Fin 1951, dans le bureau de Francis Perrin, le Haut-Commissaire à l’énergie atomique (pas le comique, il n’a que 5 ans à cette date-là). Celui-ci discute avec deux généraux faisant partie d’un « groupe informel » qui définit la stratégie de recherche sur l’atome, dans les domaines civils et militaires (sans doute un peu plus militaires que civils d’ailleurs…).

• Alors Perrin, comme ça avance vos recherches ?
• Nous avançons, mon général, nous avançons…
• Je me suis laissé dire que nous allions encore changer de gouvernement, Pleven ne devrait plus rester longtemps
• Cette quatrième république est une pétaudière !
• Je ne vous le fais pas dire, mon cher collègue, mais cela nous arrange bien...
• Tout à fait, mon cher collègue !
• Comment ça ?
• Voyons Perrin, chaque nouveau ministre n’a même pas le temps de faire le tour de la question de l’atome qu’il est sur le départ et remplacé par un autre qui ne sait même pas de quoi nous parlons
• Oui, mais justement, comment obtenir de l’aide ou des décisions...
• Tut, tut, tut, Perrin quelle aide attendez-vous ou quelles décisions ?
• Ben il faudrait se décider si on essaye de faire une bombe ou pas.
• Mais Perrin, vous vous foutez de nous ? On vous a dit dès qu’on a réussi à faire virer ce coco de Joliot-Curie et à vous mettre à sa place que vous étiez là pour ça !
• On n’a pas été clair, Perrin ?
• Si, si, en fait, j’attendais, je ne sais pas…
• Vous attendiez quoi, Perrin, ? Votre mandat n’est pas clair ?
• Si, si... mais je ne sais pas, une décision politique ?
• Une quoi (il a failli s’étouffer notre général)
• Il faudrait d’abord que la politique, primo sache de quoi il s’agit, secundo quels sont les enjeux, et tertio qu’ils arrêtent de changer à tout bout de champ !
• La stabilité, c’est nous, Perrin ! Vous faites donc ce qu’on a décidé, vous nous faites cette putain de bombe atomique française.
• Bien, mes généraux…

Merde à la fin, qui c’est qui commande ici, si c’est pas les généraux... Une bombe, c’est militaire, donc c’est l’armée qui décide !

Quelques jours plus tard, Francis Perrin (toujours le scientifique et toujours pas le comique… faut suivre quand même…) réunit les chercheurs dans la salle de réunion du CEA :

• Messieurs, j’ai eu confirmation, nous poursuivons bien nos recherches sur la bombe atomique

Brouhaha dans la salle, mélange d’applaudissements, de sifflets et de cris

• Ouais, super
• Pas de bombe, la paix maintenant !
• Vive la bombe du CEA
• Fais-nous un sketch, Francis (euh non... désolé pour cet anachronisme inapproprié)
• Et même un petit comique disant : Vive Marie, la meilleure chercheuse du CEA, une vraie bombe !
• Messieurs, messieurs, fit Perrin, calmez-vous !

Aparté : À l’époque, à part cette Marie, directrice du laboratoire de physique quantique, il n’y avait que trois autres femmes chercheuses. Tout le reste du CEA n’était que burnes et testostérone, d’où le « messieurs » de Perrin. Bon, en plus, quand on a une foule masculine et féminine, on peut s’adresser à celle-ci en disant messieurs, enfin il me semble. Bref, il dit ce qu’il veut, Perrin (même si c’est pas un acteur comique) en plus, il l’a même pas dit, j’ai tout inventé…

• J’ai eu la confirmation par les généraux X et Y (afin de préserver leur anonymat pour la postérité) que la stratégie était bien de mettre au point une bombe atomique.
• Mais et les politiques, fut-il interpellé dans la salle.
• Quoi, les politiques ?
• Ben, est-ce que les politiques ont pris cette décision ?
• Dites-donc, vous, vous ne seriez pas communiste par hasard ?
• Hou ! dans la salle, dehors les communistes !
• Silence ! Donc je répète, nous avons bien pour mandat, enfin j’ai pour mandat depuis que je suis nommé et comme c’est moi le chef, je vous dis que nous allons travailler sur la mise au point de la bombe atomique française.
• Allez, tournée de cervoise pour tout le monde !
• Vous ne croyez pas si bien dire, elle s’appellera Gerboise, notre petite bombe !
• Une tournée pour Gerboise !