encore moins la pomme ! Les couleurs variaient du bleu profond au rose églantine. C’était beau, un peu comme un tableau d’Arcimboldo.
Sans hésiter, les deux compères se jetèrent sur le repas. Après tout, le souper les avait fait grandir cette nuit, peut-être que le contenu de ce plateau continuerait ? Ensuite, ils pourraient sûrement atteindre la grande verrière là-haut et se sauver ? Ils avaient la tête remplie de questions mais pour l’heure, ils s’appliquaient à se remplir l’estomac. Etait-ce bon voire délicieux ? Ils ne pouvaient pas dire, le but n’était pas la dégustation. Il s’agissait de sauver sa peau !
Alors qu’ils finissaient la dernière bouchée, un mal étrange les saisit.
« Paco, je ne me sens pas bien du tout…
- Moi pareil ».
Immédiatement, ils furent pris dans un tourbillon. Lorsqu’il cessa, les enfants se regardèrent, inquiets et ne purent constater qu’une chose :
« Minuscules ! nous sommes devenus minuscules, encore plus petits que l’autre jour dans le champ de pâtisseries ! » se lamenta Paco.
Méline leva les yeux vers l’immense verrière qui servait de toit et poussa Paco du coude.
Là-haut, quatre paires d’yeux les observaient, l’air content de lui.
Paco montra le poing, un poing si minuscule que seule une puce aurait pu en avoir peur. Pati tenta un argumentaire :
« Monsieur le géant, implora-t-elle en fixant un des yeux qui lui semblait le plus compatissant, laisse-nous partir, je vous en prie. Nous ne vous faisons pas de mal et puis nous repartirons immédiatement, promis ! Nous ne traînerons plus dans le champ de gourmandises. Nous nous engageons même à travailler pour payer ce que nous avons grignoté… »
Peine perdue, les sons produits par de si petites cordes vocales ne pouvaient pas atteindre les oreilles de si grand monstre, bien sûr ! Et puis, ce genre d’arguments n’aurait probablement pas eu d’impact sur des êtres qui les gardaient prisonniers.
Les deux enfants retombèrent sur leur séant, légèrement découragés :
« J’ai l’impression qu’ils vont jouer avec nous : un coup tu es grand, un coup t’es petit, un coup t’es moyen et de nouveau grand ! C’est leur bouffe qui fait ça, je suis sûr, grogna le garçon.
- Tu as vu les têtes ? Lui, il en avait quatre et chacune avait une expression différente, tu as vu ?
Bien sûr, Paco n’avait rien remarqué, trop encombré par sa colère. Comme le monstre se penchait une nouvelle fois, il fit l’effort de regarder vraiment comme le lui avait suggéré sa compagne. Elle avait raison, une fois de plus. Une des têtes semblait compatir avec leur malheur, un autre avait l’air très en colère, la troisième paraissait soucieuse, quant à la dernière, elle riait à gorge déployée.
« Que veux-tu faire de cette information ?
« Je ne sais pas pour l’instant, répliqua Pati mais il faut le retenir, c’est tout, » puis changeant de sujet « On est aussi minuscule que la poussière du sol, on pourrait peut- être en profiter ?
- En profiter pour quoi ?
- Réfléchissons… au moins. Je n’ai pas la certitude que cela va marcher mais sans rien tenter, j’ai bien peur qu’on soit ici jusqu’à la Saint Glinglin !
- Tu crois qu’on pourrait essayer de se cacher sous un nuage ?
Alors, les deux enfants frottèrent, grattèrent le sol avec toute l’énergie du désespoir. La poussière s’envolait, les masquait un court instant puis se redéposait invariablement. Ils interrompirent leurs efforts, hors d’haleine.
« Bon, ça, c’est mort » conclut Paco calmement.
- Ouh, tu progresses mon ami, même pas une toute petite indignation ? » plaisanta Pati.
Paco lui tira la langue en roulant des yeux et entama une petite danse joyeuse.
« Ben non, tant pis pour toi ! Le Paco est nouveau est arrivé !
- Tu sais quoi ? Je l’aime mi…
Pati ne put terminer sa phrase. Au-dessus d’eux, ça s’agitait. Les quatre têtes se relevèrent et un autre de ces monstres, un bicéphale cette fois, apparut. On distinguait assez nettement les deux émotions portées par chaque visage du nouveau venu : exaspération et rage pour l’un, sérieux et réflexion pour l’autre. Cependant, il était très net qu’aucun des deux n’était ravi ! Des sons puissants parvinrent jusqu’à leurs oreilles et le quadricéphale disparut subitement. Délicatement la créature restante souleva la toiture de verre et plongea sa grosse tête calme à l’intérieur, au plus près des enfants. Ceux-ci, terrorisés s’étaient soudés l’un à l’autre. Soudain, l’énorme bouche émit une sorte de chuintement délicat, suivi d’un roucoulement presque tendre. Paco et Pati levèrent le nez vers leur hôte. Alors les grandes cordes vocales entamèrent une longue modulation suave difficile à comprendre pour des oreilles non averties. Cependant, les enfants sentaient bien que cet « chose » n’était pas hostile. L’espoir renaissait et Pati s’enhardit. De sa voix la plus charmante elle entama un discours des plus affables :
« Monsieur, nous avons été ravis d’être invités chez vous. C’est très confortable, vos aliments sont extrêmement raffinés. Nous avons particulièrement apprécié la luminosité de votre demeure. Les animations étaient de qualité mais maintenant nous souhaiterions vraiment rentrer chez nous. Vous savez, nous avons des parents et ils sont très certainement morts d’inquiétude. Si vous le souhaitez, nous prendrons votre adresse pour vous rembourser tous les désagréments causés. Ma maman se fera un plaisir de vous envoyer un chèque… » de gros yeux multicolores la regardaient avec douceur. « …ou des billets, si vous préférez… » rajouta-t-elle parfaitement consciente que l’individu penché au-dessus d’elle n’avait absolument rien compris. Les modulations reprirent, tendres et chaleureuses. Le géant retira sa tête et remit la verrière en place, laissant les enfants perplexes et à nouveau seuls.
« Je crois qu’ils ne nous veulent pas de mal, déclara Pati
- C’est sûrement pour ça qu’ils nous retiennent enfermés, railla son compagnon.
- Oui, c’est sûr, c’est pas cool… reconnais qu’il avait l’air gentil…
- Comme la sorcière d’Hansel et Gretel : pour nous manger, il faut qu’on soit plus gros !
- Comme tu y vas, toi ! et que proposes-tu alors ? On fait la grève de la faim par peur de trop grandir ? On se nourrit d’espoir et de l’air du temps ? ». Ses mains virevoltaient devant les yeux de Paco. « Ou, alors, on grandit et on leur en colle une dès qu’on sera à leur taille ? Moi entre les deux solutions, j’en choisis une, devine laquelle ? »
Paco savait bien ce que choisirait son amie.
« Je te rappelle que nous n’avons qu’une tête et eux deux a minima.
- D’accord, persifla-t-elle, et bien toi tu restes minuscule, moi je grandis et j’agis ! Même si je n’arrive à rien, au moins j’aurais essayé ! »
Mais pour l’instant, il n’y avait rien à se mettre sous la dent. Ils se détournèrent l’un de l’autre, boudant chacun dans leur coin. C’était la première fois et Paco n’en menait pas large. Il savait bien que Pati avait raison mais elle l’agaçait à la fin cette minus à toujours le prendre à défaut. C’était quand même énervant ! Il se sentait à la fois misérable et en colère. « Tiens, pensa-t-il, je pourrais bien avoir deux têtes moi aussi ». Il tâta la naissance de son cou, et se rassura : « Il n’aurait manqué que ça ! » pensa-t-il. Il jeta des petits coups d’œil à Pati qui ne bronchait pas.

9.
À nouveau, la trappe s’ouvrit et à nouveau deux mains posèrent un plateau. Paco hésitait pendant que sa compagne se précipitait pour s’alimenter. S’il ne mangeait pas, il ne grandirait pas pour sûr. Oui, mais rester petit comme ça c’était compliqué quand même ! Et pour vivre, il faut manger. « Pourquoi n’ai-je pas deux têtes, se lamentait-il, au moins une des deux mangerait ! ». En fin de compte, ce sont ses jambes qui décidèrent : sans que sa volonté n’intervienne du tout, elles le guidèrent jusque devant le plateau où trônait une magnifique quiche. Luisante de fromage ou de quelque chose de similaire, elle présentait une surface lisse sur laquelle émergeaient des morceaux, « peut-être de la viande ? peut-être des légumes ? » pensait-il. Méline, consciencieusement avait entamé la destruction systématique de sa part.
« C’est bon ? » s’enquit-il.
Pas de réponse. Pati avait vraiment décidé de le battre froid.
Il s’attaqua donc à son tour à sa portion en silence. Les premières bouchées le surprirent comme il en avait l’habitude depuis ces quelques jours, puis il dut reconnaître que le goût était plutôt fin et savoureux. Ce n’était ni sucré, ni salé, ni amer, ni acide… autre chose. Il avait entendu parler de cette saveur japonaise, l’umami. « Peut-être était-ce cela ? ».
Il finit sa part et se retourna vers Pati :
« On fait la paix ? » murmura-t-il.
Pas de réponse. Pati était vraiment dure en affaire !
Il se pencha vers elle et lui dit dans un souffle : « Pardon, je ne suis qu’un sale grognon. », puis il l’embrassa de tout son cœur, « comme du bon pain » aurait dit sa grand-mère Bonne Maman !
C’était difficile de rejeter de telles effusions et Pati lui sourit :
« À une condition…
- Que j’arrête de prendre les choses du mauvais côté, acheva le garçon.
- Tu apprends vite, c’est bien. Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
- On joue aux dominos ! Ah, non ! C’est bête on n’en a pas… Alors aux cartes ! Ben non on ne peut pas non plus. A chat perché ? Il n’y a rien pour se hisser, se moqua-t-il. Il était tellement heureux d’avoir fait la paix qu’il se sentait maintenant d’humeur taquine.
Pati, pas rancunière pour un sou, sourit
« Refaisons un tour pour voir si on trouve une idée. Tu trouves pas qu’on a grandi ?
- Alors pour l’instant… pour tenir ma promesse, peut-être d’un demi-centimètre. Répondit-il goguenard.
On refit un tour de la vaste salle. Rien, pas une fente, pas même une fissure que l’on put gratter. Il fallait bien admettre, ils étaient bel et bien prisonniers et sans perspective aucune de fuite.
« Il faut que nous fassions du sport, Paco », suggéra la fillette.
- Oh crois-tu que ce soit bien nécessaire, protesta le garçon peu habitué à l’exercice physique.
- Non, je ne crois pas, j’en suis certaine. Imagine que nous restions enfermés plusieurs semaines ou plusieurs mois. Si nous ne bougeons pas, nous serons tout mous. Alors, là, c’est sûr, nous ne volerons pas et ce sera la fin des haricots !
Il fallait se rendre à l’évidence, cette fille en plus d’être charmante, en avait dans le citron, se dit Paco.
Alors, ils alternèrent courses d’endurance, courses de vitesse, gymnastique, abdominaux… toutes sortes de jeux qu’exécrait d’habitude le garçon. Il s’y plia de bonne grâce jusqu’à ce que :
« Pitié, Prof, j’en peux plus… j’ai les jambes qui remontent jusque qu’au gosier… »
Un gros fou rire collectif acheva cette séance intense.
La lumière baissait rapidement. Bientôt le repas serait servi, puis la nuit les envelopperait de son voile de songes.
« Et bien, tu vois, maintenant on peut vraiment dire qu’on a grandi », assura Paco.
Demain, on verrait. En attendant, on était bien ensemble.

