Suivez, soutenez et aidez vos auteurs favoris

Inscrivez-vous à l'Atelier des auteurs et tissez des liens avec vos futurs compagnons d'écriture.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
Image de profil de 10212774901627339

Stéphane Bosso

Casablanca.
Retrouvez-moi sur Twitter|Facebook

Je suis déjà passé par Scribay il y a quelque temps, mais une aventure éditoriale chez Rocambolle m'a un peu éloigné de la plateforme. Je reviens avec de nouveaux textes. N'hésitez pas à commenter, à critiquer… à échanger.

Je vous souhaite une excellente lecture.

4
œuvres
0
défis réussis
7
"J'aime" reçus

Œuvres

Stéphane Bosso

À une époque où le service militaire était obligatoire en France, me voilà embarqué dans l’aventure (la dés-avanture diraient certains) pour deux années. Je garde des souvenirs contradictoires de cette période où mon esprit oscillait sans cesse entre rire et larmes. J’ai couché sur le papier mes pensées sous forme de poèmes que je vous livre, en partie, ici.
Bonne lecture.
7
0
1
9
Stéphane Bosso


Petite fille, j’étais. Petite fillee, je resterai. Mes cheveux ont poussé, mon corps s’est affiné, mais les sensations sont toujours là. Le sourire et les moyens en plus.
Le feu passe au rouge, les vibrations se font plus douces jusqu’à ne plus les sentir, première, je lâche doucement l’embrayage… le bolide frémit, je le calme pour franchir le carrefour, il n’est pas encore temps de le laisser partir.
Une courbe, lente, presque au ralenti, je souris, je laisse venir l’asphalte, presque à toucher le sol, et hop, un coup de hanche et je redresse. Le vent fouette mon visage, je sens mes cheveux partir en couronne autour de mon casque intégral. Le cuir noir de ma combinaison est chaud sous ma peau nue, je ne sens pas les morsures du vent.
La route devient rectiligne, plus régulière. Les voitures, plus rares, je perçois la fin de la ville comme une civilisation entière qui disparaît derrière moi, la quatrième me fait bondir en avant, il est temps. Plus vite encore, mes cheveux s’envolent, presque autant que moi qui dois faire mille efforts pour garder les poings serrés sur mon guidon.
Je lâche tout, le moteur réagit aussitôt. Quel délice, les vibrations sont intenses, je les sens jusque dans mes os, ma vue se trouble un peu, la vitesse me plaque contre le réservoir, je ne dois pas lâcher prise.
Ça y est, l’engin bondit sur l’asphalte, il est maintenant seul maître de ses mouvements et je ne peux rien faire d’autre que le maintenir pour qu’il ne nous tue pas. Je ne souris plus… je ris. C’est un bonheur immense. Une vague me submerge et m’entoure comme ce vent furieux contre lequel je lutte.
Alors je m’abandonne enfin, laissant la route, le paysage et le vent faire de moi ce qu’ils veulent. Le bruit et les vibrations m’envoûtent et me réduisent en esclavage. Je suis consentante et me laisse faire. Dans cette vie, si dure, si imprévisible, c’est mon trip. Mon moment de bonheur avant de faire face à mon quotidien.
Et comme tout a une fin, le monstre me ramène chez moi ; petite maison, petite banlieue, bien loin de cet univers de vitesse et d’adrénaline. La moto s’arrête à l’entrée du garage. Doucement je la guide jusqu’à sa place. Un garage bien trop grand pour elle. Ça n’a pas toujours été le cas. Avec précaution, je sors et regagne la maison. Yoan ne sera pas content de me voir arriver en retard. En faisant la moue et en soupirant, je pousse la porte. Je pose mon casque près de l’entrée, mes cheveux tombent en cascade sur mes épaules. La combinaison de cuir fait décidément trop de bruit dès que je fais un mouvement, je fais une grimace à chaque fois. Mais c’est peine perdue, Yoan est là, droit comme un « I » les bras croisés sur la poitrine, il me transperce du regard. Je ne sais pas quoi faire, me balançant gauchement d’un pied sur l’autre.
