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Marc Boyer Bressolles


« A celui qui ouvrira la porte.
Bienvenue mortel.
Tes yeux se posent sur la terre de Nihyen. Le monde originel.
Sors donc de cette pièce pour découvrir la récompense de tes efforts. Ceux de ton espèce qui ont franchi le seuil ne sont qu’une poignée.
Observe le ciel, la terre, l’horizon. Cette vue t’évoque-t-elle un souvenir ? Rien de surprenant car tu te trouves désormais dans le monde dont le tien est issu.
Ne t'émeus point des lueurs argentées qui illuminent le lointain. Ce sont mes enfants. On les appelle les Uns, les Anciens, les Éternels ou, par leur nom d’origine, les Celestians.
Peu nombreux sont ceux qui ont connaissance de notre existence tant elle fut gardée secrète depuis les premiers âges.
Avance le long du sentier pour apercevoir ma demeure. Du haut de ce temple, j’observe les miens. Je garde notre monde.
Entends-tu les clapotis d’une cascade à quelques pas de toi ? Approche-t-en si le cœur t’en dit. Découvre le lieu de ma naissance, l’origine de la vie.
Les mortels croient en un dieu créateur : Ohm. Nous y avons veillé. Mais ce n’est là qu’une fable dont le but est de canaliser vos croyances. Sans repères, sans foi, vos esprits éphémères auraient tôt fait de définir de quelconques forces supérieures. Pourquoi, me demandes-tu ? Ne connais-tu pas les tiens ? La soif de pouvoir, la faiblesse de devoir se rassurer face à un monde aux rouages inconnus, telles sont vos tentations.
Cette cascade est la « Vidome ». La source qui donna le jour à nos terres jumelles. Premier de ses fils, je suis Byanar. Le souverain des Celestians et leur guide.
Qui sommes-nous ? Les gardiens des races mortelles. Les observateurs d’un équilibre éternel.
Nos corps vif-argent foulent Nihyen mais les esprits de certains des miens sont ailleurs. Traversant la porte à notre gré, nos âmes peuvent posséder vos enveloppes charnelles sans effort. Sous vos traits, nous surveillons. Nous préservons. Impossible dis-tu ? La connaissance ne s’arrête pas au regard de celui qui croit la posséder. Elle va bien au-delà des simples chimères qui tronquent vos vues.
Tu pleures ? Le soleil de ce ciel sans nuages t'éblouit-il ? Pose-toi sous le couvert de ce chêne et laisse-toi enivrer par le nectar de nos fleurs délicates. Tu entres dans mon jardin.
Tu ne cours aucun danger en ces lieux. Plus jamais, tu n’auras à craindre pour ta vie. Ce monde ne connaît pas la violence. J’y veille.
Tourne le regard par-delà mon temple. Contourne le si besoin est.
Tu ne rêves pas. Il s’agit bien d’un palais flottant. N’est-il pas grandiose ?
Devant toi, se dresse la demeure des Jumeaux Divins. Je conçois ta surprise. Un mensonge de plus enrobe les pensées des tiens. Les esprits de l’Ombre et de la Lumière cohabitent en ce lieu sacré depuis toujours. Leur affrontement sur Neogaia est un acte feint. Que croyais-tu donc ? Ils ne correspondent en rien aux valeurs morales avec lesquelles, mortels, vous tenez à définir leur existence. Ombre et Lumière sont un fait, deux réalités physiques qui se complètent en une parfaite harmonie. Eux aussi sont nés de la source de vie. Comme moi.
Pourquoi cet émoi teinte-t-il l’iris de tes yeux ? La fatigue pèse-t-elle sur ton cœur ?
La présence des vingt temples t’interpelle ? Ta vue ne te trompe pas, sois rassuré. Tu distingues bien chaque demeure dédoublée. Une série de dix qui relie l’ouest du palais des Jumeaux divins à la terre ferme. De parfaites répliques à l’est sises dans le même but.
Les Gardiens y résident et veillent pour l’éternité sur nos deux mondes. Ils font office d’intermédiaire entre mes enfants et les Jumeaux. En tant que guide des Celestians, je suis leur interlocuteur et je préside nos assemblées communes. Notre but te semble nébuleux ? Il n’est autre que de veiller sur l’équilibre et l’harmonie de nos terres et des tiennes.
Je perçois ton trouble, petit mortel. Ton existence te semble-t-elle futile face à notre raison immuable d’exister ? La brume de fables dont on t’abreuve depuis ton enfance s’évanouit devant tes yeux. C’est un privilège. Tu as gagné le droit à la connaissance et à la vérité. Au repos également. Tu as lutté pour une cause que tu croyais juste et par ce fait tu as veillé sur l’ordre établi, sans le savoir.
Pose tes armes, baisse ta garde, ouvre ton âme. Oublie Neogaia, la terre des éphémères. Tu foules le sol sacré de Nihyen pour l’éternité. Le monde des miens.
Nous sommes au dessus du Bien, nous sommes au dessus du Mal, nous sommes les Celestians. »
Retranscrit le cinq-cents trentième jour après le passage de la porte, par Bélinar de Tyrmesan, Vingtième tisseur de rêve du peuple de Nyx
...
L’humain reposa le parchemin sur la table et éclata d’un rire moqueur; face au sourire nostalgique de son frère.
Avoue qu’il est divertissant de relire de vieux bouts de grimoire que l’on croyait perdus depuis des éons, lança le premier, une fois sa crise d’hilarité passée. Tu ne devrais pas te comporter de façon aussi irrespectueuse, Thanatos, riposta son interlocuteur, d’un ton badin. Les choses n’ont pas tant changé, quand on y pense. Tout n’est qu’illusion et chimère. Le bien, le mal, cette façon simpliste de penser… Cela me rappelle les contes que nous aimions tant lorsque nous étions enfants. Ceux avec une morale à la fin… A ton avis, peut-on faire une belle histoire d’un mensonge ? A peine cinq minutes ensemble et tu deviens déjà désagréable, Hypnos…

Mal à l’aise et désormais furieux, le dénommé Thanatos se mit à faire les cent pas devant le regard amusé de son frère, confortablement assis dans un fauteuil placé derrière une grande table d’ivoire.
Ne fais pas ta mauvaise tête, petit frère. Tu ne comprends donc plus la plaisanterie ? admonesta Hypnos, un sourire désarmant aux lèvres. Que dirais-tu d’une partie de tarot pour me faire pardonner ? A moins que… Tu ne préfères les échecs, pour changer de nos habitudes ?

Face à une telle proposition, Thanatos surmonta sa mauvaise humeur à grand peine, et fit apparaitre d’un claquement de doigt un second fauteuil de l’autre côté de la table, avant de s’y installer à son aise. Un échiquier géant couvert de figurines de diamant apparut alors entre les deux frères. Ces derniers se mirent à l’observer avec attention.
Même si habituellement ce sont les blancs qui commencent, je te laisse porter le premier coup, annonça Hypnos. Je te sens impatient d’agir…

Le menton posé sur sa paume de main, son frère commença à mettre au point un début de stratégie. Après plusieurs minutes de réflexion, il saisit une pièce noire sur l’échiquier et la bougea de deux cases.
Cette partie va être passionnante ! Quelle douce ironie… souffla Hypnos, les yeux brillants.
J’adore faire jouer les fous en premier… chuchota son jumeau, les yeux rivés sur le damier.
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Marc Boyer Bressolles


La noirceur sous le masque blanc

Même s’il me faut lâcher ta main…

Depuis combien de temps suis-je immobile, au cœur de cette entrée majestueuse ? Impossible à dire, mais les fourmis qui malmènent mes membres épuisés ne laissent que peu de doute sur la durée de mon état de choc. Sous mes yeux las, l’imposant escalier de marbre n’attend plus que moi. Souillé d’une mare de sang.
Sur ma droite, un couloir. Sur ma gauche, une cuisine et l’accès aux réserves. Tout est étrangement silencieux, et seul l’éclat de la lune froide éclaire le parquet de chêne qui crisse sous mes pas, lorsque je me décide à reprendre ma route. Mon esprit reste obnubilé par l’anxiété, à tel point que j’en oublie presque la porte à double battants grande ouverte, dans mon dos. Ou alors je m’en moque, tout simplement.
Presque avec timidité, je m’approche de la forme prostrée sur les premières marches glacées. Elle ne réagit pas à ma présence, et je pose une main tremblante sur sa joue. Elle ne respire plus, mais que Lily est belle dans son dernier sommeil… Incapable de contrôler davantage mon émoi, je m’assieds près d’elle et je laisse les sanglots silencieux libérer un flot de larmes qui s’écoulent de mes joues glabres sur les marches. Elle était la plus jeune. La plus rayonnante. Un rire communicatif, une candeur qui parvenait à m’apaiser, même lors de mes crises les plus sombres. Petit oiseau, pourquoi devais-tu mourir ce soir ?!
Une fois que ma tristesse se fut pleinement exprimée, je reprends ma folle course, dans l’espoir de le trouver enfin. Il n’en reste qu’un, je le sais.