10.
Paco fut réveillé par une grande exclamation bruyante « Oh, zut ! ». Le petit jour pointait son nez. Tout là-haut, contre l’immense verrière, il apercevait le visage de son amie. Elle était immense, elle avait dû heurter le plafond de verre avec sa tête pour crier de la sorte… sa tête unique, il le voyait bien à présent. L’espace d’une seconde, il avait eu très peur qu’avec la taille, elle ait, en plus, vu pousser une seconde tête ! Paco fut un peu rassuré. « Et moi ? », pensa-t-il immédiatement. Il se leva rapidement et du admettre très vite, que non, il ne se cognait pas, lui.
Il appela, les mains en porte-voix pour que Pati l’entende :
« Eh ! Ho ! Pati ? Comment ça se fait que tu sois si grande et moi non ? » Il lui arrivait en effet aux genoux. « Tu as mangé en douce cette nuit ? » grogna-t-il.
Pati s’agaça : « évidemment que non, j’ai dormi, comme toi, idiot ! »
Paco serra ses poings sur ses oreilles :
« Tu veux pas parler moins fort s’il te plaît ? Mes pauvres tympans de minus ne supportent pas les sons émis par des immmmensssses cordes vocales ! », exagéra-t-il à peine.
- Pardon, tu as raison, je n’y avais pas pensé. Pour sûr, je n’ai rien mangé de plus que toi… Au fond, ce n’est pas si grave, je vais pouvoir te porter et on va sortir de notre tanière, c’est ça qui est chouette, dit-elle à mi-voix pour ne pas blesser ses oreilles.
Paco constata qu’il avait toujours une forte propension à voir le verre à moitié vide… Lui, il avait pensé d’abord à lui et sa jalousie l’avait empêché d’imaginer l’avantage que pouvait avoir la taille de Pati pour leur tandem. Il s’en voulait un peu de cet égoïsme. Son amie insista :
« Je suis plus grande que toi, soit, et alors ? L’essentiel c’est bien qu’on sorte de là, non ? Cela dit, je te comprends : être plus petit qu’une fille ça fait mal, hein ? » fit-elle, moqueuse.
Paco trouva la ressource nécessaire pour rire de ce bon mot.
« Cause toujours tu m’intéresses, en plus c’est pas parce qu’on est grand que le cerveau est plus grand !! Dans mon petit cerveau, c’est du concentré, dans le tien… de la jelly anglaise !! Ha ! Ha ! », s’esclaffa-t-il tout joyeux de son invention.
Là-haut, on s’impatientait :
« Ouh ! Je vois qu’on a un cerveau qui bouillonne, fais gaffe à la surtension, ça pourrait bien disjoncter ! », puis sérieuse à nouveau : « on y va ? On tente l’aventure ? »
Paco hocha la tête, bien sûr qu’on allait tenter l’aventure, il n’était pas question de moisir ici ! Pati l’accrocha à son bras, comme on porte un panier à provisions. Le garçon ne s’en offusqua pas : « à la guerre comme à la guerre ! » pensa-t-il.
Elle souleva la verrière délicatement, puis la posa légèrement en travers pour pouvoir passer. Après quoi, elle tenta de se hisser en s’aidant uniquement de son bras droit. Lorsqu’elle comprit qu’elle n’y parviendrait pas en portant Paco. Elle remit le toit à sa place pour ne pas attirer l’attention inutilement et reposa le garçon.
« Écoute, avec toi pendu à mon bras, je n’y arriverai pas. Il va falloir que tu me fasses confiance. Je sors et je te récupère tout de suite après. On fait ça ? »
Paco, n’était pas ravi, ravi de devoir encore patienter pour recouvrer la liberté. Cependant, il savait bien que Pati attendait un effort de sa part. Alors, il acquiesça.
Son amie, libérée de son poids, réitéra son effort et parvint sans encombre à sortir de leur prison. Elle reparut immédiatement après. Elle disparut brutalement comme tirer en arrière par une force violente. Paco comprit très vite qu’il se passait quelque chose. Des cris, des sons violents, puis plus rien : l’environnement redevenait muet. Quelqu’un replaça la verrière à sa place et se fut à nouveau le silence.
Doucement, Paco se mit à pleurer. La déconvenue était immense. Pati avait disparu. Il avait peur pour elle, pour lui. D’un côté, il se sentait abandonné même en sachant pertinemment qu’elle n’y était pour rien, de l’autre, la culpabilité le taraudait, il n’avait pas été là pour elle alors qu’elle le soutenait depuis le début de leur aventure. « J’ai deux têtes », se surprit-il à dire à haute voix. Au bout d’un moment interminable, les larmes se tarirent.
« Ok, je n’ai pas été à la hauteur jusque-là et ça va changer. Ok, là étant donné ma taille je ne pouvais pas faire grand-chose. Ok, Pati aurait certainement préféré me sortir de là plutôt que de se faire choper par les monstres. Ok, c’est une grande fille et elle va savoir négocier pour rester en vie. Et maintenant qu’est-ce que JE fais ? » pensait-il.
Puis : « rien pour le moment. J’attends mon repas et je dormirai. Peut-être que demain… ».
Il s’assit sur leur lit de fortune et fit la paix avec lui-même. Lorsqu’il baissa les yeux, il constata que de frêles et fragiles fleurs multicolores montraient le bout de leur nez.
. Il se pencha pour mieux les observer. Oui, c’était ça, des plantes avaient poussé partout où ses larmes étaient tombées. C’était magnifique, un joli petit tapis frais et odorant. Paco respira un grand coup. Il emplit ses poumons des parfums suaves qui montaient du sol. D’un coup, la peur, l’angoisse, la tristesse et tout ce qui le rendait triste s’évacua. « Profite de chaque instant, regarde comme le monde peut être fabuleux même quand on est triste ! Derrière une larme, se cache parfois un cadeau insoupçonné autant qu’inestimable », semblaient-elles lui dire en faisant exploser leurs corolles bariolées.
La beauté et l’humilité de ces petites fleurs cachées dans ce hangar lui montraient le chemin de l’apaisement. Il pensa aux poussières qu’ils avaient voulu soulever avec Pati. « Peut-être en fait c’était des graines ! c’est pour ça qu’elles retombaient toujours ».
Lorsque le repas arriva, enfin, il mangea de bon appétit sans plus se poser de question. Puis, pour compenser sa solitude, il se récita cette poésie qu’il affectionnait tant :
« … Avec des craies de toutes les couleurs.
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bon… »
Il s’endormit et tant pis pour la dernière syllabe, l’essentiel était dit. Enroulé dans les filets de Morphée, Paco expérimentait pour la première fois une étrange sensation de sérénité.

11.
Au petit matin, Paco constata qu’il avait bel et bien changé de taille. Pas au point de toucher la verrière mais suffisamment pour tenter de se hisser jusqu’au toit. Il réfléchit puis décida d’attendre son petit déjeuner. Inutile de se précipiter, il valait beaucoup mieux s’organiser et planifier sa sortie. La trappe s’ouvrit enfin et un plateau couvert de victuailles variées fut déposé comme d’habitude. Paco choisit ce qui lui donnerait des forces : un gigantesque œuf à la coque accompagné de ses mouillettes, un morceau de jambon, un liquide qui lui sembla être un jus de fruits et un chocolat réconfortant pour la gourmandise. L’estomac bien plein, il entreprit alors l’ascension du mur de gauche. Encombré de divers objets, planches, baguettes de bois et vieilles machines, il lui paraissait celui qui lui offrirait le plus d’appuis. Il progressa un court instant puis, les objets vétustes ne purent supporter son poids. Ils s’écroulèrent donc dans un bruit tonitruant. Paco se retrouva au sol, couvert de poussière noirâtre et malodorante cette fois. Il toussa, s’épousseta rapidement ; puis, sans pleurer comme il l’aurait fait auparavant, considéra le mur qui lui faisait face avec attention.
À première vue, il eut l’impression que cela ne serait pas facile : on ne voyait pas de prise. Paco se rapprocha. Il s’aperçut que de toutes minuscules saillies étaient disséminée çà et là sur la paroi. Le garçon prit le temps d’étudier son plan d’évasion : « Je vais mettre un pied, ici, et puis là, et puis là…, Ah oui mais là, il faudra que je change de mur » …
Après mûre réflexion, il s’élança. L’ascension lui parut interminable. Accroché à son objectif, il ne songeait à rien d’autre. Il n’avait pas le temps de s’apitoyer sur lui, pas non plus celui de râler et encore moins celui de la nostalgie des jours heureux. Non, la montée de ce mur c’était son unique possibilité d’atteindre enfin la liberté. Alors, avec ferveur, il s’appliquait à maintenir sa volonté intacte.
Parfois, il s’apercevait qu’il avait fait fausse route. Sans se départir de son humeur, il redescendait alors puis empruntait un autre passage. À plusieurs reprises, il dût ainsi modifier son parcours. Toujours il remontait plus énergique, plus obstiné, plus audacieux que jamais. Il mit un temps infini mais parvint jusqu’au sommet à force de ténacité.
Il avait maintenant un autre problème : comment lever le toit quand on n’a pas la puissance d’un géant ? Il observa le mécanisme du toit avec une attention d’horloger. Il tenta d’appuyer sur une sorte de ressort qui faisait une excroissance dans le mur. Rien ne bougea. Toujours en équilibre sur son dernier appui, il secoua ici, déplaça une tige d’acier d’un autre côté. Rien n’y fit. Il allait renoncer et reprendre le chemin à l’envers quand tout à coup, une idée lui traversa l’esprit. S’il avait un bâton, alors, il pourrait déclencher le gros mécanisme qu’il apercevait là-bas. Et des bâtons, il y en avait en bas. Il redescendit sans rechigner, s’arma d’un vieil outil qu’il avait fait tomber lors de sa première tentative ratée et reprit le chemin qu’il avait découvert. Visiblement plus à l’aise cette fois, il gravit le mur sans perdre de temps. Il chercha à appuyer sur le gros mécanisme, malheureusement le manche était encore trop court. Il dut alors repartir en quête d’un autre objet.
En bas, il choisit une longue perche solide et remonta tant bien que mal en prenant garde à ne pas se laisser entraîner par le ballant de l’objet qu’il tenait dans sa main gauche. Exercice périlleux ! Arrivé en haut, il présenta sa perche face au mécanisme. L’objet, légèrement flexible, oscilla et loupa l’objectif une fois, deux fois, trois fois. Paco insista et… soudain, le mécanisme se déclencha, soulevant le toit de quelques centimètres.
« Bon, là, moi, je ne passe pas, il va falloir que j’élargisse le passage ! », dit Paco à voix haute.
Il poussa, tira, écarta, ramena et finit par avoir une ouverture suffisante pour se glisser hors de sa prison. Il se râpa bien un peu les fesses et les tibias, ce n’était pas grave : il était dehors et il avait réussi tout seul ! Une vague d’euphorie l’envahit. « Tout seul !!! Il avait fait cela vraiment tout seul ! » songeait-il incrédule malgré tout.
Il aspira une grande goulée d’air pur et regarda enfin autour de lui. Ce qu’il vit manqua le précipiter au fond de la tanière qu’il venait de quitter !
En cercle autour de l’immense bâtisse dont il venait de s’extraire, les géants à deux, trois ou quatre têtes étaient assis, l’air paisible. On aurait dit qu’il l’attendait ! Près d’un d’eux, un vieux sans doute à en juger la chevelure blanche pour une tête et chauve pour l’autre, Méline, immense et muette, le regardait de ses yeux chaleureux. Malgré ses dimensions impressionnantes, elle n’avait pas changé et ses longs cheveux noirs ondoyaient toujours en désordre sur ses épaules et sur son front.
« Eh ! Méline ! Tu as vu, je suis là ! ».
Méline articula quelque chose que le garçon ne comprit pas.
« Tu ne veux pas m’aider ? J’aimerais bien descendre maintenant. Je suis crevé, je viens de me farcir plusieurs montées, je suis cuit ! ».
La fillette essayait de lui parler mais son langage incompréhensible bloquait très sérieusement la communication ! Elle lui souriait gentiment, une légère inquiétude barrait son visage.
« J’ai compris, je dois me débrouiller. Les monstres doivent l’empêcher de me causer ! »
Il était vraiment agacé ! Il y avait de quoi malgré tout : il venait de s’échiner à sortir de son trou et personne ne venait l’accueillir et l’aider. Eh bien, ok ! puisque c’est comme ça…
En bougonnant, il se leva et posa son regard aux alentours. Il ne voyait vraiment pas comment il allait sortir de ce mauvais pas. Son pied butta sur la grande perche… il perdit l’équilibre. En bas, un grand cri partit de chaque gosier pendant que Paco exécutait une descente un tantinet trop rapide.
Couché au sol, l’enfant ne bougeait plus. Un sourire discret habillait son visage de vie !
Méline se précipita et constatant qu’il était toujours vivant soupira.

12.
Quand il revint à lui, Paco essaya d’articuler. Aucun son ne sortit de sa bouche. Au-dessus de lui, il voyait se balancer les énormes têtes des géants et celle de Pati. On reconnaissait bien ses traits mais la monstruosité de ses yeux donna des haut-le-cœur à Paco. Il essaya d’articuler quelque chose comme : « Pati, vous me faites peur, reculez-vous ! ». Mais rien ne sortit de sa bouche. En revanche, les créatures et son amie semblaient se parler dans un langage bien étrange dont émergeait parfois le fameux « tix, tix » que Pati et lui-même avaient identifié, avant de pénétrer dans le champ de gourmandise, comme « Non, non ».
Paco, suivait des yeux les échanges sans comprendre et cela lui donnait le tournis.
« Stop ! hurla-t-il de toutes ses forces, vous me soulez à la fin ! »
Les grosses têtes se relevèrent, interdites. Quoi ? Ce moucheron osait les interrompre ? Fronçant les sourcils ils poussèrent un cri monumental. Paco perdit à nouveau connaissance.
A son réveil, seule Pati était présente. Elle tenta de lui expliquer quelque chose mais n’y parvenant toujours pas, posa sa main sur son épaule et lui fit des signes avec l’autre main. Rapidement, elle la portait à la bouche une fois, deux fois, plusieurs fois pour lui signifier qu’il devait manger ? Que les géants allaient le manger ? Paco, complètement désorienté, ne savait pas. Il sentit une énorme envie de pleurer l’étreindre mais il résista. Il se souvenait des petites fleurs sauvages de sa geôle et du message qu’elles lui avaient transmis : profiter de chaque instant, rien ne durait jamais. D’une manière ou d’une autre, sa galère allait prendre fin, il en était certain.
Un géant, lui apporta son repas et Paco se rendit compte qu’en effet, il avait très faim, très soif. Il dévora de bon appétit ce qu’on lui présentait. Il était loin le petit garçon capricieux qui faisait des manières lorsqu’on lui présentait autre chose que des sucreries ou des nouilles ! Il comprit qu’il avalait une marmite de soupe au potiron, un demi poulet et un délicieux gâteau à la banane. Sa faim avait grandi avec sa taille, bien sûr !
Puis, son amie le conduisit jusqu’à une sorte de case monumentale où il trouva une sorte de couchette encore bien trop vaste pour lui. Qu’importe, épuisé, il s’endormit apaisé par la présence de Pati.


