Chapitre IX - L'OBC Balathar

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La journée qui suivit la nuit sur les docks de Telmar ne fut pas de tout repos.

Les rayons du soleil perçant par la porte de la barraca annonçaient déjà neuf heures du matin à Yuki, réchauffant du mieux qu'ils pouvaient son corps frigorifié. Sans surprise, ce ne fut pas elle la plus matinale.

Shirô avait prit son tour de garde dès leur arrivée sur le plateau recouvert d'un manteau immaculé.

Il s'était posté au dehors, emmitoufflé dans ses peaux animales miteuses. Dieux sachent à quoi elles lui avaient servi par le passé, mais une chose était sûre, ces peaux n'étaient pas de la première fraîcheur. Cela ne gênait en rien le démon, au contraire. Elles étaient l'un de ses seuls effets personnels, et leur histoire, bien qu'elle ne soit pas des plus tendres, lui rappelait ses racines, ses souvenirs, son enfance, ses vieux démons ... Le froid lui rougissant quelques peu les joues, il entreprit de relever sa fourrure de yack plus haut autour de sa tête.

Le regard perdu vers l'horizon, le jeune homme à la crinière ébène se perdait sur le fil de ses pensées, occupé à ressasser des réflexions avec lui même.

" ... Ne te méprends pas, Psychopompe ..."

- Vas t'en ... Souffle Shirô au vent qui l'interpelle.

" ... Qu'il en soit ainsi ... Cependant ... Je t'aurai prévenu ..."

L'imposant démon se releva sur ces mots, fit craquer tous ses os. En se retournant, il fit face à son compagnon aux yeux bleu. Il venait vraisemblablement de se réveiller.

- Shirô ...

Le pauvre jeune homme avait une mine des plus déconfites. De gros cernes pochaient ses yeux, et tout le poids du désespoir semblait s'être abattu en un instant sur ses épaules. Deux tasses de café fumant entre les mains, il s'était adossé au mur de pierres sèches de l'abri de berger, le col de sa veste remonté jusqu'au nez et un bonnet à pompon vissé sur la tête. Il lui tendit une tasse du liquide fumant, qu'il accepta sans sourciller.

- Tu sais ... Cette nuit. Je ... Je les connais ...

Shirô s'assied en face de lui, et plongea son oeil visible dans le regard de son associé. Il était prêt à l'écouter. Hotsuki prit une grande inspiration.

- Ce sont des trafiquants d'esclaves. Ils sont de mèche avec le gouvernement ... Et ... Enfin ... Nous nous devons de faire des recherches à leur sujet, je suis prêt à parier que nous avons une cargaison clandestine d'esclaves dans les cales de ce vraquier !

- Comment sais-tu tout cela ?

Il avait baissé le regard, et touillait à présent le contenu de sa tasse à l'aide d'une petite cuillère, attendant une réponse de la part de Hotsuki.

Celui ci se gratta machinalement la nuque. Comment lui dire que lui même avait été l'un des meilleurs esclaves mercenaires de ces années passées ? Il ne savait quoi répondre sans se vendre.

- C'est à dire que ... Commence son compagnon, embarassé.

- Tu n'es pas dans l'obligation de me répondre, démon dragon.

Il marqua une grande pause, choisissant minutieusement ses mots.

- Je vois clair en toi, Hotsuki. Et je ne te forcerai pas à réaffronter tes démons. "Mais sache que tu te grattes très souvent la nuque depuis cette histoire d'OBC Balathar ..."

- Je ... Je ne suis pas encore prêt ... Désolé, Grimm.

Il s'en retourna dans la cabanne, finissant son café. Son regard se pose sur Yuki, encore endormie en chien de fusil, lui tournant le dos. Son imposant bras biomécanique fumait légèremmement dans la fraicheur matinale.

" Yuki ... Shirô ... Pardonnez moi ..."

La jeune femme ferma les yeux, sentant la présence du démon dragon derrière elle. Elle avait tout entendu.