Sans pouvoir te dire à demain.

Les mots flottent dans l’air chargé d’un mal tangible. Une chanson, peut-être ? Ce n’est vraiment pas le moment ! Sans hésiter, je m’engouffre dans le couloir de droite, en direction du salon de musique et de la salle à manger. L’air se refroidit, ou est-ce une duperie de mon esprit malade ? Cette nuit n’aura-t-elle jamais de fin ?!
Je traverse les regards inexpressifs de peinture et les tapis luxueux, jusqu’à atteindre le seuil de la pièce où je conserve le plus de souvenirs tendres. Combien de fois nous étions-nous réunis, assis les uns contre les autres devant l’âtre, pour écouter Juliette jouer un air de piano ou mon père nous conter l’une des histoires mythologiques, dont il est si friand ?
Mais le présent me rattrape et l’horreur qui émane de ce lieu, pourtant si familier, me fait vaciller, paume devant les lèvres pour retenir ma nausée. Même dans le trépas, ils sont inséparables. Julien et Charles, main dans la main observent une fenêtre désespérément close, qu’ils n’ont pas eu le temps d’atteindre. Sans m’en rendre compte de prime abord, je laisse un sourire germer sur mes traits épuisés à la vue du duvet qui court sur leurs joues de grands adolescents. Et je distingue alors les plaies qui témoignent de leur supplice. Une au dos pour le premier, une autre béante à l’estomac du second jumeau. Et je fuis l’horreur de ce spectacle macabre, preuve cruelle que ma vie ne sera plus jamais la même.

Rien ne défera jamais nos liens…

Je n’écoute pas le chant. Je n’ai pas le temps. Sans ralentir le pas, je cours au premier étage et ouvre chaque porte l’une après l’autre. Le silence. Le froid. La griffe de la mort partout où je pose mon regard enfiévré. Et j’arrive face à deux corps de plus, gisants dans un recoin de la chambre d’enfants. Nicolas et Edith, serrés l’un contre l’autre dans un ultime réflexe de protection., ne peuvent plus se chamailler. Je m’approche, la peur au ventre, et m’agenouille devant leurs regards vides, avant d’éclater en sanglots convulsifs. Je laisse alors un hurlement s’échapper de ma gorge à vif, un appel à la clémence du ciel. Une malédiction envers le destin. Cette nuit n’aura-t-elle jamais de fin ?
Non… Pas encore… Il en reste un. Un seul… Un dernier… Je peux encore le rattraper.

Même s’il me faut aller plus loin…

Qu’importe son absence, j’ose à peine poser le pied dans la chambre de mon oncle. En fermant les yeux, je peux sentir sa trace, sa présence imposante, cruelle. Mais l’enjeu est bien trop important pour me laisser freiner par mes peurs enfantines.
J’entre donc et courbe l’échine devant le regard peint qui me scrute du haut de sa superbe, posée au-dessus de l’âtre froid. Je remarque aussitôt une alcôve, ouverte sur un passage sensé être secret. Et l’espoir renait.
- Innocent…
Mon pauvre cousin aurait-il trouvé ce refuge, en oubliant d’en refermer l’accès derrière lui ? Sans attendre, je file le long de la volée de marches de pierres qui descend dans les profondeurs obscures. Mes yeux traîtres ne facilitent guère mon avancée mais je refuse d’abandonner. En quelques minutes de pas prudents, j’atteins enfin un sol inégal mais plat et devine une sorte de cave, par l’éclairage de deux pauvres torches, allumées à la hâte. Face à moi, un couloir délimité par d’étranges glyphes gravés dans la roche. Et alors que je commence à m’en approcher, je perçois le son caractéristique d’une respiration saccadée. Nos regards se croisent. Et mon sourire fait écho au désespoir qui se dessine sur son visage d’enfant.
- Innocent… Je te trouve enfin… Tout va bien se passer.

Couper des ponts, changer de train…

Je m’avance d’un pas, et mon petit cousin se colle contre le mur rugueux, dans l’espoir fou de s’y fondre. Pour la première fois, je remarque à quel point le sang de notre famille est assez fort pour nous offrir des traits communs. Il me ressemble. La noirceur en moins.
Dans ses yeux écarquillés, je lis la terreur et une incompréhension qui me fait vaciller. Comment lui en vouloir ? Je distingue alors le faciès du masque qui couvre en partie mon visage, à travers ses pupilles éclairées par l’éclat timide du feu le plus proche. Et sa panique à la vue de la dague que je tiens encore en main, laissant sourdre le sang encore frais de ses frères et sœurs. J’ai envie de tout lui raconter, de lui expliquer la raison de mon acte. Mais rien ne vient. Aucun mot ne me semble suffisant pour justifier mon crime. Et pourtant, je le dois. Il le faut. J’entends des pas résonner au-dessus de nous. Déjà ?!
Poussé par l’urgence, je me rue sur Innocent, qui s’affaisse, mains au-dessus de la tête, comme un ultime rempart face à ma folie meurtrière. Et alors que je brandis mon arme, prêt à frapper, je me surprends à hésiter. Je perçois un murmure à mon oreille, une poignée de mots, et je sais, oui je sais, qu’Innocent ne doit pas mourir aujourd’hui.
- Gabriel ? Qu’as-tu fait ?!
L’horreur qui transpire de la voix paternelle me pourfend aussi bien que la lame qui traverse soudain ma chair. Je m’effondre aussitôt, tel un pantin désarticulé, et croise la fureur incarnée, sous les traits de mon oncle, debout, épée ensanglantée tenue à deux mains.
- Juliette… Pardon…
Ma pauvre tante semble ne pas entendre mes derniers mots. Malgré le voile qui se pose sur mon regard, je distingue sa longue chevelure blonde en mouvement, alors qu’elle accourt vers son dernier enfant vivant. Avant que mes paupières traîtresses ne se referment pour me faire embrasser le néant, je sens une main tremblante retirer le masque blanc qui couvre mes traits encore juvéniles. Mon père m’adresse une supplique muette, mais je lui refuse cet ultime élan de charité. Puisse-t-il passer l’éternité à se demander pourquoi.
Dans le fond de la cave, une présence observe l’épilogue de cette tragédie. J’entends encore son chant, je ressasse sa voix dans mes cauchemars, puis au fil des jours d’ennui et d’abandon. Elle m’a offert un but pour justifier mon existence dans ce monde, sans joie, ni espoir. Je lui dois mon identité, ma place dans le cycle du temps. Ma naissance est un crime. Et là où le pardon devient impossible, à quoi bon refuser de tendre l’oreille lorsque la postérité nous tend les bras ? Personne ne se souviendra de moi par amour, alors autant que ce soit par la haine.
Fils unique d’une mère morte en couches et d’un père trop absent, orphelin recueilli par une branche familiale où je ne pouvais pas trouver ma place. Cette présence n’était-elle qu’une âme imaginaire, réconfortante dont j’avais besoin pour compenser un cruel manque d’affection ? Peu importe tant que je m’endors, bercée par sa douce voix.

