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Stradivarius

Paris.
Stradivarius

« Maman.
Je ne suis qu’un pauvre garçon. Tu ne le vois peut-être pas, tu ne le sens peut-être pas. Seulement, personne ne veut de moi. Tu peux le croire, tu peux le sentir, tu peux le humer. En fait, ce n’est pas tant que je souhaite mourir, mais parfois je souhaiterais simplement ne jamais être venu au monde. Pourquoi? Certainement pour la raison simple que ce monde n’est pas celui auquel on croit, c’est sans aucun doute un monde sordide qui sort d’un cauchemar, d’une mauvaise influence, d’une société vénale et pénible où tous les gens comme moi ne sont que des rebuts, des vauriens, des merdes, des verrues purulentes et suintantes de boules de graisses sales et nauséeuses. Non, maman. Non, ce n’est aucunement de ta faute, ce ne sera jamais de la tienne. Ne pleure pas, garde le sourire. Peut-être qu’un jour tout ira mieux, peut-être que tout n’ira jamais. On n’en sait rien. Je n’en sais rien. Je ne peux te faire la promesse d’un futur merveilleux, d’un jardin d’Eden qui se dessine sous nos yeux ébahis et émerveillés. Et tu me diras que, du haut de mes treize années, je ne connais rien à la vie, que je ne peux pas me permettre de parler de la sorte. Que je ne peux pas prétendre à n’être rien aux yeux de tous. Que je suis simplement un petit garçon qui passe par une phase de rébellion, ou toute autre chose. Mais non, maman. Ce que j’ai fait est bien plus grave que tout ce que tu peux bien imaginer. Ce que j’ai fait, ce n’est pas par envie, ni même par besoin. C’est par folie. Car tu as engendré un monstre, maman. Oui, tu as engendré le Malin. Un Démon qui pourfend le bien pour faire le mal à tout ce que je peux toucher. Je ne suis pas Midas qui transforme le tout en Or jusqu’à en mourir de faim. Je suis juste moi. Robert Haston Stranvolio DiVarius, dit Stradivarius. Un morveux des bacs à sable. Un bouseux de la chaumière écrémée qui se trouve en haut d’une colline pourrie. Le fils d’une catin, semble t’il, qui ne jure que par des passes vite fait afin de gagner sa vie et nourrir sa pauvre famille composée de cinq enfants car l’époux maudit est parti au loin sans même prévenir alors que nous avons passé des moments heureux en sa compagnie. Je suis celui-là. Ce petit être abandonné qui, jadis, voyageait beaucoup, lisait beaucoup, riait beaucoup. À présent, tout est noir. Tout est sombre en moi. Tout n’est que ténèbres et monstruosités. Mais vraiment, maman, est-ce que tu veux tout savoir? Alors oui, je vais te dire ce que j’ai fait, moi, du haut de mes treize printemps.
Il faisait froid.
C’était l’hiver. Tu te souviens comme nous nous gelions dans la masure que nous habitions? Le toit était à moitié écroulé, et tu préparais de la soupe. Du moins, de l’eau avec quelques pauvres navets à l’intérieur. Ce que tu avais pu récupérer du marché. Tu tentais de donner du goût à la chose insipide que personne n’aimait. Nous ne disions rien, par simple respect pour toi. Après tout, tant de sacrifices pour la chair de ta chair, nous ne mériterions d’êtres vivants si nous n’avions un peu de considérations pour toi, pour ce que tu fais. Pendant ce temps, nous étions sous une couverture faite de la peau d’un ours brun. Souvenir d’un lointain voyage au-delà même des frontières du réel. Nous n’eussions imaginé que tout cela était possible à l’époque, lorsque père et ses compagnons de fortune ont mit à bas ce monstre brun impressionnant. Une bête qui, aujourd’hui, sert à nous maintenir en vie dans ce froid affreux. Mais voilà, moi je suis quelqu’un de dissipé. J’ai besoin de faire des choses, j’ai besoin de bouger, j’ai besoin de voir le monde. Me contenter de rester sur place en te regardant cuisiner quelque-chose de dégueulasse, ça ne me convient pas. Même avec le plus grand des respects. Tu te souviens du sourire que je t’ai donné à ce moment précis où je passais la porte en te disant que je reviendrais? Oui, tu sais, tu me l’as rendu en affichant ton regard vers le ciel comme si tu voulais dire que je n’étais qu’un sale garnement que tu aimais pourtant si tendrement. Je t’ai dit que je reviendrais. Je tiens toujours mes promesses maman. Seulement, aujourd’hui est un jour spécial. Un peu trop spécial. Et tu comprendras certainement que je m’en veux, que je me sens si sale et monstrueux que la simple pensée de recroiser ton regard me met dans un état pas possible. Mais qu’est-ce que j’ai bien pu faire ce jour là?
Un mois de décembre.
Nous approchions des festivités de fin d’année. La neige avait recouvert les landes. Les branches croulaient sous l’épais manteau blanc et, parfois, quelques malheureux se transformait en bonhomme de neige s’ils avaient la malchance de croiser une branche trop chétive pour tout ce poids. Ça me faisait rire, par ailleurs, je dois bien l’avouer. J’étais un gosse merveilleux, je le sais, tu me le disais souvent. Je riais beaucoup, même si je me sentais rejeté de tous. Un art de camoufler ce qui ne va pas dans ma vie et de ne rien te dire pour simplement ne pas te faire de peine. Autant garder le sourire, non? C’est beaucoup plus beau. Alors je m’amusais dans cette eau gelée jusqu’à parvenir jusqu’au lac. Toute l’eau était figée. Il y avait une sorte de brume qui cachait légèrement l’horizon. Je souriais encore. Je voulais me faire une petite cabane de neige, tout seul. J’entendais parfois les rires des enfants au loin, de ceux qui me rejètent et me font souffrir quotidiennement lorsque je les croise. Ils s’amusent eux aussi en cette période. Ils se jètent des boules dans la tronche, ripostent. Ils agissent tels des miliciens dans un château fort assiégé par une multitude de soldats aguerris, des chevaliers. Les boulets des catapultes pouvaient faire vaciller au moindre moment la forteresse, le Krak des Chevaliers, tel le loup soufflant sur la maison de chaume. Il pourrait y avoir tellement de morts d’un coup. Heureusement que le trébuchet n’avait pas encore été installé par manque de temps. Mais peut-être que ces enfants mourront de faim à force d’êtres encerclés de la sorte, s’ils n’ont pas la chance de crever sous les coups de semonces qui fustigeaient ci et là. L’imaginaire d’un enfant, voilà ce que cela crée. Un monde à part entière. Mais moi, maman, je ne suis pas un chevalier. Je ne suis qu’un enfant de catin, d’une prostituée, d’une gourgandine qui se vautre dans son stupre sordide. C’est ça qu’ils disent de moi et que personne d’autre ne saurait entendre, ne voudrait entendre. Tout le monde s’en fout de toute façon, il n’y a rien de mieux à dire. Rien d’autre à faire que de laisser faire.
Et voilà, je jouais seul.
Néanmoins, je n’avais pas vu que peu de pas à côté de moi se tenait un autre garçon. Un solitaire comme moi, sans aucun doute. Il avait déjà commencé à modeler la neige à sa convenance pour en faire une statue d’Apollon, ou d’un autre dieu grec. Sans doute la brume me l’avait omis du regard. Sans doute n’était-ce pas important. Puisque je suis moi-même indésirable, peut-être ne désirai-je pas voir autre chose, une autre personne. À quoi bon? Si ce n’est pour être rejeté de nouveau. Mais je le vois à présent. Je vois son sourire en coin lorsqu’il m’eut perçu en train de m’amuser dans la neige. Je le vois encore tenter de faire le premier pas. Et moi, à ce moment précis, j’affichais un mouvement de recul comme pour éviter un probable assaut indésirable qui nuirait à mon faciès déjà bien démonté par les coups reçus par d’autres enfoirés. Lui semblait toutefois différent. Il semblait aimable. Il semblait avenant. Il n’avait pas l’air d’une grosse brute. Alors je lui rendis son sourire et je le laissais s’avancer. Je le vis se pencher vers le sol, puis prendre une grosse motte de neige, la former en une boule monstrueuse et s’apprêter à la lancer sur mon visage avec un rire sardonique. Finalement, maman, ce petit était comme les autres, il ne pouvait s’empêcher de faire le mal, comme les autres, alors que je n’avais rien demandé si ce n’est qu’un moment de délicatesse et de partage dans une communauté amicale. Mais non, il eut fallu de nouveau qu’un contrevenant arrive à ma hauteur afin de m’agresser. Je suis trop gentil, c’est un fait, je ne vois pas le mal dans toute cette perversité. Je ne vois pas la délinquance lorsqu’elle s’adresse à moi. Je ne perçois pas toutes ces choses infâmes que Dieu aurait crée pour nous attirer tant d’ennuis et de merdes. Maman, sache-le, je l’ai vu enfermer une grosse pierre dans sa boule de neige. Il en voulait à ma gueule, il voulait m’endommager. Il voulait me faire du mal. Et il l’a fait. Car à ce moment précis où la boule eut un impact bruyant et craquant contre le front de mon crâne vacillant, je ne vis que le noir et les ténèbres me soulever vers une autre sphère plus chaleureuse. En fait, pour la première fois de ma vie, je me sentais bien. Je me sentais heureux. Flottant dans les airs, ou dans les abysses, je ne sais pas trop. Je m’en fous, j’étais bien. C’est tout ce qui importe. Et c’est la première fois de ma vie qu’une telle chose m’arrive.
Ce n’est pas terminé, maman.
Car lorsque je me suis éveillé, je l’ai vu à terre lui aussi. Tout comme moi. Je me suis relevé. Je me suis massé le front. J’ai vu le sang qui dégoulinait d’une blessure à ma tempe. Tu aurais du voir la grimace que j’ai faite à ce moment en imaginant l’engueulade que j’allais subir en rentrant à la maison pour n’avoir fait attention lors de ma promenade. Car oui, tu aurais imaginé que je me sois blessé en escaladant quelque-chose et que cela n’est qu’une imbécilité d’enfant. Bien entendu. Je me suis donc approché de l’autre enfant qui gisait à terre en me demandant ce qu’il fichait. Et ce que j’ai vu, maman, tu ne l’aurais pas supporté. Tu ne l’aurais pas aimé. Il avait le crâne complètement défoncé, comme si l’on lui avait asséné plusieurs coups de pierre dans la gueule. Et ma première pensée à cette instant fut : « il l’a bien mérité ». J’avais comme une envie de rire, étrangement. En plus d’une envie de vomir. Je me suis dit qu’il l’avait bien mérité, certes, mais je me suis dit qu’il s’agissait d’une ignoble chose qui se passait là. Je me suis senti bien, mais en danger aussi. Je ne comprenait pas ce qui se passait. Bien la couleur rouge mêlée à tout ce manteau blanc, c’était si beau. Un doux mélange. Cette couleur, maman, allait devenir ma couleur préférée. Comme si je n’avais d’yeux, alors, que pour les roses rouges qui arborent la même délicatesse qu’à l’instant présent. C’est là que tu vas me prendre pour un monstre. Je le sais, je le sens. Mais pour moi, je n’ai rien fait. Uniquement regarder un cadavre sans parvenir à trouver le coupable. Car personne ne se trouvait là à proximité. Personne ne m’avait même vu. Il n’y avait aucun témoin, aucun coupable, rien. Le meurtrier venait de faire la chose la plus parfaite qu’il pouvait ainsi faire : ne laisser aucune trace.
Maman, je te jure.
Ce n’est pas de ma faute. Tu es l’amour de ma vie, jamais je ne pourrais te quitter, ni même te faire du mal. Néanmoins, c’est en te parlant que les choses me reviennent en tête. En fait, le meurtrier n’était autre que moi-même. Je ne sais comment cela pouvait être possible. Je ne comprends pas moi-même ce qui s’est réellement passé. Mais c’est moi, maman, c’est moi qui ai porté ce coup à son crâne, c’est moi qui ai tiré le coup fatidique, c’est moi qui me suis jeté tel un fauve. Non, en fait ce n’est pas moi, c’est un autre moi. C’est comme si mon corps appartenait à un autre à ce moment précis. Je ne peux l’expliquer autrement, je ne peux le dire avec d’autres mots. Seulement, ce moment précis où le garçon m’a jeté la pierre a transformé le petit être que j’étais en un meurtrier des plus infâmes qui prend du plaisir à faire le mal et à dégénérer. Et le tout, sans que je ne m’en souvienne, sans que je ne le sache. Je vois des bribes, c’est tout. Je me refais une idée de la scène, de la pièce de théâtre, mais je ne saurais dire toute la vérité tant cela est improbable. Et, maman, je sais que personne ne veut de moi, que personne ne m’aime, que j’aimerais mourir. Mais je crois fermement que la mort ne voudrait pas de moi tant elle a besoin de moi et tant elle a besoin de guider mon corps pour ses sombres desseins. C’est ce que je ressens, là, à cet instant, à ce moment précis où je te parle. Où je te dis tout cela alors que nous sommes à table et que nous dinons tranquillement en famille. Oui, maman, je suis vraiment désolé de te faire ainsi vomir en te racontant tous ces détails et cette perfidie émanant de ta propre chair, de ton propre sang, de ta propre vie. Je suis vraiment désolé, maman. Je ne te mérite pas. Je ne peux plus croiser ton regard à présent et je sais qu’il me faudra prendre la fuite loin de tout cela, loin de toi, loin de notre famille, loin de ma vie détruite par le monstre qui m’habite. Laisse-moi seulement t’embrasser une dernière fois et te montrer à quel point je t’aime. Nous nous reverrons sans doute un jour, mais pas tout de suite. Il faut digérer le fait que ton fils soit une raclure qui grandira à la Cour des Miracles, à Paris. Loin d’un monde modèle et formidable.
Maman, je t’aime.
Mais laisse-moi prendre mon balluchon et partir loin de toi. »
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Stradivarius

* En l'homme, la vérité.

"Tu seras un homme, mon fils. Tu ne pleureras pas, puisque cela est réservé aux femmes. Tu seras fort dans toutes les circonstances pour justement élever la femme, prendre soin d'elle, l'aimer, la chérir et la réconforter dans les moments difficiles. C'est à cela qu'un homme est utile et fort."

Des paroles qui ont fait l'effet que fait un trébuchet lorsqu'il s'élance d'un bras puissant afin de lâcher une énorme boule vers des remparts pourtant si résistants, mais qui volent alors en éclats. Le sourire laissant place à la stupeur. Le cerveau se met en état de fonctionnement avec intensité. Les ricochets de chacun des mots cités ont endommagé les parties de mon âme à tout jamais. L'enfant que je fus, alors, n'était plus. Les larmes de crocodile que l'on verse lorsque l'inconfort se fait sentir, ne sont plus là. La source d'eau est tarie. L'oasis est asséché. Le désert s'installe et les émotions vacillent pour ne laisser place qu'à l'homme fort, qu'à l'homme qui se doit d'être dans l'action et non la réflexion. Des mots qui ont eu les incidences d'aujourd'hui et qui ont détruit l'homme que je me devais d'être. Qui ont achevé la grande part de mon être, de mon devenir, de mes vertues, de ma réelle puissance. Car les émotions sont bien plus fortes que les muscles eux-mêmes et peuvent faire déchaîner mers et océans, laisser s'écrouler les montagnes les plus hautes. Mais je n'ai plus pleuré depuis ce jour. Ou si peu, en cachette, dans un sombre terrier que je me suis creusé pour laisser s'exprimer mon simple desespoir, mon simple mal-être, la simple horreur qu'est devenue ma vie.

Je me suis laissé berné par les suppositions, par la pensée d'autruis sur ma façon de vivre ma vie d'homme. Je me laissé errer dans les dédales de la perdition, perdant peu à peu les fonctions vitales de mes émotions. Je me suis plongé dans le désarroi le plus total, l'incompréhension de ce monde. Je me suis retenu, tout le temps, à ne jamais laisser sortir ce que j'avais au fond de moi. Qui j'étais réellement. Je l'ai d'ailleurs nommé "le Monstre". Car, pour moi, il n'y avait rien de plus honteux et de plus horrible que de laisser transparaître ses blessures, ses peines, ses malheurs, son horrifiante vision d'un monde incompréhensible. J'en suis venu à ne plus parler à quiconque, à ne plus rire, à ne plus sourire, à ne plus pleurer, à ne plus penser. À ne plus vivre. Par le simple fracas des mots de mon modèle. Des mots qui se sont transformés en maux sur les émaux rompus de mes "vices" perdus.

Pour le coup, je me suis forgé un monde à part, dans la littérature, dans l'écriture. Sans vraiment lire véritablement. J'avais surtout le besoin de m'exprimer, de laisser parler mon "monstre" au travers de différentes aventures tortueuses. J'avais cette envie là de le laisser s'exprimer au travers de quelques lignes, de quelques fariboles, de quelques délires néphrétiques. Quoi de mieux que d'inventer un être hanté par un démon qui l'oblige à faire ce qu'il ne veut pas faire ? Un assassin en puissance dans un monde abject, peuplé de gens fous qui aiment à faire le mal, qui apprécient voir les autres sombrer dans le stupre d'une vie d'inconfort et de souffrance. Quoi de mieux que de déchainer sa haine à l'aide de phrases lacérantes et tendancieuses en créant des scènes de meurtres. D'un justicier qui tue ces salopards impunis. Il n'y a rien de plus bon que de se laisser aller dans ces délires, dans ces folies. Le cerveau apaisé, l'âme en paix, le sourire aux lèvres d'un air légèrement sadique. Et, pourtant, à la fin le monde me revient en pleine gueule et je perds le contrôle, me refermant sur moi-même et empêchant ce "monstre" d'évoquer le moindre mot.

"Tu seras fort".

J'ai simplement entendu ces mots de milliards de fois. Vous savez, dans les différents boulots que l'on peut exercer, dans les mentalités de cette société, dans les faits et gestes de chacun. Quand notre employeur nous demande de faire des tâches fastidieuses sans râler, simplement par le fait d'être un homme. Sous-entendu que la force émane de tous les mâles, et que les femmes elles-mêmes sont incapables de porter la moindre charge. Une galanterie mal placée qui forment là des gaillards arrogants qui bombent le torse tout en portant ce colis que la femelle ne saurait porter. Puis, ces "hommes" se mettent en groupe, parlent de cul en société, à même des inconnus. Des blagues graveleuses tout en sifflant devant une femme au charmant fessier rebondi qui passe juste à côté.

En réalité, je hais ces "hommes". Ils n'y peuvent rien, c'est ainsi que le monde tourne depuis longtemps. C'est ainsi que va la vie, que fonctionne la société. Tout le monde est une modeste brique moulée dans un moule identique à celui de l'autre, formant encore un mur gigantesque, carré, droit, magnifique. Magnifique mais pourri de l'intérieur. Pour m'intégrer à ces groupes, j'ai été obligé de me rabaisser à leur niveau. À rire à leurs blagues chiantes et débiles, dignes d'un QI de moule tournant à deux à l'heure. Il faut peut-être même avouer, et reconnaître, qu'une moule n'est certainement pas si conne que cela. Je me suis retrouvé à être aussi con qu'eux. À prendre ma place parmi eux, à échanger des faussetées stupides, à ne plus me retrouver moi-même. L'impression d'être fort, d'être accepté pour qui je n'étais pas réellement. L'impression d'évoluer dans ce monde qui n'est pas le miens. De ne plus me reconnaître dans le miroir. De me haïs. De me détester. De me dénigrer constamment.

De fil en aiguille, j'ai cessé d'avancer, j'ai même reculé. J'ai accepté les femmes qui voulaient de moi, jusqu'à finir par être trompé, par être défoncé, par être démoli. N'être qu'un déchet de l'humanité. La confiance en moi était déjà rompue depuis longtemps, mais elle l'a été de plus en plus avec le temps. Des frappes et des insultes quand j'étais jeune pour cause de ma "rousseur". Des dénigrements continus sur mes capacités d'homme. Des tromperies et des mensonges qui ont terminé de m'achever, qui ont eu raison de ma "force". De celle que l'on voulait voir au préalable, mais qui n'était pas réelle, pas palpable.

Et c'est depuis mes quatorze ans que j'écris, que je ne cesse d'aligner les mots et les maux, que j'avance dans un monde virtuel, que je m'enferme tel un nerd avec des amis imaginaires qui, eux, me comprennent parfaitement et m'aiment pour ce que je suis. Voir les commentaires des autres sur ce que j'écrivais, ça me faisait plaisir. Ça remontait l'estime de moi pour quelques instants. Aucun point négatif n'émanait de mes écrits, rien. Tout le monde aimait, ou me disait aimer. Et là, c'est tout bonnement jouissif, car c'est une partie de moi que je laisse échapper dans ces textes qui n'ont aucune limite. Une partie de moi que les gens aiment, apprécient, que les gens espèrent voir encore et toujours de façon plus intense et plus forte.

Mais merde.
Ce n'est pas ça la vie, ce n'est pas ça la force.

"Putain, sois fort, merde ! Arrête d'être faible !"

Et voilà que ça continue, que tout se poursuit. Un Enfer inévitable. Je paie constamment le passeur du Styx pour m'emmener me faire cramer les miches dans les bas-fonds de la folie humaine. Je crois que toutes les souffrances évoquées plus haut n'ont rien de comparable avec cette souffrance survenue le 18 novembre. La mort, qui au départ n'a jamais voulu de moi, ne m'a jamais désiré, a eu raison de moi et de mon âme. Je suis mort le 18 novembre 2019. Lorsque l'on m'a annoncé que les coeurs avaient cessé de battre et que je ne serai plus rien qu'une merde, que je n'aurai pas le titre tant désiré depuis des années. Que je ne pourrai pas être comme celui qui m'a élevé, comme ceux qui ont élevé ce dernier. Que je ne serai tout bonnement que celui qui a toujours été. Sans amour propre, sans petits êtres à cajoler et à aimer. Sans cette femme à mes côtés, laissant nos coeurs battre à l'unisson dans ce bordel de l'Univers.

