Totskoïe

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Dans la longue série des atrocités commises par l’URSS au nom de la défense et de l’intérêt national, l’essai nucléaire de Totskoïe dénommé Snezhok (« boule de neige » ou « neige légère ») est un chef d’œuvre de brutalité. Pour tester les capacités de son armée face à une attaque nucléaire, l’URSS avait en effet décidé qu’il n’y avait rien de mieux qu’un exercice en conditions réelles, c’est-à-dire que, grosso modo, ils lâchèrent une bombe atomique sur leurs propres hommes qui, bien évidemment, n’avaient pas été mis au courant, et tout ceci en immédiate proximité de la population.

Le 14 septembre 1954, sous les ordres du maréchal Joukov, héros de la Grande Guerre patriotique (ainsi qu’est appelée la Seconde Guerre mondiale en Russie, pour faire écho à la Guerre patriotique face à Napoléon en 1812 et pour faire fi de la Première Guerre mondiale), quarante-cinq mille hommes furent massés aux environs du village de Totskoïe dans l’Oural, avec six cents chars et six cents transporteurs de troupes blindés. Les hommes pensaient être là pour simuler une réaction à une attaque nucléaire ; ils ne savaient pas que l’explosion prévue était en fait bien réelle. L’armée avait évacué les environs, mais sans grande conviction : la zone d’évacuation ne faisait que cinquante kilomètres de rayon, et de nombreux villageois étaient restés chez eux sans que les militaires n’en aient été troublés. En fait, la plupart des populations n’avait même pas été prévenue qu’il allait y avoir une explosion.

En milieu de matinée, un bombardier Tu-4 largua une bombe à fission depuis huit mille mètres d’altitude. L’arme détonna à environ trois cents mètres du sol, libérant une énergie de quarante kilotonnes – presque trois fois Hiroshima. Tout fut détruit dans un rayon de mille trois cents mètres, et la destruction fut colossale dans un rayon de six kilomètres. Cinq minutes après l’explosion nucléaire, des avions furent envoyés pour larguer encore sept cents tonnes d’explosifs classiques. Quarante minutes après, l’ordre fut donné aux hommes de sortir des tranchées et de se lancer dans la bataille « simulée », les exposant ainsi sciemment aux retombées sans le moindre équipement pour les protéger. Les soldats avaient ordre de s’approcher jusqu’à deux mille cinq cents mètres du point zéro. L’armée avait auparavant placé du matériel et des animaux pour étudier les effets du feu nucléaire. Les soldats progressaient sur un sol vitrifié, dans une chaleur de four et un air vicié. Tout était rasé, des véhicules militaires étaient noircis, tordus et éparpillés sur des kilomètres carrés et le sol était jonché de cadavres d’animaux carbonisés. Pendant que ses hommes se faisaient irradier, Joukov assistait tranquillement aux manœuvres depuis son bunker sécurisé.

La plupart des quarante-cinq mille hommes engagés dans l’exercice moururent des suites des radiations. Les archives médicales des villages des environs furent volées et détruites, les hôpitaux ne reçurent jamais le moindre équipement ou traitement pour soigner les patients des villages frappés par les retombées car, voyez-vous, aucune explosion nucléaire n’avait jamais eu lieu officiellement, alors pourquoi soigner des gens contre une pathologie qui ne pouvait pas exister ? Les médecins qui tentèrent de s’insurger furent réduits au silence et Joukov put se féliciter d’avoir amassé autant de données sur les effets de la bombe et de ses retombées.

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