***

Ce fut vers la tombée de la nuit que nos trois héros, une fois de plus, se dirigèrent vers Telmar. Leur but, cette fois ci, était de récolter des informations chacun de leur côté. Ils se retrouveraient à la fin de la nuit, afin d'échanger les informations collectées.

Yuki allait questionner les marins qui partaient des bars avant leur embauche, puis enchaînerai avec une ronde sur le port du côté des chalutiers, dans le but de glâner des informations sur la criée qui se déroulait tous les matins entre quatre et six heures.

Hotsuki irait rencontrer un de ses contacts de Death Under Soil, à un point de rendez-vous dont ils avaient convenu via leur Mesoko, un petit parchemin magique fesant office de Talkie Walkie.

Shirô s'occuperai de rester prostré près de l'OBC Balathar, dans le but d'y pépétrer dans le meilleur des cas, et au pire, de repérer les lieux, ou éventuellement de recroiser dans l'ombre les deux mystérieux protagonistes de la nuit précédente.

Ils se donnèrent rendez-vous à cinq heures et demi, devant l'auberge du Vieux Goéland, à quelques rues du vieux port.

Shirô avançait discrètement dans le port depuis déjà une bonne heure. Il avait parfaitement repéré les lieux la nuit précédente, et avait laissé son cheval à Yuki, qui serait bien plus crédible aux yeux des passants avec deux chevaux pour tracter derrière elle de prétendues marchandises achetées à la criée. Il retrouva aisément les quais ou se reposait l'énorme vraquier.

Une aura étouffante émanait en effet de ce bâteau. Shirô ferma les yeux, se concentrant sur les bruits et les odeurs présentes dans les environs. Rien d'allarmant. Il posa son sac, se débarassa de sa cape qui le gênait, libérant sa queue animale pour ainsi être plus à l'aise dans ses déplacements. Le froid lui mordit instantanément la peau, et il alla cacher ses effets personnels en haut d'un contenneur, dans un cordage roulé en boule. Il ne garda que son sabre.

Prudemment, le démon s'approcha d'un cordage d'amarrage, jaugeant précisément la taille du bâteau, planifiant son arrivée sur son pont. Il lui fallait d'abord arriver aux ouvertures d'écoutes, d'où sortaient toutes les amarres du cargo. On pouvait largement y laisser passer un homme, et sans doute menaient elles par un escalier directement au pont de l'imposant édifice flotant.

Il retira ses sandales, et entamma son escalade.

Aussi discret qu'une ombre, il franchit bien vite et sans encombres la distance qui le séparait du bâteau, et posa le pied sur son sol d'acier en quelques secondes.

Arrivé dans les ouvertures d'écoutes, il resta quelques secondes caché dans l'ombre, guettant le moindre mouvement, le moindre son, serein. Il chassait.

Discrètement, il chaussa de nouveau ses sandales. Bien que résistant au froid, il est très désagréable de se balader pied nu sur le pont d'un bâteau en plein hiver.

Il avança accroupi vers le fond de la meurtrière où il avait atterri, et, comme il l'avait prévu, y trouva une échelle de métal qui montait directement au pont du vraquier.

Le vent se prit dans son imposante crinière.

Le pont du cargo était désert. Il se trouvait au niveau de sa poupe, derrière les cabines de pilotage. Discrètement, il entreprit d'avancer vers le milieu du pont. De là où il était, il distinguait en son centre un énorme trou, bâché, qui sans doute contenait des marchandises. Doucement, il amorça un pas vers l'avant, penché vers le sol pour ne pas être visible des quais.

- " Tiens ... Comme on se retrouve ..."

- " Tu ne crois pas si bien dire ... "

Shirô se retourna, vérifia que personne ne les avait vu, puis se redressa entièrement, dissimulé par les chaloupes sur les côtés du pont.

- Landið ..."