Crac. Bam. Boum.
Putain de merde.
Retour à la case départ. À la casse de départ.

"Sois fort." "Tu es faible". "Elle a besoin de quelqu'un de fort à ses côtés". "Tu n'as rien fait". "Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même". "Sans doute est-ce un signe de l'Univers, vous n'étiez pas fait l'un pour l'autre". "Tu ne me connais pas". "Tu n'es qu'une merde sous ma chaussure". "J'ai couché avec un taré". "Tu me dégoûtes". "Je te hais". "Sois fort".

Tous ces mots à la gueule, toute cette violence que je n'aurais jamais osé écrire dans mes propres histoires violentes. Toutes ces choses que l'on se prend et qui nous claquent aux joues, au coeur. J'ai la nette impression d'être propre à l'extérieur, mais d'être lacéré de l'intérieur. J'avance tel un mort vivant, comme un zombie. La démarche poisseuse. Je tombe dans les bas-fonds. Je ne comprends pas. J'essaie de me relever, mais je m'en reprends une dans la gueule qui m'achève. Et je gis au sol tel un déchet, comme une merde sous sa chaussure.

Comme une putain de merde sous sa godasse fleurie.

Mais je lève les yeux au ciel, et là, je perçois la lumière. Je vois une sorte d'espérence. Je tente de faire fonctionner à nouveau mon cerveau. Je me dis qu'il n'est pas possible que j'ai pu être aussi faible. Aussi désastreux. Que toutes les fautes ne peuvent pas m'incomber. Je comprends mieux. Je perçois la vérité. Tous les détails qui se mettent en place tel un puzzle. J'écris tout. Je mets tout dans mon univers afin de pouvoir parler avec mes personnages. De pouvoir véritablement toucher du bout des doigts la fameuse vérité. Les choses qui se sont passées. La cruauté de chacun des gestes dont j'ai été victime, qui ont été des coups portés à mon honnêteté et à ma loyauté. Je souris enfin. Je me fais aider. Je parle enfin. Je souris de nouveau. On m'offre un sourire en retour. J'ai le coeur qui bat de nouveau. Je sais alors pourquoi cette bague était restée à la maison ce jour-là. Je sais pourquoi ces mots ont été prononcé. Je sais pourquoi l'on a agit de la sorte avec moi. Et je sais, par dessus tout, que je ne suis coupable de rien. Que j'ai été fidèle à moi-même. Que j'ai apporté toute l'aide que je pouvais apporter. Que j'ai continué à grandir et à m'épanouir, non pas pour être fort au regard de l'humanité, mais pour être fort pour mon amour que je me porte.

Puis, je me suis rendu compte que chaque épreuve de la vie m'a toujours aidé, a toujours été une force et non pas un poids que je dois porter sur mon épaule. Je n'ai certainement pas besoin de quiconque pour savoir toute la force que j'ai en moi. Que je possède depuis toujours. Celle qui continue constamment à grandir en moi. Qui ne me quitte jamais. Qui ne me fait pas faux bond contrairement aux autres. Je sais que je peux compter sur moi. Je sais que même en étant seul, je ne le suis pas vraiment. Je suis avec moi-même. Et c'est tout ce qui m'importe. C'est tout ce qui compte. Finalement, je peux être faible et le reconnaître, ce qui fait de moi l'homme le plus fort du monde. Tel un phénix qui meurt et renaît de ses cendres, toujours magnifique et merveilleux. Toujours grand et fort. Toujours somptueux avec ses plumes rouges fantastiques.

Plus j'écris, plus je me rends compte de cette force qui vit au fond de moi, qui transperce mon âme et me fait surmonter toutes les épreuves de la vie. Cette littérature que je transmets, sans attendre rien en retour, sans attendre le moindre argument ou la moindre niaiserie. Cette littérature, c'est mon monde à moi, c'est ce que je souhaite laisser à ceux qui pourraient en avoir besoin, à ceux qui, comme moi autrefois, se prennent pour de la merde mais qui sont tout bonnement des pépites d'or. Des âmes au coeur pur. Des vrais battants. Des gens merveilleux. Des justiciers de toute cette décadence que l'on voit, que l'on perçoit, que l'on entend, que l'on a à subir.

Je me remercie amoureusement d'être toujours là, le dos droit, la tête levée, face à ces monuments de haine et de stupidité. De niaiseries. De nauséeuses fourberies. Je vous emmerde tous, mais je vous aime aussi d'un amour puissant et indéféctible. Doux paradoxe que voici, n'est-ce pas ? Vous comprendrez certainement le jour où cela vous sautera à la gueule comme cela m'est arrivé il y a peu.

Moralité, ne soyez pas fort pour les autres. Soyez simplement vous-même, et ce sera là votre meilleure force. Faites ce que vous aimez, ce que vous voulez, ce qui vous fait vibrer sans devoir constamment chercher l'approbation des autres. Laissez aller votre propre sensibilité au-delà des mots, au-delà des maux. Laissez jaillir votre richesse intérieure, qu'elle explose à la face du monde, à celui de l'Univers. La lumière brillera à jamais sur votre âme, et vous serez à tout jamais heureux.

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Stradivarius

Sur la route, toute la sainte journée. Ça commence comme une chanson bien connue, mais rien n'est réellement aussi parfait que tel qu'il est décrit par le parolier. Rien n'est tellement vrai et tangible en ce bas monde, tout n'est que contes de fée indescriptibles, incompréhensibles, impossible. Je m'emmerde dans cette voiture, musique à fond, au volant de l'incontrolable. Du rock dans les oreilles, vibrant dans les tympans avec anarchie au-delà de ces enceintes chauffées à blanc. L'asphalte accroche mes roues crissantes au moindre mouvement, au moindre virage, au moindre tumulte rencontré sur ces lignes jaillissantes de terre. Vu du ciel, d'un regard divin, le dessin des anges souriants, riants, goguenards en constatant l'idiotie croissante de ces Hommes qui se sentent libres dans cette vitesse, dans ce carcan de vie imposé, emprisonnant le libre arbitre, la libre circulation. La liberté. Tout simplement.
Sur le côté de la route, je perçois la moitié d'un raton laveur, agonisant sur la chaussée, déchiré par les roulements machiavéliques de ces machiques diaboliques. Je m'arrête afin de m'approcher de lui. Je le regarde intensément, prenant pitié de la pauvre bête ainsi arraché de la vie, de sa moitié, de son entiereté de jadis. Je compatis à sa souffrance, la partage avec passion et insistance. Moi aussi, comme lui, j'ai perdu ma moitié. La moitié de mon âme. La moitié de mon coeur. La moitié de mon être. J'agonise. Je survis. Je ne vis plus réellement, malgré cette sensation de liberté qu'impose l'Homme à l'Homme. Douces illusions amères et terrifiantes sous un ciel bleu merveilleux, les ténèbres s'abattent finalement sur l'Enfer sur Terre.
- Pauvre ami, te voici tranché par la réalité, par la sulfureuse vérité que ce qui nous fait mal ce n'est pas nous-même, ce sont les autres. Prend force et courage, continue de sourire malgré les épreuves, trouve-toi un terrier pour te donner la paix dans un dernier râle d'extase. Tu n'es pas une vilaine chose qui va mourir et que l'on oubliera. Tu es toi, tu es entier, tu es cette âme dont on se souviendra pour toujours. Moi, je ne t'oublierai pas.
Il me regarde. Incompréhension. Il souffre d'un mal bien plus grand que ce qu'il veut bien imaginer. Il se laisse aller dans l'endormissement, sans vouloir réellement dormir. Il ne peut pas savoir qu'il peut aller dans la lumière, il ne songe qu'à la traversée du Styx et le paiement du salaire du Passeur. Il ne voit que l'ombre au tableau, et non pas le côté positif des choses. Au moins, il sera libre. Réellement. Sans aucun doute. Plus aucune maladie. Plus aucune souffrance. Plus aucun doute. Il se retrouvera entier, bien vivant, avec un coeur beaucoup plus gros que celui qu'il a toujours connu sur cette terre. Le voilà qui expire. Il est parti rejoindre les anges.
Je reste encore quelques minutes afin de veiller sur le pauvre animal, puis je reprends la route. Dans un sens, ou dans un autre, sans queue ni tête, j'avance sans savoir où je vais. La vie n'a pas vraiment de but, que celui que l'on se fixe inconsciemment. Lorsque la conscience nous taraude. Je regarde le ciel, tandis que les bandes blanches sur le bitum se reflète sur la carosserie et les vitres de mon véhicule. La douce Mustang vagabonde, galope, hurle de son moteur puissant tandis que le Soleil, l'Astre brûlant, s'adresse à mon âme meurtrie. Je plisse les yeux en le constatant. Je termine par une embardée, voulant échapper à la collision d'un autre véhicule. Me voici accidenté dans le plat désert. Solitaire et déchiré encore davantage. Je m'extirpe de là et je lève le poing vers le Zénith.
- Pourquoi donc faut-il avoir à subir les Jeux que tu nous imposes avec amusement ? Pourquoi faudrait-il que je me montre souriant à ton égard tandis que tu m'imposes bien pire que ce que Job a même pu vivre ? Pourquoi faut-il continuer à me lacérer sans aucune pitié, sans aucune compassion ? Aucune blessure visible à l'extérieur, mais l'intérieur est troué de toutes parts tant et si bien que je ne peux comprendre que je puisse vivre encore ! Je te maudis, Soleil détracté !
Et les heures passent, sans que personne ne passe sur cette route désertique. Je prends les coups que le Divin continue de me donner, comme si toute cette douleur n'était déjà pas suffisante. Je m'écroule de fatigue, déshydraté. Impuissant. Détruit. Puis, un mirage semble se former, une sorte d'Oasis qui s'ouvre et sort de terre. Un sourire. Un charme. Une délicatesse. Une puissance angélique me tend une main que je tente de prendre. Elle me parle, tout naturellement, d'une voix apaisante.
- Elle aussi a fait une sortie de route. Un accident. Une âme déchirée en deux sur ce qui était, jadis, indivisible.
J'écoute, sans réellement comprendre ce non-sens verbal.
- Si elle t'a fait porter les fautes de son passé, c'est bien pour te protéger, et non pour te détruire. Pouvoir aller de l'avant, laissant sa folie en arrière pour que tu ne puisses l'affronter avec elle. Mécanisme de défense, s'il en est. Mais elle ne te déteste point. C'est par Amour, voici qu'elle a agit de la sorte. Pour te protéger.
Je me hisse grâce à la main tendue et je regarde mon Ange Gardien dans ses yeux verts, et je me mets à sourire sans savoir réellement la raison de cela. Mon coeur semble battre davantage, comme si je le sentais pour la première fois au fin fond de ma poitrine. Il me matraque la cage thoracique, m'indiquant que je suis bel et bien vivant dans ce fond du trou.
- Pourquoi, alors, ne m'avoir stipulé cette vérité ? Fût-ce t'elle déchirante, harassante, destructrice ?
- Parce qu'elle ne voulait pas te faire du mal. Voilà tout. Le problème venait tout simplement d'elle, et de voir que tu étais toujours aussi parfait, aussi beau, aussi compréhensif, aussi tendre, aussi chaleureux, aussi enthousiaste à poursuivre ta vie avec elle, ça l'a détruit davantage encore.
- N'est-ce pas un peu stupide ?
- N'est stupide que ce que tu ressens au fond de toi. Regarde ton coeur, écoute-le, ne songe pas à ton cerveau. Laisse ce dernier de côté afin de te concentrer sur ce qui est réel, ce qui vient de ta poitrine. Et là, tu comprendras tout.
Je lève un sourcil, fronce le second. Je la regarde, cette belle âme. Et j'ai l'impression d'être en paix. Étrangement, toujours de façon incompréhensible. Je suis apaisé, alors que rien de la vie ne savait, auparavant, m'apaiser. Mon coeur me parle, mon âme se laisse aller ailleurs. Finalement, qu'ai-je fais ? Sinon plus que ce qui est possible de faire ? Je n'ai aucun regret à avoir sur mon comportement, aucune excuse à faire. J'ai simplement à comprendre ce qu'elle a fait, ce qu'elle m'a fait, ce qu'elle s'est fait. Et je vois une âme en peine, dérangée, meurtrie, seule, souffreteuse. Une personne qui s'est suicidée à l'intérieur même de son être pour simplement ne pas avoir à dire la vérité pour ne pas faire souffrir l'autre. C'est un sacrifice personnel qu'elle a fait afin que je puisse me relever. Je ne l'ai pas perçu ainsi. Je ne l'ai point vu de la sorte. Je ne pouvais pas, j'étais aveugle sur ces choses. On ne perçoit toujours que ce qui est mauvais, et non pas tout le bonheur que l'on aura pu survoler auparavant. Tous les moments de joie, de bonheur, de discours insensés qui font rire les Anges au-delà du Paradis.
Je me laisse aller en larmes. En ce moment où je comprends enfin la signification des choses. Je n'y suis pour rien. Elle n'y est pour rien. Nous n'y sommes pour rien. L'Enfer vient des Autres, certes, mais les Autres vivent autant l'Enfer par les Autres. Moi. Elle. Eux. Nous nous faisons tous souffrir avec les conneries de cette vie. Ce que les Hommes imposent. Ce que les Hommes interdisent. Ce que les Hommes veulent que tous les Autres fassent, sans jamais véritablement réfléchir sur les causes, sur les actes, sur les vérités, sur l'absolution.
- Est-ce que tu saurais ? Dit-elle.
- Non. Je ne saurais pas. Je lui ai déjà pardonné. Je ne l'aime pas parce que j'ai besoin d'elle. J'ai besoin d'elle parce que je l'aime. Tout simplement.

Incompréhension, déni.
Douleur, culpabilité.
Colère.
Marchandage.
Dépression et douleur.
Reconstruction.
Acceptation.
Compréhension.
Pardon.

Voici les vraies étapes du deuil révolu. Nous sommes en paix.
Merci, Ange Gardien.
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Stradivarius

