Tu ne sais pas ce qui m’est arrivé à l’instant ? Je me suis faite alpaguer dans la rue. Je me rends compte que je ne calcule plus les fois où on m’a fait une réflexion sur la voie publique. Un peu comme si j’étais blasée. Pourtant je me rappelle de chaque mot prononcé. « Tu es bonne », « Eh mademoiselle ! … Eh tu pourrais répondre», « tu pourrais te retourner », « tu pourrais dire merci ! salope !» et mon cœur bat toujours aussi vite quand je les entends.

 Les mots ont beau changé, le scénario reste le même. Je baisse la tête. J’accélère le pas. Je prends un autre chemin, surtout pas un qui mène à mon appartement. Je mets la musique plus fort pour ne pas entendre les bruit de pas derrière moi. Je tente de respirer calmement. Et surtout, je ne réponds jamais. JAMAIS.

 Je suis en colère. Je m’en veux. Je suis en colère de m’en vouloir parce que je ne suis pas responsable de ça. Je ne suis pas responsable du manque d’éducation et d’amabilité de certains. Je ne suis pas responsable du fait de me faire importuner dans la rue. Je suis juste responsable de ne pas répondre. Et encore ! Comment répondre lorsqu’on m’a appris à être bienveillante, sage et polie ? Comment répondre lorsque je suis seule et j’ai peur de me faire agresser en retour ?

 Pendant longtemps, j’ai pensé que l’ignorance était la meilleure des réponses parce qu’ils n’obtenaient aucune réaction. Et c’est ce qu’ils veulent, une réaction ! J’ai pensé qu’ils ne méritaient que mon silence, que je ne les honorerai jamais de mon attention. Aujourd’hui, je remarque que malgré mon mépris, ce phénomène est toujours existant. Et si ce n’était pas la solution ? Et si finalement le fait de répondre en gardant mon sang-froid, en m’armant d’ironie, d’euphémisme et d’assurance les faisait taire et me permettait d’être libre dans l’espace public ? Et si ça m’aidait à prendre confiance en moi ? Et toi, dis-moi qu’est-ce que tu fais dans ces moments-là ?