Chapitre X - A travers la tempête

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Il y avait beaucoup de vent cette nuit là. L'air puissant venu de la mer poussait les flocons de neige en plein dans le visage de Yuki. Plus que jamais, les aubans des bâteaux claquaient au rythme d'une mélodie désorganisée, la brise qui se faufile entre les cordages, semblable à des chants de transe, battus par la Horde lors de leurs légendaires rituels.

Trois jours de préparatifs avaient été nécessaires avant que les plans du sauvetage ne soient échaffaudés.

Yuki, Shirô et Hotsuki se tenaient face à la proue de l'OBC Balathar, au bout du quai. Le regard bien haut, fixé sur son étrave rouillée, ou tout simplement les yeux fermés, ils se tenaient là. Droits comme des piquets, dissimulés par les pieds d'acier de la première grue de déchargement jaune, nos trois héros attendent, les bras croisés, luttant contre la tempète qui allait faire rage au dehors et qui, déjà, avait commencé en eux.

Yuki avait fait le vide dans son esprit, avec elle même et ses démons. Avait elle prit la bonne décision ? Encore à cet instant, elle n'en est pas sûre. Un silence assourdissant siffle à ses oreilles. Elle se concentre sur une seule et unique chose, ne pas céder.

" Maintenant ! "

Un flash éclaire l'horizon.

Une onde de choc d'une ampleur gigantesque vient balayer l'ensemble des docks de Telmar derrière eux, et une gargantuesque explosion souffle tout sur un rayon de deux kilomètres. Des incendies se déclarent un peu partout dans ce périmètre, des débris, des objets, des corps sont projetés, désintégrés, sous la puissance de la nitroglycérine.

Ragnar avait frappé de son courroux les hommes. Aussi pathétiques que des insectes, ils couraient d'une façon désorganisée en tous sens, semblables à une colonie de cloportes que l'on vient brûler à l'aide d'une allumette, par pûre curiosité malsaine. Une certaine satisfaction avait envahi tout le corps de la pyromancienne, bouillonnant à l'idée d'entendre les hurlments d'horreur des hommes, ceux là même qui l'avaient déracinée, il y a de cela douze ans. Ils ont détruit sa vie, piétinné ses rêves, vomi sur ses principes. A elle maintenant de se venger, et de raser la leur.

Le souffle mortel hérisse les poils du dos de Shirô. Près de lui, Yuki souffle doucement, essayant d'évacuer le stress, la rage, l'impatience. Elle ne pu cacher son sourire satisfait au regard aiguisé du démon.

Les oreilles rendues mommenatément sourdes par l'intensité de l'explosion ardente, ils avancent d'un pas déterminé vers la poupe du navire, cachés dans son ombre, invisibles au regards horrifiés des marins qui sortent tous de leurs quartiers, alertés par la monstruosité de l'évènemement qui vient de se produir.

Ils courent vers les quais à feu et sang, appelant leurs proches, les larmes aux yeux. Ne sachant que faire, la peur leur prenant sans aucun doute pour la première fois aux tripes. Sortis de leur confort quotidien, de la sécurité illusoire que leur propose l'Empire. Un règne de terreur et de corruption.

Les docks de déchargement des gros navires marchands avait été réduit en miettes. Du réservoir de fuel, il ne reste que de la poussière. Chaque âme un minimum sensée avait accouru au secours d'un rescapé de l'explosion, tentant d'apporter son aide, aussi minime soit elle dans l'effroi et l'incompréhension totale de ce qui venait de se passer.

Hotsuki lança un grapin par dessus la coque du cargo, fuit par des dizaines de rats en pulls rayés. La corde qui le suivait avait été nouée à certains endroits pour pouvoir y monter plus facilement. Il tira bien fort sur sa prise, vérifia qu'elle était bien solide, puis s'engagea sans encombre sur leur échelle de fortune, suivi de Shirô, Yuki fermant la marche.

Une fois arrivés sur le pont du navire, ils retirèrent l'échelle de corde, et pénétrèrent à l'intérieur de l'OBC Balathar.

Depuis l'explosion, il ne s'était passé que deux minutes.

Au pas de course, Shirô avait pénétré au coeur du cargo, et retrouvé sans encombre la cale numéro cinq, scellée par ce gros sas à manivelle. Il fouilla dans le sac qui pendait à sa ceinture, et en sortit une bombe, faite d'une quinzaine de bâtons de dynamite, munie d'un minuteur. Avec des gestes presque chirurgicaux, il la fixa devant la porte, raccorda en quelques instants les deux fils de l'appareil, puis le petit réveil. Il détalla aussi vite qu'il le pu vers la cale numéro un, celle qui formait la proue du vraquier.

Une seconde explosion ébranla le port et le navire. Quelques secondes passèrent, la fumée se dissipa, les débris retombèrent au sol. Le souffle mortel avait entraîné des objets jusqu'au bout du couloir.

Entre temps, Yuki et Hotsuki l'avaient rejoint, plus déterminés que jamais. Ils avaient eu le temps de débloquer le pont levis situé à la poupe du vraquier, prêt à le faire tomber. Ainsi, ils auraient facilement et directement accès à la mer. Mais cela attendrai quelques instants avant son utilisation.