L’amour est plus fort que le chagrin.
L’amour qui fait battre nos cœurs, va sublimer cette douleur.
Transformer le plomb en or, tu as tant de choses à vivre encore.
Tu verras au bout du tunnel, se dessiner un arc en ciel.
Et refleurir les lilas, tu as tant de belles choses devant toi…
Même si je veille d’une autre rive,
Quoi que tu fasses, quoi qu’il t’arrive
Je serais avec toi comme autrefois
Même si je pars à la dérive
L’état de grâce, les forces vives
Reviendront plus vite que tu ne crois.
Dans l’espace qui lie ciel et terre, se cache le plus grand des mystères
Comme la brume voilant l’aurore, il y a tant de belles choses que tu ignores.
« Françoise Hardy »

Innocent a survécu. Les véritables coupables avec.
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Marc Boyer Bressolles
Une nouvelle type polar spécialement écrite pour un concours !
La difficulté majeure : Pas plus de 12 000 signes... Un vrai challenge.
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Marc Boyer Bressolles


Je suis un Fou.
- Oh pauvre enfant , non tu ne l’es pas ! Tu es un pion. Comme ton frère, ton père, ta mère, tes aïeuls, tes cousins et le fils du voisin. Mais peut-être un jour deviendras-tu une belle tour ? Capable de voir loin et d’avancer d’un pas assuré vers un horizon sans danger.
- Oui, mais si j’étais un Fou ? Pourquoi devoir aller droit, pas à pas ? Ne puis-je courir en diagonale, ou en haut, en bas ?
- Non, mon enfant, car le droit chemin est la seule option vers la sécurité.
- Ne puis-je être cavalier, alors ?
- A dos de cheval, tu serais trop haut et tu pourrais tomber et te rompre le cou !
- Alors je deviendrai roi !
- Pauvre enfant, pour vivre heureux vivons cachés.
- Oui, mais si je n’étais pas fait pour aller droit ?
- Cela ne se peut. La vie n’est pas faite ainsi pour les pions. Un pas, on travaille bien à l’école. Deux pas, on travaille bien tout court. Trois pas, la famille, une maison, un avenir sans risque.
- Oui, mais le bonheur ?
- Il viendra bien au prochain matin, mon enfant. Ou au soir, peut-être.
- Oui, mais si demain n’arrive plus ?
Et son demain n’arriva plus.
Alors, le dos tourmenté par les galets d’une plage déserte, j’attends ma réponse.
Pour aller en diagonale, je vais tout droit. Drôle de démarche pour un Fou.
Si demain fait si peur, pourquoi l’attendre en espérant qu’il soit meilleur qu’aujourd’hui ?
- Dis, je vais tout droit, pas à pas, mais demain reste toujours aussi incertain, alors pourquoi ne pas assumer d’être Fou ?
Et le ciel reste silencieux. La mer ne parle pas davantage. Les nuages se moquent, avant que les étoiles ne prennent le relais. Et les souvenirs répètent inlassablement : sois un pion, et peut-être deviendras-tu une tour, pour que chacun puisse te voir de loin, et ainsi s’inquiéter à ta place, ou te juger.
Mais alors à quoi bon aller tout droit, si le bonheur n’est pas au bout ?
Je demande à un crabe qui passe. Mais il se garde bien de répondre.
Et j’attends.
Sans eau, ni nourriture, je me flétris chaque jour, à ressasser cette question qui m’obsède. Je fane. Je dépéris. Je jongle avec les mots pour comprendre mais rien n’y fait. Un Fou est fait pour être un Fou. Il n,'y a pas d'autre réponse.
Pourquoi aller droit quand un pas de côté suffirait ? J’approche mon pied du bord et une foule de voix résonne à mes oreilles :
- Cela ne se fait pas.
- La vie ne marche pas comme ça.
- Sois un parmi tout, et non un tout pour toi.
- Que vont dire les autres ?
- Et si tu échoues ?
- Et si ? Et si ? Et si ?...
Et si à force de renoncer à être Fou, j’en devenais fou ?
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Marc Boyer Bressolles
Les premiers chapitres d'un roman dystopique, à la thématique sombre, et au ton volontairement provocateur et cynique. En cas d'inspiration et de bons retours, je proposerais ce livre au concours de Folio SF, dont la dead line est pour l'été 2020 !
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Marc Boyer Bressolles


J’entrouvre lentement une paupière, puis l’autre.
Avec une terrible lenteur, mes sens reviennent un à un, et je vacille sous le coup d’une douleur atroce qui me parcourt le corps. Mais mon supplice ne dure pas. Du moins d’un point de vue physique.
L’éclat cuisant du soleil me submerge, et je baigne dans ses rayons comme je l’aurais fait d'une cascade de ma chère Ithaque. Souffrance de la chair mais délice de l’esprit. Je me sens vivre, renaitre, et mes pensées entament une danse d’abord chaotique, puis rapidement ordonnée. De si longues années à parcourir la mer Egée en quête de mon foyer… Ô cruel Poséidon, as-tu enfin assouvi ta vengeance à mon encontre ? M’autoriserais-tu enfin à rentrer chez moi, auprès de ma chère Pénélope et mon fils Télémaque ?
Une fois repu de la chaleur solaire et de ses bienfaits, je finis par me relever du rocher plat sur lequel je m”étais vraisemblablement endormi, après avoir quitté la caverne où me retenait la nymphe Calypso. Et à ce propos… Pourquoi n’est-elle pas prêt de moi, à guetter mon départ ? Je revois encore l’arrivée du dieu Hermès ordonnant à ma geôlière de cesser de me retenir captif, et un frisson me parcourt soudain l'échine, lorsque le souvenir des lèvres de la nymphe sur les miennes revient me hanter. Son ultime présent disait-elle. Tout est si flou…
Après quelques minutes d’égarement, je me décide à descendre sur la plage qui se présente en contrebas, et le contact des galets sur la plante de mes pieds me tire un soupir d’aise. Je m’avance d’un pas décidé vers l’écume, mais une douleur cuisante fauche mon élan, me tirant au passage un juron bien senti. Fiché dans ma chair, un étrange objet aux rebords tranchants laisse filer quelques gouttes de sang lorsque je parviens à le retirer, non sans mal. Je remarque alors un amoncellement d’anomalies similaires, répandu entre les pierres. Et leur vue éveille en moi un malaise inexplicable. Par une poussée téméraire, je me décide à saisir l’objet le plus proche, et l’observe sous toutes les coutures. Il n’est ni en argile, ni en bois… Peut-être en métal ? La texture me semble étrangement lisse, froide au contact. Aussi rouge qu’un coquelicot et blanc par endroit, j’y aperçois une fente dans laquelle j’ose glisser un doigt. Et une grimace défigure mes traits lorsque je m’y entaille la chair. Affolé, je jette au loin cette ignominie, avant de tourner un regard désespéré sur les flots. Et une divinité providentielle semble avoir anticipé ma supplique, car un digne esquif semble m’attendre, oscillant au gré des vagues paresseuses.
Sans hésiter davantage, je m’y jette, avant de hisser une pauvre voile élimée. Je saisis alors deux rames et commence à souquer ferme pour m’éloigner de cette plage piégée par une quelconque sorcellerie.
Une fois perdu sur l'immensité de la mer Egée, j’adresse une prière à Poséidon, espérant qu’il se serait enfin lassé de me tourmenter. Et c’est Eole, dieu des vents, qui me répond en me prodiguant une brise assez vigoureuse pour gonfler ma voile.
Sans eau potable, ni nourriture, mon voyage risque de rapidement toucher à sa fin, mais l’espoir de revoir de nouveau les côtes d’Ithaque suffit à me garder de la peur du lendemain.
Alors que les vents me portent toujours, j’aperçois au loin une masse informe sur les flots calmes. J’oriente alors mon esquif pour étancher ma curiosité, et un cri s’échappe de ma gorge lorsque je finis par saisir la nature du corps flottant sans vie, ni autre mouvement que celui imposé par l’onde. Quel monstre peut-il être l’auteur de ce crime ? Sur l’estomac blanc du danseur des flots, dauphin guide des marins, sont gravés d’étranges stigmates réguliers, entachés de son sang fuyant. Je pose une main tremblante sur sa chair à vif, espérant presque que ce contact lui redonnerait l’impulsion de la vie, mais rien ne se passe. Juste le froid, la mort, le rien.
Et rapidement, mon esquif poursuit sa route vers l’inconnu, abandonnant ce pauvre animal à son oubli anonyme.
A mesure que les nuages défilent, mon humeur s’assombrit, en écho à la luminosité du soleil mourant. Et la nuit se passe, sans que je ne parvienne à savourer le reflet lunaire sur le tapis aquatique qui me sert d’horizon. J’enchaine les ferventes prières aux dieux silencieux, jusqu’à ce que le baiser de Morphée finisse par me faire succomber à la lassitude qui m'étreint.
Un choc sourd me tire de mon inconscience, assez brusquement pour que ma tête alourdie heurte le bois de mon esquif. Et lorsque je relève les yeux vers la cause de mon malheur, je reste bouche-bée face à un spectacle déroutant. Une terre m’offre son immensité, et je ne sais comment l’appréhender. A perte de vue, ni roches, ni végétation, encore moins de sable ou de décors verdoyants, mais uniquement une étendue infinie d’objets amoncelés similaires à ceux qui dénaturaient la plage sur laquelle je m’étais éveillé. Toute couleur, toute forme, ils façonnent collines et valons, mais leur vue me trouble, sans raison apparente. Serais-je dans le pays des Cimmériens, au-delà du fleuve Océan ? Sur cette terre maudite, entrée connue du royaume des morts, gouverné par Hadès l’implacable ?
Non sans appréhension, je me décide à fouler le sol de ce domaine inconnu et effrayant, et je constate que ses aspérités sont à elles seules une véritable torture. Je remarque alors, à proximité de mon esquif échoué, une volée de cadavres d’oiseaux, les cous enserrés dans d’étranges collets blancs et uniformément ronds, et de poissons, mâchoires vomissant des résidus de l’étrange matière qui façonne la terre sur laquelle je me tiens.
De plus en plus effrayé par ce monde étrange, si éloigné de tout ce que j’ai connu jadis, j’adresse une ultime prière à Poséidon, l’impitoyable maitre des mers et des océans, avant d’entamer un périple à travers ces terres inhospitalières. Et peu à peu l’épuisement me gagne. Sans alimentation, ni eau potable depuis la veille, perturbé par cet environnement, je finis par me demander si je ne me trouve pas déjà sous la coupe de l’une des trois juges d’Hadès. Et après des heures de marche, les pieds en sang, et les larmes aux bords de mes yeux brulés par l’ardeur du soleil éternel, je finis par m’écrouler devant un petit monticule, d’où émane une odeur atroce de pourriture. Et c’est en relevant la tête vers les cieux muets que je le vois. Fiché au sommet des immondices, dont il est lui-même souillé. L’or de son manche semble dormir sous une couche sombre et verdâtre, et seuls ses trois dents majestueuses parviennent encore à défier le destin.
Le trident du dieu Poséidon lui-même lutte contre cette étrange matière, dans un combat voué à un inéluctable échec. Pour cet immortel qui m’a tant tourmenté de sa basse vengeance, je ne devrais ressentir qu’indifférence ou même satisfaction, à le voir ainsi défait. Mais les Olympiens sont à l’homme éphémère le rappel d’un pouvoir plus grand, qui le pousse à l’humilité. Et devant cette scène d’un emblème sacré ainsi souillé, je pousse un cri de défi, avant de me ruer vers l’attribut divin en péril. Poussé par une frénésie inexplicable, je frotte l’or terni jusqu’à le faire resplendir de nouveau, en le débarrassant de cette matière si peu naturelle. Et une fois l'arme du dieu des océans redevenue vierge de tout mal, je l'arrache à son socle d’ordures pour le brandir à la face du monde. Je sens alors cette terre factice s’agiter, comme indignée par ma résistance, mais je n’en retire que plus de détermination à implorer les dieux de nos ancêtres. Et à ma grande stupeur, cinq tentacules visqueux jaillissent du sol pour s’emparer de mes membres. Sans y réfléchir, je me raccroche à ce trident fermement tenu en main, comme au dernier lambeau de ma raison, de mon âme peut être. Puis je me laisse emporter par une force immuable, jusqu’à traverser le sol friable pour m’enfoncer dans les eaux sombres.
Mes yeux ébahis croisent ceux d’une créature gigantesque, qui m’observe avec une étrange humanité. Et, c’est sans peur que je la laisse m’entrainer dans les abysses, à jamais silencieux. Là où la corruption de ce monde inhospitalier, dans lequel je ne reconnais rien, ne pourra nous atteindre.
Je ne reverrais surement jamais Ithaque, ma mère patrie. Mais au moins, j’emporte avec moi ce qu’il reste du dieu Poséidon. Puisse-t-il faire germer un renouveau, des profondeurs de son royaume sous-marin…
Que reste-t-il des légendes, des héros et des dieux là où la terre elle-même se voit remplacée par un autre sol qui donne la mort au lieu d’offrir la vie ?
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Marc Boyer Bressolles