J’écrase mon mégot.
L’atmosphère est puante, crade. Comme une Cour des Miracles de l’ancien temps. Je regarde aux alentours. J’entrevois des poubelles entassées, des rats courants sur la misère du monde. Le sol se met à trembler, une tram passe à cet instant même. Je lève le regard. Des volutes de fumées semblent mitiger le ciel lui-même, que l’on ne distingue que par bribes éparses. Les étoiles fondent et filent sans jamais se laisser admirer. Les tours sombres des immeubles s’entassent et forment les ténèbres sur mon toit et sur mon horizon. Je soupire lentement. Je prends une profonde inspiration. Je ferme les yeux un instant. Une voiture passe à toute allure devant moi. Je lâche prise. Paris dans toute sa splendeur.
Impuissant face à ce monde acariâtre, je me décide à pousser la porte d’un troquet aussi sombre que l’air ambiant. L’ambiance y est sinistre, se voulant à la base intimiste, il intimide assez fortement tout en intimant aux jeunes gens de ne point trop s’égarer entre les dédales des tables mal nettoyées, sur lesquelles apparaissent encore les traces centaines de godets prisées et posées à même la poussière. J’éternue. Puis j’expire. J’inspire. Je respire. La pollution du dehors laisse place à la pollution de l’alcool qui suinte à travers les murs épais et dégoulinants d’une chair sanglante, une chair de craie. Un tableau se dessinant aux yeux des clients, ou des patients de cet Enfer lunaire. Les scribes ivres y ont laissé quelques traces. Si je regarde, je peux même distinguer un pénis dessiné entre deux « machine, je t’aime pour la vie ». Sans aucun doute que ces traces du passé appartiennent encore au passé. Ce qui est dans ce bar, reste dans ce bar. « Machine » n’est surement plus amoureuse de « machin » et inversement. C’est presque certain.
Je tourne le regard vers le bar.
Je distingue, sous une lumière embrumée, un homme effleurant ses verres d’un chiffon vieux de cent ans. Sur le comptoir sont accoudés quelques ivrognes qui réclament leur pain quotidien, le sang divin. Le nectar pourpre. Ou la malice capricieuse d’un empoisonneur plus fort encore. D’une autre époque, nous aurions pu nommer tel endroit la « droguerie » tant les médicaments différents s’entassent et s’empilent derrière l’énorme armoire que représente cet ouvrier tenancier non diplômé pour des études pourtant nécessaires à la concoctions de poisons divers et variés. Au-dessus, voici que le nom du « traquenard » s’impose en lettres capitales. Je me trouve donc au « Black Horse ». Un bar Irlandais. Rien que ça. Dans le Paris du 17ème. Le sol se remet à bouger. Les verres trinquent entre eux la fête d’une libération de quelques lèvres adipeuses. Je ne sais pas ce que je fous là. Je sors mon étui à cigarette, j’en pose une entre mes lèvres. Le barman sort quelques mots de sa barbe.
- Pas d’clopes ici. C’est dehors!
Pas de bonjour.
Une remontrance d’entrée.
- Ok.
Je range ma drogue.
Je la camoufle dans une poche intérieure de ma redingote qui se veut méprisante en rapport aux habitués de ces lieux maudits. Je m’installe dans le fond, à proximité de la télé. En fait, c’est le seul endroit où je peux être relativement seul, avec mes pensées, sans être gêné par la foule capricieuse de ces temps audacieux. J’attends que l’on daigne venir prendre ma commande. Mes doigts frappent lentement la table, laissant mes empreintes digitales. J’entends la voix d’un journaliste sur la une. Il parle d’une menace de guerre émanant de Poutine. Après la Corée, quoi de plus normal que de voir la Russie s’appareiller et faire pression sur le monde. Qu’il le fasse, qu’il cesse de parler. Ce sont bien des politiques. Ils la ramènent encore et toujours sans jamais passer aux actes. Comment les croire? Des bonimenteurs. Si je pouvais émettre le moindre rire de mon gosier, j’étalerais mon hystérie criarde sur ce lieu même au-devant de tant de bêtises. Mais je ne suis guère d’humeur. Alors je me tais, et je frappe la table de plus en plus fortement sur un rythme quasi militaire. Une marche Napoléonienne. De celle qui permettait aux soldats de la « Grande armée » d’avancer rapidement en faisant le plus grand volte-face de l’histoire lorsque l’invasion de la Grande-Bretagne avait été programmé et que les armées russes et prussiennes se ruaient sur les flancs, discrètement. Ah, l’histoire! Si les hommes d’aujourd’hui savaient agir tel un Napoléon, nous aurions des actes plutôt que des mots. Et des mots, ainsi que des actes, il en manque dans ce bordel.
Je me lève donc.
Je vais au comptoir.
- Pardon. J’aimerais commander s’il vous plaît.
- On m’commande pas, moi, j’reçois d’ordres de personne.
- Non. Je voulais dire que je souhaitais avoir un verre ainsi qu’une collation.
- Une colle de quoi?
Vous savez, ce smiley sur votre smartphone qui frappe son front avec intensité?
Je ressens environ la même sensation à l’instant même. Je n’ai pas envie de relever plus amplement le côté simpliste de la conversation qui ne sort certainement pas d’un cour de l’ENA. Je regarde la carte mal orthographiée. Je trouve mon bonheur. Nous en parlions justement plus tôt.
- Je vais vous prendre une Poutine. Ainsi qu’un… va fanculo?
- Ouais, c’est un alcool spécial.
- Vu le nom, je n’en doute pas.
Comme tout ce qui est dans cet établissement. Spécial.
Spécialement dégueulasse. Je vais me retrouver avec une intoxication alimentaire d’ici à demain. Je ne pourrais me rendre à mon travail. Ah! Que ce serait désastreux. Si, vraiment. Mais là n’est pas le moment venu pour faire plus amples connaissances avec le « chef » un peu plus étoilé que le ciel parisien. Je vais m’en fumer une dehors, le temps que tout se prépare. Je crois qu’il ne faut pas trop en demander. Je suis donc dans mes songes, dehors. Il caille. L’hiver arrive. Je tire sur ma cigarette. J’en suis à la moitié. Et je pense que…
- Hey! Ta bouffe est prête.
- Quoi? Déjà?
- L’micro-onde c’est pas pour la merde.
- Vu comme ça…
J’écrase ma demi-clope.
J’entre de nouveau dans le bourbier, m’empare d’une assiette pleine de graisse et d’un bout de pain rassis. Je remercie. Je prends l’alcool « maison » en même temps, puis je m’installe à ma table. De là, je ne peux vous préciser si je déguste, ou non, ce plat totalement québécois. Les frites ont l’air malades, comme si elles avaient attrapé une sorte de grippe « environnaires ». Le cheddar qui devrait couler à flot à une allure de camembert que l’on laisse trop longtemps au congélo mais, toutefois, en gardant le coeur croustillant. La graisse se fige à vue d’oeil. Les lardons… on dirait des doigts humains, ou quelque-chose d’aussi répugnant que ça. Bah! « Va fanculo » comme dirait l’autre avec sa boisson du diable. Autant tout manger, et si je ne m’en remets pas, alors… alors je ne sais pas. Il faut savoir tester des choses dans la vie. Alors je mange. Ou j’ingère. Je ne sais pas trop. Tout en tendant l’oreille vers les informations de la télévision. Ça parle justement de ces restaurants qui ferment à la volée suite à des contrôles sanitaires. Ça bouge sur Paris. Mais c’est comme la Poste, avant que ça n’arrive jusqu’ici, il y aura un mort. C’est pas pour rien qu’ils placent des serpentins pour délimiter le chemins conduisant vers une mort inéluctable.
Je vais pour boire le poison.
Le barman se dirige vers moi rapidement et l’enflamme sous mes yeux étonnés. Il trempe une paille dedans et m’ordonne de boire le tout cul sec. Je m’exécute avant que le plastique de ma siroteuse ne se transforme en bougie déconfite. Je grimace en terminant le verre.
- Putain! C’est affreux!
- C’est un alcool de gaillard, mon gars.
C’est purement encore plus médiocre, en terme de goûts, que la saloperie de Poutine ingérée.
Je sens que je vais très mal digérer ce soir. Mon ventre gueule déjà. Qu’est-ce que je fous là? Je me lève. Je vais vous payer.
- T’veux pas un café pendant qu’t’y es?
- Non, merci. Ce sera tout.
Il ne vaut mieux pas tenter le diable.
Je sors de là. Je termine ma demi-clope. Je grimace sous l’effet de l’alcool, de ce goût qui reste en bouge trop longuement et trop durement. Je crois que ça m’a brûlé quelques parties de ma langue. Je ne sens même plus la fumée arriver dans ma gorge. Mon gosier veut rejeter de la graisse solidifiée sans y parvenir. Je manque de souffle. J’essaie d’expirer. D’inspirer. De respirer. Mais je n’y parviens pas. Et ma cigarette s’écroule au sol avant que mon corps ne s’essouffle de lui-même. Ma tête heurte violemment le sol. Est-ce la fin d’une vie si doucereuse? Au sortir d’un bar puant du 17ème? Une fin lamentable dont le titre dans les journaux serait « Tué par Poutine? »? La presse à scandales s’en donnerait à coeur joie. C’est vrai que c’est plutôt accrocheur. Moi-même je serais intéressé pour lire ce navet sensationnel et me retrouver déçu du contenu plutôt inintéressant. Mais pour le moment, je ne le puis point. Je gis à même le sol.
Quelques temps après, je m’éveille.
Je regarde autour de moi. Je suis dans une pièce blanche. Mais avec cette fameuse peinture qui s’écaille petit à petit par le temps qui passe, laissant apparaître une sorte de mur presque comme rouillé. Il y a des tuyaux qui vont et viennent, menant l’eau d’une part ou de l’autre. Il y a même une fuite. J’ai du mal à retrouver mes esprits et à voir bien clairement les choses. Je distingue une ombre devant moi. Inerte. Peut-être simplement un meuble. Mais je vois pourtant ces tâches au plafond. Des choses qui coulent et s’écoulent. Je m’essuie les yeux. Ça vient petit à petit. Cependant, je n’arrive pas à comprendre ce qu’est cette masse sombre au milieu de la pièce. Il faut dire que la lumière est faible et mon esprit bien trop embrumé. Où suis-je? Qu’est-ce que je fous ici? Ce n’est certainement pas un hôpital. Ou bien, sans aucun doute, un de ces centres psychiatrique qui sont laissés à l’abandon. Je tente de me lever avec difficulté. Je m’aide du mur pour me soulever sur mes guibolles folâtres. Je touche quelque-chose de poisseux. Je regarde ma main. C’est sombre. Presque rouge, même. J’hume. Ça sent le fer. De la rouille, sans aucun doute.
Mon cerveau semble retrouver ses connexions perdues.
L’afflux sanguin se remet en fonction.
Je perçois un peu mieux.
À chaque battement de mon coeur.
J’expire.
J’inspire.
Je respire.
Tic.
Tac.
Tic.
Tac.
Je vois.
Je suis terrifié.
Sur un mouvement de recul, je me retrouve encerclé par quatre murs dans une pièce insalubres. Je le vois. Là. Tout devant moi. Sur un rythme cardiaque bien plus prononcé, sur une respiration bien plus particulière. J’entrevois l’oeil du diable, le sourire de satan, la morsure du démon. Sous le portrait d’une chair entaillée et nue. Un homme terrassé avec violence sous les coups de plusieurs coups. De l’huile de coude utilisée pour extraire tout le jus de la vie avec une force inouïe, une passion dévorante. Je suis bouche bée. Les murs sont, en fait, maquillée d’un rouge carmin, violacé par le temps qui trépasse devant mon envolée lugubre. Je tressaille. Je défaille. Je déraille. Pourquoi suis-je ici? Qui est-ce? Suis-je donc… coupable? Serait-ce l’alcool qui m’a fait agir ainsi? Ou suis-je pris en otage par un commando russe qui m’aurait surprit dans mes pensées les plus sordides à propos de leur dictateur? Non. Impossible. Je regarde ma main. C’est bien du sang, encore humide. Je m’essuie sur un bout d’étoffe trouvé à côté du corps duquel je m’approche doucement, lentement. Avec peur. Il est bien mort. Il est rigide. Froid. Blanc. Cadavérique. Je fouille dans mes poches. Je trouve mon étui à cigarette. Je ne sais pas pourquoi, j’ai envie d’en fumer une. Ce n’est pas le moment. Surtout pas sur une scène de crime où je suis seul.
Je la crame.
Je trouve mon portable dans une autre poche. Il n’y a plus de batterie. Puis, dans une autre, un couteau ensanglanté qui s’échappe de mes mains surprises par une telle empoignée. Qu’est-ce qu’il fout là? Je suis foutu. On va m’accuser de tout cela, et j’irais en prison pour des temps infinis… Ce n’est pas possible. C’est un coup monté. Je dois être dans la cave du « Black Horse ». On m’a tendu un piège. Je trouve une porte. Elle doit être fermée. J’actionne la manivelle. La porte s’ouvre dans un grincement macabre. Un escalier. Je le monte lentement. Je prends garde. Je n’ai pas emporté le couteau avec moi. Peut-être aurai-je du. J’arrive sur un long couloir. Une porte au bout. Je m’y dirige. Je l’ouvre. Je tombe sur un bar blindé de diverses personnes qui chantent des chansons dont je ne comprends ni la langue, ni même l’origine. Je vais vers le responsable des lieux. Livide que je suis, je bégaie.
- Où suis-je? Qu’est-ce que…
- Elnézést?
Pardon?
Je ne comprends rien. Je tente de lui faire signifier, mais les autres me regardent étrangement. J’ai du sang sur ma redingote. Ils semblent inquiets, surpris. Je m’en vais sans plus tarder, prenant la sortie au plus vite. Je tourne le regard vers la gauche, la droite. De nouveau vers l’arrière. J’étais au « Vittula ». Il y a une sorte de jeu de poker utilisé en tant que « blason ». Mais je ne comprends pas ce qui est écrit. C’est une langue inconnue. D’un autre espace. Je ne suis pas à Paris, c’est certain. Je suis loin. Très loin. Surement vers l’est. Comme si je me trouvais en Allemagne. Ou en Pologne. Une langue criarde, barbare, gargarisante. Je suis complètement perdu. J’erre dans la ville, vêtu tel un coupable que je suis. Je jète ma redingote dans une poubelle. J’ai froid. J’ai soif. Je vois un homme assis dans la rue, une bouteille dans la main. Je lui demande si c’est de l’eau. Il ne comprend pas et me la tend. Je bois. Je vomis mes tripes. Il rit. Sur la bouteille était inscrit « Palinka ». Je sais que c’est un alcool Hongrois. Suis-je en Hongrie? Peut-être… Mais qu’est-ce que je fous là? J’étais à Paris! Combien de temps s’est écoulé? Je ne vois pas. Je ne comprends pas.
Je m’éloigne.
Je trouve une ruelle étroite et sombre. Je m’y range. Je me courbe sur moi-même, comme un foetus dans le ventre de sa mère. Je me repose. Je tente de me souvenir de tout. Mais rien ne vient. Comme si j’étais victime d’un Alzheimer, ou une connerie du genre. C’est une histoire folle. Ou bien je suis possiblement encore trop ivre à cause du « va fanculo ». C’est ça. Je dois délirer par la faute d’un alcool bien trop fort et étrange que l’on m’a présenté et offert de façon trop étrange. Il doit y avoir une drogue à l’intérieur, ou quelque-chose comme ça. Je n’ai tué personne. Je ne suis pas en Hongrie. Je n’ai pas bu de Palinka. Je ne parle pas à Poutine. Je n’ai pas vu de jeu de poker. Je n’ai pas vu de cadavre. Mais… putain, il était si réaliste. Si visible. Si formel. Je n’avais jamais côtoyé la mort auparavant. Les détails sont là. Je ne peux pas les inventer de mon esprit fou. Si? Non. Je dois être en train de rêver, tout simplement. J’ai trop regardé « les experts » ou une connerie du genre, et je m’imagine des choses en rapport. Voilà tout. Je vais me réveiller. C’est un cauchemar. Je me suis fracassé la gueule sur un pavé dans le 17ème.
J’expire.
J’inspire.
Je respire.
- Non.
Une voix rauque me surprend.
Je me retourne. Je regarde autour de moi. Je ne vois rien. Je ne vois personne. J’ai du rêver, encore. Ou c’est le vent qui me conduit dans cet état. Je ne vois même pas de fenêtre qui puisse donner de la raison à ce « non » étrange.
- Je suis pourtant bien là.
Là. Je l’ai bien entendu.
Je me relève. Je regarde tout autour de moi. Il n’y a pourtant personne.
- Je ne suis pas tangible, je suis dans ton esprit depuis longtemps. J’attendais le bon. Je l’ai enfin trouvé.
- Qui… non, ce n’est pas vrai. Je n’entends rien.
- Et pourtant, tu entends.
Je me mets à courir.
Rapidement.
Promptement. Sans regarder en arrière. Je fonce sans savoir où aller. Passant devant des monuments que je ne connais pas. Que je ne comprends pas. Je file. Avec la volonté unique de cesser cette embardée de l’esprit et de voir à nouveau le soleil se lever. Le jour me donnera la raison de cette déraison. La nuit n’apporte que les ténèbres et le désespoir. Je n’entends rien. Je dois imaginer. Voilà tout. Je m’arrête sur un pont. Je suis essoufflé. J’ai beau respiré. Je suffoque de nouveau. Je suis tout seul. Tout va bien. Restons zen. Restons bien. Restons cool. Ce n’est rien. Je n’ai rien vécu, je n’ai rien vu, je n’ai rien tué. Tout fout le camp, mais je suis peinard, je n’ai rien à me reprocher.
- Tu as terminé de courir? On peut parler à présent? J’ai envie que tu fasses des choses pour moi.
Là, c’est vraiment impossible.
Je suis au milieu d’un pont, sans personne, et ça continue. La même voix froide et forte qui crie dans ma tête. Une douleur immense s’envahit de moi. Je ne sais pas ce qui se passe. Mes membres tremblent. Je bouge tout seul. Je ne contrôle plus rien. Je fais une crise d’angoisse, je crois. Je suis tétanisé. J’ai peur, en réalité. Je ne sais pas ce qui se passe, je ne sais pas ce qui m’arrive. Je suis drogué. Voilà, drogué.
- Tu as tué cet homme. Enfin, c’est moi qui l’ai fait pour toi. Pour te libérer et te montrer qui tu es.
- Qui es-tu?
- Je suis…
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Stradivarius

Un soir brumeux.
L'écume du jour s'effaçant du paysage.
L'ombre obscur de la nuit se frayant un passage à travers les clochers de la ville et des maisonnée sombres. La scintillante lune parvenant à nos yeux pour nous éclairer dans les ténèbres d'une longue nuit fraîche et humide. L'atmosphère est pesante et seuls quelques irréductibles vivant au dehors, à la merci du froid perçant, traînent encore dans les parages, à la sortie des tavernes et dormant, pour certains, dans la boue et la crasse du paysage d'une ville en plein essor.
La chatoyante brume chatouille le visage d'un homme qui n'était tout autre qu'un humble bourgeois sortant de nul part et bravant le paysage sinistre dans une optique tout à lui-même. Une sorte de sortie nocturne obscure et inconvenante au vu de la posture sociale d'un tel être. Le pourquoi du comment, je le sais fort bien. Seuls les prédateurs sortent la nuit pour se nourrir. Se nourrir de chaire fraîche, d'une proie frêle, faible, fragile et innocente. Un bourgeois aux vices répréhensibles.
Surtout pour un être qui détient famille au complet. Femme, enfants, frères et soeurs.
Un homme qui doit assouvir ses pulsions qui lui sont propres, des pulsions qui n'appartiennent qu'à lui-même et que d'autres ne sauraient comprendre et, moi-même, ne puis comprendre. Ou juste un peu!
Le bourgeois se pavane au-delà des ruelles, s'engouffrant au plus profond des dédales de la ville. Un homme qui ne sait encore ce qu'il aura à sa portée mais qui semble ne se soucier des quelques badauds masculins qui ornent les caniveaux au milieu des déjections de ceux qui vivent plus au chaud. Les masures voient leurs fenêtres se combler. Les lumières se font rares à l'intérieur. Et à l'extérieur, c'est à peine si l'on voit à plus d'un mètre. Un moment idéal pour chasser sans être vu, attaquer par surprise, remplir ses sinistres desseins avec une facilité déconcertante. Il n'y a pas de meilleur moment pour cela et ce n'est pas le charmant sourire qui orne son visage qui dira le contraire. Je le vois, je le vois bien son sourire au travers de ce mur d'humidité qui nous sépare de peu. Lui ne me vois pas. Il semble borné sur son ambition du soir, ses yeux sont bridés par cette pulsion qu'il a en lui, en son coeur. Moi, je suis borné par cet homme, par cette pulsion qui me hante, par ce contrat que j'ai acquis la veille.
Je me présente.
Robert Aston Stranvolio Di Varius, dit Stradivarius.
J'ai de nombreux surnoms dont "Le Tueur au Violon" ou bien "La Rose Noire", mais ces surnoms là, seuls mes patrons les connaissent. D'ailleurs, si peu de personnes connaissent mon prénom réel. J'ai toujours eu la préférence pour Stradivarius, c'est un nom qui me colle à la peau et, au moins, je l'ai choisi. N'en déplaise à mes parents. Si seulement ils étaient encore en vie, mais ça, c'est une autre histoire.
Je suis assassin. On me paie pour éliminer des personnes gênantes. Je ne m'oppose à aucun ordre tant que l'argent est miens à la fin de chaque contrat. Je ne me targue pas d'être le meilleur, mais au moins, je suis toujours envie, ce qui n'est guère le cas de la plupart! Je ne dis pas, parfois j'ai acquis certaine cicatrices, certains déboires, mais rien ne m'a encore arrêté. Je pourrai m'arrêter, me direz-vous, mais c'est sans compter mon petit plaisir personnel à asséner le dernier coup fatal. Ce coup qui transperce la peau avec puissance et délicatesse, qui passe outre quelques morceaux de muscles pour sortir empourpré de l'autre côté.
J'aime le sang. Je ne le bois pas, je ne le goûte pas. Mais j'aime sa couleur. Ça me donne même, parfois, une certaine protubérance. On ne se refait pas, c'est ainsi, je suis comme cela.
Et je partage avec vous mon histoire, mon premier contrat.
Imaginez donc cette scène brumeuse, obscure, sinistre. Cette ville sans âme que de seuls poivrots amorphes qui jètent des râles idiots sur les murs de la ville en compagnie de quelques déjections maladroitement lancées à l'égard de ces mêmes murs.
Mettez vous un instant à la place de ce bourgeois. Cet être sordide qui recherche à nourrir ses pulsions machiavéliques, un peu comme moi, en souhaitant donner la mort. Un homme qui aime tuer les petites catins qui pullulent en chaque cité. Si, il faut juste les trouver. Si vous ne savez pas où, demandez moi dès que possible, je vous renseignerai si je suis de bonne humeur.
Vous êtes donc ce bourgeois.
Vous marchez sur les pavés choquant parfois quelques marres dégueulassant vos bottes. Vous avez faim, vous voulez vous nourrir, vous voulez tuer, vous frissonnez d'envie, de désir, d'un insatiable besoin de donner la mort. Vous êtes un monstre et cherchez vôtre proie qui se dissimule sous cette nappe la rendant presque invisible. Vous ne voyez rien autour de vous, vous ne voulez d'ailleurs rien voir qu'une paire de seins que vous pourrez découper.
Vous sentez que vous approchez du but, vous sentez cet irrésistible instinct qui vous dit mielleusement que vous n'êtes pas là de jouir béatement et vous voyez se dessiner face à vous une poitrine sirupeuse. L'extase, vous la sentez venir. Vous gémissez machiavéliquement ne vous souciant guère de l'image que vous rendez au peuple, peuple qui ne vous voit pas d'ailleurs, ce pourquoi vous vous en fichez!
Les feuilles tombent des arbres. Des feuilles jadis vertes qui recouvraient chacune des branches fortes des arbres. Le vert s'étant transformé en un marron pourri, en chaire décomposée, la feuille tombe au sol formant une légère couche d'humus. L'automne s'était installé. Beaucoup de couleurs froides comblait l'atmosphère. Et le souffle déversé par vôtre bouche malsaine semblait tout aussi froid que le reste du paysage. Mais, bientôt, vôtre rouge ornera le sol. Le marron des feuilles jadis vertes.
Vous vous approchez de vôtre cible. Seulement, un air sinistre et joyeux à la fois vint titiller vos oreilles glacées. Un souffle musical qui fendit l'air. Des cordes frottées qui sillonnèrent vos oreilles pour frapper vôtre esprit endolori.
Vous bouillonnez littéralement et saignez intérieurement, vôtre sang ne fait qu'un tour et pas dans le bon sens. Quel est ce son? Quelle est cette musique? Une musique si délicatement composée par ailleurs, ne sous-estimez pas mes talents de musicien. Vous avez déjà entendu cet instrument, un violon. Oui, cet instrument crée il y a peu. Vous ne pouvez oublier cette sonorité presque diabolique et vous sursautez à chacune des notes jouées. Vôtre regard scrute le paysage, mais n'y voyant rien à plus d'un mètre, vous ne pouvez percevoir quoique ce soit. Vous êtes complètement perdu, sans aucun repère temporel. Vous ne pouvez même pas savoir d'où vient exactement cette musique. Elle semble partout. Elle vous envahit. Elle vous tue à petit coups. Cette douleur atroce en vôtre poitrine vous saisit. Vous la tenez. C'est mortel. Vous vomissez rajoutant un peu de croutons dans la mare déjà bien remplie.
Vous tressaillez et vous mettez à genoux.
D'un coup, tout vos actes horribles, mauvais, affreux vous reviennent en tête. Vôtre vie défile devant vos yeux sans jamais, pour autant, vous repentir d'aucun acte malsains que vous auriez pu faire. Vous, modeste bourgeois de campagne, meurtrier à vos heures, tueur de catins, pourfendeur de femmes innocentes et fragiles. Vous êtes un lâche, mais vous ne voulez l'admettre. Cependant, vous allez crever, comme une merde. Oui, comme une merde, parce que j'ai un contrat sur vôtre gueule. Un sacré contrat que je vais me faire un malin plaisir d'exécuter.
Vôtre coeur vous fait souffrir, vous avez la tête qui tourne, vous n'avez plus rien à gerber. Vous râlez, vous mandez qui est là. Vôtre tête vous fait souffrir tandis que la musique se rapproche dangereusement de vous. Seulement, vous n'avez plus de force. Plus la force de lutter. Vous êtes faible, dans la même posture que la prostituée que vous avez buté la veille. La même faiblesse qui vous ronge de l'intérieur comme la peau que vous avez rongé à cette femme. Vous le savez, rien de bien ne vous arrivera plus et vôtre pulsion disparaîtra. Estimez-vous heureux que je sois docteur et vienne vous soigner dans ma grande mansuétude.
Là, à cet instant précis, alors que vous êtes à genoux sur le sol, la tête penchée en avant, le souffle lent, le coeur palpitant, vous sentez un picotement à vôtre cou. Vous sentez un léger frémissement à vôtre gorge, et vôtre souffle ne suffit plus, ne parvient plus à vôtre bouche. Vos yeux sont dilatés, prêts à exploser. Le noir se forme autour de vous et se referme petit à petit jusqu'à vous rendre aveugle. La langue est moite puis complètement sèche, vôtre bouche ne peut plus s'ouvrir. Vous sentez néanmoins un liquide l'envahir et passer outre vos lèvres. Un liquide qui a le goût que vous connaissez parfaitement, petit bourgeois. Le rouge se mélange aux croutons savamment poutré hors de vôtre corps sale.
Nous y sommes.
Vous crevez.
Une lame vous a transpercé la gorge au travers de la nuit. Elle sort vaillamment de l'autre côté et, bien que vos mains tentent de la retirer aussi inefficacement que possible, semble bien figée à cet endroit. Telle Excalibur dans son rocher que seul l'élu saura retirer. L'élu, c'est moi. Je dispose mon pied sur vôtre dos, et je retire la lame très délicatement prenant une précaution absolue de la bouche de droite à gauche pour vous faire sentir ce retrait.
Avec cette brume et vôtre visage tourné vers le sol, vous ne pouvez pas le voir, mais je souris. Moi aussi je m'abreuve de ma puissance de cette nuit. Moi aussi je ressens l'extase de porter le coup fatal. Et moi aussi je peux rire de ce méfait.
Vos paupières sont closes, le sang coule à travers les veines explosées et s'écroule sur le sol. Vous n'avez plus ce coeur qui palpite, ce besoin de tuer. Vous n'avez plus ce râle glaçant.
Vous n'avez plus de vie.
C'est, à présent, la partie un peu plus étrange, que certains ne comprennent pas, mais j'aime à appliquer ce procédé. Je dispose sensiblement une rose rouge sur vôtre poitrine et place vos mains sur vôtre ventre comme si nous étions à une veillée funèbre. Un grand classique? Ça en jète un max, oui!
Après cela, il ne me reste qu'à m'éclipser avant que les autorités n'interviennent. Je n'aime pas les cachots, c'est sinistres et il y a des rats partout.
J'ai eu un contrat, et ma bourse est pleine.
Quoi de plus beau dans une vie?
*Ben, "Poésie d'après-mort"
Épisode deuxième: "Bohemian Rhapsody"
Peut-être qu'un retour en arrière s'impose.
Peut-être désirez vous connaître le commencement.
Ce pourquoi je suis ainsi, le pourquoi et le comment.
Je ne crains pas de tout divulguer, pire, j'ose.
C'était un soir d'hiver.
Un froid glacial, un vent rompant chacun des os de tout les corps aventureux qui ne pouvaient rester au chaud à l'intérieur d'une chaumière bien entretenue. Le miens était rompu alors que j'étais sur mon lit de pailles humides. Il n'y avait pas vraiment de toit, il s'était écroulé à cause du poids de la neige. On pouvait dire qu'il s'agissait là d'une maison aux courants d'airs! Mais je n'avais pas à me plaindre sous ma peau de bête tout en regardant ce que ma mère préparait à manger. Rien de bien extraordinaire. Une soupe. Une soupe contenant beaucoup plus d'eau que de légumes ou de viandes. Mais ce n'était pas ce qu'il y avait dans l'assiette qui comptait. C'était le sourire de ma mère qui me réchauffait le coeur et l'esprit. Elle y mettait tant d'amour. Au final, c'était un plat contenant que de l'amour. Bien plus digeste que ce qu'il y avait réellement dedans.
Sa douce voix suave m'appela à la tablée. Nous étions que tout les deux. Mon père n'avait plus la chance de vivre depuis bien longtemps déjà et j'étais donc, de mon bas âge, l'homme de la maison. A croire que c'était un rôle que j'appréciais puisqu'au final je ne faisais rien de mes journées, surtout les courtes journées d'hiver où la couverture était plus importante que le besoin de bouger et le travail aux champs n'était pas d'actualité puisque la pierre était solide comme du roc.
Je disais tout à ma mère.
Absolument tout, même les choses les plus délicates et difficiles à avaler. Et là, à ce moment, j'avais le besoin oppressant de lui divulguer ce qui m'empêchait de fermer l'oeil, de dormir comme tout enfant devrait dormir. J'étais perturbé par un problème que j'ai causé il y a quelques jours. Je me réveillais souvent en pleine nuit en me demandant si ma vie était un rêve, s'il suffisait d'ouvrir les yeux pour recouvrer la vue sur la réalité. Mais impossible de fuir cette réalité. Impossible de voir autre chose que ce trou béant au dessus de mon lit et ce ciel grisâtre apportant cette neige qui me tombe en pleine face. J'étais pris dans un éboulement, un cercle chaotique sans fin. Je n'étais qu'un pauvre garçon ne recherchant aucune pitié. Mais ce que j'avais fait n'était pas convenable.
Je savais pertinemment que cela causera certainement de grands maux à l'égard de ma mère. Cependant, dans une vie, il y a des hauts et des bas. Qu'importe le sens du vent, il faut aller de l'avant, et se laisser pousser ou pousser.
Entre deux cuillères, je pris ma force de tout lui dire.
"Maman, je viens de tuer un homme, j'ai planté une lame dans sa tempe, poussé la lame jusqu'au milieu de son crâne. Maman, la vie ne fait que commencer, mais je sens que j'ai tout gâché... Maman, non. Je ne veux pas te faire pleurer... Si je ne reviens pas demain, continue à vivre comme si de rien n'était... Comme si de rien n'était..."
Voir une mère pleurer sur les fautes de son fils.
C'est difficile, très dur. Le choc était brutal, j'en ai conscience. J'ai sorti ces quelques phrases tout en dégustant ma soupe, comme si de rien était alors que je venais la faire défaillir. Elle tremblait. Elle hurlait. Elle pleurait. Et moi, je bouffais. C'était peut-être là que commença mon amour pour la mort, mon besoin de tuer et de faire souffrir. Mais je ne fais pas cela comme un vulgaire cannibal, comme un vulgaire monstre, non, je cherche seulement à assouvir un fantasme, un besoin oppressant, le tout avec classe.
Mais je dois m'y faire, un frisson parcourt mon corps et mon coeur, je viens juste de réaliser que mon heure était venue, qu'il fallait que je m'en aille, que je devais la laisser pour ne pas lui causer plus de tord. Qu'il fallait que j'affronte seul mon destin, ma vie ne faisant que commencer. Au revoir tout le monde, je dois partir. Je dois tout plaquer et faire face à ma réalité. Je suis un assassin. Finalement, je suis un monstre. Mais je ne suis qu'un gamin, qu'un garçon, je ne veux pas mourir. Quel que soit le sens du vent. Parfois, je souhaiterai n'être jamais venu au monde. Ne pas la voir pleurer. Ne pas maculer son visage ravissant de ses larmes violentes. Maman... non... Qu'ai-je fait? Ne pleure plus, ne pleure pas. Tu ne me reverras plus.
Me voici seul dans la nature.
J'ai claqué la porte de ma chaumière. Un pan de neige s'écroula sur moi. Je tremblais, j'avais froid, j'étais seul à la merci de tout. Un petit garçon qui ressemblait à un bonhomme de neige. Mon aventure commença à cet instant et j'avais peur de tout, même des éclairs, de la foudre, du tonnerre qui traversa le ciel m'accompagnant dans mes plus sombres dessins. Une femme s'approcha de moi et me prit sous son aile souhaitant que je fasse mon petit coming out. Sortir du placard. Prendre les armes qui s'y trouvent et exploser le tout sur une cible qu'il m'aura donné. Triste métier pour un jeune homme. Mais je ne suis qu'un pauvre garçon, il faut me pardonner, je suis né d'une pauvre famille. Épargnez ma vie et ma monstruosité. Je vais et je viens, laissez-moi partir. Bélzébuth a fait mettre un démon de côté pour moi et je pense à elle...
"Maman, laisse moi partir, mama... Laisse moi partir, je ne veux plus de toi, je veux que tu me laisses, je veux te laisser, maman... Si tu m'accompagnes on devra te lapider et te cracher au visage... Tu peux m'aimer, encore, mais laisse moi mourir. Je peux partir, je dois partir, je dois quitter immédiatement ces lieux. Je dois sortir d'ici."
Rien n'est vraiment important.
Tout le monde peut le voir, rien ne m'importe encore. Rien n'est important. De toutes façons le vent souffle et demain je serai ailleurs. Demain, je ne serai plus. Demain, tu m'oublieras, je partirais loin, loin de toi. Mais je t'aime maman. Mon démon ne fera que te faire souffrir. J'apporte la mort et c'est mon destin. Je dois l'accepter et puiser mes forces du tonnerre et de la tempête et empêcher quiconque te faire du mal. Personne ne fera de mal à ma mère sans périr illico presto.
C'est comme ça que ma vie commença. C'est ainsi que ma vie prit tout son sens. C'est ainsi que la vie me porta de ville en ville.
Et un jour, je suis allé en taverne et mon deuxième meurtre commença.
"-Quel âge as-tu petit?
-On peut jouer à un jeu mais tu devras m'offrir un de tes membres les moins importants pour toi si jamais tu fais erreur."
Le vent m'avait apporté jusqu'à cette petite ville tranquille.
Il n'y avait pas âme qui vive, seulement une en taverne. Un tavernier qui n'avait pas de clients et qui puisait sur ses fonds personnels pour entretenir son foie de quelques kilos d'éthanol. Je crois que ce jour là, il ne m'avait pas prit au sérieux dans mes dires. Et pourtant, j'avais une lame pointée sur ses braies entrouvertes. Il était tellement bourré pour s'en rendre compte. Son pénis était pourtant en dehors, et ma pointe sur ses sacoches. Il est pour dire que son état était aggravé. Sûrement l'avais-je dérangé lors d'une petite sauterie entre pauvres catins.
"-Ah ah!10 ans, tu ressembles à une fillette"
Et ma lame traversa la bourse.
Je n'ai jamais vu de sang jaillir aussi rapidement d'un endroit de l'anatomie d'un homme. Je n'avais jamais vu autant de rouge me sauter à la face et y rester collé comme pour me punir de ce geste et montrer à tous de quoi j'étais capable. Mais il n'était pas une bonne idée que de lui couper aussi rapidement un membre capital qui le fit chuter littéralement au sol et le foudroya d'une mort lente et douloureuse. Le jeu avait commencé, mais s'était terminé trop vite.
Le vent m'amènera dans une autre ville. Je passerai inaperçu. Je me glisserai dans la foule. Je réfléchirai beaucoup plus avant d'agir de la sorte.
Mais je ne suis qu'un pauvre garçon, personne ne m'aime et je suis un monstre.
Maman, c'est pour toi que je fais tout cela.
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Stradivarius

