Chapitre VIII - Les docks de Telmar

11 minutes de lecture

L'air glacé de la mer mordit Yuki en plein visage.

Les aubans claquaient sur les mâts des bâteaux de pêche au fil de l'air glacé, dans une cacophonie dissonnante et désorganisée, rythmée par les hurlement des goélands et par le bourdon des chaudières fumantes, partant à la conquète de la baie.

Le port ne semblait jamais avoir de fin. Il éventrait la ville sur plusieurs kilomètres, et avait taillé sur son flanc sud est une crevasse s'enffonçant presque jusque dans le centre de la ville. De là où était Yuki, on ne distinguait même pas encore l'ouverture du port, ni même ses digues. Elle tenait cela de 'Tsuki, qui lui avait rapidement exposé les plans plus tôt du port. Les pontons et les cales plongeaient dans une eau aussi noire que du pétrole sous la noirceur de la nuit, et les algues proliférant sur les écoutes et les amarres étaient semblables à des carcasses laminées frôlant les coques et les bouées d'amarrage. Les squelettes décharnés des casiers échoués partout sur les pontons, gelaient à même le béton des cales, les toiles échouées contre les coques des navires à la cale sèche étaient semblables à ces spectres que l'on trouve dans les légendes de la chasse sauvage. Une odeur de sel froid agressait les narines et piquait les yeux.

Dispatchées à intervalles réguliers, des tours de signalisation clignotaient de partout, annonçant des signaux aux pêcheurs, indéchiffrables aux yeux de nos trois compagnons. La neige avait à présent fait une fine couche sur les ponts des bateaux, mais la glace peinait à se former, gênée par la salinité de l'eau et au mouvement des vagues provoquées par le vas et vient des esquifs se ruant vers le large.

- Nous devons nous diriger vers la partie sud ouest du port, là où les quais sont assez grand pour accueillir les paquebots.

Yuki ne répliqua pas, et suivit sans broncher Hotsuki, qui avait prit la tête du peloton. Elle se garda bien de rester le plus près possible de lui, sentant dans son dos la désagréable sensation d'être sondée de l'intérieur. Shirô ...

" Mais tuez moi par pitié, je vais finir par lui fumer la gueule à ce tocard ... "

La jeune femme se contint malgré tout, plus exaspérée qu'encore en colère. Cela faisait deux bonnes heures que les trois asticots crapahutaient dans Telmar, et la donzelle avait eu le temps de se calmer. Shirô suivait ses deux compagnons aussi discrêtement que leurs propres ombres, ne disait mot, ne dégageait aucun bruit. Tétanisée par cette sensation si désagréable, et aussi poussée par sa part d'orgueil, la jeune femme n'osa pas jeter de regard en arrière. Elle savait que le colosse qui la suivait aurait pu être confondu avec Grimm lui même. Aussi sombre et noir que le Psychopome que l'on décrit dans les légendes du Spelt Blink, monté sur un cheval noir aux naseaux fumants, les orbites aux yeux de feu vous fixant avec une lumière rouge sang luisant dans la nuit.

Il leur fallu bien deux heures de plus pour arriver à la première digue du port, et appercevoir pour la première fois les reflets de l'eau de la mer au loin. A l'horizon, on distingait malgré la neige et le brouillard naissant les gargantuesques sihouettes des navires marchands, attendant leur tour pour débarquer sur le continent.

Yuki en avait marre. Elle avait froid, elle avait faim, et sacrément mal aux pieds. A se demander pourquoi diable on avait prit cette stupide décision de pénétrer dans la ville à pied.

" Ah oui ... La discrétion ... Evidemment qu'on sait faire tiens .... "

Un frisson lui parcouru l'échine.

Au loin, elle avait apperçu quelques soldats impériaux, l'arquebuse à l'épaule. La troupe de soldats se déplaçait à cheval ou à pied, sans vraiment paraître treè motivé par leur tâche. Ils devaient patrouiller régulièrement dans les environs.