Yoan a 11 ans et est plus adulte que moi. C’est mon fils, mais à le voir comme ça, j’ai plutôt l’impression que c’est mon père. Il fait la tête car je suis encore allée faire un tour à moto alors que personne n’est venu le chercher à l’école, qu’il a fait ses devoirs, préparé le dîner… et a sans doute résolu l’énigme de fin de la roue de la fortune. Il fait toujours à manger quand je rentre tard. Au moment où je me fais cette réflexion, le son du micro-ondes retentit dans la maison. C’est comme l’immense cloche d’un match de boxe. Un arbitre vient de faire sonner le « dong » du début de round. Yoan me transperce du regard, mais décide de ne rien dire. Le micro-ondes annonce indéniablement que le dîner est servi. Encore gênée par les bruits de ma combinaison, je murmure un : « Je vais me changer » avant d’affronter le repas du soir.
***
Le lendemain est pareil à tous les autres. J’apprends à vivre avec mon fils et avec l’absence de son père. Marcus est mort. C’est une certitude maintenant car depuis quelques mois à peine, j’ai fait mon deuil. Depuis quelques mois aussi, la passion pour mes ballades en moto est devenue de plus en plus importante. Au grand désespoir de Yoan qui ne comprend pas ce que je peux éprouver dans cette fuite. Ou plutôt si ; il comprend, mais n’accepte pas. Son père mort ; sur qui peut-il bien compter ? Sa mère ? Mais sa mère est un fantôme qui enfourche son bolide à la première occasion. Cette passion était déjà là, mais dans une moindre mesure. Et puis il y avait Marcus. Marcus, c’était notre équilibre. Il était mon mari, mon amant, mon copain, mon biker… Il était mon toit et mon soleil… Il était encore plus pour Yoan. Aussi lorsqu’il monta pour la dernière fois sur sa bécane chacun de nous, de Yoan et moi, chacun de nous a réagi différemment. Mon fils a grandi trop vite. Moi, j’ai pris ma moto pour aller faire des balades. Puis des runs dans des villes de plus en plus lointaines clouant Yoan seul des week-ends entiers à la maison ou sollicitant trop souvent ma mère pour le garder.
Maggie me dit que c’est mal.
— Tu ne peux pas le laisser comme ça. Il n’a que 11 ans.
— Pourtant, il se débrouille très bien sans moi, maugréais-je.
Mais bien sûr je n’en pense pas un mot et je ressens une énorme culpabilité. Maggie hausse les épaules sans se détourner de son écran et continue ses retouches sur Photoshop pour arranger le visage d’une gamine-mannequin anorexique qui sera morte à 30 ans. J’ai une body à écrire. Je n’y arrive pas. Sur une chaise en face de moi, mon casque intégral attend ce soir. Pas de run prévu, les forums annonçant les courses ont été bien silencieux ces derniers temps. Les flics sont plus vigilants que jamais. Tant mieux, Yoan et moi pourrons aller quelque part. Quelque part… ? Où ? Que faisions-nous avec Marcus les week-ends ? Comment se découpaient nos samedis et dimanches ? Grasse matinée, un peu de ménage, quelques courses au supermarché, un repas tranquille, Yoan sur Dofus, un Marcus avec un magazine de moto, une Marion avec un bouquin ou une body à écrire pour rattraper mon retard… Je ne sais plus. J’avais pourtant l’impression que c’était le bonheur absolu. Et les dimanches ? Sans doute tous les trois en virée dans le side-car. Direction ; la côte, la montagne ou ailleurs, mais à trois. Toujours à trois, toujours dans le side-car. Il me paraît évident que je ne peux plus proposer à Yoan une balade à moto. Il déteste la moto. J’ai vendu le side-car presque aussitôt après la mort de Marcus. Je crois que ce fut ma première erreur. Le garage est grand pourtant, pourquoi n’ai-je pas mis une bâche dessus et ne l’ai-je pas laissé pourrir… Pour Yoan ? Pour plus tard. Mais comme je l’ai dit, chacun réagit différemment. Moi, bizarrement, j’ai voulu me débarrasser d’un maximum de souvenirs, là où Yoan emploie son énergie à en conserver le plus possible. Nous sommes déjà en conflit de générations alors qu’il faudrait qu’on aille voir des Pixar ensemble.
0
0
0
18
Stéphane Bosso