13.

- Et me contrarier moi, ça ne t’a pas dérangée… railla, revanchard, le garçon.
- Ne fais pas le bébé, Paco, tu vaux mieux que ça !
Il se mordit la langue pour ne pas répliquer pensant immédiatement qu’ensuite, il serait bien obligé de présenter des excuses pour un comportement peu adapté à la situation.
- Admettons, et maintenant on fait quoi ?
- Dis-donc Paco, tu ne vas pas recommencer ? Hier tu as été héroïque et maintenant tu voudrais à nouveau te faire dorloter comme un tout petit moufflet ? »
« Encore un point pour elle, pensa Paco. Faut vraiment que je me défasse de cette sale habitude ».
Puis à voix haute : « je propose qu’on aille voir tes potes les géants pour voir ce qu’ils envisagent pour nous. Qu’en dis-tu ?
- Oh moi, je sais, ils sont ravis qu’on soit là. Ils ne nous veulent aucun mal et sont prêts à partager leur monde avec nous.
Paco réfléchit un court instant :
« D’un côté, je resterais bien ici parce qu’ici, je suis tranquille…
- Tranquille ? l’interrompit Pati avec un rire un peu nerveux, ce n’est pas le mot que j’aurais employé moi ! Côté tranquille, on a fait mieux tout de même !
- J’me comprends, ici, c’est parfois dur mais personne ne me traite de gros, personne ne me bouscule… c’est bien ». Il fit un geste de la main à son amie pour lui signifier qu’il n’avait pas terminé. « D’un autre côté, ma Maman me manque quand même et elle est malade, qui s’occupe d’elle pendant mon absence ?
- Je comprends, dit-elle simplement. Elle ferma les yeux un instant puis les rouvrant, elle ajouta : « Les mamans sont toujours heureuses lorsque leur enfant va bien.
- La mienne est malade. En plus, personne ne peut lui dire que je vais bien.
- Je suis sûre que dans le cœur, elle le sait. Pati tentait bien de le rassurer. Elle était consciente de manquer sérieusement d’arguments. En plus, ta maman est une grande personne. Du coup elle saura très bien se débrouiller elle-même et il y a ton papa ? »
Paco soupira et fit non de la tête.
« Oui mais il y a bien quelqu’un qui l’aide non ? insista Pati
- Mamie.
- Ben tu vois bien…
Paco n’était pas franchement persuadé. Pourtant, considérant tous ses progrès récents et fort de nouvelles expériences, il se reprit. Déterminé, il s’élança vers la porte. Il devait voir les géants tout de suite.
« Atten… ». Pati ne put terminer sa phrase. Déjà, Paco se tenait la tête
« Ouille ! Ail ! Ouille ! ». Elle se précipita vers lui et après avoir constaté qu’il en était quitte pour une jolie bosse :
« Décidément, tu aimes bien t’assommer toi ! Tu ne t’es pas aperçu que tu étais aussi grand que moi, maintenant ? ».
Non, Paco n’avait pas fait attention. Il sourit intérieurement, vaguement content d’avoir rattrapé la fillette, au moins par la taille.
Aussi adroitement que leur permettaient leurs dimensions, ils s’extrairaient de la demeure qui les avait abrités cette nuit et se mirent en quête des autochtones.
« Tu me feras la traduction ? parce qu’ils vont encore parler javanais, ces zigotos ! », demanda Paco.
Pati prit un regard mystérieux.

14.
« Ça va mieux ? » lui chuchota une douce voix qu’il connaissait bien.
« Ah, ça y est, tu as décidé de me parler normalement ? » répliqua Paco.
- Je ne sais pas ce que tu veux dire mais, oui, je parle normalement. C’est toi, hier qui ne comprenais… Trop fatigué par ta fuite sans doute ? » Paco voulut insister :
« Non, non, tu parlais comme eux, dit-il en pointant la porte avec le menton, même que j’ai reconnu Tix, Tix !
- Je crois que ton pet à la tête t’a fait perdre le sens commun, répondit la fillette en riant.
- J’te jure que non, puisque, quand j’étais sur le toit et donc bien avant ma chute, je ne comprenais déjà absolument rien à vos discours !
Pati leva les yeux au ciel, secoua les épaules et finit pas dire :
« Bon laissons cela, nous nous comprenons et c’est bien là l’essentiel ! », puis continuant « Tu as pu constater que ces soi-disant monstrueux personnages, sont en réalité parfaitement inoffensifs.
- Tu en es bien sure ?
- Tu ne le vois pas toi-même, ils t’ont blessé ? Mordu ? Griffé ? Non, non et non. Il existe et voilà tout. Moi, ils m’ont nourrie, hébergée sans jamais rien me demander en échange.
- Alors, pourquoi tu n’es pas venue me chercher, demanda Paco, un air de reproche dans la voix.
- Parce qu’ils me l’ont demandé. J’ai pensé qu’ils avaient leurs raisons et je n’ai pas souhaité les contrarier…
- Et me contrarier moi, ça ne t’a pas dérangée… railla, revanchard, le garçon.
- Ne fais pas le bébé, Paco, tu vaux mieux que ça !
Il se mordit la langue pour ne pas répliquer pensant immédiatement qu’ensuite, il serait bien obligé de présenter des excuses pour un comportement peu adapté à la situation.
- Admettons, et maintenant on fait quoi ?
- Dis-donc Paco, tu ne vas pas recommencer ? Hier tu as été héroïque et maintenant tu voudrais à nouveau te faire dorloter comme un tout petit moufflet ? »
« Encore un point pour elle, pensa Paco. Faut vraiment que je me défasse de cette sale habitude ».
Puis à voix haute : « je propose qu’on aille voir tes potes les géants pour voir ce qu’ils envisagent pour nous. Qu’en dis-tu ?
- Oh moi, je sais, ils sont ravis qu’on soit là. Ils ne nous veulent aucun mal et sont prêts à partager leur monde avec nous.
Paco réfléchit un court instant :
« D’un côté, je resterais bien ici parce qu’ici, je suis tranquille…
- Tranquille ? l’interrompit Pati avec un rire un peu nerveux, ce n’est pas le mot que j’aurais employé moi ! Côté tranquille, on a fait mieux tout de même !
- J’me comprends, ici, c’est parfois dur mais personne ne me traite de gros, personne ne me bouscule… c’est bien ». Il fit un geste de la main à son amie pour lui signifier qu’il n’avait pas terminé. « D’un autre côté, ma Maman me manque quand même et elle est malade, qui s’occupe d’elle pendant mon absence ?
- Je comprends, dit-elle simplement. Elle ferma les yeux un instant puis les rouvrant, elle ajouta : « Les mamans sont toujours heureuses lorsque leur enfant va bien.
- La mienne est malade. En plus, personne ne peut lui dire que je vais bien.
- Je suis sûre que dans le cœur, elle le sait. Pati tentait bien de le rassurer. Elle était consciente de manquer sérieusement d’arguments. En plus, ta maman est une grande personne. Du coup elle saura très bien se débrouiller elle-même et il y a ton papa ? »
Paco soupira et fit non de la tête.
« Oui mais il y a bien quelqu’un qui l’aide non ? insista Pati
- Mamie.
- Ben tu vois bien…
Paco n’était pas franchement persuadé. Pourtant, considérant tous ses progrès récents et fort de nouvelles expériences, il se reprit. Déterminé, il s’élança vers la porte. Il devait voir les géants tout de suite.
« Atten… ». Pati ne put terminer sa phrase. Déjà, Paco se tenait la tête
« Ouille ! Ail ! Ouille ! ». Elle se précipita vers lui et après avoir constaté qu’il en était quitte pour une jolie bosse :
« Décidément, tu aimes bien t’assommer toi ! Tu ne t’es pas aperçu que tu étais aussi grand que moi, maintenant ? ».
Non, Paco n’avait pas fait attention. Il sourit intérieurement, vaguement content d’avoir rattrapé la fillette, au moins par la taille.
Aussi adroitement que leur permettaient leurs dimensions, ils s’extrairaient de la demeure qui les avait abrités cette nuit et se mirent en quête des autochtones.
« Tu me feras la traduction ? parce qu’ils vont encore parler javanais, ces zigotos ! », demanda Paco.
Pati prit un regard mystérieux.




15.
Ils marchèrent un bon moment. Rien à l’horizon. La ville était déserte.
« Je pense qu’il va falloir se rendre dans les champs. Tu te souviens Paco, des champs de gourmandises qui ont goût de légumes ? »
- Tu crois qu’ils sont là-bas ?
- Si la ville est déserte…
Ils poussèrent un peu plus loin, jusqu’au grand hangar, leur première demeure dans ce pays. Celle dont ils s’étaient échappés pleins d’espoir. Rien, il n’y avait pas âme qui vive.
« On pourrait se sauver », suggéra Paco pensif
- Et pour aller où ? On ne peut plus s’envoler et puis grands comme nous sommes maintenant… ça va être difficile de passer inaperçu !
- Tu as raison, allons le voir, ils auront peut-être une solution, eux, décida-t-il après un court temps d’hésitation. Il avait décidé de faire confiance à la sagesse de Pati.
Ils repartirent d’un pas alerte à la recherche de leurs hôtes. Comme prévu, ils les trouvèrent près des cultures. La conversation semblait animée. De loin, on entendait des bordées de « Tix » et d’autres termes parfaitement incompréhensibles au moins pour Paco. Puis, pas après pas, le vocabulaire se précisa. Au milieu de ce discours bizarre, quelques mots connus émergeaient : « champ, insectes… ». Paco dressa une oreille
« Alors là, j’y comprends rien, » avoua-t-il à sa compagne.
- Tu comprends rien ou tu comprends tout ? rigola-t-elle
- Je comprends pas que je comprenne maintenant alors qu’hier… je ne comprenais rien.
- Tu es sûr que tu es parfaitement remis de tes chocs à la tête ? fit-elle en se tenant les côtes.
En réalité, elle s’amusait beaucoup de voir la tête de son ami. Elle avait vécu exactement la même situation un jour avant lui. Paco était conscient de l’absurdité de son discours. Il riait lui aussi. Pris dans leur conversation, ils s’étaient rapproché des géants. Tout à coup, l’un d’eux se tourna vers eux :
« Il n’y a vraiment rien de drôle. On n’a plus rien à manger. » Une des quatre têtes roulait des yeux furieux. L’autre avait l’air particulièrement affligée, quelques larmes coulaient d’ailleurs sur les joues rebondies. La troisième s’esclaffait bruyamment ; quant à la quatrième, elle semblait mourir d’ennui. Paco ouvrait des billes comme des soucoupes.
« Ferme la bouche Paco » lui glissa Pati, on dirait le chien de mon voisin ! ».
Paco obtempéra.
« Vous n’avez plus rien à manger ? Mais pourquoi ? »
- Ne voyez-vous pas ? lança un géant bicéphale.
En effet, les cultures de gâteaux et de friandises étaient décimées. Alors que la veille, sucettes et financiers avaient fière allure sous le soleil, ils étaient complètement flétris aujourd’hui comme si quelques bêtes avaient aspiré tout leur contenu.
Pati y pensa justement :
« Quelques bêtes ne sont-elles pas en train de dévorer vos provisions de l’intérieur ? »
- Elle est bizarre ta formulation Pati. T’as pas plus simple ? Il reprit à l’attention de leurs hôtes : « en gros, elle demande si vous êtes allés voir qui grignote vos cultures. »
Brusque mouvement de foule et Paco se trouva séparé de son amie en quelques secondes à peine. Des têtes furibardes le poussaient du menton… Oups, il sentait qu’il avait dit quelque chose de travers !
« Paco, pas de phrase affirmative ! surtout pas. Ta vie n’y résisterait pas ! » hurla Pati aussi fort qu’elle le put.
« Ok ! Ok les amis… Vous n’avez pas un problème plus grave que ma manière de parler ? », s ’emporta le garçon en élevant la voix pour faire peur.
Les géants durent admettre que l’étranger disait vrai. Et le problème était de taille, même.
Ils s’écartèrent donc :
« Tu n’as pas tort… les champs ne nous appartiennent plus ; des insectes ne nous laisse aucun répit. Avant, ils n’étaient pas nombreux et nous ne nous opposions pas à partager nos biens. À ce jour, ils ne nous laissent plus pénétrer… » pleura l’un d’eux. `
« Pourtant, vous n’êtes pas petit ! » s’insurgea Paco.
- Nous ne savons pas comment réagir avec de si minuscules créatures, hélas ! Hélas !
- Nous ne leur voulons aucun mal, ne vous y trompez pas !
- Donc pas de pesticide, pensa Paco à haute voix
- Non ! Non ! Nous ne sommes pas des individus violents.
- Et si…et si… Paco cherchait la formulation adéquate. On pou… Non… Et ne pas arroser ? fini-il pas dire.
- Pas possible, alors, nos gâteaux ne seraient plus que de la vulgaire poudre lyophilisée…
- Ou alors, ne pas oublier de ne pas arroser ?
Les géants le regardaient perplexes. À force de négation, même eux se perdaient ! Paco eut un mouvement d’humeur… Toutes les têtes grognons s’avancèrent vers lui, menaçantes…
« Et si vous ne mettiez pas la même chose dans votre arrosage ? » soumit-il
- Pas la même chose comment ? »
- Ben, je sais pas moi… du sucre au lieu de l’engrais….
Il faut avouer que Paco avait une petite idée derrière la tête en émettant cette proposition. Si les insectes partaient, il serait un héros : on le laisserait sans doute se repaître de toutes ces douceurs. Le sucre risquait de donner un bien meilleur goût aux gourmandises !
- Pas bête on ne risque rien à essayer dit l’un d’eux