"Se juger par son simple regard est comme signer son acte de mort."
Voilà que la nuit tombe. Les ténèbres s’installent sur les villes de ce pays. Les lampadaires tentent d’animer quelques ombres indiscutablement inquiétantes dans cette atmosphère toujours plus morbide qui apparaît chaque soir sous ce voile noir et austère d’un ciel chargé des émotions de nos morts et noir comme peut l’être l’âme d’un des plus tristes homme sur Terre.
Les hommes tentent vainement de se rassurer en usant de l’électricité afin d’amener un peu de vie dans leur antre secret et privé, dans leur maison, ou appartement, afin de lutter contre la pression angoissante de l’Enfer qui s’abat sous les hurlements de quelques loups coincés dans un zoo du coin. La lune est pleine, arpente les sentiers battus de ces ruelles malfamées où certains dealers s’installent en l’attente de vendre des produits extasiants offrant là une alternative délicieuse aux pauvres badauds perdus dans un trip à la « Las Vegas Parano ». L’éther démoniaque fait ainsi tituber ces êtres décharnés, dont les principes mêmes se retrouvent perdus dans une cage d’insouciance et d’un cerveau d’héroïne parsemé.
Les femmes en mal de quelques euros font aussi la part belle des trottoirs au grand plaisir de ces hommes seuls qui n’ont que pour seule beauté les liasses bleues de leur porte-monnaie. De là, l’on peut admirer les joies de quelques coups portés sur des visages émiettés par ces proxénètes qui n’en ont pas pour leur argent, qui veulent toujours tirer sur la corde afin d’obtenir davantage de la misère humaine. La nuit est ainsi lourdement chargée de quelques maux de l’humanité, comme une boîte de Pandore que l’on ouvre et que l’on réouvre perpétuellement avec un de ces sarcasmes diaboliques et démoniaque.
Mais en passant de tous ces cadavres qui jonchent les allées et les grandes avenues de nos terres sinistrées, alors on peut admirer d’autres spectacles bien différents et tout aussi enthousiasmants. C’est ici que je prends beaucoup de plaisir à venir, terré dans l’obscurité, derrière un buisson, invisible de la surface et camouflé au grand damn de ceux qui j’inspecte, que je scrute, que je repère pour mon propre plaisir explosif.
C’est de là que j’admire chacune des fenêtres d’un grand immeuble. Là où je construis, chaque jour, des histoires qui m’émerveillent et m’émeuvent toujours un peu plus. Tout cela ne se passe guère dans d’étroits couloirs sombres, mais bien dans de grandes scènes lumineuses sur lesquelles chaque personnage se trouve être acteur d’un vie inventée et formidable, émanant directement de mon esprit qui ne rassasie jamais du peu qu’il trouve. Une âme qui veut toujours davantage, comme de ceux, comme cités auparavant, qui vont à la recherche continuelle d’une drogue dure pour s’échapper d’une vie qui ne leur appartient pas, qui les fait souffrir, qui transforme tout ce qu’ils sont en une volute de fumée acariâtre et nauséabonde. Moi, je cours aussi après ce délicieux parfum désincarné de la recherche d’histoires et de sensations particulière et fantasmagoriques.
La beauté des fenêtres, et ce qui se passe en leur sein, est tout bonnement magnifique. Je peux percevoir tous ces personnages qui ne se doutent aucunement que je lui à les observer, à voir et admirer chacun de leurs faits et gestes sans qu’ils ne puissent contrôler les tergiversations de mon imagination qui se conduit en suivant ce fil d’Ariane monté spécialement pour le Minotaure que je saurais être. Tout cela me fait bien sourire. Je ris souvent, je pleure de temps en temps. D’autres moments m’angoissent jusqu’au dénouement de la terrible histoire qui se trame devant mes yeux sombres. Chaque fenêtre amène son histoire, et chaque histoire a sa finalité. Bonne ou mauvaise.
Là, je perçois un homme âgé, probablement veuf, se plaçant aux abords de sa fenêtre, sous une lampe éclatante, pour lire un roman d’amour tout en s’imaginant, certainement, que sa vie est minable au regard de ce qu’il peut lire. Que son amour, lui, est déchu depuis bien longtemps et qu’il doit se contenter d’une pauvre assiette à peine remplie d’un petit sandwich sinistre et agrémenté de peu de choses, sans sauce. Un étouffe chrétien lamentable dont il se contente dans sa solitude atterrante. Il est certainement hanté par les démons de son passé et se met à verser une larme de tristesse tout en songeant à l’heure de sa mort dans l’espoir de rejoindre sa dulcinée condamnée à errer seule dans un purgatoire scintillants de flammes désastreuses. En songeant à tout cela, il se met à éteindre les lumières afin de rejoindre l’obscurité amenant son lot de rêves exaltants, et de mensonges rassurants sous une couette sale et poussiéreuse, parsemée de misère et de désespoir.
Si je prends une autre fenêtre, je peux admirer le spectacle de deux enfants qui s’amusent devant des parents rieurs, joyeux de pouvoir assister au bonheur innocents de ceux qui, certainement, deviendront névrosés et délinquants à l’âge adulte. Mais l’insouciance de l’instant laisse à songer qu’ils finiront, dans l’espoir parental, de riches et reconnus médecins, ou des artistes merveilleux dont les albums se vendront à des millions d’exemplaires. Des parents qui font tout pour que leurs enfants deviennent les meilleurs, même s’ils le sont déjà en leur esprit. L’avenir joue parfois des tours, mais pour l’instant il faudra sûrement réconforter le petit garçon qui est tombé, se faisant douloureusement mal sur le coin d’une table et pleurant de chaudes larmes jusqu’au réconfort de parents inquiets pour sa santé.
Une autre fenêtre conduit sur une autre joie, un tout autre plaisir. Celui de percevoir une femme se dénuder lentement et doucement devant la fenêtre. Laissant voir son corps à quiconque passe devant ce lieu. Son soutien-gorge se défait. Sa culotte fait de même en rejoignant le sol. Elle semble jeune, bien faite, extasiant certainement quelques hommes croisés dans les ruelles. Elle se couche nue, appréciant sans doute le contact de la soie contre sa peau douce et sulfureuse. Mais c’est alors qu’un homme vint la rejoindre, tout aussi nu, faisant mouvoir un pénis droit, allant de l’avant, pour quérir une rose tâchée d’émotions. Ils se rejoignent, se retrouvent, sous une couverture cachant ce que Dieu, lui-même, ne saurait voir. Malheureusement, voici qu’elle pourrait voir un bébé poindre le bout de son nez à l’intérieur de son ventre. Un enfant non désiré qui sonnera la fin de ce couple harmonieux pour offrir le calvaire à une femme célibataire d’apporter un bonheur à un enfant sans père. Jusqu’à ce qu’elle se réconforte dans les bras d’un bourreau qui ne lui apportera sans doute aucun plaisir à l’avenir.
Voici tout ce que mes yeux de voyeur peuvent entrevoir dans ces différents spectacles intéressants. Si je porte un regard noir, il est vrai, c’est que plusieurs de ces faits se sont avérés exacts. En effet, qui, dans notre société, peut encore se complaire à raconter un bonheur qui les anime, qui les habite, alors que le désespoir rôde toujours inconsciemment dans un cervelet qui tait l’alarme du danger au travers d’un coeur qui conduit inéluctablement à l’erreur, à la faillite, à la mort seule. Oui, tout est toujours noir, tout est toujours souffreteux, tout est toujours scandaleux. Des femmes meurent sous les coups des époux. Des Don Juan s’amusent à cueillir des centaines de femmes sans avouer leur perversité extravagante. Des enfants subissent le contrôle de parents qui veulent que la gloire et la beauté s’abattent sur eux, permettant une vie riche et joyeuse en toutes circonstances sans songer un seul instant qu’ils ruinent alors la propre personnalité de leurs ouailles, les rendant ainsi dépressifs ou diaboliques sans que l’on ne s’en rende compte, surtout pas.
Mais voici qu’entre toutes ces lucarnes, ces yeux de Judas, où s’enchaînent les violences, les bagarres de couple, les rires d’enfants ou les jouissances d’un coin adjacent à la cuisse frémissante, je m’égare sur le dernier étage plombé dans le noir et l’obscur. Mes yeux balaient chacune des pièces dessinées sous les ténèbres d’un ciel qui devient de plus en plus menaçant, de plus en plus orageux, de plus en plus diabolisant. Je me perds dans mes songes, jusqu’au moment où je perçois, sous un éclair, la silhouette d’un homme seul admirant le paysage. Lui n’allume pas la lumière, il reste dans l’enfer de la nuit. Il ne bouge pas, il ne fait aucun geste, il reste stoïque sans qu’aucune émotion ne se laisse figurer sur sa face. Je ne devine rien. Je ne vois rien. Je suis dans l’incertitude quant à lui imaginer une vie, sa propre vie. Je ne sais quoi y penser. Je ne sais quoi me douter. Je suis perdu dans son regard. Est-ce qu’il me regarde à l’instant ? Je n’en suis même pas sûr. Rien ne se laisse échapper de ses inquiétantes émotions. Serait-il habité par des idées sombres ? Serait-il animé par quelques idées tendancieuses ? Vit-il une simple coupure de courant qui l’oblige alors à s’occuper par d’autres moyens que celui de lézarder, comme d’autres, devant une télé abrutissante et absurde ? Je ne vois rien. Pas même le dessin exact de ses desseins entourant un visage alors inconnu, imperceptible, disparates dans les brumes ténébreuses.
Mais le nuage couvrant ce ciel chargé d’orages se met enfin à se mouvoir. La pleine lune me permet de constater un peu mieux sa physionomie. Je le regarde pleinement, de façon intense afin de décortiquer la moindre âme qui pourrait me paraître brusquement. Brutalement. Le nuage bouge de plus en plus vite, va de plus en plus loin, laissant briller l’astre non flamboyant de la nuit. Et la terreur s’empare alors de mon être tout entier. Je le vois. Je le devine. Je le constate. Je comprends que ses yeux scintillants se déchargent tout contre moi. Il devient voyeur de toute la scène que je mets en place. Il sait ma présence. Il a connaissance de ce que je suis en train de faire à cette heure tardive, moi qui m’amuse à inventer des histoires sur le dos de pauvres personnes qui ne devinent en rien ce qui se passe à leur insu.
Mon coeur s’emballe. Je perds pieds. Je ne peux pas soutenir davantage ces yeux qui sont ceux de la folie pure. Qui sont ceux de l’angoissante vérité qui s’écrase comme un coup de poings sur ma gueule d’espion de la vie privée. J’ai même l’impression d’être au bord de la crise cardiaque. Je ne peux pas me défaire de ces yeux sataniques, de cette brillance inéluctable qui ce dégage de cet être inconnu, insondable. Cela dure bien cinq minutes avant que je me décide à abandonner mon poste et mon camouflage et prendre mes jambes à mon cou histoire de m’évader de cette étreinte affreuse et douloureuse dont je suis alors victime.
J’ai l’impression qu’il me poursuit, qu’il me pourchasse, qu’il est toujours derrière moi. J’entends même courir en mon dos. Je me retourne. Il n’y a tout simplement personne. Ou juste le cadavre d’un drogué sous crack qui attend sagement l’heure de sa prochaine pipe.
Je rentre alors chez moi et m’enferme à double tours, me calant tout contre cette porte dans l’idée de la bloquer définitivement à toute intervention possibles et imaginable. Je crois même qu’il aurait été possible que je m’emmure vivant tant la peur est vive et palpable. Mais la nuit se terminera bien à un moment. Ma veille sombrera alors aux premières lueurs du jour.
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Il fait nuit. Une musique de Max Richter me berce doucement tandis que je fais quelques mouvements de la main, une main soutenant un verre d’armagnac de 12 ans d’âge. Je m’allonge au sol, laissant délicatement tourner le crépitement du vinyle. Je réfléchis. Je songe. Mes pensées se meurent dans des louanges du passé, ou plutôt de ces affres horripilantes qui pilotent le destin de toute une vie. Mes yeux sont clos. Les bougies se meuvent sous l’effet de ma respiration, ou du vent qui pénètre par le berceau de ma porte. La naissance d’une mélancolie, d’une nostalgie. Mon coeur se vide, ce bijou hors de son écrin argenté. La danse flou de mon esprit macabre se fait insistante dans la pièce sinistre et ténébreuse dans laquelle je me situe. Ma couche, un simple tapis, se frotte à mon dos, je me sens en union avec cette terre bercée tout autour des champs de betteraves. Je me sens... bien... et à la fois mal. Souffreteux. D’une douleur inexplicable. Inextricable. Comme si ma vie prenait un tout autre sens. Un autre tournant.
Allo, fox trot tango charly.
Ici rien ne va plus. C’est comme un appel SOS pour un terrien en détresse. Houston, nous avons un problème, rien ne va plus. La vie effleure ma peau et s’évade de ma bouche en quelques expirations pieuses et saccadées. Mon ventre se gonfle et se dégonfle. J’ai l’impression d’être un ballon de baudruche. Ou comme un de ces champions olympiques qui perdent leur souffle à tenter des exploits qui n’intéressent qu’eux-mêmes. Être le meilleur, le champion, le plus doué en ce monde. Destin funeste, douce consolation sordide d’une capacité étrange, d’un autre point de vue que ce qui est réellement important en ce monde : l’amour. L’amour, n’est-ce pas cela qui devrait guider chaque être sur cette maudite terre? N’est-ce point là la passion qui devrait mouvoir chacun de nous, plutôt que d’aimer avec passion un sport, un art, ou tout autre chose... non. Non, c’est insipide. On ne peut rien faire seul, on ne peut vivre seul, on ne peut mourir seul. Tant de souvenirs et d’insolences qui me meurtrissent. De la débauche de la nature humaine. Dépravation. Anarchie. Mai 68. Bam. Un coup de hache tombe sur la tête d’un innocent, tel une guillotine réinventée. C’est idiot, mais c’est un peu ça le monde d’aujourd’hui. De la violence, de la haine, et non de l’amour.
Et moi, là, je navigue.
Je navigue sur le verre de mon insouciance, de ce nectar qui palpe mes lèvres et coule lentement au plus profond de mon gosier acéré, asséné par tant d’insuffisances. D’insolences. D’arrogances. Bam. C’est moi qui perd la tête. Je dévie de mon horizon. Je perçois l’arbre majestueux du jardin d’Eden, et pourtant je ne mérite pas l’accès à ce Paradis. Puisque je ne connais l’amour qui devrait nous guider à jamais. Un voyage. Un voyage. Juste ce voyage et le temps qui passe dans cet avion maudit. Et ce tic. Et ce tac. Bam. La tête roule sur le plancher et je dérive encore. Cette musique change et passe au « Sang de mon sang », « blood of my blood ». Comme s’il y avait là réunion de deux êtres maudits qui doivent se retrouver pour ne former qu’un. Une union parfaite et unique. Finalement, un seul être qui s’élève vers les cieux pour pourfendre les Dieux et leur voler la flamme qui apportera la paix et l’amour sur cette terre désolée.
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Défi
Stradivarius

