Affrontement

3 minutes de lecture

Une grande partie de mes cours tombe sur le sol humide de la cour du lycée. J'enrage. Qui est l'imbécile qui ne regarde pas devant lui ? De quoi me mettre de merveilleuse humeur.

Je ne tiens plus. Cette affreuse journée mérite de toucher à sa fin sur une note un peu plus joyeuse que les dix heures passées à étudier des notions vues, revues, saignées à bloc.

- Ça t'arrive de regarder devant toi ? Dis-je en levant les yeux vers mon maladroit interlocuteur. Dieu qu'il est grand. Il paraît surpris de mon ton si agressif. Il n'a pas eu ma journée.

- Bien sûr, mais seulement lorsque ce que j'ai devant les yeux est interessant, répond-il avec un rictus moqueur.

Je vois. Un rigolo.

- Épargne-moi tes commentaires sarcastiques. Quel crétin, je murmure. Une part de moi espère qu'il entende pour se rendre compte du peu d'estime que je lui porte.

Apparemment, je fais mouche. Il réalise alors sa maladresse et m'aide à ramasser mes cours trempés. Il ne me vient même pas à l'idée de le remercier. Ce type vient tout de même de ruiner une journée entière de travail.

- Tu n'as pas l'air habituée aux lieux, dit-il, la voix rieuse. Tu es nouvelle ?

De la condescendance, maintenant.

- Non. Trois foutues années que je fréquente ce lycée, et je suis toujours incapable de trouver ma salle de classe. Regarde-moi ça !

Je ne peux m'empêcher de constater avec dépit et frustration l'état de mes feuilles.

- Pff. Ce n'est pas la fin du monde, me semble-t-il.

J'affiche une mine offusquée qui traduit mon réel sentiment face à ce personnage abject.

- Je dirais simplement qu'on a pas les mêmes priorités, je lâche en ricanant.

- C'est certain. Quelle est la salle que tu ne parviens pas à trouver ?

- K18.

- Tu n'es pas du tout au bon endroit. Tu es sûre que ça fait trois ans que tu es dans cet établissement ? ( Je lève les yeux au ciel. ) Il faut que tu te rendes au second étage.

Je le remercie, finalement touchée par cette attention alors que j'ai été relativement odieuse avec lui.

Je monte rapidement les deux étages, la sonnerie retentit, je ne trouve pas cette putain de salle. K18. K18. K18. Non. Que des F. Je fais le tour du couloir, la plupart des classes sont déjà en train de faire cours. Je repasse, encore et encore, mais aucune trace de cette salle mystérieuse.

Je ne vois qu'une seule explication. Ce fumier m'a menti. Je bouillonne. Il a dû être surpris par mon ton désobligeant, et s'est fait une joie de me monter ce piège tordu. Ça m'apprendra . La prochaine fois qu'un idiot égocentrique fait tomber mes affaires, je la boucle. Si je le croise à nouveau...

Je descends les escaliers quatre à quatre et après l'ouverture de quelques portes, je me retrouve à nouveau dans la cour du lycée. Bien sûr, maintenant, tous les élèves sont rentrés depuis bien longtemps. Je me mets en quête de la K18. Je commence à avoir des envies de meurtre. J'aperçois enfin la salle... exactement à l'endroit où je me trouvais il y a quelques minutes. Ce type mérite vraiment l'enfer.

Je marche rapidement en direction de la salle, toque, entre, et me confonds en excuses pour mon retard, surtout le jour de la rentrée, ça craint. Je suis si embarrassée que je ne regarde même pas le professeur.

Lorsque je lève enfin les yeux vers lui, je manque de faire une crise cardiaque. C'est le fameux crétin ayant renversé la moitié de mes cours à même le sol. C'est un prof ?! Je suis partagée entre incompréhension, gêne, et une sainte envie de lui arracher les yeux.

Je perçois dans son regard une lueur, et un faible rictus se dessine sur son visage, ce qui traduit un certain amusement face à la situation. Je me rends alors compte que je l'ai tutoyé, et insulté il y a quelques minutes à peine. En voilà un qui ne peut que m'apprécier. L'année commence en beauté.

Puis j'évalue la situation. Il a fait preuve d'immoralité, et sa réaction puérile démontre à n'en pas douter son caractère narcissique. En d'autres termes, c'est un connard.

Et je ne sais pas comment appréhender les connards. Alors je me dis qu'il faut que je tente la stratégie qui d'habitude, me réussit le plus. L'hypocrisie.

Je m'apprête donc à me confondre en excuses, pour mon retard impardonnable, histoire de le désarçonner, mais j'ai apparemment pris trop de temps à décider de l'attitude à adopter. Il me devance.

- Eh bien, eh bien, on est en retard dès son premier jour, mademoiselle. Mademoiselle ?

- Flynn, je déclare en serrant les dents. Helen Flynn.

- Mademoiselle Flynn, ne vous faites pas plus remarquer et hâtez-vous de vous asseoir, s'il vous plaît.

Il s'amuse visiblement beaucoup. Il ne cache même pas son sourire. Je sens que lui et moi allons passer une merveilleuse année ensemble.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Mano ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0