Le type est passé tout prés de moi. Il avait dans les bras une forme étrange enveloppée dans une couverture. La même couverture que j’avais sur les épaules. Il m’a jeté un regard empreint d’une incommensurable tristesse. Jamais, ô grand jamais, je n’avais croisé pareil regard. Il s’est arrêté. Dans l’obscurité de ces trois heures du matin, uniquement troué çà et là par la lumière des gyrophares, j’ai vu son visage et ses larmes. Il a longuement hésité, il ne savait que faire. Puis, il a tendu les bras en avant, comme pour me faire une offrande.
— Il n’a eu qu’une seule chance.
Sa voix, à elle seule, a ramené la réalité.
— Sa seule chance, a-t-il repris, c’est d’avoir été beaucoup trop jeune pour se rendre compte de quoi que ce soit. J’ai hoché la tête, accentuant encore le bourdonnement dans mon crâne. L’homme a tourné les talons, emportant avec lui le fardeau qu’il avait ramassé sur la chaussée. Là-bas, à quelques mètres de nous… dans l’enfer. J’ai doucement ramené la couverture sur mes épaules et ai longtemps laissé mon regard posé sur le dos du type. Je l’ai laissé jusqu’à ce que l’obscurité l’engloutisse. De temps en temps, les gyrophares me rappelaient le dernier endroit où il avait disparu, lui et le bébé mort qu’il emportait, je ne sais où.
La couverture a glissé et je l’ai rajustée. Elle est la preuve que je suis vivant. Je l’ai sur les épaules. Avant cette nuit, je me suis souvent demandé pourquoi les victimes de l’enfer, celle qui pour une raison inconnue s’en sortent, ont toujours une couverture sur les épaules. En fait, je viens de me rendre compte que c’est une manière de les marquer. Un peu comme le trait à la craie sur les bagages à la douane. Une manière de dire : « Celui-là, c’est bon, il est vivant. »
Pourtant, je n’ai pas froid. Même si je sais que la couverture n’est pas là pour me protéger du vent, je n’arrête pas de me dire qu’elle ne me sert à rien parce que je n’ai pas froid. On ne peut plus avoir froid après avoir connu l’enfer.
Lentement je reviens à moi. Je n’en suis pas encore à me féliciter ou à culpabiliser de porter la couverture. D’avoir eu la chance d’être marqué comme un bagage. Je regarde seulement l’enfer, il n’est pas loin. À cinquante mètres tout au plus. Plusieurs grandes enjambées pourraient me le faire atteindre rapidement. Dans l’obscurité, je ne distingue que les formes. Des gens se déplacent, ils transportent eux aussi des fardeaux. Parfois, c’est tellement lourd, qu’ils s’y mettent à plusieurs. Puis, comme l’homme et le bébé mort, ils disparaissent dans l’obscurité, laissant des traces dans la lumière des gyrophares. J’ai l’impression qu’ils ne reviendront jamais. Une fois partis avec leur terrible charge ; ils ne seront plus que de vagues spectres à la limite de ma conscience. Je me souviendrai d’eux uniquement à cause des gyrophares qui ne cessent d’éclairer leur dos.
Je ferme les yeux. La couverture glisse encore, et je la remets en place. Il ne faut pas qu’elle tombe. Si je la lâche, je perds le seul moyen qu’ils aient de me reconnaître. De savoir que je suis encore vivant et qu’ils ne doivent pas m’emporter. Je dois juste rester ici à tenir ma couverture. D’autres viendront pour me ramener chez moi. Je lirai demain dans les journaux que je suis le seul survivant de l’enfer. Je lirai aussi qu’ils ont emporté 45 fardeaux dans les profondeurs insondables de l’obscurité. Je lirai sans doute qu’il y avait parmi eux un bébé.
Mais je garde ma couverture. C’est seulement demain, quand l’enfer sera loin, que je me sentirai coupable de l’avoir eu sur les épaules. Je n’ai pas froid, on ne peut plus avoir froid quand on revient de l’enfer.
