Chapitre 11

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L’essor du tourisme à Gerberoy depuis son classement parmi les plus beaux villages de France avait amené un antiquaire-brocanteur des environs à ouvrir boutique dans la partie basse de la ville. C’est ainsi que Pierre Delvieux s’était installé Faubourg Saint-Jean plus de quinze ans auparavant. À cette époque, de mauvais placements boursiers avaient déjà entamé la fortune des Foulques de Tinville. Et bientôt le père de Rose se mit en relation avec le brocanteur pour se défaire au fil des ans du mobilier de style, des tableaux, de l’argenterie familiale, hérités de ses aïeux.

Devenu un familier de la gentilhommière qu’il vidait petit à petit, Delvieux avait fait sauter Rose sur ses genoux, quand elle n’avait que cinq ou six ans et déjà elle l’avait trouvé antipathique. Puis, lorsque, à treize ou quatorze, elle eut tout l’air d’une femme, avec la beauté qu’on lui connaît à présent, il commença à la harceler, à la presser dans les coins, jusqu’à ce qu’elle lui retourne une gifle bien sentie. Depuis, craignant qu’elle ne parle, il se tenait à carreau. Finalement, l’incendie de leur demeure l’avait libérée de cette fréquentation redoutée.

Jusqu’à cette fâcheuse nuit de sa rencontre avec François.

Il n’était pas question pour elle d’aller demander des comptes à Delvieux sans précautions. Trop risqué. Avec son mètre soixante-dix et ses cinquante-cinq kilos, elle ne faisait pas le poids face à l’antiquaire, bâti comme une armoire à glace. Et pourtant, elle ne voulait pas qu’il meure sans avouer son crime ni sans savoir de qui lui venait son châtiment. Longtemps, dans son exil bourbonnais, elle avait cherché la solution et… croyait l’avoir trouvée.

Delvieux était un prédateur qui convoitait toute femme désirable, mineure ou pas, mariée ou pas, et ne s’embarrassait d’aucun scrupule pour parvenir à ses fins. À Beauvais, la veille, Rose avait donc recruté une hôtesse de bar de nuit à qui elle avait confié la mission de jouer le grand jeu à l’antiquaire en le faisant boire autant que possible. Une fois saoul, elle comptait l’amener à confesser son forfait et ensuite… elle irait à la police. Aujourd’hui, c’était le cinquante-cinquième anniversaire de Delvieux, Rose le savait. Elle ne doutait pas que le satyre accepte avec joie ce cadeau inespéré et tombe dans le piège. En ce moment même, son ambassadrice devait être à l’œuvre.

Rose pressa le pas en direction du Faubourg Saint-Jean.

Le magasin d’antiquités s’étirait en longueur sur une trentaine de mètres et comportait un bureau vitré, muni de stores occultants où Delvieux lutinait sur un canapé rouge sang des clientes en mal de sensations.

L’écriteau « Fermé pour cause de livraison – Retour dans une heure environ » était accroché sur la porte d’entrée, mais Rose savait que Delvieux se contentait de retirer le bec-de-cane de cette devanture à l’ancienne, sans fermer à clé. Elle sortit un carré de sa poche et manœuvra sans encombre le pêne de la serrure. Levant le bras, elle empêcha le carillon de tinter. Des gloussements, des voix étouffées lui parvenaient. Elle entra et referma sans bruit.

Elle s’approchait à pas feutrés du bureau lorsque la voix rauque de Delvieux retentit, tandis que s’ouvrait la porte du local :

— Approche Rose, tu ne seras pas de trop !

Delvieux était en bras de chemise, en pleine possession de ses moyens. Rose se figea sur place, elle ne comprenait plus rien. Elle voulut reculer, mais il l’avait saisie par le bras :

— Alors, comme ça, on a tenté de me piéger ! Tu devrais savoir que ce n’est pas à un vieux singe comme moi qu’on apprend à faire des grimaces, Rose. J’ai tout de suite flairé l’arnaque et il ne m’a pas été difficile de retourner ta protégée. Il m’a suffi de doubler ce que tu lui avais promis.

Delvieux se détourna, finit de se rajuster et dit à l’intention de cette dernière :

— Tu peux partir, ma jolie, ton contrat est rempli, ce qui suit ne te concerne pas.

La fille de joie ne demanda pas son reste et s’éloigna, encore en petite tenue, ses vêtements et ses chaussures à la main.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 2012.

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