La première chose qui me frappa fut une étrange sensation de froid.
Non un banal inconfort dû à une chute de température, mais un effet d’engourdissement des muscles, du corps et de l’esprit. Une impression angoissante d’évoluer dans du coton, à travers rien et tout à la fois, dans une obscurité totale.
Ce fut la douleur purement physique qui reveilla mes sens et repoussa brutalement cette doucereuse léthargie. La rencontre entre mon corps et le sol me tira un juron bien senti, d’une voix juvénile que j’eus du mal à reconnaître. Le nez en sang, j’ouvris les yeux et distinguais les aspérités de la pierre taillée, à la surface recouverte d’une fine couche de poussière. Encore à moitié sonné par l’impact, je finis par me relever, dans un gémissement, pour tourner mon regard émeraude en tous sens.
A première vue, l’immense salle dans laquelle je venais d’atterrir m’évoqua une modeste église, chichement éclairée par la lueur verdâtre d’une arche étrange, dont le centre semblait constitué de volutes de brouillard de la même teinte. Une structure légèrement surélevée par un promontoire d’une poignée de marches inégales. Au vu de ma position actuelle, il ne me fallut pas longtemps pour déduire que je venais d’être tout simplement éjecté de cette construction pour le moins atypique. Malgré une douleur lancinante issue de ma chute, je m’avançais vers l’arche et manquais de bondir en arrière, lorsque mon image se refléta sur sa surface relativement plane, malgré la brume qui menaçait de s’en échapper.
Non que mon reflet fut d’ordinaire une cause de malaise, mais je restais estomaqué à la vue d’une version de moi à peine sortie de l’adolescence. Machinalement, ma main se promena sur mes joues recouvertes d’un fin duvet, passa sur mon front lisse et mes traits bien trop juvéniles pour un homme plus proche de la quarantaine que de l’école maternelle. Uniquement vêtu d’un pantalon de lin beige, de sandales malcommodes et d’une chemise grisâtre informe, je pris conscience que cette apparence m’évoquait un retour dans des pans lointains de mon passé. Sans risque d’erreur, je pouvais affirmer avoir rajeuni d’une quinzaine d’années au bas mot. Ou du moins avoir retrouver non seulement mon physique mais aussi la pauvreté de mes guenilles d’un début de vie d’adulte rendu traumatisant par une misère matérielle dont j’avais grandement souffert. Encore sous le choc de ce rajeunissement incongru, je finis par me détourner de ce qui semblait être un étrange miroir, et me rendis compte qu’aucune lumière naturelle ne venait éclairer les vitraux qui perçaient la structure de l’église. De plus en plus mal à l’aise et angoissé face à une situation incompréhensible, je me décidais à prendre la direction de l’unique sortie : une porte de bois vermoulue, dont l’un des battants s’ouvrait sur un long couloir de rocaille mal taillée. Une fois passé la travée centrale formée par deux séries de bancs en piteux état, je m’engouffrais dans l’ouverture et manquais m’évanouir lorsqu’une odeur pestilentielle agressa mes pauvres narines. Mélange de pourriture et de moisissures, l’atroce fumet m’obligea à accélérer le pas, malgré l’absence totale de lumière. Une main sur le mur aux aspérités irrégulières pour m’éviter de tomber sur le sol humide, j’eus le plus grand mal à faire l’impasse sur une nausée persistante et un sentiment de panique.
Mon dernier souvenir ? Juste l’image de mon corps d’adulte. Des lunettes fines, un costume trois pièces sombre, agrémenté d’une cravate rouge. De beaux souliers vernis et une expression déterminée gravée sur mon visage aux traits creusés par la fatigue. Mais du reste… Rien, hormis quelques flashs, sentiments indéfinissables et souvenirs nébuleux soucieux de flotter aux frontières de ma conscience.
Ce fut donc avec un soulagement qui manqua de me faire verser quelques larmes d’épuisement que je finis par débouler dans une sorte de cave, après une dizaine de minutes d’avancée malaisée. L’éclat mouvant d’une torche accrochée sur un mur face à moi m’accueillit et déclencha en mon for intérieur un sentiment de soulagement, similaire à celui que j’aurais ressenti une fois baigné dans la lueur solaire. Mon courage retrouvé, j’avalais la vingtaine de mètres qui me séparait de ce phare d’espoir pour constater la présence d’un escalier que je me hâtais d’emprunter. Ma précipitation me fit aussitôt trébucher, mais même la douleur causée par l’impact de mon genou sur les marches froides de pierre ne parvint pas à me ralentir. Et en quelques enjambements, je finis par m’extirper d’une colonne de marbre, ouverte en deux, pour mettre le pied sur un parquet récemment ciré. Les yeux plissés par l’éclat timide du soleil couchant qui baignait la pièce, je compris rapidement que je me trouvais dans une sorte de chambre à coucher. Endormie au centre d’un grand lit à baldaquin, une femme d’un âge canonique ronflait sans retenue. Le visage fripé comme une pomme rabougrie, la vieille aux bois dormants ouvrit brusquement les yeux, à mon premier mouvement, et me fusilla d’un regard d’acier.
Euh… Bonjour… hasardais-je, par réflexe.

