Assieds-toi et regarde #1 : La maison du Bonheur

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Assieds-toi et regarde. Je vais te montrer ce que je vois.

Je vois une barre de montagnes, une plaine glaciaire, un lac, une colline, plus proche, sur ses flancs une petite église et son village ; la plaine remonte et un chemin s'insinue sur le pied de la montagne. Celui-ci est valloné, très légèrement, par des champs où les fermiers font aujourd'hui les foins. Dans le ciel, s'amassent des altocumulus et forment ainsi une structure composée de deux immenses piliers, le cumulonimbus. Le Soleil abreuve toujours le piémont. Une tombée diaphane arrose une partie de la plaine, un carré. Le tonnerre résonne dans le nuage. La précipitation légère est comme un voile filandreux, balayant le dessous du majestueux nuage. On peut encore voir sa cime blanche, pas encore formé, et ses contreforts. Tels des satellites, autour du nimbus, se situent de petits moutons blancs.

Le Jura ressemble à une forteresse, une muraille. Son unique pli visible est l'horizon, irrégulière. Les coups de tonnere se font la conversation dans le cumulonimbus, tandis que les corneilles commencent à donner de la voix, rauque. En fond, divers gazouillements et cliquetis ne cessent jamais. Une chouette fait des vocalises, s'entendant à peine parmi les autres bruits. Sur les bords du chemin, les pommiers et poiriers commencent à se teinter d'un vert plus doré, tandis que la face non éclairée joue au clair-obscur.

Dans le jardin, quatre pots de fleurs desséchées sont en file indienne, l'un semble tirer la patte. Plus proche, dans le grand arbre, à côté du muret de pierre envahi par les tulipes, il y a un nid de bergeronnettes, l'une d'elle vient de s'envoler. Elles se tirent la bourre.

Le Soleil se cache derrière le nuage. Le paysage prend des teintes plus sobres. A gauche, après le jardin et le pré, la lisière cache de ses hauts pins et ses fins feuillus, des profonds secrets. Un vent léger, on soupçonne la différence de température et l'orage prochain en être la cause, vient de la droite, soit l'est.

La nuée a cessé dans le kilomètre carré de la plaine. Celle-ci forme un plat grand et large, rectangulaire entre le Salève, que je sais dans mon dos, après le doux mur de pierres et de lambris, après la longue maison dans laquelle on trouve de tout et de rien à la fois, souvenirs de pas et de courses, et la barre plissée du Jura. Sur celui-ci, il ne reste de neige qu'un névé qu'on arrive à peine à distinguer sur le flanc du Crêt de la Neige, ironique. Les acolytes de l'enclume ont disparu alors que celle-ci dévoile l'astre qui a déjà bien entamé sa descente.

Une trille provient du vieux prunier, d'origine inconnue. Celui-ci, courbée par l'âge, garde pourtant une verdure digne d'un jeune arbre. Les chouettes commencent leur conciliabule. Les insectes sont partout, vaquant à leur occupation : des guêpes, suçant on-ne-sait-trop-quoi, des scarabées multicolores, gros porteurs, filant tels des hélicoptères... Le pollen volette de partout.

Tout le paysage semble se calmer. Depuis quelques temps, les rapaces, milans et buses, sont rentrés, les nuages ont cessé leurs danses, seuls restent les grésillements. Mis à part ceux-ci, chacun donne l'impression de prendre l'apéritif, contemplant leur travail de la journée. Loin, haut, restent comme des aplats les cirrus et nimbostratus, immuables. Une guêpe s'amuse à se prendre pour un échassier, elle a déjà sûrement trop bu.

Le lac, comme à son habitude, semble serein, se rémemorant sans doute le temps où la plaine était recouverte d'un immense glacier, immense et haut. Sur la nationale, en contrebas, heureusement invisible, une file ininterrompue de voitures défile et pétarade, détruisant l'aimable symphonie des oiseaux et autres grillons ou divers frotteurs.

L'air sent bon les mélanges d'odeurs : le foin, le pollen, le bois. Une bergeronnette s'amuse à faire du surplace, la tête en l'air, et lancer des "Roger, roger !" à l'autre, restée dans le nid. Un bourdon volette entre les grappes blanches de glycine. Il a raison, celles-ci doivent contenir quantité de pollens. Un bourgeon de l'arbre du muret semble faire un drôle de trèfle : uniquement à deux pétales au bout d'une branche, sur le fond bleu très clair, ciel.

Le gros nuage a fui vers l'ouest-sud-ouest, gardant avec lui le vent, laissant à sa suite de petits cumulus, sa traîne.

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