Le petit groupe se dirigeait à présent vers la partie la plus imposante du port interminable de Telmar, les cales de déchargement. Tous les bâteaux, en provenance des quatres coins du monde, accostaient ici, restant au mouillage pour leur déchargement et ravitailler l'Empire. Hotsuki, sa carte à la main, marchait d'un pas décidé en suivant l'itinéraire qu'il avait tracé au crayon avant leur balade. Les sourcils froncés, le jeune homme avait l'air on ne peut plus sérieux. Depuis qu'ils avaient pénétré la ville, son compagnon avait vissé un épais bonnet de laine sur ses oreilles, et enfilé un long et volumineux manteau de peau, refermé par une épaisse ceinture à la taille. Ainsi, personne n'aurait pu deviner sa nature particulière d'un simple coup d'oeil.

Shirô quand à lui, avait simplemen rabattu son immonde peau de yach sur sa tête. Par ce temps froid, il n'avait que sa loque pour lui tenir chaud. Un frisson glacé parcourut l'échine de la pyromancienne à la place de celle du jeune homme. Dans un coin de sa tête, elle se dit qu'il lui faudrait aborder le sujet avec l'intéressé, bien qu'elle ne soit pas d'humeur à tailler le bout de gras avec ce clampin.

Au bout d'une bonne demi heure de recherche, son compagnon se stoppa devant Yuki.

Devant eux se dressait une imposante masse de feraille rouillée peinte en noir, grinçant au rythme des écoutes qui se balancent sur le ressac. Sur la carlingue de l'imposant cargo, dont la coque montait à plus de cinq mètres au dessus d'eux, on pouvait lire en grosses lettres blanches sales, " OBC Balathar ".

- Nous y sommes ... Murmura le démon dragon en fourrant sa carte dans sa sacoche, l'air satisfait.

L'imposant vraquier mouillait sur un quai d'une longueur en conséquence de ses dimensions. Il fesait bien cent cinquante mètres de long, une trentaine de large. Trois imposantes grues jaunes sur le quai avaient été placées près de sa coque, dans le but de décharger les contenneurs sur son pont. Ils avaient été entassés sur le côté du mouillage, à environ cinquante mètres du bord du bâteau.

Le jeune homme inspecta de haut en bas la carlingue du bâtiment nautique. Une atmosphère pesante s'en dégageait indubitablement. Etait-ce une simple coïncidence ou justement un mauvais préssentiment ? Hotsuki aurait préféré la première option. Il n'eut cependant pas le temps de se pencher plus sur le sujet. Un cliquetis suspect les fit tout trois sursautter.

Quelques secondes sans aucun bruit, fausse alerte.

Hotsuki continuait d'ouvrir la marche, et, s'armant de courage, s'avança vers l'énorme amarre qui retenait le bâtiment au quai. Il commença à s'aggriper au cordage, perché sur la bite d'amarrage toute aussi giganteste que le bâteau. Glissante, le jeune homme usa de prudence pour se hisser sur le métal gelé. Il ne lui restait plus que cette étape à franchir avant de parvenir au bâteau, en grimpant par les cordages qui sortaient par des ouvertures de la coque, quand soudain ...

- A couvert !

Les réflexes de Shirô leur sauvèrent sans doute la vie à cet instant.

Une balle fusa près des oreilles du démon dragon, qui n'hésita pas une seule seconde à sauter dans la panique vers le quai où ils se trouvaient quelques instants plus tôt.

En une fraction de secondes, Yuki avait détalé de l'endroit où elle s'était postée, et fonçait à présent vers la première cachette possible, le contenneur devant eux. Shirô s'était quand à lui volatilisé, usant du galdr donné par Himminin pour en forcer l'entée. Il réapparu un dixième de secondes plus tard dans le champ de vision de la pyromancienne, comme téléporté.

L'épais cadennas de fonte sauta dans un grand bruit. Les portes du contenneur devant elle s'ouvrirent dans un fracas du diable. Sans réfléchir, la jeune femme se rua dans la cage d'acier, trébucha sur quelque chose, puis s'étalla de tout son long sur le sol du contenneur. La jeune femme frémit en sentant non pas un sol dur et froid, mais plutôt quelque chose de tiède, mou et irrégulier sous son corps. Derrière elle, Hotsuki avait réussi à les rejoindre et s'était engouffré avec eux dans la cachette.

Les portes se refermèrent dans un grincement sinistre.

Les ténèbres entouraient maintenant Yuki. Hors d'haleine, elle attendit quelques secondes avant de se relever. Un grondement sourd sous elle la fit frémir. Sa main valide, gantée, soutenait son corps en prenant appui sur .... " Oh non .... C'est .... " Du bout de l'index, elle donna vie à une minuscule flamme, afin de voir où elle avait atteri. Le visage interdit de Shirô apparu devant elle, vascillant.