Comme l’avait prévu Paco, l’arrosage modifié, les petites bêtes décampèrent rapidement vers un champ voisin et les cultures reprenaient leur prestance habituelle. Le garçon, l’eau à la bouche car il pensait trouver (enfin !) des desserts qui auraient goût de dessert, s’élança vers les gourmandises qui lui tendaient leurs bras de crèmes voluptueuses, de glaçages brillants et meringues aériennes.
« Non, mon ami, ne sois pas si gourmand, tu ne seras pas satisfait », lui ordonna sèchement un géant à deux têtes qui semblait être le sage du village.
« Mais pourquoi non ? Ces pâtisseries ne sont-elles pas savoureuses ? Ne m’autorisez-vous pas à déguster un tout petit bout de ce Saint Honoré ? Si je m’engage… » La créature roula des yeux terribles. «Euh… si je ne me goinfre pas», continua-t-il piteusement. La gourmandise lui faisait oublier les principes élémentaires de précaution : pas une phrase affirmative, sa vie en dépendait peut-être !
On le laissa aller. Dire qu’il y courut est un euphémisme : il se précipita ventre à terre, il vola, il bondit et se jeta précipitamment sur le premier éclair au chocolat qui se trouvait sur son chemin. Posé sur un support de nougatine, luisant à souhait, celui-ci dégoulinait d’une ganache montée brune pailletée de noisette. « C’est du pousse-au-crime », songea Paco plongeant avec délectation sa face de glouton dans le gâteau qui semblait précisément l’attendre. Au moment où sa bouche allait entrer en contact avec l’objet de ses désirs, celui-ci, sans pitié, se déroba et l’enfant se retrouva au sol à lécher avec délectation le sol de pierre.
« Berk ! »
Au loin, Pati et leurs nouveaux amis se gondolaient…
Ah, ça non, il ne se laisserait pas faire ! Pourquoi ces espèces de tartes molles, ces gros pleins de sucres n’avaient-ils pas su se défendre des insectes tout seuls ? Pourquoi lui jouaient-ils ce méchant tour à lui qui les avait si bien défendus ?
En proie à une colère, compréhensible malgré tout, il se jeta à la poursuite de l’éclair, qui s’échappa prestement. Il jeta alors son dévolu sur un magnifique fraisier dont la blancheur parsemée du rouge des fraises lui sembla réconfortante et il en avait grand besoin !
Impossible, lui aussi fuyait sans le moindre remords.
De guerre lasse, Paco retourna sur ses pas :
« Ne me dis rien Pati, pitié ! Et vous non plus, je ne veux rien entendre ! »
Les autres échangèrent des regards complices et lui emboîtèrent le pas en silence. On retourna au village et jamais plus on n’évoqua la scène du champ de gourmandises. Cependant, Paco avait compris qu’il est parfois utile d’écouter les conseils de ceux qui savent avant de se jeter tête baissée dans une embuscade.
On rejoignit le village et tout le monde se rassembla dans une sorte d’amphithéâtre à découvert situé au cœur du village. Paco continuait à bouder :
« J’ai faim, moi », grognait-il.
Pati ne dit rien, elle savait qu’il est parfois si douloureux d’avoir tort que les mots risquent parfois enfoncer encore plus profond le couteau de la honte, de l’humiliation ou du regret. Ne rien dire et montrer que l’on est présent : il n’y avait que cela à faire.
Paco avait conscience de l’effort de la fille. Aussi se détendit-il un tout petit peu. En bas, les géants s’installaient comme pour un colloque. On testait les micros en tapotant sur leurs têtes brunes, on apportait des sièges confortables ou des verres d’eau. Bientôt tout fut prêt. Une des créatures prit la parole. Le chef, très certainement, celui qui avait essayé de dissuader le garçon de se précipiter dans la plantation de gâteaux.
« Cette réunion n’est pas fortuite, commença-t-il, nous ne sommes pas là pour discourir à vide. Non. Nous ne pouvons pas rester muets face à ces nouveaux amis ».
En disant ces mots, il lança les bras dans la direction des deux enfants.
« Je ne m’appelle pas Anatolix, ni même Pantonax, mais Fortix. Je ne suis pas le chef du village mais le sage, le vieux. Quand un événement ne nous convient pas, ce n’est pas vers Touix, Taxatix ou Tabatax que les autres se tournent. » Il fit un geste pour se désigner.
« C’est quand même vach’ment compliqué leur langage ! » murmura Paco à sa voisine. « Comment faire compliqué quand on peut faire simple ! ».
La réunion dura longtemps, longtemps. Chaque explication prenait des heures. Entre périphrases et gestuelles, les enfants finirent par comprendre que chaque personne de ce drôle de monde naissait avec quatre têtes. Chacune d’elles représentait des émotions positives ou négatives. Plus on vieillissait moins on avait de têtes. Les jeunes adultes possédaient encore trois têtes qui se concentraient en deux dès qu’ils atteignaient l’âge de la sagesse.
Ainsi, le Fortix ne possédait que deux têtes : une qui exprimerait les émotions positives, l’autre les émotions négatives.
Celui-ci regarda dans la direction des deux enfants :
« Avec votre tête unique, vous ne devez pas être des idiots ! En effet, vous n’avez pas besoin de répartir vos émotions sur plusieurs têtes… Ou alors…, réfléchit-il à voix haute, …ou alors, vous ne ressentez pas autant d’émotions que nous ! »
- Ca, on ne peut pas vous le dire, répondit Pati les mains en porte-voix car il y avait beaucoup de distance entre eux et les géants installés devant leur table, car on n’est pas dans votre tête !
- Nous n’aimons pas ressentir la colère, la tristesse, la honte…
- Nous, non plus… répliquèrent les deux enfants ensemble.
- Nous ne sommes pas mécontents lorsque nous sommes joyeux, gais, amusés.
- Vous ne voyez pas que c’est pas possible de parler toujours en négatif ? s’écria Paco à bout de nerf devant des phrases si compliquées.
- Non, mes parents, mes grands-parents ne nous ont pas appris autre chose.
- Et si je vous apprenais ? » insista le garçon, puis devant l’œil noir des géants : « Bon, bon, si ça ne vous ennuie pas d’être obligé de faire cinquante phrases pour exprimer une seule idée, après tout, ça ne me regarde pas ! »
- Allez, vous autres, il n’est plus l’heure de palabrer. La nuit ne va pas tarder. N’attendons plus pour aller nous coucher ! ordonna le Sage.
Les yeux de la tête grognon, lançaient des éclairs funestes. Il ne faisait pas bon s’opposer à cette mauvaise humeur, pensa Paco. Les enfants reprirent donc sans discuter le chemin de la maison qu’on leur avait prêtée la veille.
L’obscurité tombait franchement maintenant. Pati réprima un bâillement et Paco sa tristesse. Vraiment, il aurait bien aimé voir sa maman ou pour parler le langage du coin, il n’avait aucune joie à rester sans nouvelle de sa douce maman. N’était-elle pas en peine ? Dans son petit lit, Paco tournait et retournait sans parvenir à cueillir le sommeil… Pati s’approcha, l’embrassa délicatement sur le front comme le faisait toujours sa maman depuis qu’il était né.
La nuit étendit son voile de soie et de calme dans l’esprit du garçon.

16.
Une vague sensation désagréable éveilla le jeune garçon au petit matin. L’aube était encore bien grise et on devinait les objets environnants plus qu’on ne les voyait réellement.
On l’observait. Avant même d’ouvrir les yeux, il avait perçu un poids léger comme une plume et vif comme un battement d’ailes parcourir ce grand corps qu’il avait peine à reconnaître lui-même.
Paco s’assit sur son lit et :
« Qui est là ? Je n’ai pas peur ! »
Pati renchérit :
« Ami, nous ne sommes pas ennemis, n’est-ce pas ? »
Une grande forme s’assit alors sur le lit. C’était un des géants à quatre têtes :
« Je ne me suis pas introduit ici pour vous effrayer », susurra une voix hésitante. « Je ne voudrais pas passer à côté d’une chance d’apprendre une langue étrangère. »
- Une langue étrangère ? Comprends pas ! lâcha Paco agacé d’avoir été réveillé si tôt.
- Mais enfin, ce n’est pas clair pour toi ? argua Pati. Il ne veut pas rester ignorant. Notre façon de parler ne l’inquiète pas et il ne souhaite pas continuer à s’exprimer avec des phrases uniquement négatives, pardi ! Ne fais pas l’idiot à la fin Paco !
- C’est vrai ça ? questionna Paco en regardant fixement l’intrus. Les huit yeux gris bleu de son interlocuteur se brouillèrent immédiatement.
- Je ne voulais pas dire ça, reprit le garçon. Juste, tu ne mens pas ? Ce n’est pas un coup fourré ?
L’individu secoua la tête en signe de dénégation.
- Ok, n’oublie pas de nous donner ton nom.
- Je ne m’appelle pas Styx, ni Poulax, non, Ponx ! dit-il en pointant son doigt sur son cœur.
- Ok Ponx. N’es-tu pas affolé à l’idée de parler à l’envers ? Tu ne nous agresseras pas si on ne te s’exprime plus à la forme négative ?
Ponx leva les yeux au ciel, ce qui semblait signifier qu’il n’en savait rien, c’était inédit pour lui.
Paco et Pati échangèrent un regard :
« Qu’est-ce qu’on fait Pati ? »
La fillette haussa les épaules.
« Tu t’es engagé hier, tu as proposé, on n’a plus le choix il faut y aller ! »
Après un court temps d’hésitation, Paco reprit la parole :
« Leçon numéro 1 : se présenter ». Ponx ne broncha pas. « C’est plutôt bon signe », pensa le garçon.
« Toi : Je ne m’appelle pas Styx… Moi : Je m’appelle, je me nomme Paco… Ok ? à toi ! »
Afin de ne pas effrayer son nouvel ami, Paco essayer de limiter le plus possible les affirmations. Ponx répéta. Seul un frémissement de sa tête la plus à gauche indiquait un léger désaccord. Paco s’enhardit :
« Maintenant, décris-moi ce que tu vois autour de nous ». Cette fois, le mécontentement devenait perceptible. Ponx faisait un effort surhumain pour se dominer.
« Il n’y a pas de baignoire, pas de table, pas de bureau, pas de chaise mais un lit. Je ne vois pas de tableau sur les murs, pas de photos, pas de tapisserie mais des pierres blanches… » Ponx passa tous les objets en revue en commençant toujours par ce qu’il n’était pas. Par politesse on ne l’interrompit pas. Quand il eut terminé, il faisait grand jour et le village commençait à s’agiter. Paco prit la parole :
« Tu n’as pas été sans remarquer qu’une telle description n’est jamais facile ? Ça n’est pas très rapide ? Tu n’es pas d’accord ? »
La tête de droite, toute en rondeur et en douceur, opina.
« Donc, pour ne pas faire long, dis simplement : il y a deux lits réchauffés par des couvertures bleues, les murs sont en pierres blanches, trois fenêtres immenses s’ouvrent sur la rue et l’aménagement est un peu austère. »
Ponx répéta plusieurs fois cette longue phrase. La tête de gauche, menton pointu en avant, fulminait maintenant.
« Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de continuer aujourd’hui. D’abord, le village ne dort plus et il n’est pas exclu que tes amis ne soient pas ravis du tout de te voir sortir de chez nous. Ensuite, tu ne dois pas trop de fatiguer sinon tu n’enregistreras plus rien. N’oublie pas de t’entraîner toute la journée !», conclut Paco, plutôt content de son élève mais fatigué de la contorsion verbale exigée par son rôle de professeur.
Ponx fila discrètement. La journée se déroula sans autre événement majeur. Méline et Paco déambulèrent dans les rues du village sans entrave. Lorsqu’ils croisaient des autochtones, ils les saluaient, échangeaient quelques mots qui parlaient de la pluie qui ne tombait pas, du chapeau qu’ils ne portaient pas ou des gâteaux qu’ils ne mangeraient pas. Finalement, les deux jeunes s’adaptaient assez facilement à cette nouvelle vie toute de « ne… pas », de « ne... jamais » ou de « ni… ni ».