À présent, il y a moins de monde qui s’agite là-bas. L’enfer perd de sa consistance. Le type de tout à l’heure revient près de moi. Il reste debout un court instant, se demandant s’il a le droit de s’asseoir à côté de moi. Je ne fais rien pour l’encourager ou le dissuader. Il me jette un regard étrange. Il pleure toujours. Sans doute que pour lui cette nuit est aussi dramatique que pour moi. Je pense savoir ce qu’il ressent, mais préfère ne rien dire. Nous restons de longues minutes silencieux, il n’y a rien que nous puissions faire pour effacer l’enfer de nos mémoires. La couverture, comme pour me rassurer, glisse de nouveau et je la remets en place.
— Il avait tous les os brisés, dit soudain mon compagnon.
Il se retourne vers moi. J’ai l’impression qu’il va parler tout la nuit. Peut-être en a-t-il envie. Je le laisserai faire tant qu’il ne tente pas de me prendre la couverture. Cette couverture qui glisse encore une fois… 
— Il avait tous les os brisés, reprend-il. Il était mou… mou comme un pantin… Mon Dieu. Ce pauvre gosse.
Je comprends, mais je n’arrive pas à me convaincre que c’est horrible. Pas cette nuit en tout cas. Le type se retourne vers moi.
— C’est la première fois que je vois ça, dit-il. Et pourtant, ça fait quinze ans que je suis pompier. Vous ne pouvez pas savoir comme ça secoue… c’est terrible.
Il continue à pleurer en silence et fait des efforts pour que je n’entende pas ses larmes et ses reniflements. Il est persuadé que l’obscurité le protège. Peut-être a-t-il raison. Je comprends ce qu’il ressent, mais à cet instant rien ne peut m’atteindre. J’ai ma couverture sur mes épaules. C’est la preuve irréfutable que je ne disparaîtrais pas dans les ténèbres comme les autres. Ceux dont j’apprendrai le nom demain dans les journaux.
Je sens son regard sur moi. Il attend une réaction. Il est trop tard… ou trop tôt, je ne sais plus. Je sais par contre que je suis vivant et que je le serai encore demain. Je sais aussi qu’il se remettra de cette nuit. Il percevra longtemps le poids du bébé mort dans ses bras. Il le percevra toutes les fois où il portera ses enfants pour jouer avec eux. Je sais qu’il ne supportera plus la vision de substance molle comme de la gelée. Il ira vomir de dégoût si d’aventure il en croise. Il pleura comme maintenant lorsqu’il interviendra dans d’autres accidents.
Et je sais qu’avec le temps, il se fera à tout cela. Ses nuits se feront plus calmes. Il renouera avec les sensations de la gelée dans sa bouche. Il parlera de cet instant avec beaucoup moins de larmes dans la voix. Avec le temps, il pourra vraiment faire tout cela. Il sait qu’il pourra oublier un peu de cette horreur. Il sait aussi que je le sais. Et même s’il attend une réaction de ma part, il comprend qu’il n’en aura pas. Cette nuit, je suis vivant, j’ai la couverture sur les épaules. J’ai échappé à l’horreur. Cette nuit, des quelques heures qui me séparent de la lecture des journaux de demain ; cette nuit, c’est mon sursis. Je suis conscient de tout ce qui m’entoure, mais je suis calme et serein. Il sait qu’à partir de demain, je me lèverai en pleine nuit… toutes les nuits et je me mettrai à hurler si fort que ma voix sera muette. Il sait qu’il me faudra assurer mes cauchemars, qu’il me faudra endurer une vie de soins psychiatriques destinés à me faire oublier le moment présent. Il sait qu’il me faudra éviter les miroirs, qu’il me faudra vivre avec la phobie de la nuit et mon immense culpabilité.
Il sait et je sais qu’il sait.
Aussi, cette nuit, il pleure pour moi. Pour mon enfer, qui, finalement, jamais ne prendra fin… car je suis vivant.
0
0
0
6

Questionnaire de l'Atelier des auteurs

Pourquoi écrivez-vous ?

Pour rêver et faire rêver. Pour amuser et m'amuser. pour continuer les histoires lues et qui s'arrêtent trop vites.

Listes

Avec Ëldélaran (roman édité en novembre 2020 ), Journal de guerre, L'écorché, La belle rougeoyante (nouvelle terminée), Dark on the night (terminé), La Punition (TERMINÉ), La Nuit des Etoiles - T.1 Artemis, Écrire un combat, Vacances (pas si) paradisiques, Le monde de Myra [en pause pour le moment], Les aventures de Gilbert [Terminé]...
0