Refaire le monde 

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Je l’avais invité à s’asseoir avec moi. Je l’ai invité à prendre la chaise en face de moi, à se mettre en face de moi. Je ne la connaissais pas. Je ne la reconnaissais pas sous ses traits d’enfants, cette lueur innocente dans les yeux, ses lèvres si fine, si rosées. Son visage, son corps, son physique, cette image qu’elle renvoyait… Non, elle n’était pas parfaite, non, elle n’était pas sublime. Non, elle ne rentrait pas dans la case des sex-appeals. Et pourtant, ce soir-là, c’est elle qui m’a attiré. C’est elle qui était avec moi, dans un de ses endroits sombre, résonnant, à toutes ces lueurs qui bougeaient sans aucune stratégie. Dans cet endroit ou seul le fric fait de vous quelqu’un, ou seul l’alcool peut vous remettre debout, ou tous les gens essaient de se trouver une identité dans ce flot qui bouge sans cesse, qui essaie de rentrer dans toutes ses cases qu’on s’est formé. Parce que oui, il faut arrêter de se mentir, la société, c’est nous. Tout est notre faute. Les magazines, les politiques, les inégalités, on s’en plaint, on porte réclamation, on s’offusque, mais ça ne vient pas tout seul. Ça ne se crée pas tout seul. Les règles, les déboires, la tristesse, la pauvreté, la richesse… On est tous coupable, c’est notre faute à tous… Sauf qu’on se voile la face, on essaie de ne plus culpabiliser en rejetant la faute sur d’autres, en essayant de faire les bons samaritains, et en jetant la pierre aux autres, mais que voulez-vous ! C’est un ensemble, c’est notre nature… Puis on sort, on boit, on danse pour oublier. On vient dans crsendroits sans âme en laissant la nôtre à l’entrée. On essaie de devenir quelqu’un, on essais d’oublier qu’au fond, on est juste des moutons. J’en suis la preuve. Je me rends compte. Je le sens. Je ne suis personne. Et je suis aussi sur les réseaux sociaux, à m’inventer une existence, je suis là, à faire comme si ce qu’il se passait dans mon pays et dans le monde n’étaient jamais ma faute. Je suis là à faire comme si tout allait bien, alors que comme tout le monde, je regarde le plafond chaque soir où on ne peut oublier, je pense, je réfléchis, je suis pris d’insomnie. Je suis ici, au milieu de ces clones, de ces robots, une mer d’alcool enfermé dans un verre, à remuer la tête en rythme avec la musique qui ricoche, qui me fait mal au crâne, mais je fais comme s’il n’y avait rien. De toute façon, qui cela intéresserait ? Appart elle, elle qui maintenant était avec moi dans ce débarra de sentiments, de pensées. Elle qui est aussi perdue que moi, qui est incohérent pour tout le monde, qui essais d’oublier qu’elle sait, qu’elle sait qu’on est tous fou, tous mauvais. Avec elle qui sent, qui connaît cette culpabilité humaine, qui l’accepte, qui vit avec elle, entre cachets et amusement. Avec elle, avec nos désespoirs comme témoins, sous pression, comme des bombes. Lequel explosera en premier ? Qui crèvera en premier ? Qui mettra fin à sa vie ? Qui craquera en premiers sous la pression ? Qui la culpabilité noiera, emportera ? Qui verra ses fils de pantins s’effilocher en premier ? C’est comme ça, on ne contrôle rien. Il faut s’y faire, on ne peut plus rien faire. Appart se regarder en chien de faillance, à s’étudier, à voir, à essayer de comprendre, d’analyser l’autre. À rester silencieux, comme nous deux. Puis autour de cette table ronde, laisser nos rêves éclater, parler, boire, vider ce putain de verre entre nos mains, en reconstruisant le monde à notre façon…

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