( 3 mois plus tard )

-Mlle Flynn, puisque vous semblez discuter, vous avez sans doute suivi l’intégralité du cours. Vous pouvez donc répéter ce que je viens de dire ?

Je tire une grimace dans son dos. Je hais ce prof. M. Hanks guette la moindre de mes incartades et le simple fait de demander l’heure à un autre élève me vaut d’être rappelée à l’ordre. Il me harcèle à chaque cours sous prétexte que je suis trop dissipée. Moi, dissipée ?

Objectivement, je dois admettre que je n’y mets pas beaucoup du mien. Ses cours ont beau être intéressants, je m’égare toujours. C’est comme si une partie de mon esprit suivait toujours le cours tandis que l’autre se balade à droite et à gauche, erre dans les confins de mon cerveau et trouve un autre sujet auquel penser. Je me disperse et mes pensées se bousculent, comme des autos tamponneuses, chacune arrive et puis repart, et finalement je suis incapable de suivre le cours. C’est énervant mais c’est comme ça.

Et puis comme je m’ennuie je parle aux autres élèves, je vois s’ils sont comme moi, s’ils en ont ras-le-bol des cours. Alors forcément ça pousse les profs à bout. M. Hanks devrait être honoré. C'est dans sa matière que je tiens le plus longtemps.

En vérité, je peux me le permettre. Mes professeurs ne cessent de me rappeler que mes résultats sont excellents, Mlle Flynn, vous êtes une véritable perle Mlle Flynn, vous rehaussez le prestige de cette classe, Mlle Flynn, continuez ainsi. Moi je n’ai pas l’impression de rehausser quoi que ce soit. Je ne fais pas d’effort particulier pour travailler. Ma mère me répète que j’ai des capacités hors du commun.

Mais M. Hanks, illustre professeur d’Histoire du lycée Sainte Anne, n’en a strictement rien à faire de mes capacités. Et malgré son incroyable aptitude à me mettre hors de moi,j'aime la lueur qu'il a dans les yeux quand il fait cours, et j’aime l’égalité qu’il instaure entre tous les élèves de la classe. Les bons comme les mauvais. Il tient compte de l'effort produit par chacun et nous considère pour ce que nous sommes, de véritables êtres humains, pas simplement des bêtes pensantes. M.Hanks parvient à créer une unité parfaite tout en nous donnant l’impression que chacun est à sa place. Je trouve ça incroyable.

Cependant, je ne peux m’empêcher de lui en vouloir. Tout le monde bavarde en classe. Mais il n’entend que moi. (En vérité, il a repris Juliet Rouget il y a moins de deux minutes, c’est de la pure mauvaise foi). Le fait est que ça reste un prof, par conséquent je m’apprête à raconter un ignoble mensonge visant à me tirer d’affaire, lorsque la sonnerie retentit. Je range mes affaires rapidement, et prie pour qu'il ne me retienne pas.

-Mlle Flynn, un instant.

Le sort s'acharne contre moi. Luke est hilare. Amuse-toi bien, Helen, c’est un abonnement ou quoi, à mon avis tu vas finir par y prendre goût. Je fais la moue. Il a raison. Je me fiche complètement de ce qui va suivre. Mais j'ai déjà été collée la semaine dernière, et les bavardages ça fait moche sur un bulletin.

Je prépare mentalement mon excuse en regardant les derniers sortir de la classe. Je réalise alors que les lacets de Leah Gratt sont défaits. Je me souviens pourtant avoir remarqué qu’elle les avait faits pendant le cours. Je me dis qu’elle doit être sacrément bête pour ne pas savoir faire ses lacets en Terminale. Et puis je me mets à chercher l’étymologie du mot « lacet ».

-Helen!

Je sursaute. Ressaisis-toi ma fille. Ton salut en dépend. J’ai eu peur, je ne m’attendais pas à ce qu’il crie aussi fort.

-C’est quoi votre problème, nom de Dieu.