Sans un mot, la vieille se releva maladroitement, et se dirigea vers moi pour me saisir le poignet droit de ses doigts crispés, comme les serres d’un oiseau de proie. Stupéfait par ce comportement étrange, je me laissais entraîner hors de la chambre, dans un couloir recouvert de lambris sombres et de tableaux effrayants. Les paysages macabres défilèrent sans interruption, jusqu’à ce que notre duo incongru n'atterisse sur un palier délimité par une rambarde qui nous guida vers un escalier de marbre, que mon guide muet s’empressa de nous faire dévaler.
A peine ai-je eu le temps d’observer le hall d’entrée sur lequel nous venions de mettre pied, grande pièce déplafonnée qui avait dû connaître des jours bien meilleurs au vu des tapisseries mitées et des bibelots recouverts de poussière, que la vieille femme ouvrit d’une main une porte massive de chêne et me flanqua dehors, en profitant de ma surprise. Pris de court, je sentis le sol se dérober sous mes pieds, et je chutais le long de cinq marches de bois, cul par-dessus tête. Vexé, le visage rouge de confusion face à un tel traitement, je me figeais lorsqu’une poignée de rires tinta à mes oreilles.
Un nouveau venu ! Il est mieux que le précédent. Hey, c’est de moi dont tu parles, Bérénice ! Merci, je suis au courant ! Arrêtez, vous allez le faire fuir ! Bah, pour aller où ?...

Perplexe et confus devant ce flot de propos décousus, je gardais un silence de bon aloi face au trio qui se tenait à quelques pas de moi.
Deux jumelles d’âge mûr, l’une légèrement plus grande que sa sœur, aux fossettes prononcées, pourvues d’une même généreuse chevelure blonde domptée par des couettes ou par une simple queue de cheval, et différenciées par un choix entre une robe couleur blé et une tunique écarlate. Entre les deux, un jeune homme, pas plus vieux que moi… Ou du moins que mon moi actuel, me dévisageait de ses prunelles ambrées. Plutôt fin, le garçon portait une salopette trop courte pour seul vêtement et fut le premier à me tendre la main pour m’aider à me relever, vite accompagné par les jumelles qui me saisirent chacune par un bras, sans tenir compte de ma gêne.
Tu n’as rien à craindre, tenta de me rassurer le jeune homme, tout sourire. Nous sommes tous passés par là… Thomas n’est arrivé que depuis une semaine ! le coupa la jumelle à la queue de cheval. Je… D’accord… Merci… Je m’appelle… Euh… balbutiais-je, incapable de me souvenir de mon prénom, malgré mon envie de me présenter.

Après m’avoir relâché, les deux femmes et le dénommé Thomas se concertèrent de regards entendus, avant que ce dernier ne reprenne la parole, le visage empreint de compréhension.
Aucun de nous ne se souvient de sa véritable identité. Pas la peine de t’inquiéter pour cela. Ici, nous possédons un numéro et nous sommes libres de choisir le prénom que nous voulons. Mais… C’est quoi ce délire ?! protestais-je, à la limite de la crise d’angoisse. Où sommes-nous ? Notre village s’appelle le Bourg Figé, me répondit la jumelle aux couettes, sans se soucier de mon éclat de voix. Nous sommes tous passés par le miroir par lequel tu viens d’arriver. On va te faire visiter, et notre maire, Kendra, répondra à toutes tes questions.

Totalement dépassé par les évènements, je me laissais entraîner vers une poignée de masures dont la disposition formait une allée au bout de laquelle trônait un sablier aux dimensions colossales, encastré dans une fontaine. Le flot aquatique projeté par une dizaine d’anges dodus et de démons humanoïdes de pierre, plongeait dans un large bassin au fond insondable. Mais l’aspect qui m’étonna le plus fut une aiguille d’or, située au sommet du sablier et immobilisée sur une date en lettres sculptées : « 29 septembre 1727 ». A l’autre extrémité de la structure, la mention de « Fin du monde » me fit frissonner sans raison apparente. A bien y regarder, je finis par réaliser que si l’aiguille devait reprendre sa course, elle finirait inévitablement par stopper sa course sur cet augure lugubre au possible.
Ne t’inquiètes pas, me chuchota Thomas, d’un ton complice. Personne dans le bourg n’a jamais vu le sablier se remettre en marche. Les grains de sable sont comme figés, et ils ne s’écoulent plus. Nous sommes donc en… 1727 ? hasardais-je, la bouche sèche. Aucune idée. Mais nous partons du fait que c’est le cas.

Les jumelles attirèrent alors notre attention sur une structure située de l’autre côté du bassin, à l’opposé de la haie d’habitations. Coincé entre ce qui semblait être une sorte de taverne et une modeste boutique alimentaire, à la devanture composée de fruits de verger et d’une poignée de légumes mal en point, un édifice de plein pied semblait le centre de l’attention de mon trio de guides. Au coeur d’un espace vert parfaitement entretenu, la bâtisse de grande dimension s’ouvrait sur une allée de pierres polies sur laquelle m’entraina Thomas, à la suite des deux femmes enthousiastes. Nous passâmes une ouverture dénuée de portes pour pénétrer dans une sorte de salle de réunion, conçue et décorée dans une optique visible de convivialité. Chaque mur, pierres à la base surmontée de lambris clairs, supportait des tapisseries aux teintes vives, que j’identifais rapidement comme un rappel des quatre saisons. Au centre de l’unique pièce trônait une table en « U » recouverte de bols, de tasses, de dessins et de parchemins sur laquelle une jeune femme replète semblait occupée à dessiner des plans, à l’aide d’une règle d’un autre âge. A peine un pied posé à l’intérieur de la structure qu’une odeur piquante de menthe fraiche vint titiller mes narines. J’aperçus alors une floppée de pots de terre destinés à la cueillette de plantes aromatiques dans un recoin, proche de l’entrée.
Kendra ! Nous avons un nouveau venu ! la héla, la jumelle à la queue de cheval, avant de se diriger vers l’inconnue pour l’embrasser sur la joue.

D’abord étonnée, la femme se leva d’un bond pour venir me prendre les mains avec une infinie douceur, sans tenir compte de ma réserve.
Sois le bienvenu à Bourg Figé, numéro 17. C’est un réel plaisir de t’accueillir. Un toit t’attend, ainsi qu’un repas chaud. Et un bain… chuchotta Thomas, un sourire discret peint sur ses lèvres juvéniles. Une seconde ! m’écriais-je, sans que l’expression des personnes présentes ne change d’un iota. Je n’y comprends rien ! Comment suis-je arrivé ici ?! Quel est exactement ce lieu, et savez-vous qui je suis ? Pourquoi me donnez-vous un numéro ?! Calme toi… m’intima la dénommée Kendra, en resserrant la douce étreinte de ses doigts sur mes mains secouées de tremblements. Viens avec moi. Je pense que les mots ne suffiront pas à t’expliquer la situation.