Devant le miroir, le reflet glisse sur le desespoir de mon visage vide de quelconques sentiments. Les poings serrés, l'âme soulevée, j'admire mes yeux isolés dans la torpeur d'un sombre destin qui se dessine tout lentement à travers les veines apparentes et la fureur dessinée au crayon sur les lignes de mon corps. Le sang coule petit à petit dans l'évier, faisant quelques sons bien précis, bien éprouvant pour quiconque l'entendrait en temps normal. Des tic-tac assourdissants se mêlent à la scène horrifiques tandis qu'une flamme semble s'élever dans les airs, vaciller au contact d'un souffle animal qui s'anime petit à petit dans l'écho de la pièce carrelée.
Les paupières se relèvent, les sourcils retombent. Chacun des souffles apprécie le temps, le moment présent, et amène son lot d'inquiétude, de frustration calmée, de colère acerbe contrôlée par les impulsions d'un passé proche. Je regarde mes tempes grossir, maigrir, battre le tempo de la folie déchaînée, de la folie retrouvée. Je suis avec moi-même, je me parle en tête à tête, je souris tendrement sur les sombres contours de ma morphologie. Je me trouve beau. Je me trouve agréable. Je me trouve magnifique. Je me trouve tendre. Finalement, je me découvre petit à petit. L'être timide d'antan se compare au portrait de Dorian Gray. Fier, les épaules levées. Une oeuvre d'art peinte en rouge vif.
Une ombre, néanmoins, se retrouve en arriève plan. Se mouvant comme elle le peut dans l'obsucirité, dans les Enfers, vivant sa propre mort au demeurant sans savoir s'il est possible de se relever, de sentir encore son coeur battre la cage thoracique et amener ce petit palpitant significatif. Mais est-ce réellement véritable ce qui se passe à l'instant ? Est-ce un rêve ? Est-ce un cauchemar ? Est-ce qu'une âme en peine tente vainement de communiquer avec mon intérieur, me signifier qu'il y a de ces choses que l'on ne peut contrôler ? Peut-être que tout cela n'est que songes diaboliques, dictées par les démons eux-mêmes du point mort de la zone brûlante jouxtant le Styx flamboyant.
Je me retourne. Je prends une profonde inspiration. Puis, je retourne dans la chambre, enjambant l'âme maussade de mon Autre. La jubilation de mon imaginaire, de ma volonté qui se veut être amenée à se voir véritable. Je ne cache guère mon sourire, je l'affiche continuellement, admirant l'ensemble des projections qui peuvent se faire réalité. Je vois déjà que le sang qui coulait sur mes avant-bras, sur mes mains, sur mes poings serrés, sera présent au moment même où je pousserai cette porte qui me sépare de ma destinée, de ma sombre folie qui souhaite s'exprimer, de ce petit diable sur mon épaule qui m'ordonner de rendre justice à l'insatiable soif de sang que je possède au tréfond de moi-même.
Je pousse cette porte. Je la vois, elle. Je le vois lui. Ils sont toujours engoncés dans les draps de leur desespoir, ne sachant concrètement que faire pour échapper à l'affreuse vérité qu'ils offrent à mes yeux noirs. Ils m'ont prouvé que deux êtres peuvent aisément s'adonner à l'hédonisme, sans honte, dans un lit conjugual qui n'est pas le leur. Qui n'est pas le sien à lui. La découverte effroyable, le boulon de mon cerveau qui aura sauté. Effroyable. Épouvantable. Effrayant. Lamentable. Le dégoût s'empare de moi, de mon coeur, le sert dans un étau étouffant. Le broie dans un énorme fracas assourdissant. Mais je continue de sourire et d'avancer lentement vers eux. Ils tentent de communiquer, de temporiser, mais je n'entends rien. Je n'écoute rien. Je ne veux rien savoir. Je balance mon corps sur une impulsion du pied en avant, je saute sur eux.
Je m'arrête sur le corps lamentable de l'homme nu qui se couvre le visage m'ordonnant de ne rien faire que je pourrai regretter, s'excusant en lâchant sa bile nauséeuse sur mon visage féroce. Mes phallanges heurtent sa peau une fois. Puis deux. Un cri survient à côté de moi. Trois. Quatre. Le tic-tac devient de plus en plus sombre. Il dipose du temps à sa convenance. Cinq. Six. Le son de ces dents qui volent en éclat sous une puissance divine incontrolable. Sept. Huit. Je jubile intérieurement, ne sentant pas que mes os claquent les uns après les autres et que ma main se trouve en charpie. Neuf. Dix. La peau disparaît petit à petit, laissant les muscles à vif sur une machoire mouvante. Il expire une dernière fois. Un dernier râle de souffrance sans défense, qu'une défonce.
Elle se jète sur moi, mais il est trop tard. Je commence à rire devant elle. Elle s'échappe. Je la poursuis. Je la vois fermer les portes. Une après l'autre. Hurlant à qui voudrait bien l'entendre. Tentant de s'échapper de son sort après une infidélité consternante. L'écho de mon rire retentit comme une cloche d'église sonnant minuit. Elle passe la dernière porte et se retrouve à l'extérieur, courant nue et ensanglantée dans la nuit noire. Et je continue de la suivre. Je poursuis ma route avec l'idée fixe que mes pulsions souhaitent à nouveau voir le sang couler jusqu'à la jouissance interne de rendre justice.
Mais la raison passe par dessus la déraison. Et je m'éveille. Je suis toujours devant mon miroir, sentant les lamentations de Pan se déchaîner en moi et mon coeur perdre le contrôle tandis que je constate que mes rêves ne sont que des rêves et que la réalité est bien amère et prompt à rendre la folie irréalisable. Je me tiens la poitrine. Je m'écroule devant tant de douleur. Le tic-tac se poursuit, inéluctable. Incontrôlable. Pourtant si tangible. Je souffre. Je me blottis contre le parquet. Je me perds dans les dédales d'un esprit en proie à la mort véritable. Et j'expire mon dernier râle en entendant le son des cloches de l'orgasme se déroulant dans la pièce d'à côté.
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Stradivarius

