J'aurais pas venu

Il y a ce type qui est mort. Contre un arbre. Jeudi passé. Il paraît que la télévision locale a filmé la dépanneuse qui évacuait l’épave de la voiture. Comme toujours, les clients demandent vous êtes au courant ? Et je réponds oui, oui, la vie est cruelle.

Je pense à la dernière fois où je l’ai croisé. Un sportif du genre deux cents kilomètres de vélo chaque dimanche. Pas spécialement sympathique. Mais un visage intéressant, très osseux. Il ne puait pas la joie de vivre. Quand même il a été enterré hier. Il est mort pour de vrai. D’un coup.

Une fois de plus, je m’insurge contre ma naïveté. Pourquoi est-ce que je persévère à croire qu’il y a un bouton marche arrière. Que tout ça, la mort pour tous, est une bonne blague. Genre poisson d’avril. Même pas vrai. On vous a bien eus. Je me dis que contre un certificat de résurrection garantie, je goberais volontiers des messes hebdomadaires avec esprit saint, lumière née de la lumière, rachat du péché du monde, chair de la vierge, et tout le sang et les clous avec. Finalement j’absorbe goulûment ma honte d’être aussi ridicule. Puis me connecte à Bouddha.com et répète dix fois que se tracasser sur son sort après la mort est aussi absurde que s’interroger sur ce que devient son poing en ouvrant la main. Je souris enfin et pense à Norge qui demandait où va le blanc quand la neige fond.

Mais, mais, mais… parmi toutes les bêtes questions humaines qui éclaboussent mon rêve d’indifférence, il y en a une qui revient encore. Et s’il avait su ? C’est toujours cette question qui me fout à plat. La veille, la semaine avant, le mois, l’année, avant, s’il avait su ? Jeudi prochain à quatorze heures trente-deux tu vas te prendre un arbre dans la gueule et voilà.

Mon rêve d’indifférence est évidemment un mensonge. Je mens. Je mens plusieurs fois par jour. J’aime ça. Le mensonge est trop souvent décrié. Mentir est ma croisade pour la liberté. Ce midi, par exemple, j’ai raconté à une vieille dame attentive que le chien était malade, que le lave-vaisselle était en panne, que la salade était bio. J’estime que plus le mensonge est futile, plus sa beauté est prégnante. J’ai beaucoup de théories, un peu sur tout.

Plus tard dans l’après-midi, j’ai aussi menti à ma mère au téléphone, elle me demandait à quoi j’étais occupée, j’ai répondu que j’arrachais des fleurs fanées, alors que je me roulais une cigarette et buvait mon troisième verre de vin.

Et il y a moins d’une heure, j’ai menti aux deux policiers qui m’ont demandé si j’avais vu Henri Bolon. J’ai dit non.

Maintenant je suis là à écrire ces mots épars pour un peu dorloter la vérité. C’est son heure. Je me demande encore si le Bolon serait venu au fond du jardin s’il avait su.

Je le revois. Il était là, avec ses épaules voûtées, sa tête de babouin hargneux et ses cheveux blancs trop longs. Il était caché derrière un buisson, comme si on n’était pas en hiver, comme s’il y avait des feuilles, comme si j'étais une conne aveugle. Je n’ai aucun regret, même si mes bras n’aiment pas le souvenir de la facilité avec laquelle la fourche est rentrée dans son ventre. Ce con m’a empoisonné quatre chats. Je le soupçonnais depuis longtemps et hier je l’ai pris sur le fait. Il déposait tranquillement ses boulettes de mort au rat juste derrière le puits près de la mare.

Je ne crois pas que je me servirai encore de l’eau du puits pour arroser les fleurs. De toute manière, je n’aime pas jardiner.

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En réponse au défi

Reality of Reality!

Lancé par laura8539

Je vous met au défi décrire une histoire inspirée par ce titre:

Reality of Reality!

Sur le reste vous êtes complétement libre.

Les lecteurs doivent quand même pouvoir comprendre la réference au titre.

Commentaires & Discussions

J'aurais pas venuChapitre19 messages | 2 mois

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