Josiane.

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Josiane fêtera cette année ses soixante-huit ans et sa mise en pli est toujours aussi parfaite qu’à ses trente ans, une vraie fierté pour elle quand la plupart des femmes de son âge commencent à être clairsemée comme un pré de moutons. Josiane prend toujours un grand soin à sa tenue, à la longueur de sa jupe, à la concordance de couleurs pas trop criardes. Elle est la reine du repassage et les plis qu’elle réalise sur les chemises et les pantalons sont des perfections.

Josiane est mariée depuis ses vingt-et-un ans à un solide et respectable huissier, qui l’a mise à l’abri du besoin toute sa vie. En effet, grâce à lui, elle n’a jamais eu à s’abaisser à devoir travailler. Elle n’a donc pas eu besoin de perdre son temps à suivre des études et a pu complètement s’occuper d’élever ses deux enfants ; Lorie et Martin. Elle est très fière de son petit dernier, pompier volontaire et grand sportif, c’est un homme digne. Pour ce qui est de sa fille, elle ne parvient pas à comprendre sa vie dissolue, à ne toujours pas être épouse ni mère à plus de trente ans et à vouloir vivre de la musique comme une saltimbanque.

Tous les matins, Josiane se lève avant son époux, passe vingt minutes dans la salle de bains pour ajuster sa mise en pli et se maquiller, puis elle file à la cuisine et prépare le petit-déjeuner. Elle va ensuite se recoucher près de lui et attend que le réveil sonne. Il la gratifie alors d’un court baiser avant de se préparer. Ainsi les journées sont rôdées depuis des dizaines d’années, immuables, rassurantes et parfaites.

Chaque matin, Josiane prend son cabas à roulettes et se rend au marché pour les courses quotidiennes, avec l’argent que son cher et tendre lui a laissé sur le meuble d’entrée. Le trajet est toujours le même : la rue de Rivoli à remonter, deux fois à gauche en passant devant le kiosque à journaux où elle prend le Quotidien puis le passage piéton et l’attente du bus n°5. Là, elle prend soin de ne pas trop s’approcher du vieux clochard qui se répand dans des relents d’urine et de saletés mais qui, malgré les régulières remontrances qui lui sont adressées, semble avoir établi ici sa résidence principale, au grand dam de cette honnête mère de famille.

Façonnée par une éducation à l'ancienne, après de nombreuses années dans un couvent où elle forge ses compétences de couturière, de ménagère et de cuisinière, Josiane n'a en vérité jamais vraiment eu de choix à faire dans sa vie ; son père les a fait pour la première partie de sa vie, son mari a fait le reste. Maintenant, qui oserait reprocher à cette femme de prôner l'honneur, en se montrant toujours parfaite, au service de son mari et respectueuse des bonnes mœurs, tel qu'on le lui a toujours inculqué ?

Il pourrait y en avoir bon nombre, mais celle qui le lui reproche avec le plus de véhémence, c'est sa propre fille :

« Maman, tu passes à côté de ta vie et tu ne t'en rends même pas compte ! J'ai honte de te voir ainsi t'avilir au service de papa, à faire semblant d'être cette parfaite petite ménagère alors que tous tes sacrifices ne t'ont conduit qu'à devenir une créature dépendante et pleine d'artifices ! »

Plus humiliée qu'elle le ne le voudrait par cette dernière conversation téléphonique avec Lorie, Josiane ressent le besoin de réunir son groupe d'amies, des femmes avec qui elle partage le thé et quelques passe-temps ludiques. Pour loccasion, Josiane a confectionné ces délicieux muffins à la rhubarbe, qui sont toujours source de compliments. Cette fois, l'une d'elles a apporté un jeu d'esprit avec des questions de culture générale qu'elles entament avec entrain. Rapidement, Josiane se sent dépassée par les diverses thématiques et après avoir échappé deux réponses dont l'absurdité provoque un éclat de rire général, elle préfère se glisser dans la cuisine et achever la vaisselle.

Même de là, elle ne pavient pas à ne pas entendre les petits rires de commérages de ces harpies de voisines qui gloussent dans son dos :

« Quelle imbécile... Ne pas savoir ce genre de choses, à son âge ! Si elle passait moins de temps à lustrer son parquet, elle aurait du temps pour se cultiver... »

Mais Josiane se serine en frottant avec insistance les tâches de chocolat sur la porcelaine. Elle sait que la perfection qu'elle défend n’est en rien à blâmer, ni même le fait que, pour manger, elle doive s'en remettre à la seule générosité de son mari.

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