L'amour a du chien
Sous un soleil brulant.
La peau se hâle, la chaleur se heurte à une peau nacrée et rebondit en quelques réflexion sur une eau qui coule et se découle devant un regard d’un bleu profond. Sous les immondices de ce monde, le jardin d’Eden se démarque d’une ville et d’une foule criarde et vociférante. Seuls les cygnes osent se baigner et quelques cris d’enfants jouant à l’arrière me font bondir par quelques soubresauts évidents. J’aime ce parc. J’aime cette nature construite, pourtant, par l’homme. Ce lieu non naturel qui offre, toutefois, un calme et une méditation parfaite. Surtout pour le chien qui m’accompagne fidèlement. Ce compagnon de vie que je me suis offert lors de ma séparation avec une femme que je pensais digne. Digne de confiance et loin de toutes fourberies. Mais je ressasse. Dans ma tête résonnent des choses du passé, dans le présent, pour un futur peu confiant. Tout ceci est imparfait, et je le sens au plus profond de moi. Malgré toutes les belles choses qui s’offrent à moi, je ne vois qu’un voile noir et brumeux. Une ombre ténébreuse d’une défunte vie d’amertumes et d’un total désert social. Un reg, si je puis dire.
Et mon chien se barre, comme toujours.
Sans aucun rappel, il fait sa vie tandis que je me trouve allongé sur l’herbe, un brin entre les dents d’un bonheur qui n’existe plus au fond de moi. Je ne pensais pas que de me retrouver en cette forêt, devant ce lac, je pourrais ainsi me retrouver encore plus seul, au plus profond de mon être et dans la solitude environnante. Un nouveau cri d’enfant me fait sursauter et sortir un instant de ma torpeur. Je souris tout de même. D’un sourire las. Je me dis, sans doute, que l’insouciance de l’enfance fait rêver et offre de ces choses de la vie que nous, adultes, ne pourrions plus jamais connaître. Non, il est impossible que nous puissions de nouveau faire dans l’insouciance, dans l’innocence, dans les jeux d’enfants. Jouer un rôle et fabuler sur l’existence même de notre propre vie. Pourtant, oui, certains y parviennent et fabulent encore et encore. Se raconte des histoires à eux-mêmes mais aussi à leur entourage. De façon nocive. Toxique. Combien d’êtres se disent en couple et vont voir ailleurs dans le plus grand des secrets, faisant fonctionner la machine administrative d’un travail trop prenant ou d’un pot de départ plus ou moins traînant en longueur. Minuit, toujours personne. Et on ne se doute de rien, jusqu’à ce qu’elle dise, en rentrant, qu’elle a mal à la tête et que seul mon oreiller ne se retrouve serré à moi en guise de consolation. Point de sourire, point d’appartenance. Double jeu, double vie. Peut-être que si j’avais le permis de tuer, tel James Bond… non, ce ne sont que des idées nocives amenées par des êtres vicieux. Par Satan lui-même.
Et mon chien revient enfin.
Je ne sais combien de temps s’est déroulé depuis sa fugue. Du moins, je ne peux vraiment parler de fugue. Je lui fais une totale confiance. Absolue. Les animaux sont les plus loyaux, les plus beaux et les êtres les plus agréables que les humains eux-mêmes. Ils ne mentent jamais, sont toujours dans la vérité. Même à la moindre connerie faite à la maison, ils assument sans réellement se cacher si ce n’est plus éviter une claque monumentale. Je ne frappe jamais mes animaux. Ce serait néfaste pour moi et ma relation avec mon chien. De son pelage blanc et de son allure de renard, soyeux, doucereux, je lui caresse son museau humide. Je ne sais même pas où il est allé.
- «  Jones, où vas-tu tout les jours? Regarde ton pelage, tu es sale. »
- «  Waf! »
- «  Je sais, tout cela ne me regarde pas. Tu es une brave bête, tu vas où tu veux tant que tu reviens. »
Je lui caresse le haut du crâne.
Il en profite pour taper de la patte au sol. Il adore ça. Il adore que je le gargouille. C’est le seul être sur terre qui me donne encore de l’espérance. Cette chose qui n’existe plus réellement en ce monde et qui ne laisse que profiler des indélicatesses à venir et à subir encore et encore. Nous ne sommes pas dans un conte de fée, loin de là. Alors je me relève, m’étire légèrement. Le soleil commence à se coucher et nous traversons le bois. Mon chien tire un peu sur sa laisse. Il veut retourner là-bas. Il ne veut pas rentrer dans mon 15M2 insalubre et affreux. Il veut juste être dans la nature, mais je n’ai pas les moyens de me payer mieux. Je n’ai pas les moyens de lui offrir un jardin, une vaste étendue, une cour majestueuse. Et pourtant, pour ce qui ressemble le plus à un loup, c’est bien ce qu’il faudrait. Je suis pauvre, je suis usé par la vie. Le travail en usine ne maintien même pas mon train de vie, ni même ma santé. Je suis las, complètement éreinté. Seules les promenades dans cette forêt, dans ce grand parc, le calme et la mélodie de l’eau qui s’écoule en une belle mélodie mélancolique, seules ces choses de la vie me maintiennent encore dans l’humeur et la bonté d’âme. Autrement, aucun sourire ne s’échappe de mon faciès grippé par les inconvenances de ce monde. Aucun regard levé, aucun oeil croisant l’iris d’un voisin.
J’ouvre la porte de mon immeuble.
Doucement. Lentement. Sans tenter le moindre bruit. Mais mon chien aboie. Je le maudis intérieurement. Mais personne, rien. Je m’avance et passe devant l’écriteau affiché depuis à présent 4 ans sur lequel est inscrit « ascenseur en panne, veuillez emprunter les escaliers ». Évidemment, je ne vais certainement pas user de mes pouvoirs de lévitation pour tenter de grimper jusqu’au dernier étage. Le dixième. C’est long, c’est haut, c’est usant. Mais les songes d’imaginer une personne qui tenterait d’user de l’ascenseur et d’attendre des lustres coincé dans la cage métallique en tentant vainement d’appuyer sur tous les boutons pour que celui-ci avance, fonctionne. Ces songes là me font doucement rire. J’émets un gloussement étrange. Et une porte frétille fortement et s’abat sur le mur d’à côté.
- «  Monsieur Jack, merci de faire taire votre animal lorsque vous entrez dans l’établissement. Autrement, je me verrais contraint d’en informer le syndicat, et vous aurez chaud au cul! »
- « Je… pardonnez-moi »
La vulgarité.
Toujours la vulgarité. Je cache mon regard un instant. Dans ma tête de vilaines phrases circulent sans que je ne puisse les dire. Je ne le fixe pas, je n’assume rien. Et pourtant, il a usé d’une mauvaise phrase à laquelle j’aurai du rétorquer. Faire le nécessaire afin de m’affirmer et montrer mon désaccord. Je me dois de faire en sorte qu’il me montre du respect, qu’il m’en témoigne, et qui n’agisse point comme si j’étais le dernier imbécile. Pourtant, je ne l’embête jamais. Je fais le moins de bruit possible. Je sors mes poubelles pour lui éviter de le faire et je nettoie même l’escalier sans jamais le moindre remerciement. Ou si, entendre dire que cela est mal fait, que l’on est toujours mieux servi que par soit même. J’ai vraiment envie de lui répondre, lui rentrer dedans. J’en suis incapable. Et cela ne sert à rien, vraiment à rien. Même si je rêve, durant la nuit, de l’égorger. De l’attaquer sauvagement. Même, parfois, l’étriper directement. Des idées malsaines qui me sont données par le simple fait que ces gens exercent sur moi une injustice profonde sans qu’aucune justice ne soit présente. Et je reste planté là, avec mon chien qui remue de la queue sans comprendre ce qui se déroule.
- «  Et ses poils. Il y en a partout. Je dois toujours passer l’aspirateur derrière vous. Vous vous rendez compte, à mon âge. J’ai 65 ans, je suis encore loin de ma retraite, et je dois réparer vos conneries. Je n’ai pas que cela à faire monsieur Jack. J’ai aussi ma maison à assumer. Je ne travaille pas pour des broutilles, des pécadilles. Vous ne me donnez même jamais d’étrennes pour me remercier de mon travail. J’aimerais vous y voir, vous. Et je crois même que votre propriétaire est venu voir pour que lui versiez son loyer. Vous ne payez rien. Vous n’êtes qu’un déchet monsieur Jack. Je vous le dis franchement. De mon temps, ça ne se serait pas passé comme ça. Un jeune con comme vous, je le mettrais à la rue un coup de pied au cul et on en parle plus. Vous avez de la chance qu’il soit aimable votre propriétaire. C’est un homme bon monsieur Haurel. Trop bon, trop con je crois. Il a travaillé dur, lui, pour pouvoir s’offrir des appartements et les louer à des couards comme vous et…. »
Et là, je n’entends plus rien.
Je suis toujours présent dans la pièce, me faisant engueuler comme un poisson pourri. Les injures pleuvent et mon dos me faire légèrement souffrir. Certainement le poids de tous ces colis que je porte chaque jour à l’usine. Des tonnes et des tonnes à porter de façon répétitive et terrible. Mais là, je suis dans mes pensées. Je rêve de mon lac, de ma forêt, de mon chien qui court avec sa truffe humide. Je réfléchis encore où il va pendant cette demi-heure durant laquelle je ne le croise plus. Je souris à cette pensée. Je me dis qu’il va certainement chasser les chevreuils, les écureuils, les oiseaux. Ou qu’il est tombé amoureux d’une jeune chienne. Ça se trouve il joue au super-héros, comme Superman mais version chien. Dogman contre Batman! Bon, à l’inverse d’une chauve-souris, c’est qu’un chien n’a pas d’ailes pour pouvoir voler. Mais ça a des crocs d’enfer! Allez, il se la joue à la Cerbère, gardien des portes des Enfers, protégeant Hadès et les Moires. Mais il n’a qu’une tête… Peut-être qu’il les camoufles, comme une Hydre. Ouais, ça doit être ça. Non, non, je ne vais certainement pas lui couper la tête pour voir si deux autres vont repousser. Dans tous les cas, je suis loin d’être aussi baraqué qu’Hercule. Je suis plutôt Herc le nul. Un zéro plutôt qu’un héros. Au moins, j’ai un chien avec de super pouvoirs, et ça, c’est génial. D’ailleurs, je lâche un léger rire à cette pensée. À cette idée supplémentaire que mon chien pourrait d’un seul coup mettre un coup de boule au concierge qui continuer de déblatérer sans que je ne sache réellement ce qu’il dit.
- «  Et ça vous fait rire! Ah! Elle est belle la France! De mon temps, ça ne se serait pas passé comme ça. Fusillé sur le champs d’honneur! »
- « Pardonnez-moi, monsieur Maurice. Je… pensais à autre chose. »
- «  Incapable! »
- «  Je… je dois y aller, j’attends un appel de… enfin, nous nous reverrons. Au revoir monsieur Maurice. »
Non, j’espère que je le reverrais plus.
Alors je grimpe la dizaine d’étages pour enfin arriver à mon appartement miteux. Je croise une souris en ouvrant la porte, elle se carapate avec une croute de fromage que j’avais laissé sur la table pour mon chien. Le pauvre, il n’aura pas sa récompense. Néanmoins, je lui ai acheté un poulet que je lui donne après l’avoir détaché. Il peut manger à satiété. Moi, je ne mange pas. Je n’ai plus d’argent sur mon compte. Mon patron a décalé la date du versement de salaire, et je n’ai plus rien. Même plus de quoi prendre un paquet de pâtes. Juste ce qu’il fallait pour le poulet de mon chien. J’espère que demain tout ira mieux. Il faut garder l’espoir, il paraît, mais j’en ai très peu. Trop peu. Là, je me regarde dans la glace. Je me trouve laid, affreux. Je me souviens que ma mère me disait à quel point j’étais beau. Peut-être que depuis qu’elle n’est plus là, j’ai perdu cette confiance qu’elle m’avait donné. Comme une partie de mon âme complètement déchirée. Je repense à toutes ces choses de la vie, ces vicissitudes, ces affres. Tout ce que j’ai pu endurer, traverser. Je ne pensais pas tomber si bas, et pourtant, je suis tout au fond. J’ai des idées noires qui me traversent l’esprit, sans que je ne puisse les contrôler.
Mes mains des deux côtés du lavabo.
Je scrute les détails pudibonds de mon visage harassé, éreinté. Mes cernes qui dessinent un coeur qui n’existe plus au fond de moi. Je ne peux même pas sourire. Ou alors en me forçant. Je suis laid. Je comprends donc que je ne peux attirer personne. Que je ne peux même pas avoir une personne qui m’aime pour ce qui je suis au plus profond de moi. Je suis vraiment laid. Je n’ai jamais vu un monstre pareil. Même Quasimodo est bien mieux. Je pleure. D’une larme qui nait de mon oeil, grandit sur ma joue et meurt entre mes lèvres sèches. Mon chien, Jones, vient et monte ses pattes avant sur le rebord du lavabo. D’un coup de truffe, il me soulève un bras afin que je le caresse. Mine de rien, ça me fait sourire et oublier mes peines à l’instant. Comme si tout cela n’était qu’un mauvais rêve.
- « Allons nous coucher, demain sera un autre jour. Nous irons de nouveau en forêt, mais attention, je reprends le travail lundi, nous irons de moins en moins! Prend ton mal en patience mon toutou. »
Je m’endors.
Toujours difficilement. Je rumine. Mais le lendemain sera mieux. C’est ce que je me dis. Il ne peut pas être pire. Il ne sera jamais pire. Impossible qu’il puisse être pire. Si, en fait, c’est totalement possible. Tout peut arriver. Je peux me faire virer de mon appartement du jour au lendemain. Je peux me faire jeter dehors par le syndicat par la faute de mon chien qui dort actuellement à côté de mon lit, calmement. Je peux me faire virer de l’usine, perdre mon emploi et ne pas toucher le chômage. Je peux avoir un accident de voiture. Je peux tuer quelqu’un par inadvertance et finir ma vie en prison. Faire surgir le monstre qui est enfermé en moi, comme on enferme ces Titans. Zeus fait du bon travail, mais je suis incapable de manier les éclairs de la même façon que lui. Et je n’arrive pas à dormir. Je pense à tout cela. J’ai l’impression d’être un Prométhée qui se fait manger le foie tous les jours, encore et encore. Il repousse, et continue de se le faire bouffer. De difficulté en difficulté, de souffrance en souffrance. Il endure. Enchaîné sur son rocher. Enflures de Dieux.
5h.
Le réveil sonne. Je n’ai pas dormis. Je n’ai pas envie de me lever. Mais il le faut. Tant pis. Je dois promener le chien avant de devoir. On est dimanche, pourtant. Je pourrais rester au lit. Mais j’aime à garder le rythme de mes journées de travail. Mon chien s’étend, toujours fatigué lui aussi. Je me dirige dans la cuisine, me prend ma boîte à café. Une souris surgit d’en-dedans, sautant presque à ma face. J’ai eu le temps de me reculer au bon moment afin d’éviter quelques lacérations. Mon chien court derrière et se frappe contre un mur lorsqu’elle entre dans un petit trou étroit. J’éclate de rire et le caresse. Je trie le café pour enlever les probables crottes de souris. Je sais, c’est peu ragoûtant. Je n’ai plus d’argent, plus rien, et j’ai besoin de mon café au réveil. Je ne peux m’en passer. Je ne peux même pas aller dans un bar pour m’en commander un. Je fais avec, tant pis, je suis bien obligé.
Je montre la laisse à Jones.
Il s’agite, tourne en rond, tout heureux de pouvoir sortir. Je lui enfile, je fais grand silence en descendant les escaliers. Je passe devant la porte du concierge et je porte la plus grande attention à faire le moindre bruit possible. Mais ce dernier ouvrir à nouveau la porte.
- « Encore vous! Je m’en doutais! Vous en faites du boucan! Vous êtes vraiment irrespectueux, je dormais profondément et vous osez me réveiller! Saloperie! »
- «  Pardon… Je dois promener mon chien. »
- « C’est ça, cassez-vous. Ne me réveillez plus ».
Tu parles.
Il ne dormait pas. Il devait regarder la télé ou passer son temps sur des sites pornos comme il a l’habitude de le faire. Je le sais, car j’entends souvent des cris éloquents venants de son appartement. Il n’est pas discret. Il est sale, affreux. C’est un homme de ce monde, un homme seul et pervers. Il m’écoeure au plus point. Je ne reste donc pas là à me faire sermonner de nouveau et je sors mon chien. Je me promène dans la ville nocturne, auréolée de ces lumières paillardes. Je préfère le noir profond. Je préfère admirer les étoiles, voir les belles choses que la nature nous offre. Mais ici, dans cette ville, tout est impossible. Alors je marche. Je croise quelques hommes sortants de boîtes, de bars, de ces endroits où les ivrognes vont pour donner un sens à leur vie minable et ramener des femmes tout autant ivres qu’eux. Des femmes qui ne se comportent que comme des morceaux de viande offertes à des chasseurs émérites. De beaux gosses, musclés et bien vêtu. Moi j’ai l’air idiot avec mon t-shirt « Robert Industrie ». Le nom de mon usine. Je n’ai plus rien de propre. Je n’ai pas de machine à laver. Je n’ai rien pour pouvoir aller à la laverie. Je m’en fous, on ne me regarde jamais dans tous les cas. Je suis discret, je me fond dans la masse. Ou alors on me vois car mon chien est beau. Alors on le caresse. Et moi je n’ai pas le droit à une sucrerie, rien. Pas même un sourire. Lorsque l’on fait cela, mon chien est heureux. Moi je suis malheureux. C’est ainsi.
Je rentre.
Je regarde un peu la télé. Arte. Il n’y a rien d’intéressant à cette heure. Mais je regarde un tracteur qui passe, sans qu’aucune voix ne se fasse entendre pour commenter l’instant. Ce n’est vraiment pas jovial, je suis pourtant subjugué. Incroyable. Au bout de quelques heures, je me lève afin de prendre une douche. Je croise mon visage à travers le miroir. Je m’écoeure. Je devrais être indifférent. Mais je m’écoeure. C’est ainsi que le monde est, au travers de mon faciès. Dégueulasse. Je me brosse les dents en tentant de regarder ailleurs. Je regarde mes pieds. Je regarde les vêtements que je vais devoir me mettre. Je crache dans le lavabo. Je regarde mes dents rapidement. Je suis propre. Cependant toujours aussi sale intérieurement.
La journée passe.
Et il est l’heure de se rendre en forêt, au lac, au parc avec mon chien tout fou et heureux de pouvoir aller fouiner partout tandis que je me repose devant l’eau. Un brin d’herbe toujours coincé entre les dents. Il part, me laissant seul avec moi-même. Je ne me pose aucune question, c’est le plus gentil des chiens, il reviendra. Moi je me repose. Je sais que la semaine va être dure et chargée d’émotions diverses et variées. Souvent contraignantes. Souvent pénibles. Insupportables. Il me faudra porter ce sac misérable qui pèse sur mon dos. Qui pèse lourd et qui m’agace, qui me tue à petit feu. Qui me détruit le coeur. Je préfère néanmoins admirer les cygnes, puis le ciel bleu. Quelques nuages me font penser à des lapins, ou à des licornes. Paysage fantasque. Pourquoi suis-je tombé si bas alors que je ne suis certainement pas le dernier des imbéciles? J’entends mon chien aboyer au loin. Je ne fais pas attention, trop absorbé par mes émotions de l’instant. Il revient. Me tire la manche. Je le caresse et lui souris. Puis, je me dis qu’il est temps de rentrer. Il me tire la cheville, le bas du pantalon. Je le gronde. Je ne comprends pas, mais il continue encore et toujours. Jusqu’au moment où nous quittons le parc. Il a l’air contrarié. Il tente toutefois quelques mouvements en arrière, jusqu’à tenter de se retirer le collier. Mais je tiens ferme, je l’en empêche. Et nous arrivons jusqu’à l’appartement.
Un dimanche qui se termine.
Et je me dois de reprendre mon travail. J’arrive à l’heure. J’oeuvre corps et âme pour une entreprise qui ne me sied guère. Je fais avec, cela me nourris et paie mon loyer. Même si je suis en découvert au milieu du mois. Le train de la vie n’est pas donné, on fait avec, on ne peut pas changer la société à notre niveau du jour au lendemain. Alors on subit. On endure. Et puis tant pis. Il faudrait pourtant pouvoir garder le sourire, mais je l’ai perdu depuis fort longtemps. Depuis trop longtemps. Je ne suis qu’un homme célibataire avec son chien pour seule compagnie. Avec cette impression d’oppression sur la peau, sur la chair, sur les os que notre monde nous fait subir à chacun. Je sens qu’à chaque fois que je quitte mon appartement, ou que je quitte mon jardin d’Eden, toutes les maladies me frappent, et tout le malaise de la Terre s’abat sur moi. Comme si j’entendais des voix hurler de partout, des morts, ou des vivants qui subissent le martyr au bord du Styx flamboyant, de ceux qui n’ont pas de pièces pour payer le passeur et naviguer sur les flots des fantômes de nos aïeux. Pour oublier tout cela, je travaille. Je tente de ne penser à rien. Seulement, je le vois, on me prend rapidement pour un ouvrier lambda, stupide et sans esprit. Lorsque le patron vient, c’est souvent pour m’engueuler sur ma vitesse et mon rendement, mais jamais pour me féliciter de mon organisation et de ma technique.
- «  Vous tirez au flanc, de nouveau monsieur Jack. Je ne sais ce qui me retient de vous mettre à la porte directement. »
Certainement le fait que j’ai des années de loyaux services derrière moi et que je coûterais bien trop cher à l’entreprise lors d’un licenciement qui n’est d’aucuns faits de mes qualités. Mais je réponds d’une voix rauque et presque inaudible.
- «  Je m’excuse… je… ferais mieux. »
Alors je m’acharne.
J’ai de la sueur qui coule sur le front, se mêlant à mes larmes et à mes envies d’hurler. Je ne sais pas répondre, rétorquer face aux humeurs de ces mauvaises gens. Je subis, et puis voilà. Une fois le travail terminé, je rentre à mon appartement, je sors mon chien qui est heureux de me voir. Et nous nous promenons. Mais pas au parc, comme à notre habitude. Je n’ai pas le temps. Je ne veux pas me prélasser, je suis trop tendu. Ce serait affreux de se laisser aller vagabonder, errer, alors que ma frustration est extrême.
Les journées passent et se ressemblent.
Jusqu’à ce que cette journée du vendredi. Je m’approche du parc, sans compter m’y rendre. Mon chien tire sur sa laisse, fermement. Je résiste en l’engueulant. Je crois que c’est le seul être vivant que je peux engueuler, mais je lui témoigne tant d’amour autrement qu’il ne peux m’en vouloir d’essayer de le protéger.
- «  Calme Jones! Nous irons demain. Pour le moment, nous ferons le tour du pâté de maison. T’en fais pas, nous arrivons au week-end. »
Mais le chien continua de tirer.
Tant et si bien que le collier céda et qu’il s’en alla en trombe, moi lui courant derrière sans plus savoir où aller précisément. Je le cherche, je l’appelle. Mais je ne le vois plus. Un chien est trop rapide pour les petites jambes peu solides qui sont miennes. Les minutes passent et ma voix déraille à force de l’appeler. Je panique. J’ai une montée de chaleur. Je me dis qu’il est peut-être mort, écrasé par une voiture. Qu’il a été kidnappé. Qu’il s’est fait mal et qu’il ne peut plus communiquer. J’imagine le pire. Et les heures passent. La nuit commence à tomber, je n’y vois plus rien. Je tremble fortement. J’appelle le vétérinaire de garde. J’appelle la police. J’appelle la fourrière. J’appelle tout le monde. Tout le monde, sauf mes amis. Car je n’en ai guère. Personne n’a entendu parlé de mon chien. Ils feront le nécessaire. Heureusement, il est pucé. Je ne veux pas le perdre. Je veux qu’il soit avec moi. Imaginer un seul instant que je devrais passer la nuit sans lui, seul, me rempli d’effroi.
Je rebrousse chemin.
Je regarde partout, mais ne vois rien. Il est peut-être à l’appartement. Je m’en approche, je ne vois rien. Je soupire longuement en poussant la porte d’entrée. Je vois que le concierge a laissé la sienne entrouverte. Je fais doucement pour ne pas le déranger et je grimpe l’escalier.
- «  Monsieur? »
Une voix féminine qui résonne dans la cage d’escalier.
Que… comment… qui? Je prends mon temps avant de me retourner. Pourtant, personne ne me suivait. Personne n’était là à connaître le code de l’immeuble. Pourquoi me parler à moi? Que me dire si ce ne sont des sermons encore? Ma tête tourne et mes yeux se posent sur une jeune femme plutôt charmante. En fait, d’une beauté incroyable et des yeux perçants qui me bouleversent aussitôt. Je suis comme un guerrier qui tombe sur le champ de Mars. Je regarde mes pieds afin de ne pas croiser ses jolies boucles dorées qui fondent sur un front si bien marié au reste du visage. Elle, pourtant, m’octroie un grand et large sourire. C’est étonnant. Je ne réponds pas. Je suis bouche bée, muet.
- « Je crois que j’ai retrouvé votre chien. Jones, c’est ça? Tous les week-end il vient jouer avec nous et mon enfant ainsi que ma chienne pendant que vous dormez paisiblement sur la berge. »
- «  Oh! Je… »
La truffe de mon chien apparait.
Il me fait la fête et je pleure dans ses bras, toute l’inquiétude s’en allant de moi par la force de tant de sentiments mêlés. La jeune femme sourit d’autant plus. Et le concierge arrive. Souriant aussi devant le spectacle.
- « Ah! Vous avez retrouvé votre adorable bête! Je suis content pour vous monsieur Jack. Je me doute que sans lui vous devez être désemparé et seul. Saviez-vous qu’Adeline est votre voisine de l’étage inférieur au votre? »
- « Je… non, je n’en savais rien »
Je suis tellement oppressé que je ne remarque rien aux alentours.
Je n’ai envie de ne vois que mon chien qui me calme dans ce monde de brutes. Et la jolie demoiselle poursuivit la conversation.
- « Je n’ai jamais osé venir vous parler au parc, tous ces week-ends. Nous nous croisions quelques-fois, je vous souriais en vous disant bonjour, mais vous ne répondiez pas. »
- « Excusez-moi… je ne savais pas… »
- « Vous, vous avez l’air timide! Mais vous êtes charmant. Et votre chien aussi! Cela vous dirait que nous allions nous promener demain au parc et que nous prenions de quoi faire un pique-nique? »
- « Vous… c’est à moi que vous demandez cela? »
- «  À qui d’autre, voyons! »
- «  Je ne me permettrais de m’immiscer! »
Cette dernière provint du concierge qui appuya ses dires d’un léger sourire tout particulier que je ne lui connaissais pas. Il poursuivit.
- « Allez-y, profitez donc des belles journées à venir. »
Et bien.
Vous savez quoi? Mon chien était tellement attaché à ce que je rencontre cette charmante voisine, Adeline, qu’il n’avait eu de cesse d’essayer de me tirer jusqu’à elle afin de nous présenter. Aujourd’hui, après seulement quelques mois d’idylle incroyable, j’ai emménagé chez elle, avec son enfant et sa chienne. Nous avons acheté une belle maison, avec un jardin. Sans concierge. J’ai quitté mon travail pour un autre moins stressant et plus rémunérateur. Je vais me marier dans les mois qui suivent. Et cette force là, cet équilibre là, je l’ai trouvé grâce à Adeline. Aujourd’hui, je marche la tête haute et je remarque les sourires qui se présentent à moi. Je ris, je souris, je m’amuse comme jamais. Car j’ai trouvé la moitié, mon équilibre, ma stabilité. Ce qui me manquait pour avancer. Cette force intérieure, cette force brute, cette virilité mêlé à cette part de féminité qui se marient si bien ensemble.
En définitive, il faut parfois simplement savoir regarder ce qui nous entoure, sans jamais devoir s’enfermer dans sa bulle par peur du jugement des autres. Car on passerait à côté de choses formidables par simples mauvaises habitudes et renfermement sur soi. Sourions donc à la vie et passons outre les étapes qui nous déstabilisent. Nous trouverons toujours le juste milieu de la balance pour se revaloriser et s’affirmer. Moi j’ai Adeline, Jones, Gina sa chienne, et Marcus son fils.
Peut-être aurions-nous un venir Mister Hyde, qui sait?
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Stradivarius

- Et s'il était possible que ce reflet représenté n'était qu'un mirage parmi les images ?

Je me tiens debout à regarder ma splendeur au-delà des reflets d'un pâle miroir rongé par le temps qui passe et ne tenant que par deux lanterneau en équilibre fatale. J'étale un sourire, puis je fais la moue en constatant la dérision de l'instant et l'insolence du moment qui passe et trépasse la jeunesse révolue. J'écarte les yeux, me touche les joues ainsi que les pommettes. Je constate que le talent de la beauté s'évapore au fil des tic-tac retentissant. Je porte à mes lèvres, revenues à leur état d'origine, un verre d'alcool. Je lorgne sur le liquide mouvant au sein de ce conteneur. Je fais des vagues et des remous sur l'état du moment tout en ravivant la flamme de la non sobriété. J'étale l'alcool tout contre le reflet mouvant. Goutte après goutte. J'admire et constate les rides formées par le flou ridicule qui stagne sur l'épaisse couche de glace. Je ris un instant.

- Sans doute est-ce l'effet du désert laissant apparaître l'oasis intangible, intouchable, lointain. Je le touche du bout des doigts, mais il s'égare d'autant devant l'ineffable vérité stridente et chaotique de la vérité criarde et nauséeuse.

- Sades ? Je vous entends parler depuis bien dix minutes, tandis que le coin adjacent de ma cuisse frémissante semble cesser de surchauffer pour aller au calme ainsi qu'au repos. Que faites-vous donc ? Vous qui deviez me séduire de vos talents. Suis-je donc plus indésirable que votre propre reflet à qui vous communiquez tout votre amour ?

Je lève les yeux au ciel, lâchant un soupire tandis que la verge vive reprend de sa constance et de sa couleur rougeâtre et sanguin.

- Prenez donc l'objet phallique à vos côtés, que je puisse assouvir mon fantasme avant de vous rejoindre et vous montrer l'odeur de Sainteté qui émane de tout mon être.

Mes doigts appuient violemment sur le verre qui se met à trembler sous la force attractive. Il termine sa course dans le miroir qui ne reflétera plus l'image de ces mirages. Les bris s'étalent sur le sol. Une myriades de petits cristaux fins comme de la poudre, et d'autres aussi tranchants et grands qu'un poignard ou qu'une miséricorde pour le pauvre petit pied nu qui saurait s'aventurer dans les parages.

Je m'avance vers cette femme nue, allongée sur le lit, sur des draps rouges sombres. Elle s'étale de tout son long, jouant aux prémices de l'acte paradisiaque, seule, se laissant fondre d'un désir qui saurait l'accabler par la suite. J'admire son corps jeune et magnifique, pulpeuse de ses formes angéliques. Ses petits mouvements saccadés, sa respiration perdues dans l'intense plaisir montant à un paroxysme qu'aucun homme ne saurait apporter, trop occupé par sa propre jouissance personnelle. Sa cage thoracique s'élève et retombe tel un soufflé, tandis que ses mains apposent l'extase à toutes formes de connivences. Je ferme les yeux afin d'écouter son coeur battre et ses petits gémissements invitant à la simple délectation de la débauche superficielle qui s'en suivra. Elle fait battre mon coeur à son unisson tout en enjoignant ma virilité à se joindre à la fête sans plus tarder, sans émettre d'autres protocoles à respecter.

La fête bat son plein, poitrine contre poitrine. L'engeance saurait survenir tant et si bien que les mouvements s'enchaînent dans un professionnalisme tendre et presque romantique. Tant d'amour à décharger sur une vie bien trop difficile et complexe, que nul autre ne saurait envier et envisager. Un peu de douceur de cette brutalité souffreteuse. Jusqu'à ce que l'apothéose survienne sur le mouvement de ses lèvres qui s'étirent et de son regard qui se perds dans les dédales de son visage brumeux et perdu dans une autre galaxie. Une pointe survient, un dernier râle puis le soupire langoureux sur le bout d'une langue qui s'amène sur la lèvre haute. Les griffes s'enlacent sur le coin d'un dos musclé, et les derniers remparts cèdent pour en apporter une bonne consolation délicieuse.

- Vous auriez tout de même pu m'en faire profiter d'un second.

- Taisez-vous, Sades. Par pitié, taisez-vous.

- Quelle égoïste faites-vous, ma chère.

- Laissez-moi gravir les étoiles en paix.

Je ris tout en me levant, allant chercher un autre verre de nectar tout en évitant les bris de glace à terre. Alors que je porte le bon vin divin sur le coin de mes lèvres, la porte cède et un homme s'invite aux festivités criardes de façon nonchalante et dévastatrice. Le poing levé, le nez rougeaud, il s'enivre de la scène tout en hurlant tel un poltron dans un marécage de stupres étalés dans les bas-fonds de la Cour des Miracles. Je lève les yeux au ciel en le regardant faire son manège, son doux cirque.

- Chérie, il me semble que votre horrible époux est entré au moment le plus opportun.

Il est bien connu que les ivrognes n'ont aucun respect pour la gente féminine. Des couards qui se rangent vers la facilité tout en combattant l'innocence même. La retrouver à moitié cocardée, à moitié dévastée par les coups de poing et la folie d'un débile profond qui n'a que le tiers d'un cervelet en état de marche, ça, ça m'avait foutu un coup au moral. Je m'étais promis de le retrouver et de l'étriper comme un diable qui a le feu au cul. Pour ne pas dire autre chose. Je bois mon vin tout en le visionnant, toujours le poing levé, à hurler des insanités que je ne saurai guère dévoiler ici-même. Je souris jusqu'à ce qu'il s'approche de sa chère femme dont il empoigne le bras afin de la relever. La belle nudité en action, sous les mouvements effrénés de rétention. Je lève les yeux au ciel. Elle se met à hurler.

- Fernand ! Lâche-moi ! Je ne reviendrais pas avec toi !

- Tu viendras, salope ! C'est moi qui décide, tu n'es rien qu'une catin. Tu vas voir à la maison.

De douces fariboles. Je lui avais promis de garder mon calme dans pareils cas. Est-ce réellement possible ? Je ne sais pas si se trouver devant lui, sans vêtements, pourrait alors engendrer la non tenue de ma promesse. Après tout, il se rincerait presque l'oeil en voyant une taille qu'il ne saurait détenir lui-même. En fait, je n'aimerais aucunement savoir ce qui se passe en dessous de sa ceinture.

