Charlotte.

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Charlotte a vingt-six ans.

Elle se débrouille comme elle peut depuis toujours, ayant perdu ses parents l'année de ses neuf ans. Un bête accident de voiture, un chauffard ivre et paf, plus de famille, plus de foyer, plus de Noël. En contrepartie, le placement en tant que pupille de l'Etat dans un institut, puis les voyages entre les familles d’accueil. Parcours classique pour ceux qui s’engagent dans ce cursus. Mais Charlotte a une âme de battante et elle veut s’en sortir, récupérer ce que la vie lui a dérobé.

Consciente très tôt de ses atouts, elle apprend à jouer dès l’adolescence de ses charmes. C’est finalement une simple question de survie ; chacun se débrouille avec les cartes que la vie lui donne… et lui prend. Voilà sa combinaison à elle et la tactique qu’elle emploie.

Jusqu’à ses dix-huit ans, c’est donc par d’adorables manœuvres – et en offrant quelques tripotages discrets – qu’elle réussit à obtenir certains privilèges au sein de l’institut. Ainsi, escortée par le sous-directeur, elle assiste à des galas huppés où des défilés de mode sont organisés. Très vite, elle se prend à admirer cet univers. Ce n'est pas l'excitant attrait du métier de mannequin, ni le désir d'être adulée comme une déesse qui la fascine, assez réaliste pour accepter que ses sensuelles rondeurs sont un frein aux défilés. Ce sont les coulisses qui la captivent, émerveillée par les magnifiques tenues, elle s'enflamme pour la créativité sensationnelle des stylistes. Contempler les collections de haute couture, les coupes, les coiffes et les fanfreluches développent dans son imaginaire tout un champ de possibles.

A sa majorité, on lui trouve un appartement et avec les quelques fonds épargnés par l’institut, elle part avec un pécule de départ suffisant pour tenir un an. A partir de là, elle se retrouve livrée à elle-même. Enchaînant les petits boulots en tant que serveuse ou caissière, éreintants pour une paie de misère, elle perd vite espoir sur les possibilités qui s’offrent à elle. Sur le conseil d’une collègue lui vantant l’aspect amusant, facile et très lucratif, elle s’essaye une fois au jeu des « Xcam ». Le principe étant qu’elle se filme en direct pour des hommes, les divertissant de façon suggestive, afin qu’il la gratifie en retour de jetons virtuels. Peu farouche à l’exercice, le résultat est tel qu’elle perçoit le soir même un virement de cinquante euros, correspondant aux jetons récoltés, sur son compte en banque. Impensable : une heure de travail et tant d’argent ! Le jeu qui devait être unique, se réitère donc, deux, trois… dix fois… suffisamment pour que les fonds amassés lui permettent de redonner foi à l'ambition qui lui trotte dans la tête depuis un moment.

Animée par ses rêves d'enfant où les dentelles et les matières satinées virevoltent, elle écrit tout, bien décidée à faire naître son invention révolutionnaire. Elle se rapproche de quelques ingénieurs et techniciens spécialisés qui ne peuvent, évidemment, rien lui refuser. Elle couche tout sur le papier. Son dossier en poche, elle fait le tour des banques et tout autant tourner la tête de ces messieurs les banquiers, si enthousiastes face à son… idée.

Mais voilà, la toile n'oublie jamais tout ce qui lui est offert en pâture. Friande de ses vidéos voluptueuses, elle prend même un vilain plaisir à faire remonter en surface ce qu'on croit enfoui et gardé au secret de quelques échanges nocturnes. C'est ainsi que ses anciennes exactions sur le net, quelques enregistrements visuels et photographiques de ces prestations érotiques, ressurgissent sans crier gare.

C'est un matin qu'elle s’effondre, en découvrant sur les réseaux sociaux plusieurs photos d’elle nue, affichée dans de multiples positions honteuses, embarrassants souvenirs de nombreux jetons gagnés. Les partages et les publications des internautes se propagent et prolifèrent en quelques jours jusqu’à presque faire le tour de la planète. Au bout d’une semaine, elle n’ose plus sortir dans la rue, persuadée que tout le monde va la pointer du doigt.

Elle se sent humiliée et détruite, comme si quelqu'un l'avait salie. Impuissante à stopper la déferlante des messages d'insultes ou de moqueries, elle s'enferme dans son petit appartement, inconsolable devant ce lynchage public.

Elle, la fille de rien qui n'était rien et ne deviendra finalement rien.

Désespérée, elle se hisse un après-midi sur le rebord de sa fenêtre, ses ravissants petits pieds nus tremblants sur le béton. Egarée dans ce méandre de honte, elle ne voit d'autre issue. Elle surplombe la rue, les doigts crispés sur le volet branlant de son troisième étage. Elle pleure. Elle scrute ces badauds en bas qui s’agglutinent pour la voir tomber de plus près. Elle frissonne de froid et de peur. Elle attend, elle voudrait qu’un héros arrive sur son cheval blanc pour la sauver...

Mais en bas, il y a seulement ce charmant pompier qui tente de la raisonner depuis sa position au sol, qui ordonne de déployer la grande échelle aussi vite qu’il peut, qui ne la lâche pas des yeux. C’est trop tard, elle n’y croit plus, même lui ne pourra l'aider à laver son image aux yeux du monde, elle restera pour toujours la catin des cams.

A la seconde où ses jolis doigts lâchent le rebord, elle a une soudaine pensée pour le gentil monsieur Laffont et ses mignonnes petites attentions galantes. Elle se demande si elle n'aurait pas dû le rappeler malgré ses mésaventures, s'il n'aurait pu lui offrir cette vie heureuse et sécurisée qu'elle a toujours convoitée sans réussir à l'obtenir. Elle visualise son obligeant sourire et sa coquette moustache, ainsi que sa courbure d'échine élégante quand il lui ouvre la portière. Il n'était pas si vilain, après tout. Mais à cet instant, c'est l'asphalte du trottoir qui se rapproche à toute vitesse, prête à l'enlacer dans une ultime étreinte.

Plus tard, à la caserne, le jeune pompier, traumatisé marmonnera à ses collègues :

« Il n’est rien de plus imbécile que de résoudre ses problèmes par le suicide… C’est idiot quelqu’un aurait sans doute pu l’aider si elle avait des problèmes, pourquoi n’a-t-elle rien dit ? »

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