Face à ce regard empreint de bonté et aux encouragements muets des jumelles et de Thomas, je finis par baisser les yeux, vaincu par une sombre résignation. Sans repères, perdu et épuisé par ma course hors de l’église, je ne pouvais que suivre le fil de l’eau, poussé par l’espoir d’enfin comprendre cette situation perturbante. L’espace d’un instant, j’eus l’impression de patauger dans une sorte de rêverie, mais je dus bien vite me résoudre à l’idée qu’il ne s’agissait là que d’une folle espérance. Or le déni demeurait bien l’un de mes pires ennemis, dans ma tentative pour comprendre mon environnement actuel. Autant accepter les faits, pour tenter de survivre sans devenir totalement fou ou dépressif.
Après s’être assurée que je lui emboitais le pas, Kendra sortit de la structure accueillante pour prendre la direction de la fontaine. Mais au lieu de s’y attarder comme je m’y étais attendu, la dirigeante du Bourg passa dans la ruelle qui séparait le petit commerce d’un espace vert dominé par un pommier pour quitter la zone du village. Flanqué de Thomas et des jumelles, qui murmuraient entre elles, je finis par rejoindre Kendra, une fois qu’elle se fut immobilisée en bordure d’un brouillard si dense que je fus incapable de voir au travers, de prime abord.
Cette brume forme les limites de notre village, m’annonça la dirigeante, d’un air sérieux. Ceux qui ont la témérité ou l’inconscience de s’y enfoncer ne reviennent jamais. Cela veut dire que nous sommes… Prisonniers ?! m’exclamais-je, la gorge serrée. Pas exactement, tempéra Thomas, suite à une approbation silencieuse de Kendra. Certains d’entre nous tentent de fuir en traversant le miroir, par lequel tu es arrivé, comme nous tous. Certains reviennent, d’autres non. Mais ce n’est pas tout, intervint de nouveau la maire, avec douceur. Approche ton visage de la brume…

Méfiant malgré moi, je finis par m’exécuter, non sans réticence. Et à ma grande surprise, à peine discernable à travers la purée de poix, je finis par apercevoir une rangée d’arbres morts, baignée par l’éclat de la lune. Le choc que me causa cette vision, me fit reculer de stupeur, et la jumelle aux couettes me rattrapa de justesse avant que je ne tombe sur mon séant.
Mais pourquoi fait-il nuit de l’autre côté, alors qu’ici le soleil est encore levé ?! Personne ici n’est en mesure de te répondre, numéro 17, m’avoua Kendra. Tu dois bien comprendre que nous vivons ici depuis bien longtemps, résignés à notre sort. Mais tu constateras vite que notre petite communauté offre bien des plaisirs simples : fraternité, entraide, cohésion… Nous sommes avant tout une famille. Oui, une fratrie numérotée… ricana la jumelle à la queue de cheval.

Sans tenir compte de cette intervention, Kendra reprit la route du Bourg Figé, nous entrainant à sa suite. D’humeur sombre, je gardais un silence choqué que sembla comprendre le trio qui m’avait accueilli.
Une fois de retour dans la salle commune, je constatais qu’un nouveau venu avait pris place sur la grande table. Devant l’inconnu, des dizaines de pierres précieuses offraient un camaïeu de couleurs étincelantes, sans que cela n’affecte leur propriétaire, trop occupé à agiter un étrange pendule de bois au dessus d’un parchemin. Améthyste, émeraude, œil de tigre, pierre de lune, rubis, obsidienne, quartz rose et ambre se disputaient un espace pourtant généreux.
Kendra ! s’écria l’étrange bonhomme, tout en rajustant un monocle sur son oeil gauche. La rumeur dit qu’un petit nouveau vient de nous rejoindre… Ah, le voilà !

L’inconnu se releva maladroitement de sa chaise et s’approcha de moi d’une démarche digne d’un homme ivre. Sa redingote mitée, son pantalon de toile et ses pieds nus crasseux constituaient une apparence bien étrange pour un trentenaire maigre comme un fil, mais non dépourvu d’un charme naturel. Roux comme une carotte, l’autochtone était affligé d’une étrange cicatrice similaire à un filet de cendre qui lui barrait le visage de part en part.
Antonin, ou numéro 13 si tu préfères ! Enchanté ! m’asséna t-il en me secouant la main comme il l’aurait fait d’un chiffon en feu. L’un des derniers d’entre nous qui a franchi le miroir et surtout qui en est revenu… révéla Thomas, dont les propos semblèrent plonger l’étrange personnage dans une nervosité contagieuse. C’est également notre spécialiste dans la compréhension de cet environnement et de l’histoire du village, ajouta Kendra, avant de prendre place autour de la table en “U”.

Alors que je me dirigeais à sa suite pour prendre place face à elle, je constatais que les jumelles venaient de quitter les lieux. Thomas me rassura d’un mouvement de tête, avant de leur emboîter le pas.
Je conçois que tu dois être légèrement perturbé par ton arrivée parmi nous, m’apostropha Antonin, après avoir posé son séant sur un coin de la table, non loin de moi. C’est tout à fait logique, et je vais tâcher de te révéler les éléments de base… Même s’il ne s’agit que de théories ! Les plus plausibles de notre point de vue à tous, coupa Kendra, avant de replonger dans un mutisme attentif. Oui, voilà… Bref. Depuis un temps inconnu, des individus arrivent en ce lieu via le miroir par lequel tu es toi même passé. Nos archives les plus anciennes remontent à 88 ans, et d’après notre doyenne, des hommes et femmes vivaient déjà ici bien avant les premières tentatives de recensement. Tu as déjà dû rencontrer notre ancienne. Elle est là seule à résider dans le Manoir, et nous la surnommons le Cerbère… Parce qu’elle garde l’accès au Miroir ? hasardais-je, le front plissé. Exactement, approuva Kendra, tout sourire. En gros, si nous donnons des numéros c’est pour garder le compte des habitants et ne pas dépasser un certain quota qui pourrait mettre en péril notre capacité d’auto-suffisance… avoua Antonin, en se dandinant d’un pied sur l’autre. Et cela permet aussi de lister ceux qui disparaissent et ceux qui arrivent… Y a-t-il eu d’autres numéros 17 ? demandais-je, sans trop savoir pourquoi. Tu es le cinquième, confessa la dirigeante, les yeux baissés.

Pris d’une soudaine intuition, Antonin attrapa l’un des nombreux parchemins posés devant lui et me le tendit, avant de m’expliquer son intérêt.
Selon mes comptes, 248 personnes sont devenues des citoyens de Bourg Figé, depuis les premiers recensements. Et nous ne sommes que 17, aujourd’hui ?! m’écriais-je, les yeux écarquillés de surprise. Oui, finit par lancer Kendra, après un long silence. Certains d’entre nous finissent par devenir fous à force de rester dans un village aux frontières si restreintes, et se suicident en traversant le brouillard. D’autres passent le miroir et ne reviennent jamais. Et lorsque l’un d’entre nous atteint un âge avancé, il disparaît sans laisser de trace, révéla Antonin. Et vu que nous sommes tous et toutes stériles, nous ne connaissons aucune naissance. Donc notre nombre diminue à chaque disparition, sans possibilité de renouvellement de la population. Mais quel est cet endroit, au final ? demandais-je, la voix stridente.

A mon grand agacement, la dirigeante et le recenseur s’interrogèrent du regard, avant de se mettre tacitement d’accord. Kendra reporta alors son attention sur moi avant de tenter de m’expliquer, d’un ton terriblement professoral.
Comme l’indique le sablier qui trône sur la place centrale, nous sommes coincés en 1727. Mais hors de notre village, à travers la brume sombre le temps continue à défiler. Certains d’entre nous aiment parfois observer le décor à travers, comme tu l’as fait tout à l’heure, et peuvent apercevoir des personnes étrangement vêtues mais incapables de nous voir ou de nous entendre. Il y a de cela quelques années, un homme mystérieux est arrivé par le miroir, mais son esprit ne trouva jamais la paix. Durant des jours, il erra entre le bourg et la brume en hurlant qu’il débarquait de l’an 2019 et qu’il venait d’échapper à la fin du monde. Puis, un matin, on ne retrouva aucune trace de lui… Mais j’ai fini par émettre une théorie grâce à ce dément. Chaque année, nous notons les modes vestimentaires et les étranges outils que portent les individus qui évoluent de l’autre côté de la brume. Et nous constatons un changement évolutif puis régressif. Concrètement, je pense que le temps poursuit sa route, puis revient en arrière dans une sorte de boucle sans fin. En une année dans notre village, plusieurs siècles semblent s’écouler de l’autre coté, éclaircit Kendra. Puis tout recommence, les mêmes personnes au même moment. Nous tenons même une sorte de calendrier pour aller observer tel ou tel individu à un moment donné, identique chaque année. Mais… Et le miroir ?! lachais-je, de plus en plus effrayé par l’histoire démente qu’ils me contaient. Nous pensons qu’il s’agit d’une porte qui nous transporte de l’autre côté de la brume, en relative sécurité, me répondit Antonin. Du moins, certains finissent par revenir, comme moi. Mais ils ne gardent aucun souvenir de leur voyage ou de leur séjour. Avant que tu ne poses la question, c’est la première fois que tu foules nos terres. Oui, j’allais y venir, approuva le recenseur au monocle. Et nous allons bien entendu, t’offrir une place de choix au sein de notre communauté !

