29 mars 1984 – La faute à Voltaire

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C’était ma meilleure amie.

On s’était connues durant nos études à La Rochelle. On partageait le même goût pour la poésie et la vie nocturne. Elle me disait Maïakovski. Je répondais le Roi Lézard. On partageait presque tout d’ailleurs. On habitait sur le même palier. Lorsqu’elle ne trouvait pas le sommeil elle toquait à ma porte. On passait la nuit à parler et au petit matin, on allait se poster dans la rue sur les Murs pour voir le soleil se lever sur la mer. Lorsque nos chemins se sont séparés, on a continué à correspondre régulièrement par lettres. Elle m’a invitée un jour à venir la voir à Paris. Elle vivait dans un petit studio du quartier Saint-Michel et faisait des piges pour la rubrique culturelle d'un journal. En parallèle, elle avait publié un recueil de nouvelles qu’elle avait promis de m’offrir.

Je l’ai prise au mot et je suis « montée à la capitale » en train, la prévenant juste du jour de mon arrivée. Une fois à Paris, j'ai trainé un peu, savourant ce parfum de liberté qu'inspirait la capitale, lieu de tous les possibles. Arrivée en bas de son immeuble, j'ai grimpé les marches jusqu’au dernier étage où se trouvait son studio. Je nous imaginais déjà arpenter le Paris bohème et écumer les cinémas et librairies du Quartier Latin. J’étais heureuse et légère.

La porte était entr’ouverte et je l’ai entendue parler avec quelqu’un. Je sais, cela ne se fait pas d’écouter aux portes. Mais elle était ouverte. Etait-ce intentionnel ? Elle parlait de moi et disait qu’elle allait devoir supporter pendant quelques jours une fille qu’elle n’avait pas du tout envie de revoir. Une fille sans personnalité, qui ne cessait de la coller et de l’imiter et qui croyait tout ce qu’on lui disait. Elle s’était assez servie de moi, m’avait assez vampirisée.

Tétanisée, je me suis arrêtée dans le couloir, sans plus faire de bruit. J’avais un goût métallique dans la bouche et l’envie de vomir. Elle racontait en riant qu’un jour, lorsque nous étions voisines, elle s’était introduite chez moi. Elle avait fouillé partout, avait trouvé mon journal. L’avait pris et avait également emporté quelques bijoux en toc, mon appareil photo, seul objet de valeur que je possédais. Elle m’avait enfin volé des sous-vêtements qui séchaient dans la salle de bain pour faire porter les soupçons sur un mec, un petit voleur minable.

« Et cette conne a tout gobé ! C’était vraiment jouissif de servir de confidente à celle-là même que j’avais dupé. Elle m’a beaucoup inspirée pour mes nouvelles, je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi naïf. Mais, là je suis emmerdée, je n’ai pas du tout envie de la voir. Je ne pensais pas qu’elle répondrait à mon invitation. Je peux venir dormir chez toi ce week-end ? Elle trouvera porte close et sera obligée de partir. Je dirai que j’avais oublié sa venue… »

J’ai fait demi-tour, les jambes flageolantes, la vision brouillée de larmes de colère, de honte et de chagrin. Je suis repartie vers la gare en trainant mon sac et mon âme devenus trop lourds. J’avançais comme une aveugle en me cognant partout.

Je n’avais rien vu venir.

Je suis tombée des nues

Je suis tombée de la lune

Je suis tombée du ciel

Je suis tombée des nuages

Je suis tombée de haut

Je suis tombée des airs

Je suis tombée par terre.

Et depuis, je ne cesse de tomber. C’est une chute infinie.

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