Hotsuki jeta un oeil à sa montre à gousset. " Plus que vingt minutes ... "

Ils foncèrent vers la porte éventrée de la cale cinq. Dans la fumée se dissipant petit à petit, à la lueur de la flamme générée par Yuki, une vision d'horreur bien pire que les évènements passés au dehors se dessina sur le visage du démon dragon.

Une trentaine d'esclaves étaient séquestrés là, dans cette cale, à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes, dissimulés derrière ce qui était maintenant les restes de palettes de farine, qui avaient volé en éclats lors de la déflagration. Et que les Dieux soient loués, ces palettes leur avaient très certainement sauvé la vie, à tous.

Hommes, femmes, enfants, adolescents. Des surnaturels de tous les horizons étaient attachés par de solides liens aux pieds et aux poignets, au cou. Seuls des tuniques de lin leur couvre le corps, malgré le froid mordant qui règne dans cette cale sordide. Ils sont agglutinés comme de pauvres chiens affamés les uns sur les autres, cherchant à préserver la moindre source de chaleur.

" Ils peuvent bien continuer de brûler dans les flammes du Hellheim ! Jamais Drann ne viendra leur chanter ses complaintes pour consoler leurs âmes damnées !!! " Bouillait Yuki en pensant aux châtiments que les hommes leurs avaient infligé.

Hotsuki se retint de peu d'envoyer son poing dans le premier mur à sa portée. Une haine sans nom s'était éveillée cette nuit là, et elle grandissait à vue d'oeil à l'intérieur du corps du démon. Dans son fourreau, Mizuryshi ne tient plus, le dragon des grands lacs d'opale rugit de haine, assoiffé de vengeance. Il déchiquette l'intérieur de sa protection et l'âme de son réceptacle, prêt à tout raser sous ses impressionnantes serres.

Hotsuki n'espérait qu'une chose à ce moment précis, ne croiser ni Hermann ni Joan. Si par malheur il s'avère que leurs deux ennemis apparaissent à cet instant, on n'entendrait plus jamais parler de Mephisto Grimm, de Yuki Snowhite ni de lui même.

Une trentaine d'yeux médusés les dévisageaient, luisants comme des loupiottes dans la pénombre de la cale.

Yuki reprit très vite les choses en main. Se couvrant le visage de son écharpe pour masquer sa satisfaction malsaine, elle s'avança doucement vers les prisonniers, leur tendant une main droite réconfortante.

- Vous êtes venus nous ... Sauver ... ? Souffle une jeune femme au regard vide et fatigué.

Toute sa rancoeur disparut instantatément. Au son angélique de sa faible voix, elle devina sa nature de sirène. Une si belle créature retenue prisonnière par d'immondes déchets de la sorte ... Cela lui était insupportable.

Elle hocha la tête avec conviction, une flamme nouvelle dans son regard. Elle trancha les liens trop serrés qui retenaient prisonniers ses poignets et ses chevilles, non sans une grimace de douleur. Shirô fit de même, usant de sa dague, et s'attela à la lourde tâche de trancher tous les liens des esclaves, à leur grande surprise.

Yuki prit la main de cette jeune femme, qu'elle devine être une sirène, et l'aida à se relever. Des tremblements incontrôlables l'empêchaient de bien saisir ces doigts caleux aux relents de poudre à canon. Elle tenait à peine sur ses faibles jambes recouvertes de plaies et de bleus, aux chevilles rougies et mangées par les cordes qui l'enserraient.

" Encore une jeune femme innocente que l'on donnera comme amuse bouche aux riches barons des comptés de l'Empire ... "

De son côté, Hotsuki surveillait l'entrée de la cale, bouillonnant. Par chance, personne n'était encore alerté de l'explosion dans le cargo. Tous les sens aux aguets, il scrutait le moindre mouvement potentiel, analysait le moindre son qui parvenait à ses oreilles. Rien ...

Au fil des minutes qui s'écoulent, les esclaves maintenant bien debout s'avancent lentement vers cette sortie, que jamais ils n'auraient cru franchir les mains ainsi libres. Au bord des larmes pour certains, encore médusés pour d'autres, ils commencent cette marche étonnemment calme et sereine vers le couloir, hors du temps, guidés par Hotsuki, les larmes aux yeux. Etait-ce des larmes de joie, de colère, de haine ... Lui même n'aurait sû le dire, et il s'en fichait. L'important, c'était de leur rendre leur liberté.

Il sentait sur lui le regard intrigué de la jeune femme qu'avait détaché Yuki avant qu'il ne s'en aille. Il fit un effort colossal pour ne pas se retourner et la regarder dans les yeux.

Bien vite, Hotsuki avait pénétré dans la salle des machines et ouvert la porte qui menait à un sas au cul du navire. C'est là que se trouvait le pont levis donnant sur la mer. Il alluma le mécanisme à l'aide d'un interrupteur, et laissa l'appareil faire son travail, laissant pénétrer par l'ouverture de plus en plus grande les faibles rayons des trois lunes, occultés par les gros nuages de neige.