17.
Chaque petit matin, Ponx pénétrait en toute discrétion dans l’immeuble, tous les jours Paco offrait une leçon avec une aisance grandissante au géant studieux. Celui-ci progressait très rapidement. Il était maintenant capable de tenir une discussion en alternant affirmations et phrases négatives sans que sa tête de grognon ne réagisse. Il était maintenant intarissable à en donner parfois mal à la tête aux deux amis !
Ce matin-là, il arriva tout excité. « Ça promet ! » s’inquiéta Méline constatant l’euphorie de Ponx.
« Eh les amis, vous ne remarquez rien ? dit-il en tournoyant dans l’espace.
- À vrai dire, c’est compliqué d’observer quelqu’un qui fait la toupie, protesta Paco
L’espace de trente secondes, le géant s’arrêta ses manœuvres de derviche tourneur :
« Alors ? Alors ? Vous avez vu ?»
- Tu n’as plus que trois têtes… qu’as-tu fait de la dernière ? Et puis cesse de tourner comme ça, j’ai déjà le mal de mer ! s’emporta Paco.
Ponx obtempéra. Sa joie était tellement immense qu’il avait de mal à s’immobiliser totalement. Alors, ses langues prirent le relais et, dans un fatras linguistique inouï, il déversa ses émotions dans un torrent de paroles. Chaque tête donnait sa version en canon ou de façon polyphonique de telle sorte… qu’on n’y comprenait rien !
« STOP ! STOP ! », hurla Paco, « C’est insupportable ! Tu nous soules Ponx !»
- Oui, mais tu comprends c’est un événement majeur dans notre vie de géant. Comprenez-moi, implora-t-il. En plus, je suis venu vous en parler immédiatement, vous êtes les premiers à qui j’en parle.
Pati, plus diplomate, prit la parole : « Nous sommes extrêmement flattés, c’est vrai. Nous n’avions pas l’habitude de commencer une journée avec un moulin à paroles… Assieds-toi et raconte-nous comment c’est arrivé et surtout pourquoi. »
Ponx expliqua qu’il n’y avait rien d’exceptionnel à ce changement. Il suffisait qu’il change, qu’il grandisse pour que le changement s’opère une nuit sans lune. C’était bien le signe qu’il n’était plus un enfant.
Il s’adressa à Paco :
« Peut-être que tes cours y sont un peu pour quelque chose…
- Ou alors juste parce que tu t’es donné les moyens d’aller jusqu’au bout, tu parles comme nous maintenant, remarqua Pati.
- À moins que ce ne soit le fait de t’intéresser à quelqu’un d’autre qu’à toi ? Ta curiosité, quoi ! proposa Paco.
- En tout cas, j’ai bel et bien changé de statut ! Vous croyez que maintenant je dois cesser de jouer, de rigoler pour devenir grave et sérieux ?
Pati et Paco firent silence un instant.
« Je ne crois pas, finit par répondre la fille. Être mature ne signifie pas être pontifiant et rasoir. C’est juste qu’on prend le temps de réfléchir avant d’agir, c’est tout. »
- Et nous, est-ce qu’on est grand ? Nous, on n’a qu’une tête, comment savoir alors si on change ?
Pati eut un demi-sourire comme si elle savait quelque chose que le garçon ignorait :
« Tu le sauras ! T’inquiète ! En attendant, tu es physiquement grand, ça, c’est sur ! ». Puis elle renversa la tête, éclata d’un rire en cascade et rejeta ses longs cheveux noirs en arrière.
« Tu fais un peu sorcière quand tu fais ça », murmura le garçon moitié pour rire, moitié parce qu’il la trouvait parfois inquiétante.
« T’es sot ! Non, je suis juste un peu plus en avance que toi, c’est tout » le rassura Pati.
Ce jour-là, il n’y eut pas de cours, juste trois amis, contents de partager un bon moment ensemble.
Lorsque Ponx quitta les lieux assagis, Pati et Paco décidèrent d’aller faire un tour dans la campagne environnante.
Perdu dans ses pensées, Paco ne remarquait rien, ni les nuages rosés qui se succédaient au-dessus de leur tête, ni les fleurs qui pliaient jusqu’à disparaître dans l’herbe, ni les oiseaux qui fuyaient tous vers l’horizon et encore moins les arbres qui, contre toute raison, repliaient leurs branches comme on fait avec un parapluie.
« Ho ho ! Il se passe un truc étrange ! » nota Pati.
Paco sortit de sa torpeur illico, il regarda de tout côté. Le vent tiède venait de se lever ; il emportait dans sa course des feuilles sèches qui raclaient le sol en produisant des sons plaintifs.
« Rentrons vite ». Il attrapa la main de son amie et courut aussi vite qu’il put jusqu’au village. Le vent contre ralentissait leurs courses. Au village, on semblait également sur le qui-vive. Des cris, des hurlements, des vociférations parvenaient aux oreilles de Paco et Pati.
Plus ils approchaient plus les rugissements devenaient impressionnants. Ils stoppèrent net :
« Paco, tu crois que c’est une bonne idée de rentrer au village ? J’ai l’impression que le problème vient de là-bas… » bredouilla Pati crispée.
Ils restaient là, plantés sur place. Les nuages continuaient leurs danses au-dessus de leurs têtes, les animaux se carapataient. Le village paraissait être le lieu de tous les dangers. Un vent de folie dérangeait les cheveux des deux amis et jouait avec leurs nerfs.
« Viens » dit simplement Paco.
Ils s’assirent sous un grand arbre, une espèce de baobab monstrueux et attendirent. Soudain, Ponx apparut. Ses trois têtes essoufflées, ses yeux paniqués, ses cheveux hirsutes, ses vêtements débraillés, tout indiquait qu’une chose terrible le poursuivait.
« Ponx ! crièrent Pati et Paco, qu’y a-t-il ?
- Éloignez-vous du village, vite fuyez, ils vous cherchent ! hurla leur ami sans même s’arrêter.
- Mais qui nous cherche ? s’enquit Paco. Sans même en avoir conscience, Pati et Paco s’étaient levés d’un bond et avaient rejoint le géant. Ils couraient maintenant tous dans la même direction, cap vers le nord.
- Les autres, tous les autres ? Ils ont compris que vous m’aviez appris votre langue et ils veulent vous faire la peau !
- Zut ! Tu crois qu’on ne peut pas arranger ça ? On a traversé tellement d’événements et à chaque fois on a réussi à s’en sortir ! Peut-être que là, c’est pareil ? suggéra Paco.
Pati semblait plus dubitative. Néanmoins, ils arrêtèrent de courir :
« Le problème, c’est qu’on a désobéi… on savait que ça ne leur plairait pas, on l’a quand même fait…
- Je sais… Pourtant… je croyais qu’être libre, c’est décider soi-même du bien et du mal. Moi, il me semble qu’aider quelqu’un à apprendre de nouvelles choses, c’est bien.
- Tu as sans doute raison mais quand on désobéit, on prend un sérieux risque. On peut s’attendre à un retour de bâton.
- Donc, d’après toi, Pati, il faut assumer ? C’est ça ?
- Oui…
- Et s’ils nous blessent ? Et s’ils nous enferment ?
- C’est un risque à courir. Fuir, oui mais jusqu’à quand et surtout où ? acheva Pati.
Ponx ne parlait pas. Ses trois têtes ballottaient piteusement sur son cou. Il était sans avis et surtout sans espoir, tr
Paco reprit la parole : « Je propose que l’on trouve un coin pour dormir et on avisera demain. Haut les cœurs Ponx, tu as trois têtes maintenant, n’oublie pas !».
On chercha un abri pour la soirée. Plus loin derrière les champs de sucrerie, on avisa une sorte de grotte qui devrait faire l’affaire pour une nuit. Ponx qui connaissait bien le pays trouva quelques légumes à grignoter puis on s’installa sur le sol dur, les bras recroquevillés en coussin. Ils s’endormirent, sereins, comme seuls des êtres aimables peuvent le faire.

18.
L’enfant se tenait là sans parler, dans son regard aucune provocation, aucune colère, aucune peur, aucune honte non plus. Devant lui, on s’agitait, on vociférait, on dodelinait de la tête. Derrière lui, Ponx regardait piteusement ses chaussures avec ses trois paires d’yeux. Paco, car c’était bien lui, gardait une humeur égale.
Ce matin-là, lorsque le soleil était venu le chatouiller, il avait compris qu’il devait affronter les géants. Alors, il s’était levé tranquillement, avait secoué l’épaule de Ponx. Ensemble, ils étaient éloignés sur la pointe des pieds pour ne pas éveiller son amie. Ils avaient marché vers la ville sans un mot. Paco réfléchissait à ce qu’il allait dire, Ponx s’inquiétait des conséquences de ses actes.
Et puis, ils s’étaient retrouvés face à cette assemblée hostile qui lui avait expliqué à quel point il avait corrompu Ponx en lui apprenant sa « bête langue ».
Malgré les hurlements, Paco restait silencieux et respectueux de ses hôtes jusqu’à ce que les voix se calment un peu.
Quand les colères se furent suffisamment exprimées, le chef Fortix leva la main pour faire taire les derniers récalcitrants. Le silence s’imposa dans toute sa majesté. Paco ne frémit pas d’une oreille. Campé sur ses deux jambes, il offrait aux géants un visage respirant une bienveillance déterminée.
« Pourquoi n’as-tu pas obéi Paco ? », commença Fortix. L’assemblée se mit à bruire à nouveau.
« Silence ! » puis en direction de Paco : « Tu n’as pas pris notre mode de vie en considération. Tu ne nous as pas honorés… Non, non et non ! Ne reste pas muet de la sorte ! » lança-t-il agacé devant le mutisme de son interlocuteur. Sa tête de droit se balançait, rouge comme une pivoine pendant que l’autre prenait un air affligé.
Les autres géants reprirent leur bourdonnement ponctué de « tix » et de « non ». Une nouvelle fois, le chef intima à tous de faire silence.
Paco se gratta la gorge, encore indécis sur la meilleure conduite à tenir.
« Vas-y ! », chuchota Pati qui venait d’arriver.
« Quand Ponx est entré chez nous…. »
La foule recommença à hurler. Fortix fit glisser deux doigts sur sa bouche en guise d’ordre.
« Fortix, et tous les autres, je n’ai pas voulu vous offenser. Sincèrement, je ne comprends pas votre volonté de ne pas utiliser la moitié d’une langue. Ne me refusez pas un exemple, implora-t-il, ainsi vous ne resterez pas ignorants.
- Tu ne nous traiterais pas d’imbéciles par hasard, éructa la tête de droite violette de colère.
- Non, ne craignez rien. Je ne suis pas votre ennemi, bien au contraire ! »
Paco un demi-sourire engageant, puis insista « Ne m’autorisez-vous pas à vous apprendre quelque chose moi aussi ? ».
L’assemblée se concerta un instant puis sans dire un mot, Fortix hocha la tête en signe d’assentiment.
« Vous n’êtes pas des personnages quelconques. Vous êtes des personnages formidables, extraordinaires, sensationnels… » proposa Paco.
Les géants levèrent les yeux au ciel :
« Et alors ? »
- Vous ne percevez donc pas qu’on peut être plus précis en utilisant la forme affirmative ?
- Ne te contente pas d’un seul exemple. Cela ne nous dit rien.
- Bon, comme vous voulez... Je vais vous donner une phrase à la forme affirmative et voyons ce que vous pourrez vous en dépêtrer ! ». Les têtes de droites de tous les géants dodelinaient fortement. Paco passa outre et continua.
- Je m’appelle Paco. Je suis né dans une grande ville et je vais à l’école depuis que j’ai trois ans. L’école, c’est un lieu où on apprend des choses : des langues, des maths, de la grammaire, de l’histoire, de la géographie… Pour tout dire je n’aimais pas beaucoup ça…
- Aaaaaah ! fit l’assemblée rassurée par cette forme familière.
- Donc l’école, c’était pas mon truc à cause des autres…
- Aaaaaaah !
- Ce n’est pas bientôt fini ? gronda Paco. Allez, à vous maintenant, traduisez-moi tout ça en langue de chez vous.
Un géant à quatre têtes nommé Chamoux tenta l’aventure : « Je ne suis pas né à la campagne, ni dans un village mais en ville. Je ne vais pas dans la forêt, ni dans les champs, ni dans les arbres mais à l’école depuis… » il capitula.
Un autre, prit le relais : « … depuis non pas que j’ai cinq ans, ni quatre mais trois ans… L’école ce n’est pas un lieu où l’on grimpe aux arbres, où on se promène… ».
- Vous voyez, ce n’est pas si facile et encore, je vous fais remarquer que vous trichez un peu soit en faisant des gestes, soit en exprimant l’affirmation pas un seul mot. Franchement, n’avez-vous pas envie de vous simplifier la vie ?
Les géants ne répondirent pas tout de suite. « Il ne manquait pas de courage tout de même ce garçon avec sa tête unique ! », pensaient-ils. En effet, il n’avait pas choisi de rester caché. Il avait assumé et voilà qu’en plus il justifiait ses choix de passer outre les consignes sans pleurnicher, sans crainte. Franchement, les géants étaient épatés. Mais pour l’admettre, il aurait fallu qu’ils puissent bâillonner cette horripilante tête de la colère !
Fortix reprit la parole :
« Nous n’allons pas te répondre immédiatement Paco. Ce n’est pas possible. Tu ne dois pas être impatient. Si tu ne nous détestes pas, tu ne dois pas attendre plus que ce que nous sommes capables de donner. Pour l’heure, nous n’avons pas réglé certains points entre nous et aussi en nous-même. Après sera un autre jour ». Cette seule phrase affirmative, clôturant le discours, suffit à déclencher de vives protestations. « Tu ne vois pas ? » conclut le chef en pointant la foule du menton.
Alors, chacun se dispersa et partit vaquer à ses occupations. Chamoux traîna un peu en arrière mais se fit vite rappeler à l’ordre par Fortix.
Restés seuls, Pati, Paco et Ponx se regardèrent : « Toi, alors ! » dit seulement la fillette. Paco ne répondit pas. Il connaissait intimement le sens de ses paroles. « Vous venez ? chantonna-t-il heureux comme jamais, j’ai faim ! ».