Assommé par toutes ces révélations plus folles les unes que les autres, je saisis ma tête à deux mains, les yeux clos, et tâchais de faire le tri dans mes idées sombres. J’étais prisonnier de ce monde de tarés… Je ne savais plus qui j’étais, d’où je venais, si je manquais à quelqu’un…
Rester ici des années, jusqu’à ma mort, très peu pour moi ! Un sentiment d’urgence venu des tréfonds de mon subconscient me submergea soudain, m’arrachant un cri de révolte et de pure colère.
Sous les regards effrayés de Kendra et d’Antonin, je me relevais tel un possédé et saisis ma chaise à pleine main pour la propulser contre un mur. Sourd à leurs cris et suppliques, je courus hors de la salle commune pour me diriger vers le manoir. Sur ma route, je croisais les jumelles puis Thomas, dont les voix inquiètes résonnèrent dans mon dos. Je n’en tins pas compte, malgré la culpabilité qui commençait à serrer mon coeur, déjà mis à rude épreuve par ma vigoureuse foulée.
Sans ralentir, je bondis au dessus de la volée de marches, pour ouvrir la porte de l’austère édifice. Une fois l’escalier franchi, et le couloir avalé, j'atterris face à la vieille sorcière dont le regard me figea sur place. Compassion et compréhension dominaient le rictus figé sur son visage ridé, à travers des larmes silencieuses.
Mais même cela ne me fit pas hésiter plus de quelques secondes.
Comme poursuivi par le Malin lui même, je m’engouffrais dans la colonne de marbre gagnais en un temps record l’entrée de l’église souterraine. Face à moi, le Miroir dominait mon champ de vision de sa haute stature. Et sans laisser libre court à mes appréhensions, je courus vers lui, sans ralentir d’un iota lorsque je heurtais sa surface, dont la texture m’évoqua un drap de coton qui céda rapidement sous mon poids.
Je me sentis alors plongé dans une douce torpeur. Un voyage onirique, reposant, apaisant même qui prit fin lorsque mon visage heurta un sol froid et poussiéreux.
A moitié sonné par l’impact, je parvins toutefois à relever le visage, lorsque j’entendis un soupir désabusé. Face à moi une vieille femme au faciès aussi rabougri que sa silhouette voutée m’observait d’un regard peiné, aux cotés de jumelles silencieuses. Mains réunies, les deux soeurs tournèrent leur attention vers un jeune homme qui s’agenouilla à mes cotés, avant de poser une main amicale sur l’épaule.
Te voilà enfin, numéro 17… Sois de nouveau bienvenu chez toi. Nous sommes venus t’escorter jusqu’au village avant que notre dirigeante, Kendra, ne t’explique la situation.

Mais de quoi parlait ce parfait inconnu ?! Je ne l’avais jamais vu, ni lui ni les autres personnes présentes !
Encore très affaibli par mon mystérieux voyage, dont je ne gardais qu’un souvenir embrumé, je laissais le jeune homme m’aider à me relever. Je tournais alors machinalement le regard vers l’arche par laquelle je venais de sortir, et fus surpris d’y apercevoir mon image. Je poussais alors une exclamation de stupeur à la vue de la petite cicatrice similaire à de la cendre qui courait de mon menton à ma joue.
Totalement hypnotisé par le reflet de ce stigmate, je ne parvins à réagir que lorsque des doigts noueux se posèrent sur ma nuque pour m’obliger à me détourner du miroir encastré dans l’arche aux dimensions imposantes. Mon regard confus plongea alors dans celui de la vieille femme qui m’adressa un murmure de ses lèvres gercées.
Bon retour de l’avenir, mon garçon…
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Marc Boyer Bressolles
La jeunesse éternelle a beau être la meilleure assurance qui soit face aux ravages du temps, elle ne protège pas toujours des humeurs de la faucheuse.
Alors quand la prestigieuse invitée de l’agora des nécromants de Toulouse est contrainte d’effectuer son dernier voyage sans avoir eu l’occasion de révéler ses ultimes secrets, les langues se délient et les pires intentions se révèlent, sur les tapis moelleux de la haute société qui se prélasse aux abords de la Garonne. Prisonniers d’une toile d’intrigues tissée par leurs impitoyables aînés, Ambre et Rodéric, deux jeunes enquêteurs débrouillards, vont devoir éclairer les zones d’ombre d’un crime à multiples facettes. Un meurtre parmi tant d’autres dans la ville rose, mais dont la particularité est qu’il concerne une immortelle.
Parcourez les ruelles étroites de Toulouse aux côtés d’un duo de détectives novices et d’un vénérable bibliothécaire roublard et calculateur, pour démêler les fils d’une intrigue où la politique se mêle de surnaturel, d’occulte et des secrets d’une communauté avide de conserver la vie éternelle qui coule dans ses veines, sans se soucier du prix de ce don divin.
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Marc Boyer Bressolles