Un jeune homme d'une carrure similaire au démon lui fesait face, adossé à la balustrade gelée. Une crinière d'argent ruisselle sur ses épaules, jusque sur ses reins, un casque de combat brisé surmonté d'une corne masque la partie droite de son visage. Une épaisse peau de bête aux poils blanc recouvre également le corps de Kurô, son frère jumeau.

- Que fais tu ici ? Le questionne le démon à la crinière d'argent.

Shirô ne répondit pas. Il se contenta de plonger son regard dans celui du sang de son sang.

- Bien ... Soupire-t'il, ses yeux gris pâle se tournant vers le ciel rempli de nuages. Je trouve la mer merveilleuse, pas toi ?

Nouveau silence, entrecoupé par la vapeur provoquée par leurs respirations respectives, le bruit des vagues et des aubans claquant au rythme du vent. La tension monte de plus en plus dans l'atmosphère. Des envies de meurtre bouillonnent dans les mains de Shirô, à sa ceinture, son sabre mugît à l'intérieur de son fourreau vermillon. Aogreinn na Himminin a besoin de sang.

- " Toi ... Landið ... Que fais tu ici ? "... Souffle alors le vent à Kurô, qui esquissa un léger sourire de satisfaction.

- " Rien qui ne puisse te concerner ... Mon ... Ami ..." S'élève à nouveau la voix de Landið dans le vent.

Un grondement surnaturel, sorti de nulle part, vient accompagner les paroles de Himinnin.

- " Cesse de m'insulter par ces mots, traître à ton Peuple ! "

- " Tu devrais avoir honte de me définir comme traître, alors que ton réceptacle à trahi Ragnar lui même ! Pauvre fou que tu es ... "

- Assez !!!

Shirô avait hurlé dans la nuit, ne prêtant plus attention aux éventuels marins. Il se tenait la tête des deux mains, aux prises avec une douleur intense qui lui scie le crâne, lui brûle l'oeil gauche sous son masque.

Kurô le regardai sans sciller, les bras croisés, doit comme un piquet, impassible.

- Tu sais très bien pourquoi je suis ici, mon frère.

Le colosse aux cheveux brun n'arriva à lui répondre que par un grognement de douleur, trop occupé à faire lâcher leur prise aux deux esprits démoniaques qui se battent au dessus de lui.

- Landið ... Les Dieux m'ont parlé ces derniers temps ... Et tu sais très bien ce que cela implique. Demain, on trouvera une carte, dans la cale numéro cinq de ce cargo.

Il marqua une pause, ses yeux aux pleurs de sang toujours fixés sur son frère aux prises avec Landið et Himinnin.

- Tu sais très bien ce que cela signifie.

- " Le Traître à raison, Grimm ... Tu ne peux échapper à ton destin, les Dieux t'appellent, et jamais ils ne te laisseront en paix ! "

- Assez !!! .... Assez ...

La douleur intense lui fait plier un genoux. Il ne peux se mouvoir, écrasé par l'aura de Himinnin.

- Bien ... Je te laisse ici, mon frère. Prends bien soin de toi, et surtout, ne la laisse pas tomber.

Le démon aux cheveux blanc se volatilisa avec le bruit du tonerre, laissant là Shirô.

Bientôt, l'aura écrasante des deux entités se dissipa dans l'air. Lentement, le démon se releva, son corps parcouru de spasmes incontrôlables. Sa vision encore floue mit quelques minutes de plus avant de se clarifier.

La haine attisée dans son coeur le fesait bouillir. Encore lui ! Les Dieux, le Destin ! Qui par les Douze était il pour que le sort s'acharne sur lui ... Il se reprit bien vite, laissant de côté ses réflexions, puis se concentra sur ses recherches, tout en ruminant les phrases de son jumeau.

