Scène additionnelle à Feuilles Rouges

2 minutes de lecture

Une histoire très courte et un peu particulière. J'ai récemment découvrert William Faulkner à travers son recueil de nouvelles Treize Histoires et ça a été l'un plus gros coups de coeur de 2019. L'une de ces nouvelles s'intitule Feuilles Rouges et m'a inspiré pour écrire une sorte de scène additionnelle, mettant en scène le chef indien Issetibeha dans le vieux paquebot qui lui sert de demeure. Je vous invite vivement à découvrir par vous-même cet incroyable recueil de nouvelles magnifiques !

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Dans la tiédeur moite de lʼentrepont du vieux vapeur, Issetibeha gardait les yeux ouverts et riait. Cʼétait un gloussement doux, intérieur, plus malicieux que mesquin. Comme chaque nuit, il ne parvenait à dormir dans cette enceinte humide de bois pourrissant. Mais cʼétait une question de prestige ; et il eût préféré mille fois mourir que dʼabandonner son œuvre, son trophée, pour un soir seulement. Alors il découvrait en silence ses quelques dents immaculées dans lʼocéan des gencives rosies par le temps. Comme si cʼétait trop dʼefforts que de rester tranquille, aussi mort que le jour en cette heure, dans le vieux lit suspendu. Voilà bien longtemps que toute trace de luxe avait disparu de ce lointain vestige de Paris ; mais Issetibeha y tenait pourtant autant quʼà lʼâme de ces lieux. On lʼavait donc rénové. Et bien que le vernis se fut écaillé de longue date et les lattes brisées du sommier, fumées dans la viande, on avait réussi à en faire un hamac à baldaquin ; sorte de chimère incongrue qui nʼavait au monde sa place quʼici, dans les entrailles du vapeur échoué, puis ressuscité dans un délire mégalomane. Et y dormir chaque jour, comme un espoir de cure de Jouvence. Mais les femmes nʼétaient pas du même avis. Particulièrement la dernière. Comme sʼil lui était impossible dʼaccepter ce maigre supplément de confort, bien quʼexotique au cœur de son quotidien. Ou alors elle nʼavait jamais totalement accepté son mariage arrangé.

Cʼest donc au plus noir de la nuit quʼelle se levait sans bruit du meuble sans nom pour se recoucher immédiatement, dʼun geste lent, sur lʼune de ces paillasses familières et rassurantes. Il eût été facile de la répudier, mais Issetibeha voulait vivre et préférait en rire. Et elle y arrivait admirablement ; ressemblant à lʼun de ces vieux chiens fidèles, abrutis par le temps et qui, rompus à la servilité, se couchent machinalement aux pieds du maître, levant presque à regret leurs grands yeux tristes et las. Il trouvait cela très drôle, de la voir ainsi désobéir ingénument. Incapable de se conformer, elle avait comme déplacé sa faute sur les grincements traîtres du plancher. Rassérénée alors dans son inconfort habituel, elle pouvait sʼendormir sans souci. Et ce nʼest quʼavec les premières brûlures du petit soleil quʼelle se relevait doucement pour tenter de masquer ses errements. Insomniaque à toute heure, Issetibeha riait encore, ouvrant grand sa bouche édentée, prêt à avaler lʼaube timide.

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