Dos contre cette maudite porte, je relève une paupière, puis l’autre. Le souffle court, je porte la main à mon coeur dans une vaine tentative pour en calmer les battements saccadés. Ici, je suis en sécurité.
Enfin, je crois.
Comment un grand gaillard de vingt-deux ans comme moi peut-il ainsi succomber à cette peur irrationnelle ? Je l’ignore, mais je n’irais pas le crier sur les toits ! Bonjour la honte…
Il fait chaud ici, mais je n’en retire pas pour autant mon manteau d’hiver et l’écharpe qui enserre mon cou musclé.
Devant moi s’étend l’infini d’un couloir sombre dont j’arpente la longueur chaque jour, chaque nuit, sans lassitude, ni impatience. Et j’ai beau froncer les yeux, je n’en distingue toujours pas la sortie. Murs, sol et plafond sont d’une même teinte obscure et ne montrent aucun signe d’irrégularité. Tout est parfait.
Bien décidé à reprendre ce voyage, je me redresse sans pour autant me retourner vers la porte de verre opaque qui me sépare de la créature. Ce monstre atroce qui me hante à chaque minute, à chaque seconde, depuis des années… J’ai beau le fuir, il finit toujours par me rattraper, hormis parfois le long de ce couloir.
Je m’avance de quelques pas, les yeux tournés vers le mur qui défile à ma droite. Un tableau apparaît soudain, en même temps qu’un sourire sur mon visage aux traits juvéniles. Je me souviens de cette scène… L’été dernier, sur la plage de Narbonne. Mon doigt se promène machinalement sur les visages familiers et amis. Ils sont tous là. Thomas et ses abdominaux saillants, Hugues et Nicolas occupés à noter les filles, et moi, l’air bête, la peau aussi blanche qu’un cachet de doliprane, assis sur le sable trop chaud. Une superbe journée, dont je me remémore chaque détail.
Mais un souffle rauque dans mon dos m’extirpe de ces souvenirs heureux. Non, il m’a retrouvé ! C’est impossible !
La peur au ventre, je détourne les yeux du tableau rassurant, et m’enfuis le long de ce sombre couloir sans fin. A intervalles réguliers, d’autres toiles défilent, sans que je n’y prête attention. Mais l’une d’entre elle finit par me stopper dans ma course. Mes yeux s’écarquillent devant l’image de cet homme au faciès familier. Une épée entre les mains, il braque un regard empli d’une farouche détermination sur une ville en feu. Quelques chiffres apparaissent soudain à ses pieds. Un compte à rebours ? Viendra-t-il me sauver ? Oui, j’en suis certain ! Mon doigt s’approche de sa main, et ce contact froid me submerge d’émotion. Il va revenir une fois encore, je le sais désormais… Un cri m’échappe quand un râle résonne à mon oreille. Il est là, tout prêt ! Comment ?! Je l’ignore mais cela n’a aucune importance ! Ne cessera-t-il donc jamais de me traquer ?
Je m’élance de nouveau, avale les mètres sans m’essouffler, et ne m’arrête qu’une fois assuré de l’avoir semé. Aucune sortie en vue, mais qu’importe. Un troisième tableau m’attire, et je finis par me planter devant, les yeux brillants de larmes. Combien sont-ils ? Soixante ? Cent, peut-être ? Aucun n’est adulte. Leurs corps meurtris, parfois mutilés, jonchent la plaine à perte de vue. Le soleil à l’agonie n’arrange rien à l’aspect morbide de la scène. D’un instant à l’autre, la nuit devrait plonger ces âmes dans l’obscurité bienveillante, et cacher à nos yeux cette scène atroce. Mais rien ne bouge. Le temps semble suspendu. Les hommes sont-ils donc des monstres ? Le visage couvert de sang d’une gamine occupe le coin gauche du tableau. Méritait-elle un tel sort ? Ne pouvait-on rien faire ?! En touchant de mon doigt la surface froide qui me révèle ce drame humain, j’entends une foule de voix indignées. Un choeur de pleureuses qui compatissent, hurlent leur tristesse et vomissent mille insanités sur les criminels anonymes. Leur dégoût est le mien. Leur impuissance égale à celle qui me mine.
C’est alors qu’il surgit du néant.
De ses griffes, il me repousse contre le mur que mon épaule heurte douloureusement. C'est la première fois qu'il me touche. Et je ne peux le combattre, je le sais. Alors je retourne à ma course, sans prêter garde à ses cris indignés. J’avale la distance qui nous sépare, la tête baissée.
Laisse-moi tranquille, bordel !
Une voix familière finit par me figer sur place. Je m’approche alors du tableau le plus proche, et y voir apparaitre le visage de ma mère. Deux mois déjà… Elle souffre de mon absence, cela se lit dans ses yeux noisette. Mais elle ne me dit rien de sa peine. Je l’écoute avec attention, et hésite à lui répondre tant ses inquiétudes me dévorent. Je m’éloigne alors de cette image maternelle, et reprend ma course. Le monstre me talonne, je le sais. Je le sens. Je l’entends hurler dans mon dos. J’adresse une prière muette aux forces invisibles. Tenez-moi hors de sa portée ! Je ne veux pas le voir, l’entendre, le toucher ! Je n’aspire qu’à la liberté et au calme qu’il semble si désireux de me retirer !
Ses cris redoublent d’intensité, des pleurs s’élèvent. J’ai beau me boucher les oreilles et gémir d’agacement et de peur, rien n’y fait !
C’est alors qu’un tableau fait taire ces plaintes de sa seule apparition. Je rougis et sens monter en moi une passion dévorante. Mon doigt secoué de tremblement s’approche de sa cuisse dénudée, et s’y pose comme pour se rattacher à cette vision enchanteresse. Bordel, que cette femme est belle… Un corps parfait… Je ne sais que faire, hormis contempler la perfection de ses formes plantureuses.
Et un cri outragé m’échappe lorsqu’une voix monocorde brise l’enchantement par quelques mots dénués de sens.
L’obscur des murs lisses laisse place à une vive lumière, qui m’oblige à cligner des yeux pour m’en protéger.
Je retire alors l’implant de ma tempe, et tourne un regard apathique vers le fond de la rame. A deux places de moi une adolescente débraillée pleure comme une madeleine, dans les bras d’une femme entre deux âges. Cette dernière lui tient la tête contre sa poitrine, et braque sur moi un regard empli de dégout. Sans comprendre la raison de son animosité, je me relève et m‘étire, avant de sortir par les portes coulissantes qui s’ouvrent devant moi. Nous sommes déjà au terminus ?
Une plainte indignée m’échappe lorsqu’un duo de flics, accompagné d’une poignée d’agents de sécurité, manque de me bousculer en entrainant un gars louche vers la sortie du métro. Par réflexe, je resserre mes doigts autour du miroir, qui reposa sur ma paume, et m’agace de cette scène de violence policière manifeste.
Mais avant que je n’ai eu le temps de communiquer mon indignation au monde entier, une notification écarlate attire mon oeil. Hugues vient de partager une pétition contre les violences faites aux femmes. On ne compte plus les plaintes pour viol, depuis le début de l’année. Qul putain de fléau... Mon index valide aussitôt mon soutien par un l'image d'un pouce levé, qui se met à flotter au dessus du miroir. Je replace alors l’implant sur ma tempe, et des voix commencent à défiler. Indignation, colère, questionnement. Comment les femmes peuvent-elles craindre de sortir de chez elles en 2040 ?! Ca me dépasse !
On vit vraiment dans un monde de merde.
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Marc Boyer Bressolles
Du haut de son promontoire, Monsieur Henry Duchemin observait les toits typiques de la ville rose. Une mer de briques colorées, formant un décor qui oscillait entre tradition et modernité. Quelques immeubles ça et là, ilots perdus au milieu des maisons anonymes, la haute stature du Capitole, et l’harmonie des ruelles s’étirant le long du flot paresseux de la Garonne. Mais l’attention du député se porta rapidement sur une structure atypique, qui aurait été considérée comme incongrue dix ans auparavant. Prenant sa base à la périphérie de la rocade, un gigantesque dôme protégeait Toulouse d’un environnement extérieur toxique. Pas de véhicules polluants, pas de klaxons intempestifs, ni de fumées d’usines. Uniquement le chant des oiseaux sélectionnés au préalable par le comité écologique, les rires des enfants, et le tintement des sonnettes des vélos qui déambulaient au gré des résidents éduqués à la mobilité douce. Bref, un véritable paradis sur Terre. Alors certes, les oppositions étriquées dénonçaient le sort réservé aux non-urbains, exclus de fait de la protection du dôme, et contraints de payer par l’impôt la construction d’un édifice dont ils ne pourraient bénéficier dans l’immédi
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Marc Boyer Bressolles


Je ne te connais pas.
Je ne sais rien de tes rires, de tes toi, de tes peurs.
Je devine l’éclat de tes yeux plongé dans les miens.
J’imagine la douceur de ta peau, mon nom sur tes lèvres.
Je rêve d’un cœur double vibrant d’une même passion.
De tes mots, baume sur mes plaies.
De tes sourires, soleil de mes nuits.
De ta présence, roc dans ma vie.
De ces doigts posés sur les miens.
A chaque battement, je te cherche.
Tout en étant un, nous serions tout.
Tu es là, je le sais, à l’orée d’un chemin.
Et sans te connaitre, toi étranger, je te chéris d’un amour aveugle.
Te savoir au crépuscule me suffit.
Prends le temps d’entrer dans ma lumière.
Laisse-moi deviner ta silhouette.
Discerner ce que je sais sans certitudes.
Te reconnaitre en voyageant hors de mes songes.
Te tendre la main comme s’il s’agissait d’une évidence.
Même sans contact, je sais qui tu es.
Levons nos mêmes regards vers la lune pleine.
Où que tu sois, j’y suis.
Amour, vole à moi.
Je saurais te reconnaitre sans t’avoir jamais aperçu.
Deux âmes entremêlées n’ont besoin que de Foi pour vibrer d’un même écho.
Amour, prends ton envol.
Et caresse donc mes joues de ton souffle léger.
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Marc Boyer Bressolles
Tout chemin débute par un pas. Un regard, la perception d’un environnement. Un souvenir brumeux, diffus, mais assez ardent pour marquer une psyché fragile avec la hardiesse d’un foyer ravivé. L’histoire d’une vie commence par un rire ou un sanglot. Parfois un chant ou une comptine. Dans mon cas, ce fut par un cri. Le râle d’un ogre m’intimant de m'imprégner des règles tacites d’une famille porteuse d'un sombre héritage. Le silence. Pour moi qui balbutie mes premiers mots, sitôt quittent-ils la barrière de mes lèvres qu’on les réprouve. Le Verbe n’est autre que le souffle d’une âme, dont elle use pour tisser un lien avec le réel. Le timbre, la vague d’un ego, la teinte d’un cœur qui ne saurait mentir. Parler, c’est tendre une main à l’autre. L’inviter à déceler un commun, l’extirper d’une solitude. La mienne n’en fut que plus amère. A peine conscient de ce monde étrange et empli de promesses, on me maudit en m’ôtant le droit à l’indignation. Se taire, telle est la loi sous ce toit. L’ogre me soulève, me plaque au mur, me secoue et me hurle son mal-être, dont je ne suis qu’une victime expiatoire. Je réplique, terrorisé mais bravache, et cette scène se grave dans nos mémoires, pour re
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