" Merde "

De peu, la pyromancienne retint un cri de surprise, se redressa et retira sa main du ventre du guerrier. Le colosse la fusilla du regard, plantant le mazout de son iris dans celui de la jeune femme. Le démon lui fit signe de se taire, le visage impassible. Renfrognée, elle s'exécuta, et alla se poster dans un coin du contenneur, accroupie près d'une caisse de bois, aux aguets. Ceux qui leurs avaient tiré dessus n'étaient pas loin, au contraire. Tendant l'oreille, les pas de quelques personnes se rapprochaient de leur cachette.

Le coeur battant à tout rompre, Yuki éteignit la faible flamme à la demande de ses compagnons. Hotsuki s'était quand à lui dissimulé derrière une pile de sacs de toile de jute, près des portes de la caisse de métal. De là où il était, il pouvait distinguer l'extérieur.

Par réflexe, le démon avait lentement tiré de son fourreau Mitsuryushi, son sabre enchanté. Dans la pénombre, l'éclair de lumière opalin sonnait comme un glas.

Par chance, leurs traces de pas dans la mince couche de neige qui s'était formée au dehors n'avaient pas l'air d'avoir averti les marins. A bien y réfléchir, ils n'avaient pas été les seuls à avoir visiter récemment le cargo et les contenneurs près de ses flancs. Bizarre ... De plus les chiens de l'Empire avaient déboulé quelques secondes plus tôt, fusils chargés et en joue, prêts à canarder à vue. Ce genre de pratiques n'étaient pas vraiment dans leurs habitudes.

Les quatre soldats, emitoufflés dans d'épais cabans aux couleurs de la marine, firent plusieurs fois le tour de l'OBC Balathar, armes au poing, silencieux et efficaces. Ils finirent par s'éloigner d'un pas méfiant, laissant nos trois compagnons respirer.

Cependant, même après avoir attendu quelques temps, histoire de s'assurer que plus personne ne tourne autour de leur cachette, de nouveaux bruits de pas, plus tranquilles cette fois ci, arrivèrent aux oreilles de nos héros.

Prévenant, Hotsuki jeta un regard par la fente percée dans le métal, levant le bras en direction de ses compagnons.

Deux paires de jambes bottées s'arrêtèrent devant le cotenneur où ils étaient cachés. Hotsuki se tendit, les yeux écarquillés, et dans le doute, se mit à reculer le plus lentement et discrètement possible de la porte. Cette sensation lourde et bouillonnante... Il espérait avoir tort, maudissant sa vue nocturne si aiguisée ... Mais cette aura si écrasante, si particulilière ... Lui était malheureusement terriblement familière ... Un noeud d'angoisse se tortilla dans ses intestins

" Pas toi ... "

- On a violé le contenneur 43 ... S'élève une voix à gauche des bottes.

" Pas vous ..."

Hotsuki accéléra sa démarche, horrifié. Il rengaina son sabre, rejoignant du plus vite qu'il le pouvait, à reculons, vers Yuki et Shirô. Il dû faire preuve de toute sa volonté pour ne pas céder à la panique et détaller à toutes jambes.

- 'Tsuki ... ?

L'odeur de la peur piqua alors les sinus de Shirô. Quelque chose n'allait pas. Il ne lui fallut qu'un instant pour comprendre

" C'est pas possible ... Pas maintenant ... Pas ici ..."

Le colosse derrière Yuki avait trouvé une cachette, et l'ouvrit avec toute la finesse dont il pouvait faire preuve. C'était une immense barrique en bois, haute comme un homme et large de même qui, par miracle, s'avéra vide. Shirô s'en assura en tapant dessus du pommeau de son sabre.

- ... Allons vérifier. S'éleva une voix grave du dehors.

" Hermann ..."

Les pas avancèrent crescendo vers l'entrée de la caisse de métal géante. Tous trois se ruèrent dans la barrique, le colosse brun referma in extremis son couvercle sur eux, alors que les portes s'ouvraient dans le sifflement rouillé de leurs gonds. Au couvert du bruit, les mercennaires s'étaient barricadés dans la barrique, tapis derrière le bouclier qu'était le colosse devant eux.

Un silence de mort régnait sur la scène.