" On trouvera une carte dans la cale numéro cinq ... "

Il finit par pénétrer dans la coque du vraquier, via la salle des machines. Les imposants moteurs étaient tous au repos, fort heureusement pour l'audition de n'importe quel être vivant. Un couloir se trouvait derrière la porte du fond de la pièce, menant à l'accès des cales. Il n'eut pas besoin de chercher bien loin pour trouver la cinquième et dernière cale, située juste après cette imposante salle des machines. Elle était fermée par un énorme sas d'acier, dont l'ouverture se constituait d'un verrou aussi gros que sa tête et d'une poignée à manivelle et verrin.

Le cadennas était à code, et il faudrait bien trois explosions suffisemment puissantes pour faire céder l'épaisse porte rivetée.

Shirô, professionnel jusqu'au bout, se mit à repérer l'intérieur du navire, évaluer la quantité de marins présents à son bord, ect ...

Entendant des pas provenant de la proue du navire, Shirô décida de déguerpir au plus vite, d'autant plus qu'il ne devrait plus rester beaucoup de temps avant l'heure du rassemblement, en comptant les deux heures de marche qu'il lui restait à faire sur le chemin du retour.

Il descendit bien vite de l'OBC Balathar et alla récupérer avec un grand soulagement ses effets personnels. Avec une légère pointe de satisfaction, il passa sa lourde peau de yack noir autour de ses épaules, appréciant la chaleur de la fourrure.

En glânant nonchallemment sur les quais, le jeune homme repéra un petit voilier de pêche d'environ quinze mètres, marqué d'un panneau " A Vendre ". Un bien joli petit esquif flanqué d'une grand voile lattée, d'un tape cul carré et apparemment d'un bon génois sur enrouleur, le tout ayant l'air d'avoir un tirant d'eau tout à fait raisonnable, et de plus une ligne fuselée assurant la rapidité de l'ensemble.

Il repéra d'un coup d'oeil les lieux, puis retint dans un coin de son esprit le chemin le plus court pour parvenir au petit esquif le plus rapidement possible.

Il s'en alla, après avoir seulement passé cinq minutes sur le ponton.

***

- Bien !

Hotsuki avait étalé sur un morceau de bois plat la carte du port de Telmar, et la fit tenir à l'aide de quatre pierres sêches. Il prit un crayon de bois et entoura le quai numéro trente neuf à l'aide de celui-ci.

- Le Balathar se trouve ici, nous, nous laisserons nos affaires ...

- Là.

Shirô pointa sur la carte des pontons situés à environ quinze minutes du bâteau.

- Nous n'avons pas besoin de nous encombrer de nos montures, renchérit Hotsuki. Pourquoi poser nos affaires aussi loin des quais de déchargement ?

- Tu verras bien.

Yuki bu une gorgée de café brûlant, accroupie par dessus les épaules de Hotsuki afin de voir elle aussi la carte du port.

- Bon ... Ce sera un membre de Death Under Soil qui viendra récupérer les chevaux ce soir, vers dix heures, aux portes de la ville. Il en prendra soin et nous pourrons les reprendre quand bon nous semblera.

La nuit précédente, le démon dragon avait fait des pieds et des mains pour faire garder leurs montures par la guilde de Telmar, peu sympathiques à vrai dire. Il fallait éventuellement penser à l'option de la fuite par la mer, la capture ou encore pire, la mort. Il est donc plus sûr de laisser leurs précieux transports à quatre pattes entre de bonnes mains.

- Ensuite, nous irons vers le cargo à pied, pour ainsi arriver sur le quai vers minuit, minuit trente, le temps de poser nos affaires.

Il sorit ensuite un plan du vraquier qu'avait fait Shirô quelques heures plus tôt, et l'étalla à côté du plan du port.

- Notre but est bien évidemment de pénétrer dans le cargo et d'y faire sauter le cadennas de la porte de la cale numéro cinq...

Sur ces mots, il traça une croix sur le plan.

- A moins que quelqu'un n'en détienne le code ....

Personne ne répondit à cette interrogation.

On étabit bien vite un plan d'action, que l'on mit bien quelques jours à préparer. Les nuits qui suivirent ne furent donc pas de tout repos...

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