19.
Ponx ne tenait pas en place. Il savait pertinemment que son avenir et celui de ses amis se jouait dans le grand forum de la ville. Si ses congénères choisissaient de devenir, d’une certaine façon, polyglottes, ils seraient reçus comme des princes, des porteurs de progrès et de formidables passeurs de savoirs. En revanche, si le statu quo était voté, ils devraient quitter la place tous les trois…. Ponx pensa un instant aux implications de son départ. La tête du milieu se mit à verser des larmes.
« Hei ! protesta Paco, tu vas nous noyer ! Que t’arrive-t-il ami ? »
En réalité, le garçon connaissait parfaitement les causes de son tourment. Il s’agissait juste de gagner quelques minutes pour avoir le temps de réfléchir.
« S’ils refusent votre langage, ils nous chasseront et je serai un paria où que j’aille, hoquetait Ponx.
- Comme nous, tu veux dire ? précisa Paco.
- Et je ne reverrai jamais les miens.
- .. Comme nous, c’est ça ? insista son interlocuteur.
- Oui… en quelque sorte…, hésita-t-il.
L’espace d’un instant, une énorme tristesse, lourde comme une enclume de fonte, s’abattit sur les trois amis.
- Allons, allons ! se reprit Pati, changeons de regard : imagine Paco, si tu étais resté dans ton école à souffrir de moqueries, à te faire brutaliser, tu crois que tu serais plus heureux ?
- Non, mais… il y avait Maman et je ne sais pas comment elle va, moi… larmoya un peu Paco.
- Paco, reprend-toi le houspilla un peu Pati. Nous nous sommes fait de merveilleux amis…
- Tu parles, nos « merveilleux » amis, comme tu dis, sont sûrement en train de se demander s’ils vont nous dévorer avec du ketchup ou de la mayo !
- Ben alors ! Bienvenu à l’ancien Paco, tu es prêt pour l’échafaud on dirait, railla la fille. Bon, pleurnichez tant que vous voulez, je vais faire un tour ! Vous ficheriez le bourdon à un régiment. Quand vous aurez cessé vos simagrées, je reviendrai ! s’exclama-t-elle.
Dès qu’elle eut le dos tourné, Ponx et Paco tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Paco coinça sa tête du mieux qu’il put entre celles du géant. Leurs larmes se répandirent dans la poussière. Comme dans le hangar, de fines fleurs multicolores vinrent recouvrir le gris du sol. Tapis de bonne humeur sur sombres pensées, les plantes lumineuses faisaient de leur mieux pour détourner les deux amis de leur affliction. Bientôt, les feuilles, les boutons et les fleurs vinrent chatouiller leurs narines de leurs parfums suaves. Rien n’y faisait, l’humeur restait à la pluie. Ils furent engloutis par la végétation en un rien de temps. De petits insectes grimpaient jusqu’aux pleurnicheurs, intrigués par tant de malheurs exprimés. Menacés d’inondation, ils s’éloignaient ensuite aussi vite que leurs ailes ou leurs pattes pouvaient les porter.
Les digues de la mélancolie avaient cédé dans le cœur de Paco et il semblait que rien ni personne ne soit en mesure d’assécher la vague de douleur qui s’était emparée de lui.
Ponx perçut très vite la profondeur du désarroi de son compagnon. Il se recula un peu, essuya les larmes qui roulaient encore sur ses joues et :
« Eh Paco, Paco, écoute-moi ! »
Paco n’était plus en mesure d’entendre quoi que ce soit. Il pleurait comme un nuage lourd et gris se vide au-dessus d’une montagne.
« Paco, je te jure que tu vas revoir ta maman. Je te le jure ! » hurla le géant aussi fort qu’il le put. Paco hoqueta puis reprit son humide mélopée.
« Paco, ça ne sert à rien que tu pleures ainsi, reprends-toi mon ami, on va trouver une solution, je te le promets. »
La douceur de la voix, les intonations chantantes et encourageantes de Ponx finirent par tarir les dernières larmes. Et puis, pleurer tout seul…
« Ah, j’aime mieux ça » dit gentiment Ponx, viens, allons voir ce qu’on décidé les anciens de la ville. Ça doit être fini maintenant. »
Ils se frayèrent un chemin à travers la luxuriante végétation qui progressivement disparaissait sous le soleil comme aspirée par la terre.
Devant le forum, ils retrouvèrent Pati en embuscade derrière une colonnade.
« Chut ! ordonna-t-elle en plaçant son index sur sa bouche, ils sont en train de voter… ».
Tout à coup, Fortix les héla d’une voix puissante :
« Ne restez pas à la porte, tous les trois ! »
On les installa sur l’estrade, à l’écart des décideurs mais bien en vue et on leur communiqua le contenu du référendum.

Paco et Pati ne doivent pas rester chez nous. OUI NON
Ponx ne doit pas rester chez nous OUI NON
La désobéissance de Paco, Pati et Ponx ne doit pas rester impunie. OUI NON
Les tournures affirmatives n’ont pas leur place chez nous OUI NON
On entama le dépouillement. Fortix ouvrait les petits feuillets pliés en quatre et annonçait OUI, OUI, OUI ou NON, OUI, OUI ou encore NON, NON, NON. Un autre géant dessinait des barres sur le tableau que l’on avait installé pour l’occasion. Quand il ne resta plus un papier, le chef prononça la sentence :

Oui, ils ne pourraient pas rester,
Non, Ponx ne quitterait pas la ville.
Oui, ils ne seraient pas acquittés sans punition
Oui, on ne continuerait pas à parler en négatif.
Ce résultat laissait les enfants mi-figue, mi-raisin. Ils ne comprenaient pas bien pourquoi ils seraient punis alors que les géants choisissaient à l’unanimité d’apprendre les tournures affirmatives. Et puis de quelle punition était-il question ?
« C’est vaste comme idée… une punition », susurra Paco à son amie. « On nous coupe la tête ? On nous enferme dans une prison, on nous donne un travail à faire ? »
- Ne sois pas stupide, Paco, si on nous coupe la tête comment veux-tu qu’on s’en aille ? Et puis, ces géants n’ont jamais été hostiles, tu l’as bien vu ! Par contre, ils nous font payer notre désobéissance, c’est de bonne guerre, conclut Patie
- Même s’ils décident de parler comme nous ?
- Même ! Tu imagines si plus personne ne respecte les principes partagés par tous, c’est la fin des haricots ! Il y avait une règle, nous l’avons transgressée, nous devons payer notre dette à cette société et puis voilà, acheva-t-elle avec un geste désinvolte.
- Ouep, bof ! répondit Paco pas du tout convaincu. Le seul truc que je trouve bien dans cette histoire, c’est qu’on va rentrer chez nous !
- Rentrer chez nous ? Qui l’a dit ? Toi, oui, mais pas eux.
- Mais..., mais… si on doit partir, autant rentrer chez nous, non ?
- Comment fait-on ? On n’a pas réussi à décoller l’autre jour souviens-toi !
- Ponx m’a promis…
- Ma grand-mère disait toujours : les promesses rendent les fous joyeux ! Ecoute, on verra. Pour l’instant, attendons notre punition.
Fortix se retourna vers eux :
« Enfants, personne n’est au mieux de sa forme. Vous n’entendrez pas votre sentence ce soir mais demain à la première heure. Ne me faites pas attendre, vous ne devrez pas apparaître après le lever du soleil. Quand il sera là, ce sera trop tard, conclut-il en indiquant un petit arbuste.
Paco poussa Patie du coude :
« T’as vu ? il parle à la forme affirmative »
« C’est un sage, on le savait déjà » reprit-elle.
Les trois amis retournèrent à leur grande maison, un tantinet accablés : comment allait-on faire pour ne pas louper l’heure ?
« Il ne manquerait plus qu’on arrive en retard », remarqua Ponx. Il proposa de dormir à tour de rôle… En plus il n’y avait que deux couchages.
« Comme sur les bateaux ! murmura Paco, je prendrais le premier quart alors ! ».
Ponx s’attribua le second et Patie accepta de terminer la nuit. Tous s’accordèrent à penser que s’il y en avait une à qui on pouvait faire confiance, c’était bien elle !
Ponx et Patie, se couchèrent et s’endormirent aussitôt. Paco écoutait les gratouillis de la nuit. Il n’avait pas peur, bien au contraire, cette vie dehors, accompagnait tendrement les battements de son cœur.