La tension à son comble, Yuki n'osa pas se repositionner du plus confortablement qu'elle le pu, et se retrouva dans une position des plus inconfortables. Shirô et Hotsuki n'en étaient pas non plus en reste. On entendit bientôt le bruit d'un briquet, puis celui de quelques pas supplémentaires, fesant le tour de la cargaison. Hotsuki, n'y tenant plus, écrasé comme jamais entre le fessier de la pyromancienne et les genoux de son compagnon, entreprit d'enlever délicatement le bouchon du tonneau de l'intérieur, et laissa son oeil vagabonder discrètement par le trou ainsi libéré.

Son sang se glaça pour de bon.

Il aurai pu reconnaître cette silhouette aux épaules carrées entre mille. Deux yeux jaune brillaient dans la pénombre.

Deux hommes emitouflés dans des habits de marin avaient pénétré le contenneur, et l'inspectaient avec une grande minutie, à la lueur d'une puissante lampe torche. Son rayon éclaira la face de l'un d'entre eux. Grand, carré, imposant. Des cheveux très courts chatain posés sur une tête carrée et anguleuse, de petits yeux perçants, cruels. Hermann.

- Pas de dégats ... Bizarre ... Lança le second, que Hotsuki savait plus petit, blond et un peu plus âgé.

- Bien ...

Ils tournèrent le dos à la barrique, continuant de discuter plus posément.

- J'ai l'impression qu'on nous observe .... La même sensation qu'à l'époque tu sais ... Quand le petit démon s'est échappé avec tout un groupe de nos mercenaires ...

Le temps sembla s'arrêter une fraction de secondes dans la barrique. Hotsuki se pétrifia sur place, son regard ne pouvant quitter les sihouettes s'éloignant vers les portes du contenneur.

- Ne ressasse pas les mêmes erreurs ... Maintenant nos meilleurs spécimens sont bien à l'abri, dans ce cargo.

A ces mots, une rage, jusque là enterrée jusqu'aux tréfonds de son coeur, s'éveilla dans le regard électrique de Hotsuki.

Le démon dragon passa machinalement la main dans sa nuque, une sensation de picotement lui parcourait l'échine. Dans son dos, les genoux de Shirô provoquaient un fourmillement insupportable et des temblements qu'il contenait du mieux qu'il pouvait, le jeune démon ne ressentait plus qu'une intense douleur.

Ils refermèrent la porte dans un grincement sinistre.

Dans le silence qui suivi, de plus en plus oppressant, Hotsuki tendit l'oreille, cherchant à capter encore quelques bribes de la conversation des deux mystérieux hommes.

- ... Retourne vérifier les cales du cargo ... avant que je revienne avec un nouveau cadenas ...

- C'est comme si c' ....

Les bribes de la conversation mourruent à cet instant.

Quelques secondes passèrent, rien. Les trois jeunes aventuriers se détendirent instantanément, et essayaient de se dépêtrer de leurs positions très inconfortables. Yuki retenait d'ailleurs depuis de nombreuses minutes un rictus gêné dû à sa position par rapport à ses deux coéquipiers. Son fessier écrasait la partie gauche du visage et des épaules de Hotsuki, alors que sa tête et sa poitrine se retrouvaient compressées entre l'entrejampe et le bassin de Shirô, qui ne montrait d'ailleurs aucun signe de perturbation pour sa part.

Ils finirent par sortir plus ou moins saints et saufs du gros tonneau, fesant craquer leurs os. Yuki ralluma une flammèche au bout de son doigt pour avancer sans trop de problèmes. Hotsuki sortit du contenneur en premier, étouffé par l'atmosphère de ces derniers évènements, son regard fuyant les visages inquiets de ses compagnons.

- Nous devons les sauver ... Murmure le démon dragon dans sa barbe, les dents serrées par la haine.

Par miracle, plus personne ne rôdait autour du vraquier, et personne non plus n'avait été identifier leurs chevaux, ne les avait d'ailleurs nullement embarqués ou volés.

Bien vite, ils reprirent leurs montures et s'en allèrent dans la direction opposée des docks, quittèrent le port, rejoignant le centre ville de Telmar, puis bientôt la barraca qu'ils avaient quitté quelques heures plus tôt.

Déjà, le soleil pointait ses rayons vers l'horizon recouvert d'une fine couche de neige.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 9 versions.

Vous aimez lire ryumon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0