- Cela suffit, vous allez encore vous couvrir de ridicule. Lâchez donc cette demoiselle et allez vous flétrir auprès de vos amis cuvants.

Il lâche effectivement sa donzelle avant de se jeter sur moi, poing vers le devant. Sans doute n'était-il pas assez ivre, puisqu'il a parfaitement visé. M'offrant un léger décalage de la mâchoire. C'est qu'il pourrait faire mal, le bougre. Je me recule un instant, me massant la partie inférieure de mon visage. Je lève de nouveau les yeux au ciel avant de le frapper l'abdomen afin de le faire reculer. Manque de chance, il termine au sol, le visage tout contre les bris de glace qui lui lacèrent le peu d'estime qu'il aurait pu avoir de lui. Je le vois ne pas se relever, ne plus mouvoir. Je fronce un sourcil. Il ne respire plus. Lui aurai-je donc broyé ses poumons en frappant trop fort ?

- Fichtre. Je crains qu'il ne soit mort. Nous allons encore devoir payer une note faramineuse pour la femme de ménage.

Et je termine mon verre de vin tout en essayant de remettre ma mâchoire en place.
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Stradivarius
Partie une: Rencontre avec soit-même.
Per noctem cæcam.*
Souffreteux. Homme sans âme. Perfide et immolé par sa folie. Esprit mordillé de toutes parts par les méandres des ténèbres. Se relève et retombe dans l'obscurité. Devient homme, puis enfant. Néfastes résistances à l'imparable. Gravitant les marches avec peine. La noirceur prend son pli d'un passe-droit accordé. Luttant, frustré. L'escalade se fait. Persistant. Farouche. La force donne les dernières lumières pour braver la noirceur. Luminaria*. Tenebrae*. En haut de la colline de marbres. En haut de ce mont d'or. À genoux devant l'immensité et la grandeur construite par les Hommes. Quelque chose de divin. L'immense porte de bois se dresse dans cette faille temporelle. Les gravures représentent les vainqueurs du Sans-Nom. Le Diable tombe à Terre. Terrassé, vaincu par la Lance de la Justice d'un Archange en armure. La lange de serpent se dresse aux pieds du victorieux. L'esprit se brouille de nouveau. Les yeux se ferment. Lumière. Ténèbres. Tout s'éteint de nouveau. Surprise et stupeur dans la torpeur de l'instant. Le corps s'écroule et les gestes ne répondent plus. Le seuil ne sera passé. Les chants des prêtres ne sauront voler au secours. Il est trop tard. La pensée s'abîme. Le trou se forme. Long tunnel acariâtre. Les pieds se dérobent sous la respiration fastidieuse. Les poings se resserrent. Se ferment. Se libèrent d'une effluve sanguine à présent inexistante. Sous les Astres du ciel noir, la dépouille s'en va commençant la décomposition affectueuse de la Nature. Concret, le vide appelle le vide. Le sombre appelle l'obscure. La déchéance tombe dans l'oublie dans une valse intrigante et interminable. Sans fin, la course folle se poursuit sans que les mouvements ne soient réalisables. Pourtant, en haut de cette colline de marbre, le corps d'un aveugle ne saurait mouvoir. Seule l'âme, invisible offrande des Dieux sait se défendre contre les attaques trop nombreuses des assaillants. Des bras se soulèvent. Sortant de Terre. Prenant ce qui leur appartient. De bien triste cris infernaux se croisent dans l'atmosphère et se percutent dans une explosion sonore d'une tristesse absolue. Les souvenirs rejaillissent et toute une vie se voit clore sous des yeux intéressés. Plus un mouvement. Plus un bruit. Plus même une musique pour diriger l'orchestre d'une vie dont le palpitant a lâché sévèrement. Les pulsions n'interagissent plus. Le Démon ne se relève plus. Le sang ne s'écoule plus. Toc. Toc. Toc. Puis, plus rien. Le vide. La solitude. La souffrance. La remise en question. Et là. Là. Un vacarme absolu. Des lumières vives de toutes les couleurs. Du Rouge. Du Jaune. Du Bleu. De l'Or. Le temps devient lent. Les figures passent et trépassent agonisantes.
Je revois.
Je vois tout.
Des premiers cris sous un toit de chaume.
De la mère qui, meurtrie sur une table, accouche de son fils. Des pleurs, des hurlements, de la souffrance. Stop. Silenzio*. Une claque. Bleu. Deux claques. Bleu. Trois claques. Respiration. Râle exaltant du souffle qui reprend. Panique sur les bords. Tout va. La mère heureuse, prend son être cher. Celui qui a, dès les premiers instants, offert ses blessures et son sang. Sortons les violons. Démon. Ange. Choisis ton camps. D'un poupon qui entre les âges se fait plus grand, plus fort. Forgeant un esprit de plus en plus carnassier. D'humeurs changeantes, l'être pudibond devient quelqu'un. Las de jouer avec une épée en bois, il arpente les ruelles à la recherche d'une sensation. Il sait marcher, et use de ses pieds pour battre le pavé. Il sait parler, mais n'utilise ses cordes vocales qu'à bon escient. Il sait lire et écrire, mais ne le dit pas. Il est mal vu que de paraître intelligent lorsque l'on est pauvre. La pauvreté se lit sur les visages, et dès que l'on passe le quartier de l'habitat, tout se sait. Tout se voit. Tout se ressent. Puanteur grandissante en même temps qu'un corps chétif se fortifiant. Le trou se creuse au toit qui couvrait si bien cette belle famille. Une mère aimante qui cuisinait ce qu'elle pouvait. Un frère d'une gentillesse rude. Rien ne suffit pour combler le coeur d'un chérubin. Le sourire était toujours présent. Sincère. Émouvant comme les éclats de rire. Pourtant, à l'orée de la majorité, une vie se peut basculante. Du mauvais côté suite aux mauvais choix. D'un réveil, une fois se fait forte. Une musique se joue. Les candélabres vacillent sous les yeux des avertis. Lumière. Ténèbres. L'Antre du Diable se creuse dans les reins et remonte par les veines jusqu'à l'esprit étriqué. Une voix paraît. La première d'une longue série. On ne comprend pas toujours ce qui nous appelle, ceux qui s'adressent à nous. On a peur. On frémit. On jouit d'une présence rassurante. Le calme et la sincérité d'une voix de plus en plus forte. De plus en plus présente. Pressante. Libérons nous des chaînes imposées. Le parcours sera grand. Tu seras quelqu'un. Tu seras celui qui seras. Le Héros d'une vie. Mène-là. Chérie-là. Deviens important. Fissure exorbitante. Fêlure lancinante. L'esprit se brouille, déjà. On se lève un matin. On n'adresse ni sourire, ni paroles. La mère se pose des questions. L'Ange quitte la demeure familiale. Les heures passent, les coeurs trépassent. Dans un vacarme, un gorge s'entrouvre. Le sang balaie les mains chétives. Le Monstre revient. Il entre. Sanguinolent. Il va à table. Il avoue tout. Un gamin, trouvé au détour d'un chemin croisa la lame fraîche. Trépasse. Dernier râle. Mortel. Les aveux fendent l'air. Les larmes fondent. La mère craque. Le fils se relève et se barre sans jamais se retenir, sans plus revenir. Des jours de marche. La voix accompagnatrice. Les méfaits continuèrent. Une taverne. Un membre entravé d'un homme qui n'enfantera plus. Une autre voix. Féminine. Rassurante. Positive. Libertad. Libertad. Libertad. La Lune dans l'obscurité éclaire mon chemin. Sélène. Sélène. Sélène. La liberté même dans le ciel brillant. Les points se laissent percevoir. L'intelligence prend le dessus. Paris. Cour des Miracles. La formation se fait. Se défait. Les contrats pleuvent. Le sang coule. Les meurtres suivent. Les écus sonnent, trébuchants dans la bourse. Heureux. Bonheur. Cette voix qui me guide et me donne la force et les pulsions nécessaire. Il faut la chérir. Elle est à moi. Elle est moi. Monstre que je suis. Monstre que tu n'es point. Chercher à me comprendre? Non, point. Apogée. Une main tendue. Chevalerie. Courtoisie. Lyre. Une lèvre, une femme, un enfant. Niurka, à toi. Amour d'une vie qui se termine lentement sur le haut de cette colline chaste. Ma dépouille ornera la lisière des Grandes Villes comme un avertissement à ceux qui commettent les parjures des offrandes à la Mort. Les souvenirs sont plus larges, plus nombreux. Adieu. Adieu. Adieu. Je ne suis plus. Je ne vis plus. Je le sais. Je le sens. Je le vois.
La chute infernale reprend.
Je touche terre. Enfin. Je me relève. Je ne vois déjà plus. Plus rien. Quo vadis?* Une lanterne au loin apparaît. Ne répercutant aucun mur. Aucun obstacle. Rien ne se voit que le son d'une eau secouée. Légère et presque imperceptible. Silencieuse. Se rapprochement lancinement. La peur s'empare de l'être, mais le coeur ne bat plus. Effroyable atmosphère pesante qui vient se rompre d'une nouvelle main tendue. La dernière d'une vie. La seule d'une mort. Une main sans chair, sans muscles, sans sang. Une main de squelette d'un blanc magnifique et inquiétant. Je la prend. Elle me fait gravir la marche jusqu'au navire. Une barque. Une gondole. Un long bâton servant de rame brouille la surface d'une eau si sombre que rien ne s'y perçoit. La lanterne me permet simplement de jauger l'infamie me conduisant à un destin funeste. La longue route se trouve longue. Rien ne bouge. Rien ne parle. J'ai envie de rompre le silence. Mais rien ne sort. Ma voix ne porte plus aucun écho. Mes gestes n'ont plus le moindre effet. Je ne puis me relever. Je dois attendre. Après quelques instants d'une éternité, des cris montent. Se font entendre de plus en plus puissants. Des bras translucides quittent l'eau profonde pour s'agripper à la barque. Le Styx abrite bons nombres d'habitants. Des pauvrets sans nom. Sans âme. Perpétuellement à se repentir sans qu'une voix ne se prête à l'entente cordiale du gardien des lieux. Je me penche un peu plus. Deux bras s'agitent autour de moi, m'attrapant la chevelure. Manquant de me faire tomber, de faire chavirer le navire de fortune. Je reconnais cette tête. Ce gamin. Il y a quelques années. Mon premier. Il est là. Ici. Je lui ai offert la liberté éternelle. Un cadeau qui me tient à coeur. Et le voici, souffrant. Dans les abîmes. Dans les limbes. La déchéance. Le cadeau d'une vie qui n'est que souffrance éternelle. Je vois d'autres fantômes de mon propre passé. De mon existence. Ma première compagnie. Mon premier amour. D'un coup de lame dans le coeur. Je l'aimais. Elle m'aimait. Je vois aussi ce tavernier mort d'un coup de dague dans les parties. Mort d'une souffrance lente. Il agonise. Là. Un bouffon à qui j'ai offert le Sourire de l'Ange. Je ne savais même pas qu'il était mort de mon acte. Je ne lui voulais rien de mal. Juste lui offrir le visage qu'un bouffon se doit d'avoir. Mais il est là. Me maudissant certainement dans sa langue coupée que je ne comprend. Tant d'êtres qui se trouvent là de ma faute. À cause de moi. Monstre égoïste et égocentrique. Horreur de la nature. Le navire frappe à sa proue une terre imperceptible. Le Squelette me fait descendre. Ce passeur tend la main. Je fouille mes poches pour en sortir quelques deniers. Il repart. Aussitôt. Sans réclamer plus.
La terre bouge sous mes pas.
Elle se dérobe à chacun de mes pas. Je glisse plusieurs fois avant de, finalement, tomber. La terre a goût de sang. J'ai l'impression d'être sur les entrailles du monde. Les entrailles de la mort. Je comprend, que peu de temps ensuite, qu'il s'agit de tout le sang que j'ai versé. Je pourrais me noyer dedans si j'absorbais la totalité de ce liquide là. Je passe une main sur mon visage. Tente, en vain, de me réveiller. De sortir de ce cauchemar qui n'en est point un. Je suis mort. Bel et bien. Il serait idiot de penser le contraire, je dois accepter le baiser de la Mort. Celle qui voulait me rejeter. Qui m'a toujours rejeté car je lui étais serviable. Aujourd'hui, je ne dois plus être d'une quelconque utilité. La relève doit être assurée. Je m'en vais à ma retraite. Debout. Lève-toi. Affronte ta destinée. La marche se poursuit. J'ai toujours l'impression d'être aveugle. Une lumière jaillit face à moi. Un séisme. De nouveau, les pas se dérobent à moi. Le sol mouvoie. Des éclats de roche me sautent à la face. J'entend quelque chose se diriger vers moi. Mon visage se crispe. J'ai envie d'hurler, mais ne le puis. Une nouvelle flamme aide mon regard à se poser. Puis, une autre. Plus grande. Plus belle. Plus forte. Plus chaude. J'ai l'impression d'être sur un bucher. Ces braises ardentes me piquent les pieds. Je sue. Je transpire. La chaleur est étouffante. Il semble qu'une faille dans une immense montagne se forme devant moi. Puis. Une masse sombre s'approche lentement. Ce qui sembleraient être des pattes immenses frappent le sol en ma direction. Les braises alimentent ma vision. Je vois. Je vois une langue. Puis deux. Puis trois. Je lève la tête. Un couinement. Des piallements stridents au dessus de ma tête. Des oiseaux. Des harpies. Je les reconnais. Elles veulent se jeter sur moi et me piquer, me mordre, me manger. Je suis coincé entre la Mort et la Mort. Je reste. Impassible. Scrutant à présent la grosse masse devant moi. Trois museaux. Trois paires d'yeux. Trois paires d'oreilles pointues. Trois têtes de chien monstrueuses. Cerbère. Les poils font la taille d'un homme. Noirs. Pelage ne reflétant aucune lumière. Aucune brillance. Les yeux rouges et enflammés sont tels des globes terrestres. On dirait une montagne vivante. Une incarnation de toute l'horreur en ce monde. Les trois têtes se baissent devant moi laissant paraître des canines majestueuses et ensanglantées. Je me vois dans le reflet d'une bave. Les têtes me sentent. Une après l'autre. Il semble s'agenouiller devant moi. Se met à grogner. Hurler à la Mort. S'en va. Les harpies le suivent. Je m'engouffre dans la fente sans conviction d'y trouver bonne cause. Bonne fin.
L'Enfer.
C'est comme si j'avais déjà mis les pieds ici.
Comme si je connaissais chacun de ces pavés. Chacun de ses recoins.
Je me sens comme chez moi.
J'ai peur.
Je tremble.
Je suffoque.
Mais je me sens si libre.
Si bien.
Si prospère.
Je suis mort. *Per noctem cæcam: Pendant la nuit obscure
*Luminaria: Lumière
*Tenebrae: Ténèbre
*Silenzio: Silence
*Quo vadis?: Où va-t'on? Partie deux: Les Héros de ma vie.
Sonata quasi una Fantasia per il Clavicembalo o Piano-Forte.*
Lancinante. Perturbante. Planante. Les cordes vibrent au fracas d'un marteau. Le dièse appuie l'impulsion démoniaque. La respiration se coupe dans les rebondissements des touches d'ivoire. Blanches. Noires. La lumière et la nuit. La Sonate au Clair de Lune. Lune Infernale. Territoire des souffrances éternelles et de l'esprit torturée à perpétuité dans une cage succincte. Étroite. Machiavélique. La tristesse s'émane par tous les pores de l'Enfer. Une tristesse dérangée par la sueur de la crainte. De la perdition. De l'entrave à la liberté de vivre dans le bonheur. Dans la douleur de se faire ravir un sourire d'ivoires éclatants. On ferme les yeux. L'obscurité. On les rouvre. L'obscurité. Ad Vitam Aeternam*. Seigneur, pourquoi t'ai-je donc renié. Bafouer ainsi le droit chemin, bifurqué au-delà des buissons ardents et arpenter les détroits minutieux de l'apocalypse, brandissant l'épée de la vengeance, le glas de la défaite sur les innocents de ce monde. Oh, Seigneur. Pourquoi m'infliger pareille déviance lorsque ma quête de spiritualité ne s'achève qu'à peine? Seigneur, le Pardon n'est point à goûter lorsque les fers en mes poignets m'empêchent de tendre les mains vers le Ciel. Je suis enchaîné. À jamais les limbes. Dans les marais maudits. À arpenter le moite et l'obscur de l'endroit délirant. Retrouver mon passé. Ceux qui ne me pardonneront jamais de les avoir envoyé là. J'aurais beau m'excuser, me faire pardonner. Le Mal est fait. Sans-Nom victorieux. Seigneur riant de ma défaite. Ange Déchu. Mes ailes ont brulé depuis fort longtemps déjà. Je l'ai ai perdu à l'orée de ma majorité. Je les ai perdu grâce à mon démon. Mon Bélzébuth. Ma folie. Je suis un monstre. La raison d'un genou à terre, à présent, est gage d'acceptation de mon sort. Il fallait que je me doute de l'instant présent, de ce qui allait m'arriver. La vie reprend son droit sur l'ancienne puissance de ses enfants néfastes. Je m'agenouille devant mon nouveau Seigneur. Devant la Mort. Qu'elle me passe ses bras froids autour de mon corps. Qu'elle m'englobe. Qu'elle me chérisse comme un enfant. Qu'elle me punisse. Embrasse-moi. Bella Morte*. J'ai froid. Je tremble. Je transpire. J'étouffe. Ma peau semble se désunir de mon être. Ma chair s'envole pour brûler avec le reste du peu d'humanité que j'avais. Les aspérités de mes os perdent de leur rougeur. Le sang s'embrasse dans une danse criarde. Une explosion. Plus rien. Je suis toujours à terre, dans l'incapacité même de reprendre mes fonctions naturelles. Qu'ai-je fais pour mériter cela? Ne puis-je donc revenir en arrière? Ne serait-ce qu'une fois? Ne puis-je...
-"Roberto?"
La tête d'os se retourne complètement sur la colonne.
Les orbites vides, creux, sombres s'arrêtent sur une femme. Une femme à l'allure si pure. Blanche, noyée dans un chagrin véritable. Lumineuse. Voix rocailleuse d'outre-tombe. Je reconnais. Je me souviens. Cela me bouleverse complètement.
-"Il mio ragazzo?*"
-"Si. Madre.*"
Exposition d'une bouche bée.
Mère. Comme au dernier jour. Comme quand je t'ai laissé pour partir, de façon totalement égoïste. Hypocrite. Égocentrique. Mère qui a, pour moi, tout donné. Tout laissé tomber. La remerciant d'un unique cadeau que mon départ les mains couvertes d'un sang étranger. Pleurant. Plaintive. Elle a songé à donner fin à ses jours en voyant le monstre que j'étais. Elle a eu le temps de s'en remettre avant de sombrer à nouveau sous les corps libidineux d'un homme en chaleur. D'un spadassin. D'un guerre qui n'était sienne. Elle a souffert de ses cuisses entrouvertes pour accueillir les germes d'un malpropre qui a, lui aussi, goûté le fer de ma vengeance. Ainsi que sa compagne qui se trouvait là, au mauvais endroit, au mauvais moment. Je t'ai vengé, mère. Je suis certain que cela n'est pas d'un grand réconfort lorsque l'on peut voir où cela nous a mené. Ou cela me mène. Ton fils, ce grand imposteur, ce fauteur de troubles, cet impotent incapable de faire le bien. Incapable de semer pour récolter. Si ce n'est la douleur, l'indifférence, la terreur. Pour toi, j'ai essayé de changer, mais cela n'a mené à rien. J'ai ces pulsions au fond de moi. Cette musique qui guide mes pas. Je suis une marionnette à la merci de ces démons qui nous entourent et qui scrutent chacun de nos gestes. Mère. Je suis un chien à abattre. Je suis un chien abattu. Je mérite ce que je vis à présent, ce triste sort. Je ne veux le partager avec toi. Tu mérites mieux. Mieux que moi. Mieux que l'Enfer. Mieux que la Mort. Je te délivrerais de ces maux, ma très chère, pour te guider au plus haut. Tu ne sembles pourtant pas si abattue. Tu es magnifique et rayonnante. Jeune et belle. Ne serait-ce un sourire que je puis voir poindre sur la commissure de tes lèvres? M'est-il adressé? Suis-je pardonné? Il fait longtemps que je n'ai pu observer tes courbes parfaites. Ta droiture exacerbée. Ta chevelure brune soyeuse. Tu vois, mère? Un toit de chaume troué par les tempêtes que nous avons essuyé. Il se forme au dessus de nos têtes. Tu te souviens, mère? Nous vivions là. Heureux. Reclus dans notre société et notre monde à nous. Mère. Veux-tu revivre ces instants? Balayer le passé et tout recommencer? Regarde ton fils. Mon frère. Leopold qui joue de ses jouets de bois, ses petits soldats. Non, ne pleure pas, souris. Ne me laisse pas dans la tristesse et la solitude. J'en ai assez de cette vie de misère. Fais moi plaisir. Comme au bon vieux temps. Tu es magnifique. Tu es grandiose. Le son de ta voix me donne la chair de poule. Viens que je te touche le visage. Rien. Que le vide fantomatique. Je ne puis même t'embrasser. Le souffle nous sépare encore. Je me contenterais de t'admirer. De te voir. De te parler.
-"Che cosa vuoi ancora?*"
-"Volevo dirti che ti amo*"
-"censurato*"
La première plaie s'entrouvre.
Mon coeur se déchire sous la lame stridente et puissante des obscénités que l'on ne souhaite jamais entendre de la part d'une mère. Des lames viennent poignarder mon visage. Mon crâne. Des stries se creusent sous l'impact de l'acidité du liquide lacrymale. Les larmes coulent. Mon esprit embrouillé sous la pluie de ma tristesse. Sonne le glas, à nouveau, de mes espérances. Je te retrouve. Tu me détournes. Je ne peux t'en vouloir après ce que je t'ai fait. Oublie-moi. Je ne t'oublierais. Jamais. Sois-en certaine. La volonté veut et les gestes se font. Lorsque je m'amène à toi pour t'enlacer, je brasse de l'air. Je réitère. Je te veux. Pour moi. Avec moi. Viens. Tu m'échappes encore. J'étais à deux doigts de toi. Deux doigts de t'avoir rien que pour moi. Les yeux clos, je tente une nouvelle de t'attraper. Un souffle chaud s'empare de moi. Je sens quelque chose entre mes bras. Je t'ai. Pour moi. Rien que pour moi. Complainte égoïste. Mais je t'aime. Je me blottis en toi. Contre toi. Je me sens bien . Comme dans un cocon où le confort est réel. Je reste quelques instants ainsi avant de rouvrir les yeux. Malédiction! Ton corps n'est plus. Ton faciès si joli ne m'apparaît plus. Je perd à nouveau pieds. Ce que j'enlace n'est autre qu'un rejeton de l'humanité. Un sbire ignoble à l'allure repoussante. Je me recule. Je tombe en arrière. Je rampe à reculons pour éviter de le voir si près de moi. Il disparaît. De nouveau seul. La solitudine*. J'ai mal. Très mal. Mon coeur se perd, se tord, se distord. Je deviens fou. La douleur irradie tous mes faits et gestes. Je dois me relever. Je le fais. Je dois m'en aller. Je ne peux déjà plus. Je ne vis déjà plus. Je dois me dégager. Aller ailleurs, là où ça fait moins mal. Je marche. Je cours. Mes pieds s'envolent. Je parcours un étroit couloir. Les visages de mes disparus. Mes héros y sont affichés. J'arrête ma course un instant. Sélène. Elle est là. Dessinée sur les murs sombres et suintants. Je l'observe un instant. Mon ébène. Ma Lune. Je ne te savais partie. Pourquoi? Es-tu là à cet instant? Me vois-tu? Puis-je t'admirer de plus près? Non. on portrait s'éloigne lorsque je m'approche de toi. Je ne puis même toucher la peinture qui te représente si bien que la réalité ne saurait insuffler plus de véracité. Tu es magnifique mon amour. Tu es belle et resplendissante. Je te souhaite, réellement, de ne vivre pareils déboires que la Mort ici-même. Tu dois être là-haut. Point sous terre, pourrissante telle une loque, une vermine. Non. Tu es un Ange. Point déchue.
-"Robert."
Un murmure.
Une voix me fait trésailler, à nouveau. Je la connais. Elle a grandit avec moi. Elle a fait ce que je suis. Je tourne la tête. Au bout du couloir, je perçois une queue. Grande. Gigantesque. Touffue. Cerbère me surveille. Il veille sur moi pour me conduire sur la bonne voie. Ou m'enfoncer un peu plus dans les entrailles d'Asmodée. J'y vais. Je te suis. Destin funeste. Je m'avance vers toi. Je longe ce couloir qui s'apparente plus à un boyaux dépouillé d'humanité. Le sang coule de partout, encore une fois. La pièce est rouge sombre. Au fond, les ténèbres, une fois de plus. Point de longue attente. Des torches s'allument les unes après les autres. Je me trouve au bord de ce qui semblerait être le Phlégéthon. Un fleuve fait de flammes qui entoure la prison des esprits machiavéliques. Des mauvais. Comme moi. Devrais-je terminer ma course ici? Dans une cage entouré de feu? Devrais-je vivre pour le restant de l'éternité ma vie ici-même? Ma punition? Je regarde tout autour de moi. Les mêmes murs sombres. Une roche noire, impénétrables. Au bord du fleuve, je ne perçois aucun fond, mais mes pieds semblent fondre sous la chaleur. Je ne suis même pas dans la possibilité de transpirer ou de montrer le moindre signe d'un humain ordinaire face à pareille situation. Je vois bien au loin les prisons. Jaunes. Rouges. Bleus. Des créatures s'y trouvent derrière les barreaux, tentant de s'en extirper au possible. Impossible. Impassible. La cage ne se laissera vaincre de quelques plaintes. Les hurlements stridents, désincarnés, me dérangent que trop. Mon esprit est perturbé par tout cela. Mes yeux s'orientent à nouveau vers cette eau bouillante. Une queue écaillée en sort. Un bruit sourd l'accompagne. Les flammes se soulèvent. Je m'écarte. Admirant le passage du Léviathan. Gardien des prisons. La traversée me semble si impossible. Si intangible. Je ne puis retourner en arrière. Le couloir que je viens de traverser semble se clore sous les gravats tombants. Je suis perdu. Pire endroit que le précédent. Si je parviens à poursuivre, que m'arrivera t'il? Ma course n'est plus d'actualité. Je suis foutu.
-"Robert."
-"Qui êtes-vous?!"
-"Je suis."
Mes yeux se plissent.
Je vois une forme au fond. Une sorte de fumée verdâtre qui se dessine hors du sol pour remonter formant une silhouette presque humaine. Je ne parviens à distinguer le visage d'où je me trouve. Je reste à ma place, persistant à le dévisager. Il semble poursuivre sa mutation, sa création. Il devient plus solide, plus consistant. La fumée s'évapore. Masse sombre inquiétante. Je vois perler deux boules rouges au niveau de ce que je pense être le visage. Deux bras longs poussent sur les flancs. Il semble faire cinq mètres de haut. Terrifiant de force. Les pupilles enflammées se projettent sur moi et un sourire jaillit hors de terre pour prendre place sur le visage. Deux canines viennent grandir par dessus les lèvres et des cornes s'élèvent au dessus du crâne. S'abaisse sur le visage avant de pointer le ciel à nouveau. Je ne parviens à distinguer si cette forme a des jambes. On dirait une large robe noires de brume épaisse. Les lèvres bougent, le bras se lève, un doigt long à l'ongle pointu se dirige vers moi. Je l'admire. Il est la peur même, le prolongement de ma douleur. J'ai juste l'impression de le connaître depuis toujours. Même. Me voir en lui. Je ne le crains pas, il ne semble me vouloir du mal. Ou si le mal me veut, il me l'a déjà octroyé et ne peut plus rien pour moi. Je ne sais ce qui se passe à cet instant, mais un sourire épais se dessine sur mon crâne. La chaleur dans mon être semble m'indiquer que je suis de retour. De retour où? Chez moi. Là où j'ai toujours du être. Là où ma vie a un sens réel et pratique. Je ne me défile pas. Je l'attend. Il s'approche de moi. Il est encore loin. Cerbère apparaît. Il saute sur la forme. Cette dernière lui caresse ses trois têtes. La bête s'assied, reste en place. La créature brumeuse continue son avancée. Marchant sur les flammes. Comme le prophète sur l'eau. Mon coeur palpite, cette fois. Devient cendre. Je m'envole. Je me laisse avancer tout seul. Je vais vers lui. Je m'enfonce vers lui. Je fond vers lui. Presque en lui. Je suis à sa hauteur.
-"Je suis toi."
*Sonata quasi una Fantasia per il Clavicembalo o Piano-Forte: La Sonate est comme une fantasie pour le Clavecin ou le Piano-Forte (Sonate au Clair de Lune de Beethoven) *Ad Vitam Aeternam: Pour l'éternité
*Bella Morte: Belle mort
*Il mio ragazzo: Mon garçon
*Si. Madre: Oui, mère
*Che cosa vuoi ancora?: Qu'est-ce que tu me veux encore?
*Volevo dirti che ti amo: Je voulais te dire que je t'aime
*censurato: Va te faire voir
*La Solitudine: La Solitude Partie trois: Une Erreur Mortelle.
Il Trovatore.*
Comme un trouvère, je me trouve ici même, semblant être un pantin désarticulé qui raconte une histoire. Un bouffon dans une salle princière, royale. Un de ces gens dont la vie n'a aucune réelle importance, et donc aucune mort concrète sur laquelle s'apitoyer. Je me sens si petit, si fragile, si frêle et sans importance. C'est comme si je jouais du violon sans que le moindre son ne puisse quitter mon gosier nonchalant. C'est comme si la voix m'était complètement enlevée, que je puisse chanter les louanges d'une beauté ou d'une chose si puissance que cela octroie la plus grande des peurs. Extinction complète de mes sens. Seuls mes yeux regardent, scrutent et guettent la moindre imprudence de l'autre. De moi. Il est moi. Je suis lui. C'est comme si nous faisions qu'un, mais il semble si imposant, si majestueux, et moi, modeste trouvère ignorant, je n'ai pas ma place devant lui. Même un genou à terre serait une insulte pour cette grandeur affolante. Pourquoi serait-il moi et moi lui? Pourquoi répond il de la sorte de cette voix que je connais si bien depuis que je suis petit. De cette voix propice à m'effrayer et me rassurer en même temps. Je sens cette harmonie qui me chatouille les songes, et je sais que je lui appartiens tout comme il m'appartient. Je sais qu'il a géré mes esprits durant toute ma vie, mais je ne l'avais jamais vu. Je n'ai jamais pu le voir. Ça ne fait aucun doute qu'il s'agit là du responsable de mes pulsions. Le responsable de mes diaboliques actes. Le responsable de ma déchéance. Il ne fait aucun doute que c'est pour lui que j'ai travaillé toutes ces années afin de remplir d'âmes malheureux ces Enfers fructueux. Le charme saurait agir. Il a ce qu'il veut. Et il m'a moi, en prime. J'ai fait un pacte avec le Diable, le voici à terme. Il peut sourire. Oui, je peux le voir sourire de ce halo de fumée qui se bouge sur un semblant de visage. Il brûle le miens. Il consume mon être. Je ne peux me défendre. Je ne peux rien faire, ni même bouger, ni même protester. Il a le contrôle sur moi comme depuis ma plus tendre enfance. Pauvre fou que je suis d'avoir damné mon être pour un tel démon. Son souffle me glace et me brûle. Ses yeux me chatouillent et me piquent. Mille coutelas arpentent ma peau déchirée. J'ai mal. J'ai peur. Je veux partir d'ici. Il semble s'amuser de me voir ici. Ne s'y attendait-il pas? Pourquoi cet air hagard et rieur? Pourquoi explose t'il de rire à présent? Pourquoi ce regard compatissant? Je ne comprend rien. Cet endroit me rend fou. Je suis pris au piège, encore plus que dans ma vie. Faites que je rêve.
-"Non, tu ne rêves pas.
Mais je ne t'attendais pas. Pas maintenant.
Je comprend pourquoi, et cela me fait rire.
J'avais mandé aux Moires de couper la Corde de Vie d'Andom, elles se sont peut-être trompées. Vous étiez proche, non?"
Pardon?
Comment démystifier toute la chose de la vie après la mort. Comment faire tomber la stupeur de voir apparaître devant soit un démon puissant et fier, fourbe et sanglant. Il suffit simplement de se voir confronter à des troubles administratifs des plus austères. Un peu comme ce que nous connaissons déjà dans la vie. Les Moires se seraient trompées et m'aurait prises à la place du César? Ce dernier aurait donc du vivre ce que je vis à cet instant, mais je viens tout juste de lui voler la place. Tu peux me remercier, vieux. Ma Corde de Vie ne tenait qu'à un cheveux, déjà, mais voici que les ciseaux acérés de ces trois femmes à l'oeil unique s'en sont emparés. Je les vois d'ailleurs arriver, penaudes, la Corde en main, ciselée en deux. Les trois femmes agitent leur oeil unique d'une tête à une autre. Elles sont affreuses, à l'allure grasse et outrancière. Elles ne semblent pouvoir exister de façon concrète, mais, pourtant, se portent devant moi. Elles ressemblent un peu à une femme que j'ai connu. Une certaine Gobelin. Déformées au possible, le dos vouté partant en tous les sens. Le globuleux se balançant dans les airs pour s'émettre dans un unique orbite décharné. La langue de serpent quittant les lèvres pour sillonner l'air d'un bruit sinistre accompagné d'une douleur respiratoire qui me détruit l'oesophage. Si j'avais pu gerber, je l'aurais fait. Elles m'effraient bien plus, à l'allure, que mon Démon. Je me suis habitué à ce dernier, mais pas à elles. Elles apparaissent ainsi, l'air navré face à leur faute. Elles ne sont pas réputées pour commettre de telles horreurs. Je leur en veux. D'une façon flagrante et puissante. Mieux ne vaut pas les contrarier au risque de se voir voir admis ici pour l'éternité.
-"Nousss sssommes désssssolées.
Nousss avonssss fait l'erreur d'un fil.
Nousss allonssss prendre un bout d'ruban adhéssssif pour réparer ccceette erreur."
Connasses.
-"La Mort ne veut pas de toi, Robert.
La Mort te rejète à nouveau, Robert.
Tu n'as pas ta place ici, Robert.
Mais avant cela, je te donne une chose."
Plaît-il?
Me voici complètement désoeuvré. Je ne parviens à comprendre ce qui se passe là. J'ai donc pu voir les Enfers. J'ai pu entrevoir mon passé, les personnes qui m'étaient chères et qui me le sont toujours. J'ai pu percevoir Cerbère et les fastes du Styx et des autres fleuves de ces contrées affreuses. J'ai pu me sentir vidé de mes sens, de ma peau, de mes muscles et de tout ce qui font ce que je suis. J'ai souffert, j'ai viré au bleu, au blanc, au vert. Cela pour m'entendre dire que je vais revivre, que je vais retourner sur terre car je n'ai pas ma place ici, que la Mort ne veut pas de moi? Putain! Je le savais que la Mort ne voulait pas de moi, la surprise de me trouver ici était grande et j'ai perdu quelques deniers en les offrant au Passeur. Cela à cause d'une erreur à la con de trois grosses moches qui ne sont pas capables de faire leur travail comme il le faut. Et ils le reconnaissent, en plus. Je vais devoir revivre avec ça sur les épaules, dans l'esprit, dans la pensée. Avec tous ce que j'ai traversé, je vais devoir me coltiner ça en plus. Putain. J'ai peut-être l'air plus menaçant qu'eux tous réunis à cette instant là. J'ai envie de leur balancer un poing dans la gueule, m'emparer de l'oeil unique et le gober pour qu'elles ne puissent plus rien voir. J'ai envie de leur cracher à la gueule, de les piétiner, de leur foutre une lame dans le coeur, s'ils en ont un. J'ai envie de les massacrer, de les jeter dans le Styx, qu'ils brûlent à leur tour dans les flammes des Enfers. J'ai le coeur dévasté, l'esprit embrumé. Je les déteste. Et ce con qui s'amuse à créer des choses avec de la fumée devant mes yeux. Je ne comprend plus. Je ne comprend rien. J'ai envie de les saigner. Qu'ils aillent tous se faire foutre. Qu'ils aillent au diable. Une fois en vie, je ne ferais plus rien pour eux. Plus jamais rien. Qu'il soit dit. Que tous le sache. Merde.
-"Tiens, prend ça.
Tu deviens le Gardien des Enfers.
Transmet la Réelle Parole.
Dévaste les cieux et le Très Haut.
Dis à tous qu'ils se fourvoient à croire en lui. Qu'il faut croire en nous.
Va, mon ami. Va."
Quoi?!
Gardien des Enfers? La Bible des Enfers? Que je dois transmettre tel un prophète au monde entier? Ils se croient où là? Au Paradis? Que je vais être sache, gentil, que je vais obéir? Remarque. C'est vrai que ça en jète un max, ça, Gardien des Enfers. Quant à transmettre une Vérité que je vois de mes propres yeux, ce ne doit pas être des plus complexe. Je serais alors Porte-Parole des Enfers? Je devrais en vanter les mérites et les vertus pour que tous y croient comme moi je le crois alors que je veux juste cracher à la gueule de tout ce merdier? Je m'empare du livre. Je regarde, hagard ces monstres qui se trouvent face à moi. Dois-je vraiment faire cela de ma vie? Ai-je réellement le choix de ces actes? Puis-je faire confiance en ce monde désoeuvré et à cette Mort qui me chatouille actuellement d'une erreur glaciale? Je crois bien ne pouvoir faire autrement à présent que ma vie est entamée de façon obscure et ténébreuse. Je n'ai guère le choix et devrais faire ce que l'on me demande. Je vois ces Moires commencer le travail de réparer leur effarante faute. Elle enroule un bout invisible autour de la Corde de Vie. Elles s'appliquent pour redonner une forme intéressante à cette chose qui est mienne. Elles font ce qu'elle peuvent pour rassembler les bouts d'une façon tout à fait dégueulasse. Elles passent une langue sur cette Corde. Je vois la bave verte s'épandre un peu partout. Elles commencent à rire d'un sifflement abrutissant. Je me sens partir. Je me sens m'envoler. Je ferme les yeux. À nouveau le noir. Je flotte dans un trou sans fond. Je flotte et retombe. Je ne sais où je suis. Je ne sais comment je suis. Peut-être une nouvelle épreuve. Ils se jouent de moi. Ils se foutent de moi. Je ne suis plus en vie. Je suis mort. Trépassé. Déclin. Décédé. Foutu. Je...
-"Robert, arrête de comater, y'a du boulot!"
Grumpft.
J'ouvre mes yeux. Je suis devant la porte de cette église incrustée de sculpture. Je me lève. Je passe mes mains sur mon corps. Je suis bien là. Vivant. Je suis bien là. En vie. De nouveau pour un départ. Au sol, un livre. Le Livre. Je m'en empare promptement, redescend les grands escaliers. Je crois avoir bien du travail pour me dépêtrer de toutes ces responsabilités. Je crois qu'une nouvelle destinée m'attend et m'appelle. Je crois que je ne peux plus lutter. Je crois aux Enfers. Je crois en ce que j'ai vu. Ma parole sera des plus censées. Ma parole sera d'or. Je vais la transmettre au monde avec cette nouvelle vision. Je suis le Gardien des Enfers. *Il Trovatore: Le trouvère.
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Stradivarius