19.
Face au jury, les trois amis n’en menaient pas large. Les têtes de Ponx, exceptionnellement a avaient pris la même expression d’humilité inquiète. Paco, à la manière des toréadors, était campé solidement sur ses deux jambes car il ne voulait pas présenter un visage de victime. Il avait assez pleuré la veille. Il tiendrait le coup. Légèrement en retrait, Patie affichait une tranquillité déconcertante. Paco lui jeta un coup d’œil à la dérobée : cette fille était vraiment exceptionnelle ! » pensait-il un rien admiratif.
Ils étaient à l’heure pour la sentence. Fortix les accueillit avec une certaine gravité teintée de bienveillance. Paco fut soulagé, il avait appris à lire les émotions des autres sans se les approprier et ce qu’il détectait dans l’œil du chef de la ville l’incitait au courage.
Après les échanges d’usage, Fortix prit la parole :
« Nous nous sommes réunis très tôt ce matin et nous avons pris une décision », son regard s’attarda sur Ponx. « Mon jeune ami, considérant que tu as provoqué la désobéissance de nos hôtes, nous avons considéré que tu étais le premier responsable de cette situation ». Les têtes de Ponx blêmirent.
Fortix continua : « Par conséquent, ta punition sera plus sévère. Nous avons décidé que tu devrais te tenir à la disposition du conseil pour accomplir toutes les tâches indispensables à notre vie en société : ramassage des ordures, arrosage et surveillance des champs toute la nuit, courses pour les personnes âgées… Nous t’avons préparé une liste, tiens prend-là. Ta punition commence dès la fin de cette réunion et durera jusqu’à ce que la deuxième lune apparaisse. Ponx était atterré. Il tenta une négociation :
« Mais puisque vous avez décidé que j’avais raison d’apprendre le langage de Paco et Patie, pourquoi me punissez-vous ? Je ne comprends pas… »
Fortix sourit gentiment.
« Enfant, la désobéissance a un prix, quelles que soient les bonnes ou mauvaises raisons. Si je contourne la loi, je dois l’assumer. Cela dit, ajouta Fortix, c’est vrai, tu as eu raison de profiter du passage de nos amis pour développer de nouvelles connaissances et c’est la raison pour laquelle nous ne te chassons pas. Tu seras d’ailleurs responsable des cours de langue affirmative. Mais tu dois payer ce que tu dois à notre société. C’est la règle et nous ne dérogerons pas. »
Fortix se tourna vers les deux humains :
« Vous, vous avez également trahi notre confiance en acceptant de donner des cours alors que vous saviez que nous étions contre. En conséquence, vous devrez vous éloigner de notre ville et vous reprendrez la taille de moucheron que vous aviez en arrivant. Comme nous sommes conscients que vous avez apporté un supplément d’âme à notre civilisation, nous vous fournirons de quoi manger pour votre long voyage… »
Devant l’air affable du grand chef, Paco s’autorisa une question :
« Ça veut dire que vous nous renvoyez chez nous ? »
- Non, juste que vous devez reprendre votre voyage seuls.
- Et pour rentrer chez nous ?
- Vous êtes venus seuls, vous DEVEZ revenir seuls, le retour est à votre charge, insista Fortix.
Paco avisa Patie. Silencieuse, elle semblait d’accord avec le grand chef.
« Pourquoi tu ne dis rien Patie ? Comment va-t-on s’en sortir ? ».
Il fit face à nouveau à Fortix :
« En plus, elle, elle n’y est pour rien. C’est moi et moi seul qui dois être puni. Pas elle. »
- Ton honnêteté t’honore, et je n’en attendais pas moins de toi, reprit Fortix, tu es un chic type. Paco aurait rigolé de cette expression si l’aventure ne lui avait pas paru aussi hasardeuse. Là, il se retenait juste pour ne pas s’effondrer.
« Cependant, vois-tu, elle ne demande rien car elle sait que le seul fait de se taire l’a rendue complice. Et puis, à vous deux, vous vous en sortirez mieux ! ». Là-dessus son voisin prit la parole :
« Nous voudrions aussi vous remercier de nous avoir ouvert les yeux… et le cœur sur une autre façon de parler. »
L’espoir revint en force dans la tête de Paco…
« Alors, pour vous montrer notre reconnaissance, nous vous autorisons à poser trois questions, pas une de plus. Réfléchissez bien, il n’y en aura pas une de plus… »
- Qu’est-ce qui se passera si on en pose une de plus ? lança étourdiment Paco
- Question numéro 1…
- Non… Non ! Ce n’était pas une question !
- Passons pour cette fois mais ce sera la dernière. Vous avez jusqu’à ce soir lorsque la première lune se lèvera pour nous interroger. Rappelez-vous : trois fois !
Paco et Patie se retirèrent dans la maison qui leur avait été allouée.
- Moi je suggère qu’on demande pourquoi ils ont toutes ces têtes, proposa Paco.
- Tu n’as pas compris tout seul ? s’écria Patie.
- Oui mais…
- Je crois qu’il faudrait qu’on arrive à poser des questions qui peuvent nous aider pour retourner chez nous.
Paco lança un coup de pied dans une petite butte en terre. C’était quand même horripilant cette fille qui avait toujours raison !
« Que penses-tu de -Où le vent est-il le plus fort ?-. On pourrait tenter de décoller.
Paco leva les yeux au ciel… Sarcastique, il répondit :
« Ouep, et on pourrait leur demander un avion aussi ! »
- Ben pourquoi pas… sauf qu’ils n’en ont pas besoin, j’ai l’impression. Ils se déplacent rapidement avec leurs grandes pattes et ils n’ont pas l’air d’aller très loin !
Elle faisait mine de ne pas sentir son mécontentement.
La journée passait vite… On allait se retrouver au soir et rien ne se détachait vraiment. L’humeur de Paco s’améliorait au fur et à mesure que son inquiétude augmentait. Finalement il dit :
« Tu sais, c’est bien joli de leur demander comment partir. Je n’ai pas oublié que Fortix a insisté pour nous dire qu’on devait trouver tout seuls le chemin du retour. Moi, j’ai bien envie d’en savoir plus sur leur vie ici. Après nous partirons et nous ne les reverrons probablement jamais ».
Patie le considéra un long moment sans parler, puis :
« Alors là, Paco tu m’épates, tu m’épates, tu m’épates ! » chanta-t-elle crescendo. « Que proposes-tu ? »
- D’abord, j’aimerais bien savoir où sont les mamans ? On n’a pas vu la couette d’une fille ou la douceur d’une maman ! Comment font-ils ?
Patie était pensive. « Oui, c’est vrai, bien observé. Peut-être sont-elles dans un autre village ? ».
- Ensuite ?
- J’aimerais bien savoir pourquoi ils ne s’exprimaient qu’à la forme négative ? Y a-t-il eu un événement particulier qui leur a ôté une bonne partie de leur capacité d’expression ?
- Alors moi, ce que j’aimerais bien savoir, reprit Patie précipitamment avant que le garçon n'ait eu le temps d'émettre une autre proposition, c’est pourquoi les gâteaux et les bonbons ont goût de légumes.
- Judicieux… vraiment. Et si on se débrouillait pour faire une seule question avec les deux dernières questions du genre « on aimerait savoir pourquoi les gâteaux ont un drôle de goût, est-ce que c’est parce qu’il n’y a pas de maman dans votre pays pour vous dire ce qui est bon ou mauvais ?
- Espèce d’horrible macho ! s’indigna Patie en lui jetant un coussin à la figure.
- Mais c’est juste un tour de passe-passe, comme ça on peut AUSSI demander pour le lieu où le vent souffle le plus fort… se défendit le garçon.
- Sérieusement, tu peux pas parler comme ça. En plus, tu aurais l’air de les prendre pour des idiots.
A cet instant on frappa. C’était Ponx. Il était chargé de leur porter un plateau-repas.
« Alors, les amis, vous n’êtes pas trop à la peine ? »
- Ben Ponx, voyons, tu peux parler normalement, c’est autorisé maintenant ! l’assura Patie.
- Je sais, dit la tête de l’inquiétude et de l’angoisse, mais j’ai eu tellement peur… la tête de l’optimisme reprit : « ça va passer, ne vous faites pas de bile, c’est juste un sale moment ! ». Quant à la tête de la colère, tournée vers le mur, elle maugréait des mots incompréhensibles.
- Tu boudes, demanda ostensiblement Paco à la tête grognon.
- À cause de vous…
Elle fut immédiatement interrompue par la tête opposée « Arrête de remplir l’air avec des récriminations, profite de tes amis, ils vont bientôt partir et tu ne les reverras jamais. La boudeuse se tue cueillie en plein vol par un argument de poids.
Paco en profita pour essayer de lui extirper des informations.
« Non, non, répondit Ponx, ça m’a servi de leçon, je ne sortirai plus des clous…, c’est fini ! »
- Sauf que c’est en désobéissant qu’on devient créatif, tenta Paco. C’est ton chef qui l’a plus ou moins fait comprendre.
Patie, sans parler, regardait son ami avec un air de réprobation.
« On n’a pas tous les droits pour se sortir d’affaire, murmura-t-elle à l’attention de Paco.
De toute façon, Ponx secouait la tête farouchement. On ne le reprendrait plus à trahir les siens, il avait eu trop honte.
« Tant pis, conclut Paco, on attendra, ce soir ».
- Allez à plus tard ! jeta Ponx en se retirant précipitamment avant que le garçon n’est changé d’avis.
À nouveau seuls, les deux jeunes gens parlementaires longuement pour trouver les trois questions. Le soir vint étendre ses brumes sur la vaste pièce qui les abritait. Paco et Patie se regardèrent : c’était l’heure… la dernière avant une nouvelle vie, une vie qu’ils ne connaissaient pas encore !



20.
Alors qu’ils cheminaient pour atteindre le lieu de rendez-vous, Patie prit la main de Paco :
« Paco, il faut qu’on parle ».
- Oui ? C’est pas ce qu’on fait tous les jours ?
- Oui mais là, c’est pas pareil, murmura la brunette.
- OK, arrêtons-nous quelques minutes, alors, ça a l’air sérieux. On est un peu en avance, ça ira.
Paco et Patie s’assirent sur le bord du chemin. Elle semblait toute bouleversée. Ses yeux rougis témoignaient de son malaise.
« Hey, Patie, qu’est-ce qui t’arrive ? C’est la première fois que je te vois comme ça ? », s’inquiéta Paco subitement nerveux. Elle le regarda droit dans les yeux et commença :
« Paco, tu sais que j’ai énormément d’affection pour toi ? Tu le sais ça ? »
- Oui, oui ! je sais mais quoi ? s’impatientait-il ;
- C’est important qu’on soit d’accord sur ce point. Cependant, il est possible qu’on soit un jour séparés tous les deux….
- Comment ça « séparés » ? s’insurgea le garçon.
- Tu sais la vie est parfois compliquée…
Paco réfléchit un instant, puis :
- Ce que j’ai compris, c’est que parfois la vie nous joue des tours. Alors oui, tu as raison, rien n’est impossible. Il serait possible qu’elle nous emporte loin l’un de l’autre. Mais c’est pas obligé et on peut tout mettre en œuvre pour rester ensemble… puis, plus bas, Paco rajouta : avec toi, je me sens tellement plus solide. J’ai pas envie de te perdre…
Patie lui jeta un de ces fameux papillons :
« Paco, tu es l’être le plus charmant, le plus attachant qu’il m’ait été donné de rencontrer… Tu n’en es pas encore tout à fait persuadé, elle rajouta : mais ça va venir, j’ai confiance… Elle se leva d’un bond :
« En tout cas, même si un jour, on ne sait jamais, tu ne me voyais plus, sache que je serai là, toujours là, avec toi et pour toi. Ouvre ta main », ordonna-t-elle.
Les doigts de Patie fourragèrent un instant dans sa longue chevelure brune emmêlée, puis prestement elle en retira une minuscule plume soyeuse qu’elle glissa dans la paume du garçon.
« Ce sera notre secret, ne la perds jamais et je serai toujours là ».
Paco était interloqué, que signifiait ce discours un peu embarrassé ? Patie reprit la parole :
« On court ? Il faut rattraper le temps perdu ».
De mauvaise grâce, le garçon la suivit. Bientôt, ils parvinrent au lieu du rendez-vous. Fortix les attendait, tête pensive et tête affable :
« Bravo, vous êtes à l’heure. Avez-vous décidé de vos trois questions ? »
Paco regardait la fille. Elle lui fit une discrète révérence et un signe de la main pour lui laisser la prérogative de la première.
« C’est difficile, commença Paco. Bon alors, premièrement : Comment vivez-vous sans maman ? Nous n’en avons pas vu une seule. Moi, j’en ai une, elle est malade mais elle me donne toute la tendresse possible et imaginable. De Papa, je n’en ai pas, et il me manque bien souvent, compléta-t-il comme pour justifier sa question. Et vous, vous n’en semblez pas affectés de cette absence ».
Fortix accueillit cette phrase avec bienveillance.
« Ta question est tout à fait judicieuse mon jeune ami. Ma réponse sera simple et complexe en même temps. Ce que l’on n’a pas à l’extérieur, on doit le développer à l’intérieur de soi ». Il rajouta très vite : « Il te faudra du temps pour comprendre cette idée mais tu y parviendras, j’en suis convaincu ».
Dire que Paco était perplexe était peu dire.
« Comment avoir un Papa en soi quand on ne l’a pas connu ? »
- C’est ta deuxième question ?
Le garçon considéra la demande puis il hocha la tête.
« Et bien, un peu comme une magnifique plante, fais grandir, fais fleurir en toi l’amour de toi même. C’est ce que font tous les Papas pour leurs enfants. Rappelle-toi toujours ces fleurs multicolores l’autre jour lorsque tu pleurais avec Ponx…Elles ont poussé lorsque tu perdais pieds ; elles étaient la manifestation de ce qui doit être à l’intérieur de toi au plus fort de ton chagrin. Des fleurs de l’espoir. »
Paco était stupéfait, alors, Fortix savait tout ?
« Et même dans le hangar, lorsque j’ai pleuré des fleurs ont poussé… »
Fortix acquiesça.
« Et ta dernière question ? »
Paco interrogea des yeux son amie restée deux pas derrière lui. Elle fit signe qu’il devait continuer :
- Les gâteaux légumes ? Vous les avez fait pousser rien que pour moi ? Pour que j’apprenne à mieux manger ? Pour que les autres ne se moquent plus de moi et ne me traite plus de gros lard ?
- Tu es futé Paco, tu n’imagines même pas comment ! s’exclama Fortix. Il y a un peu de ça, tu as raison… C’était mieux que t’expliquer les bienfaits des végétaux pour l’organisme, non ? Tu nous aurais pris pour d’affreux rasoirs avec nos têtes à émotions ! Encore une chose, Paco : ne te laisse plus jamais martyrisé ou harcelé, tu ne dois pas accepter ces situations dégradantes. Tu as prouvé ici que tu avais de la ressource. Sers-toi de ta force de géant ! Après un court instant de pause, il rajouta : « Je ne te demande qu’une chose, Paco : lorsque tout sera fini… »
- Fini ?
- J’ai bien dit fini, rappelle-toi toujours que la raison n’a rien voir avec le défaitisme. Tâche toujours de chercher des solutions, n’abandonne pas et regarde loin devant toi ! Si tu perds courage, pense à ces grands escogriffes que nous sommes ! »
Il lui tendit un objet emmailloté dans un bout de tissus.
« Mets ça dans ta poche, tu le regarderas plus tard ! »
Emporté par l’enthousiasme, Paco se risqua à une autre question :
« Puisqu’on est amis, pouvez-vous me dire comment on peut rentrer chez nous ? »
- Stix tix mox tux douxtoux…
- Hein ?
- Trouxmoux tix tix…
Paco et Patie comprirent. On ne parlait plus la même langue… D’ailleurs, ils devaient bien admettre qu’ils étaient en train de rétrécir ! Comme au premier jour de leur rencontre, les géants attrapèrent délicatement les deux enfants, les installèrent dans le creux de leur main gigantesque et les portèrent en triomphe vers le champ de marguerites bleues, jaunes et rouges. Après quoi, ils les déposèrent en leur laissant un monceau de nourriture à proximité. Les adieux furent rapides, on ne s’attarda pas pour éviter la tristesse. De toute façon, la communication verbale était rompue.
Quelques gestes de la main et les géants les laissèrent seuls au milieu du pré qui sentait bon l’aventure à venir.

