Chapitre 12

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Rose se débattait, mais la poigne de Delvieux était trop forte. D’un tiroir de son bureau, il sortit une paire de menottes. Il lui en passa une à la main droite et accrocha l’autre au radiateur en fonte de la pièce.

Rose entendit la porte d’entrée se refermer. Ils étaient seuls à présent.

— Tu n’es qu’un porc, Delvieux, ne m’approche pas ou je hurle !

— Je doute que d’ici on t’entende et je sais comment t’amener à de meilleurs sentiments à mon égard.

— Ça m’étonnerait !

— Détrompe-toi. J’ai un marché équitable à te proposer. Voici : tu ne tentes rien contre moi et, en échange, je ne révèle pas aux flics ce que je sais de l’incendie de ta maison.

Rose avait blêmi. Elle voulut parler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle dut se contenter de dénégations de la tête. Delvieux poursuivit avec un sourire en coin :

— Je sais ce que tu as fait et pourquoi tu l’as fait.

Rose était décomposée. Elle réussit enfin à articuler :

— C’est faux. Tu… tu ne sais rien.

— Oh que si ! D’une part, ton père avait le vin bavard, et d’autre part je t’ai vue faire le mur de chez toi, ce soir-là, alors que l’incendie prenait de l’ampleur. Tu es sortie, couverte de suie et de cendre, et tu as déclaré aux gendarmes avoir tenté de sauver tes parents, mais c’est faux, tu les as laissé crever !

Rose ne disait plus rien. Elle réfléchissait. Le vent avait tourné, semblait-il. Alors qu’elle s’apprêtait à mettre le mot « fin » à cette histoire, son passé la rattrapait. Et elle était fatiguée de vivre avec tout cela sur la conscience. Son père, sa mère, Froment, Alphonse. Elle se sentait coupable effectivement. Et pourtant, stricto sensu, elle n’avait rien fait. Ou si peu. Sauvé sa peau un peu trop vite et laissé le feu de cheminée asphyxier ses parents. Poussé Froment à se suicider et amené Alphonse à faire un pas de trop.

Sa réflexion fut interrompue par Delvieux :

― Voici ce que nous allons faire : tu rédiges sous ma dictée un écrit où tu avoues ta responsabilité dans le décès de tes parents. Je le mets en lieu sûr et je te libère. Si tu refuses, eh bien, tu ne sortiras pas indemne d’ici ! Quant à porter plainte contre moi pour viol, ce sera parole contre parole ! Et ta lettre parviendra à la police.

Il fallait gagner du temps. Dans la poche de son imper, son dictaphone tournait toujours. À tout prendre, Delvieux tomberait avec elle, si elle devait tomber. Mais il fallait sortir d’ici rapidement. Elle soupira et dit :

― Ton marché est ignoble, Delvieux, et tu ne me laisses pas le choix. Détache-moi si tu veux cette lettre, je ne peux pas écrire avec la main droite attachée au radiateur !

Delvieux s’y résolut. Il aurait pourtant dû savoir que Rose était ambidextre, comme son père.

Rose frotta son poignet endolori par le bracelet métallique. Delvieux sortit du tiroir du bureau un bloc de papier et un feutre noir. Puis, il entreprit de dicter à Rose les termes de sa déclaration qu’elle data et signa, d’une écriture précipitée.

À présent, ils étaient debout, face à face, de chaque côté de la table. Delvieux relisait la lettre, concentré. Rose, les mains dans les poches de son imper, venait d’arrêter le dictaphone. Déjà, elle reculait vers la sortie. D’un bond, elle fut de l’autre côté de la porte du bureau. La clé était dessus. Elle lui donna deux tours et s’enfuit en courant, tandis que Delvieux secouait le battant avec fureur. Il ne lui résisterait pas longtemps, mais suffisamment pour lui donner celui de disparaître, espérait-elle. Sa voiture était garée sur le premier parking à l’entrée du village. Elle dévala la pente. Le bruit des battements affolés de son cœur lui cognait aux oreilles.

Elle mettait le contact, hors d’haleine, lorsque, dans son rétroviseur, elle aperçut la silhouette épaisse de Delvieux, époumoné, tout en haut de la rue. S’était-il rendu compte de son subterfuge pour s’être ainsi lancé à sa poursuite ? Trop tard, en tous cas. Elle était hors d’atteinte. De toute façon, en admettant que Delvieux sache vraiment quelque chose, ils se tenaient l’un l’autre par la barbichette, à présent !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 2012.

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