La mort.
Ce havre de paix. Bucolique. Charmant. Ténébreux. Ce pourrait être la description d’un homme merveilleux. Mais non, il s’agit bien du sens de la vie : la mort. Toute une direction tracée dans la perfidie d’une vie menée pour en arriver à ce terme sadique. Une vie de psychopathe tourmentée par l’horloge qui fait son tic-tac effrayant, terrifiant, morbide. Comme si le coeur, lui-même, battait la chamade au rythme effréné du temps qui passe jusqu’à nous conduire inéluctablement vers le lieu où le corps sera décharné et bouffé par les vers. La tombe où tous les sens s’endorment pour laisser le cadavrepourrir et suinter pacifiquement, sans aucune trace de lutte. Sans aucune trace de combat. Rien. C’est le néant. L’anéantissement. La puanteur se dégage pourtant de ce trou béant, comme si tout cela n'était qu'une condensation chimique, alors que le corps se décompose toujours un petit peu par petit peu. Le sang ne coule presque plus et l'activité de toute une vie ne se lit pratiquement plus sur les traces du crâne à nu.
Mais nous ne savons rien de la vie après la mort. N'est-ce pas?
On ne sait quel Paradis, ou quel Enfer souffreteux nous rongera jusqu'à l'éternité. D'ailleurs, ne serait-ce pas sournoiserie de nous parler d'éternité après une vie trop longue et douloureuse pour être vécue? Ce serait presque comme un Enfer avant l'heure. Comme si nous étions sur le Styx, que nous devions payer le Passeur à chaque fois. Ce Passeur qui est représenté, ici, par l'État et ses taxations incessantes. Ce besoin de travailler encore et toujours, sans relâche, sans paix. Et, pendant ce temps là, on voit les morts défiler sous nos yeux, ces âmes qui passent sous la petite pirogue qui nous conduit inlassablement vers Hadès. J'ai payé mes créances à ce type là. Je lui ai donné tout ce que j'avais. On n'emporte jamais nos trésors dans la mort. Aucun trésor. Rien. Nada. Que tchi. Mais sur ce navire, on sent que l'amour et la joiedisparaissent à tout jamais pour laisser place à une sorte de terreur insouciante, inconsciente, sordide. Difficile. Pourrie.
Mais vous savez quoi? Finalement.
Nous sommes tous maîtres de notre destinée, non? Il y a toujours du bon dans la vie, et même dans la mort. Aussi, il faudrait se souvenir uniquement des belles choses qui se sont déroulées et ne jamais resonger au moindre mal que nous ayons eu à subir. Moi, je pense à cette belle femme, cette attirante demoiselle qui m'a séduite et que j'ai pu séduire par chance. Et je pense à elle à chaque instant, à chaque moment, où une vague à l'âme percute la proue du navire. Je songe et resonge à elle, puisque mes pensées ne sont tournées que vers elle. Et vous savez quoi? J'ai beau être dans l'Enfer, dans la mort, dans le pire endroit au monde. Cette femme là, elle est morte en même temps que moi. Nous naviguons ensemble et nous sommes enterrés ensemble. Et je peux le dire, notre vie fut faite ainsi que nos deux corps s'enchevêtraient paisiblement, sans aucune discorde, et à présent, à jamais, nous deux, nous serons liés par la chair. Celle-ci qui ne pourrira jamais et qui vivra à l'éternité par l'amour que nous nous sommes donnés durant toute notre vie.
Je serais ton Hercule qui te délivrera de la furie de la mort.
Tu seras ma Mégara.
Et moi, je te le dis, je t'aime à jamais.
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