Un coup de feu retentit. Puis deux, puis trois.

L'espèce de bulle de paix dans laquelle ils s'étaient réfugiés vola en éclats. Deux marins avaient accouru et ouvert le feu depuis le couloir. Shirô, qui fermait la marche, se jeta en moins de temps qu'il ne faut pour s'en rendre compte sur les pauvres humains. Il n'y eut pas même le moindre bruit.

La réalité arriva comme une masse dans la tête de Yuki.

- Hotsuki ! Appelle Tesla ! Vite !

Sans plus tarder, le démon dragon sortit un talkie de sa poche, appuya sur le bouton de transmission.

- Hotsuki pour Tesla ...

- Oui.

- Enclenche la suite du plan.

- Bien reçu.

Il regarda à nouveau sa montre. Cinq minutes avant le moment fatidique. Sinon ...

A cet instant, le pont levis termina sa descente. Le calme de la mer sonnait comme l'appel de la Terre Promise dans les esprits de tous. Le démon dragon plissa les yeux. Au loin, trois petits points orange vif fonçaient à toute allure vers eux. Tesla. Le thérianthrope arriverait d'ici quelques minutes avec des canots de sauvetage pneumatiques pour embarquer les esclaves vers les quartiers ouest de Death Under Soil, et ainsi les prendre en charge.

Le démon dragon fit un bref point sur la situation aux prisonniers devant lui. Dans quelques minutes, ils allaient enfin rejoindre la côte, et être libérés de l'emprise de leurs geoliers. Au vu de l'état de certaines personnes, il ne serait pas étonné de l'usage de drogues dures pour calmer et rendre innofensifs certains spécimens, comme les cinq démons mâles bien bâtis à l'air goguenard et planant qui se tiennent devant lui.

Ils ne dépassaient pas la vingtaine. De forts et jeunes spécimens que l'on forcerai à travailler pour l'empire, tuer les leurs pour maintenir la terreur, tuer des innocents, humains comme Enfants de l'Ancien Culte ...

Il préféra détourner les yeux, se revoyant dans le regard de certains.

Un tremblement colossal ébranla la coque du vraquier. Quelques objets vibrèrent, les regards se dirigèrent vers le plafond, inquièts.

Hotsuki mit quelques instants à saisir de ses mains tremblantes sa montre à gousset. Il l'ouvrit dans un cliquetis stressé. " Le temps s'est malheureusement écoulé trop vite ... "

Au dehors, le combat avait dû s'engager. Yuki pâlit. Shirô n'était toujours pas revenu. Elle sentait au dessus de sa tête une aura écrasante, grasse, noire, malsaine, qu'elle ne connaissait que trop bien. Cependant, elle se fait bien plus écrasante qu'à l'accoutumée. Cette même sensation malsaine d'être observée, sondée de l'intérieur s'était démultipliée. Elle est aux prises avec celle d'un être redoutable, irradiant, bestial, enragé.

Yuki regarda avec insistance son comagnon, le regard inquiet et paniqué, n'osant dire un mot. Une demi heure pour sauver des esclaves sans se faire attaquer s'avérait rester un rêve irréalisable. Leurs deux ennemis avaient dû en être informés dans les quelques minutes suivantes de l'explosion de la cale, et viennent vraisemblablement d'arriver sur le mont du navire.

Hotsuki vit bien assez vite l'insistance de son regard pour lui donner l'autorisation de monter sur le pont, et prêter main forte à Shirô. Il hocha la tête, l'air grave.

"Il nous reste cinq minutes .... Seulement cinq à tenir ... Avant l'arrivée de Tesla"

- Je m'occupe du reste, monte sur le pont.

Yuki détala sans demander son reste à Hotsuki. Elle traversa la salle des machines à toute vitesse, et franchit le couloir maculé du sang des marins qui leur avait tiré dessus quelques instants plus tôt, sans même y prêter attention. Qui prêterai attention à des êtres aussi pathétiques que des vers de terre, fermant les yeux en sachant que l'on torture des êtres vivants sous leurs pieds ? Tout ce qui compait à présent dans son esprit, c'était aider Shirô.

L'aider.

Elle gravit quatre à quatre les marches qui menaient au pont du navire, et sauta dessus sans efforts, aussi vive qu'un chat. Déjà, elle avait chargé le converseur intégré dans son bras biomécanique de shiki. La pyromancienne avait bien fait. A peine s'est elle retournée qu'un énorme projectile lui fonce dessus.

- Eldur !

Une boule incandesente vient s'écraser contre le flanc d'une imposante bête à tête de lion, une chimère. Le choc lui arracha un hurlement de douleur. Il fut coupé par un deuxième impact, monstrueux. La créature fit un vol plané sur une vingtaine de mètres et alla s'écraser contre la cabine de pilotage du navire, crachant et hurlant. Une vilaine plaie purrulente balafrait maintenant son flanc. L'oeuvre de ...

" Shirô ... ? "

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