See you, Space binioù...

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[Un hommage à deux amis bretons qui complotent pour que leur région surfaite domine le monde, ce qui n'arrivera pas, foi de béarnais ! :p]

 Fébrile, le commandant peinait à garder son calme. « C’est aujourd’hui ! ENFIN ! » pensait-il, satisfait. Après des années de mise au point et de travail acharné, ils allaient finalement le faire : propulser la nation bretonne dans l’espace ! Les autres régions et leur éternelle arrogance n’y changeraient rien, cette fois-ci, ils réussiraient ! Un opérateur interrompit le fil de ses pensées.

 — Monsieur le Nabec ! Un appel du BAV !

 — Passez-les-moi.

La fusée avait été transférée sur le pas de tir le matin même, et le remplissage des ballasts était presque terminé.

 — Ici le Nabec, j’écoute.

 — Monsieur, un ingénieur étranger est dans les locaux, il prétend qu’on fait fausse route et que notre décollage va être un échec.

 — Un étranger ? Il ne manquait plus que ça ! Emmenez-moi cet imbécile ! Notre fusée est insubmersible !

 — Insubmersible ? Mais monsieur, c’est une fus..

 Le commandant raccrocha, furieux. Voilà que les cols blancs de l’UBSF lui envoyaient un ingénieur étranger, ils n’ont donc que ça à faire ! Il espérait au moins qu’il ne s’agissait pas d’un Parigot, ou pire. Pris soudain d’une soif inextinguible, il hurla dans la salle de contrôle : « Tugdual ! Où est mon chouchen ?! »

 Sur le pas de tir, Jason, essoufflé, poussait un petit chariot en bois, suivant les ordres de Valañteñ. « Quel emmerdeur celui-là ! Il faut toujours qu’il m’embarque dans ses plans pourris ! » pensait-il amer. Devant lui, Valañteñ courait de façade en façade, vérifiant que la voie était libre. Il fallait faire vite, le commandant n’avait pas écouté ses recommandations, et la mission était en danger.

 Au-dessus d’eux se dressait fièrement Armor IV, fleuron de la production industrielle bretonne. Sur la proue, on pouvait voir le sigle United Briton Space Force, avec le symbole de la goutte d’eau surmontant un kouign-amann doré, posé sur une ancre. C’était un honneur de travailler ici, et il savait qu’ils risquaient leur place si on découvrait leur présence.

 — Allez, hâte-toi compagnon d’infortune !

 — Oui, je viens ! râla Jason d’une voix étonnamment suave.

 — Es-tu obligé de parler ainsi ? Cela m’effraie !

 — Je…

 Ils arrivèrent sous le gouvernail, et hissèrent le chariot sur l’élévateur. Après quelques minutes d’ascension, ils s’immobilisèrent finalement près de la coque.

 — Alors ? demanda Jason.

 — Ce n’est pas très joli, déclara Valañteñ en observant la fissure dans le fuselage, d’où s’échappait un liquide sombre.

Il sortit un petit poêle à gaz, y posa une grande crêpière, et entreprit de fabriquer une rustine.

Dans la salle de contrôle, le commandant faisait face à l’étranger, jeune homme barbu qui lui était franchement antipathique.

 — Alors comme ça, MA fusée ne pourrait pas décoller ? Qui êtes-vous donc pour prétendre une telle chose ?

 — Arnaud, ingénieur à la BITF.

 — La quoi ? s’énerva-t-il.

 — La Bearnaise Interstellar Task Force.

Le commandant Le Nabec bouillait de rage. Un béarnais ? Ici ? Dans son centre spatial ?! Les officiels allaient l’entendre !

 — Ridicule ! Qu’est-ce que vous y connaissez en fusée vous ?

 — Ben j’y connais que j’ai étudié les schémas de votre appareil, et je suis formel : c’est un bateau.

 — Foutaises ! Avez-vous déjà vu un navire à la verticale ? Cette fusée est un chef-d’œuvre de  l’ingénierie bretonne !

 — Puis alors cette idée de tuyère au breizh cola refroidie au chouchen… c’est absurde !

Le commandant n’y tenait plus.

 — Bleuzen ! Goulwena ! Sklerijen ! Ligotez-moi ce suderon devant l’écran de contrôle ! Nous allons lui montrer comment faire voler une fusée !

 — Mais attendez je..

L’ingénieur fut saisi, et emmené loin du commandant avec force cris et protestations.

 — Et Sklerijen ! Remettez votre chapeau !

 — Mais mon commandant, il fait 15 degrés ici, on meurt de chaud !

 — Exécution ! Maintenant, déclenchez le compte à rebours.

Sous la fusée, Valañteñ appliquait consciencieusement une crêpe au froment sur la fissure. Jason le regardait, perplexe.

 — Tu crois que ça va tenir ?

 — Évidemment, c’est une crêpe bretonne ! File-moi le demi-sel !

Ils s’apprêtaient à redescendre, quand une voix langoureuse les interrompit : « Décollage d’Armor IV dans une minute. Veuillez deg.. évacuer le pas de tir… s’il vous plait… bisou. » Les deux compagnons échangèrent un regard.

 — Jason ! C’était ta voix !

 — Oui… je… ils m’avaient demandé et je n’ai pas su dire non, répondit-il penaud.

 — Qu’importe, allons-nous-en d’ici !

Dans la salle de contrôle, les techniciens couraient en tous sens sans aucune raison. L’un d’eux s’écria soudain : « Regardez ! là ! Il y a deux types sur le pas de tir ! »

 — Bon sang ! Encore ces deux cons ! jura le commandant.

 — On annule le tir ?

 — Non, on va les catapulter en orbite avec le bordel, tant pis pour eux !

Sous la tuyère, l’élévateur fit un à-coup, puis se bloqua. Les vapeurs de chouchen commençaient à emplir l’air, descendant le long de la coque en de fines volutes.

 — Diantre, c’est bloqué !

 — Vite ! Vite ! Faut qu’on trouve une solution bordel !

Ils passèrent par-dessus la rambarde, et descendirent le long de l’élévateur. « DÉCOLLAGE DANS 20 19 … » les deux compagnons regardèrent vers la tuyère.

 — Mais… c’est bouché ! constata Valañteñ.

 — Ils l’ont trop beurré ! je savais qu’il fallait du beurre doux !

 — Hérésie ! Du demi-sel ou rien !

Les deux anciens amis se jetèrent l’un sur l’autre dans un combat à mort. « DÉCOLLAGE DANS TROIS… DEUX… UN »

 — Libérez les niniches ! Hurla le commandant !

« DÉCOLLAGE ! »

 Les sucreries tombèrent dans les réservoirs de Breizh Cola. Le liquide sombre se mit à gonfler inexorablement, appliquant une terrible pression à la coque de la fusée. Le sel beurré bloquait si bien la tuyère que le cola ne pouvait s’évacuer comme prévu, il reflua alors vers le haut. La crêpe-rustine fut éjectée, sectionnant une des poutres de soutènement, puis ce fut l’explosion. Dans un nuage de gras, ce qu’il restait du vaisseau s’affaissa sur les deux compagnons, et le centre spatial fut soufflé.

 Tout espoir de voir un jour naitre une flotte spatiale bretonne s’éteignit à jamais. Sous les décombres de la salle de commande, Arnaud expirait : « Dieu merci… »

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