21.
Le soleil allait atteindre le zénith. Il faisait bon malgré tout. Une légère brise caressait le sommet des arbres qui bruissaient : « un langage ? » pensa Paco qui avait appris à envisager toutes sortes de possibilités sans frémir. Patie, la tête renversée, profitait des tendres rayons de soleil. Elle semblait paisible. La masse de ses cheveux bruns posée au sol facilitait certainement la posture. Paco la regarda :
« Tu ne penses pas que les arbres essaient de nous parler ? »
Patie n’ouvrit pas les yeux et ne changea pas de position :
« Tu sais que les arbres qui parlent, ça n’existe pas, n’est-ce pas ? »
- Oui mais les géants à deux, trois et quatre têtes non plus… Et les arbres qui se penchent pour te protéger, non plus… et les gâteaux légumes, non plus… et les fleurs qui poussent de la poussière lorsqu’on pleure, non plus… Je continue ou ça va comme ça ?
Patie se redressa :
« Oui mais non ! »
- Quoi oui mais non ? Tu parles par énigme maintenant ?
- Juste, je ne pense pas que les arbres TE parlent. Oui, ils parlent entre eux, les scientifiques l’ont prouvé mais à toi… je ne crois pas. Tout ne tourne pas autour des humains sur cette terre, tu sais ! Et ils l’ont trop souvent oublié.
- Tu devrais plutôt dire : NOUS l’avons trop souvent oublié, rectifia Paco un brin agacé de se faire pincer en flagrant délit d’égotisme.
- Si tu préfères, oui NOUS l’avons trop souvent oublié, obtempéra-t-elle. Je te propose de manger : on réfléchit mieux l’estomac plein.
Les géants ne s’étaient pas moqués d’eux, ils avaient mis à leur disposition de belles tranches de viande, des pilons de poulets, des portions de brocolis ou d’épinards bien cuisinés. C’était un délice. Quand ils furent rassasiés, ils reprirent leur conciliabule. Le soir les surprit sans qu’une idée valide n’ait germé dans leur cervelle. Ils étaient dans l’impasse : on ne savait pas comment revenir.
Ils s’allongèrent au milieu des fleurs multicolores et contemplèrent la nuit étoilée. C’était merveilleux ! Petites lucioles dorées, certaines clignotaient d’autres semblaient regarder fixement les enfants de leur œil borgne. Parfois, une traînée de diamant traversait le ciel à toute vitesse. Paco et Patie, hypnotisés par le spectacle, ne disaient mot. Soudain, une étoile passa plus près d’eux. Paco se mordit les lèvres pour ne pas se laisser aller à quelques considérations centrées sur son nombril d’être humain. C’est vrai qu’il avait très envie de se dire qu’elle descendait pour lui, pour elle mais il se retint. Plus tard, une autre pétulante et mordorée s’approcha encore plus près d’eux. Il vit alors, Patie, lever la main jusqu’à la source de lumière, la prendre entre ses doigts et délicatement la placer dans ses cheveux défaits. Après quoi, elle prit la main du garçon silencieux. Il crut qu’il rêvait lorsqu’il s’aperçut qu’ils avaient pris de la hauteur. Dans le sombre de la nuit, il se rendit compte qu’ils planaient au-dessus des grands arbres. Il sentit un pincement au cœur en passant sur la ville des géants. Quelques maisons étaient encore éclairées et on devinait les formidables corps des géants aux ombres qui passaient devant la fenêtre. Puis, on ne vit plus rien et le voyage se poursuivit dans une obscurité épaisse. Paco n’arrivait pas à parler ; des émotions diverses et contradictoires le traversaient. Comment serait son retour ? Comment expliquer cette absence ? Est-ce que Maman ne serait pas trop émue ?
Bientôt l’aube fut là, le soleil majestueux éteignit une à une les petites loupiotes de la nuit. Ils croisèrent un vol de grue bavardes et piailleuses intriguées par l’équipage. Dans la chevelure de Patie, l’étoile brillait toujours d’un éclat plus pâle maintenant. Lorsqu’il aperçut le fleuve limoneux, Paco sut qu’on allait arriver. La tension monta d’un cran en lui. Enfin les murs de l’école apparurent. Les deux enfants survolèrent les lieux, puis après un échange de regard descendirent en piquet vers la cour.
En bas, tout semblait dormir. Les lieux étaient bel et bien occupés par les enseignants et leurs élèves mais rien ne bougeait. Seule, une forme sombre agitait les bras comme pour leur souhaiter la bienvenue. Paco reconnut Gisèle et curieusement, il n’en fut pas étonné. Après un dernier vol plané, les enfants posèrent les pieds sur la terre ferme. Patie détacha la petite étoile maintenant toute pâlichonne de ses cheveux, elle la lança de toutes ses forces vers le ciel. Très vite, on ne la vit plus.
Gisèle les accueillit avec joie. Puis, sans que rien ni personne n’ait fait un geste, tous les corps présents dans la cour s’animèrent à nouveau, comme s’ils se réveillaient d’un long sommeil. Gisèle leur chuchota :
« Tout le monde est figé depuis votre départ, n’ayez crainte, ils ne se souviennent de rien. Reprenez vos habitudes, enfin… en mieux » continua-t-elle avec un clin d’œil à Paco.
Lorsque la cloche sonna, Patie repartit vers sa classe, Paco vers la sienne.
« Division euclidienne… trop facile », pensa juste Paco !

22.

« Eh, le gros, passe le ballon ! »
Les habitudes ont la peau dure. Paco ne répondit pas…
« J’te parle le gros » s’impatienta son harceleur. « Me fais pas venir jusqu’à toi… continua-t-il menaçant, tu sais comment ça va finir ».
Paco, les yeux rivés sur un livre, semblait sourd à aux éructations de plus en plus virulentes de ce Julien qui passait si souvent ses nerfs sur lui.
« Tu l’auras voulu espèce de gros lard imbécile, gros veau… Tu vas voir si on va te dégonfler ! Eh, les gars, vous avez pas un compas, qu’on lui plante dans le bide ? » hurlait-il maintenant.
Même si la colère mais aussi la peur grondait avec violence dans sa poitrine de victime, Paco ne parvenait pas à faire sauter le verrou de ses émotions. « Pas encore, lui chuchotait une petite voix en son cœur, tu vas voir, ça va venir, fais-toi confiance. Ferme ton livre. Paco, ferme ton livre et regarde-les bien en face ! »
Paco reconnaissait bien cette voix, il avait volé avec elle, il avait mangé de drôle de gâteaux avec elle, il avait dormi près d’elle. Elle envoyait des papillons mordorés de ses yeux tendres. Ses cheveux ressemblaient à la voile d’un bateau. Patie s’éveillait en lui. Alors, Paco ferma lentement son livre, se leva et fit face à son agresseur. D’une tête de moins que lui, Julien devait lever la tête maintenant pour le défier…
Paco, enfourna ses deux mains dans les poches de son pantalon. Il avait trop peur de massacrer ce moustique et en aucun cas, il ne voulait ressembler à cet avorton violent…, ça, il en était certain. Mettre ses poings à l’abri lui semblait plus sûr.
Ses doigts entrèrent en contact avec deux objets. L’un doux et flexible, l’autre emballé dans un morceau de tissus ne cédait pas sous la pression. Sans mot dire, il les extirpa tous les deux, déballa le cadeau des géants d’un geste lent mais sûr, puis il mit les deux objets sous les yeux de son tortionnaire. Celui-ci blêmit, recula de trois pas et, d’une voix blanche, appela les autres à la rescousse :
« Eh, les copains, ils résistent, vous venez ? »
Les « suiveurs » peu enclins à désobéir à leur maître par peur de représailles ou de perte de leurs avantages se précipitèrent sur leur victime. Paco éleva immédiatement ses mains à hauteur d’épaules. Les enfants stoppèrent net.
« Ben quoi ? Qu’est-ce que vous attendez ? » hurla Julien qui avait repris du poil de la bête persuadé que le nombre lui donnerait l’avantage.
« La même chose que toi sans doute », osa un maigrichon tout blond.
« Imbéciles, nous sommes six, il est tout seul qu’est-ce que vous attendez ? »
Le blondinet réitéra sa réponse en pointant les objets de Paco du menton :
« La même chose que toi, pardi ! »
Paco ne parlait toujours pas. Il sentait en pensée que sa tête de droite, celle que les géants utilisaient pour les émotions négatives, s’allégeait au point de laisser toute la place à celle de la réflexion et de l’optimisme. Alors il osa :
« Bien, restons-en là, je ne vous veux aucun mal, je veux vivre en paix. Sortons de cette impasse la tête haute. Il n’y aura ni perdants, ni gagnants ».
Pour la forme, Julien tenta encore de galvaniser ses troupes. D’habitude, ils jouissaient tous de faire la loi dans la cour. Là, ratatinés sur eux-mêmes, ils n’attendaient qu’un signal pour rompre les rangs.
« Un dernier mot, vous me trouverez toujours face à vous lorsque vous essaierez d’embêter quelqu’un, je m’y engage. »
Pris dans son élan, il rajouta :
« Et pour votre gouverne, les gros ont bien le droit de vivre et de respirer… Même, rajouta-t-il en riant, vous devriez leur laisser davantage de place, ils ont besoin de plus d’air que vous ! ».
Un sourire en tranche de papaye accroché à son visage, il tourna les talons, indifférent aux réactions des garçons dans son dos. Julien ne voulait pas renoncer : il en allait de son statut de leader : il se jeta à ses pieds pour le plaquer au sol. À peine ébranlé, Paco secoua sa cheville pour se libérer laissant Julien stupidement à plat ventre sur le bitume.
« Qu’est-ce que tu leur as montré pour qu’ils soient si paniqués ? », l’interrogea Patie. Paco ne l’avait pas vu arriver. Elle était là, chignon campé au sommet de son crâne comme toujours lorsqu’elle venait à l’école. Paco se prit à regretter sa touffe de poils en désordre… Néanmoins, avec ou sans, elle était son amie pour toujours.
« Ta plume, commença-t-il puis il déroula le morceau de tissus qui entourait le cadeau des géants :
« Et ça », compléta-t-il.
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Adalie33


« Oh le COVID, la COVID raz la frange bougonna l’homme en rouge … Me voilà assigné à domicile, prisonnier de ma tanière un 24 décembre ! Un comble ! » rageait-il en roulant des yeux terribles.
Au salon, sa femme soupira lentement « Rester calme, rester calme… », mettre en pratique les séances de yoga que elle pratiquait depuis le confinement, qu’elle respectait scrupuleusement…ne pas envoyer bouler ce pitbull tout rouge… « Allez une salutation à la lune, une petite série de respirations abdominales, voilà, voilà »
Le Père Noël, furieux de si peu de prise en compte de son problème, se tourna vers son épouse :
« Et toi, tu t’en fous ! » constata-t-il en élevant la voix
« Un, deux, trois, quatre et je bloque » pensait-elle tout bas, elle en profita néanmoins pour lui répondre… « Non, t’inquiète, je suis avec toi » et reprit son compte…
Un tantinet rasséréné par la sollicitude de son épouse, il continua :
« Et si je sortais avec plusieurs autorisations ?
- Va t’en falloir beaucoup mon chéri, » susurra-t-elle mollement entre deux respirations. Il lui pompait l’air, mais il lui pompait l’air, c’était peu de le dire… « un deux trois quatre, je bloque… »
Déjà le vieux bonhomme, entamait ses trois cent quarante cinquièmes tours de maison toujours en proie à une colère magistrale ! D’un coup il stoppa sa marche stérile…
« Euréka ! j’ai trouvé dit-il je n’irai pas en France, voilà tout ! Dans les autres pays je n’ai pas besoin d’une autorisation de sortie ! Donc j’irai distribuer des cadeaux là où je peux le faire sans prendre une prune » !
Sa femme leva les yeux au ciel… fallait vraiment être patiente pour supporter l’ours en cage qui lui servait de mari !
Enfants de France, à l’heure qu’il est, nous, journalistes accrédités par la préfecture pour le suivi du Père Noël, ne savons toujours pas si celui-ci obéira aux injonctions du gouvernement. Des drones géants surveillent déjà son entrée éventuelle dans l’espace français. Enfants français, l’heure est grave, vos petits souliers risquent bien de rester affreusement, horriblement, désespérément vides…. Hé ! Hé !
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J’abaisse la pâte à petits gestes sûrs ; je mélange l’appareil, j’arrase les cuillères de sucre sans me démonter ; je clarifie le beurre ou les œufs les yeux fermés, je concasse les pistaches avec entrain, je détrempe dans un sourire béat, je laisse pousser la brioche armée d’une patience infinie, je fais foisonne les crèmes au chocolat tout en prestance à la manière de Laure Manaudou aux jeux olympiques d’Athènes, Je fleure le plan de travail sans sourciller, je fonce, j’imbibe, je lie, je meringue en un tournemain, je nappe avec ravissement, je détends le pâton sans détour, je manie la poche à douille avec la dextérité de Gauthier Capuçon sur les cordes de son violoncelle, je pommade, je praline comme personne au monde, je rabats le feuilleté dans une joie quasi mystique , je riole la surface de ma tarte j’atteins le ruban sans effort, je serre les blancs d’œufs, je tamise, je toure tout en twistant parce que j’invente, moi, Madame.
je sublime la présentation, je suis sublime, je suis merveilleuse, je suis fabuleuse…
Zut, j’ai oublié le topping !
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Adalie33


Il ferma les yeux pensant à son amour là-bas, seule, au milieu d'inconnus. A cette heure, elle devait être dans l'avion...
Il était resté là, inconsolable en dépit des tendresses de ses chats.
Au moins, elle, elle s'était envoyée en l'air songeait-il mi-figue, mi-raisin...
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