Chapitre 23

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LA MAISON DE PORCELAINE

Agathe ne s’était jamais engouffrée aussi loin dans la forêt. Ça ne lui fait pas peur pour autant, elle n’est pas très dense, la végétation n’a rien de menaçant et la lumière s’y infiltre très bien. Ils ont dépassés le terrier de Mercure depuis une dizaine de minutes déjà, ils sont en train de longer une plaine qui tente bien que mal de se refleurir. Même sans y être allée, Agathe sait que de l’autre côté de la forêt de se trouvent plusieurs routes de campagne, à une dizaine de kilomètres de là, on trouve le village le plus proche. Monsieur Ford possède plusieurs cartes de la région qui traînent dans un tiroir, dans la commode de l’entrée. Agathe les a déjà consulté par ennuie, même si celles qu’elle préfère, ce sont bien évidement les cartes maritimes.
 A partir d’ici, un petit chemin de terre séchée est en train de naître, causé par la marche régulière sur l’herbe. Une minuscule maison en bois existe ici. Ses volets sont usés et la peinture s’est largement effacée avec le temps. Les motifs ne sont plus perceptibles.
 Pour y accéder, il faut grimper sur une courte estrade, couverte par un poche dont les planches de bois sont ondulées, elle s’inscrit dans le mouvement Art Nouveau, probablement sculptée à la main. En se rapprochant un peu, Agathe observe un verni qui s’effrite sur les poutres et arabesques de la façade. Le rebord de la fenêtre est rongé par les termites et autres insectes, il menace de céder et de faire s’effondrer le pot en céramique qui contient une jeune pousse verte. Si cette plante survie seule dans son coin, c’est parce que Mercure vient l’arroser régulièrement.
 « Cette maison n’est pas habitée.
 — Non. » Confirme le rouquin en poussant délicatement la porte.
 L’intérieur n’est illuminé que par les faibles espaces où le soleil peut pénétrer, dans les rainures du bois, au mur, dans les lignes creusées des volets fermés, quelques trous dans la toiture et la charpente abîmée.
 Le sol craque à chaque pas, Agathe sent des saletés et petits cailloux sous ses semelles, parfois les planches du parquet sont surélevées par rapport aux autres, les irrégularités constantes déforment l’aspect général du plancher.
 Ensuite, Agathe lève les yeux. Elle voit partout autour d’elle des objets en céramique et en porcelaine. Des petites sculptures coincées entre les livres d’une étagère, de la vaisselle accrochée au mur, des couverts de toutes formes, des vases et des théières, des motifs qui s’assemblent parfaitement avec les autres partout. La peinture et les ornements sont tous fait mains, c’est un travail minutieux qui conserve sa beauté et sa brillance malgré la poussière des dernières années. Ce sont en majorité des motifs floraux de couleurs douces et pales.
 Mercure est souriant face à toutes ces minuscules œuvres d’art, il vient très régulièrement ici d’après les traces de chaussures au sol qui sont plutôt récentes.
 « Ici, c’est la Maison de la Porcelaine. »

Quand on observe l’ensemble de cet endroit, ce n’est qu’une unique pièce, il n’y a pas d’étage et aucune autre porte qui pourrait mener vers un couloir ou une seconde pièce. Alors Agathe pense plutôt à une cabane très bien battis.
 Sur la droite, elle observe une table basse en bois comme le reste de l’ameublement, des restes des travaux en cours sont encore dessus, une assiettes blanche vernie et à côté, un petit pot d’encre séchée dans lequel s’est fossilisé le pinceau.
 Au fond de la pièce qui mesure vingt mètres sur trente, un énorme four en pierres grises. La suie et la cendre dorment dans le creux d’un bassin en fonte, ainsi que plusieurs créations incomplètes disposées sur une des trois grilles superposées les unes sur les autres.
 Et enfin, l’objet qui dénote du reste tout en s’y intégrant superbement, un énorme piano à queue blanc, tout aussi vernie que les statues de porcelaine. Ses pieds sont totalement en train d’écraser le sol, quelques zones humides ont noircies les planches en dessous de l’instrument.
 Agathe avance un peu vers l’intérieur et tourne sur elle-même, il y a trop de chose à regarder, c’est un peu chargé visuellement, mais c’est si beau. Elle ne comprend pas pourquoi cet atelier est abandonné.
 « Je ne savais pas que cette maison existait, personne n’en a jamais parlé au village. Et puis je ne connais personne non plus qui soit capable de produire tout ça. » Agathe se penche sur un petit oiseau dont les ailes sont déployés, les extrémités sont peintes en bleues, ses plumes sont brillantes à la lumière oranges qui essaie de s’infiltrer. Une pièce comme celle-ci serait superbe dans sa chambre à la lumière constante.
 « Je ne sais pas pourquoi, j’adore cet endroit. Personne n’y vient et le silence me fait du bien.
 — Je vois des fleurs jaunes qui traînent dans les coins. » Rit la jeune fille en pointant les petits pétales qui dépassent sur le sol derrière le piano. Agathe décide maintenant d’aller voir de plus près cet instrument, les touches sont marbrées, elle n’avait jamais vu ça. Ce sont des teintes de bleu et de blanc qui se mélangent, comme s’il faisait jour dans l’univers. Le couvercle est décoré de la même façon. En revanche quelque chose intrigue Agathe dans le mécanisme du piano, les marteaux et les cordes ont été modifiés maladroitement. Une sorte de bazar se situe dans le fond du meuble, la densité d’une centaine d’objets empêche de comprendre ce qui se passe exactement.
 « Qu’est-ce qui se passe la-dedans? » Agathe voit encore et toujours des objets de porcelaine qui n’ont rien à faire ici, à priori. Mercure la rejoint et se penche avec elle pour observer sous le couvercle.
 « L’artiste qui travaillait ici a remplacé les cordes par des objets en porcelaine plus ou moins dense. Ils modifient la sonorité classique du piano, et elle se rapproche plutôt… hm… de celle d’une boite à musique. »
 Agathe ne comprend pas comment c’est possible, mais plutôt que de creuser la tête à assimiler le fonctionnement de cet étrange piano, Mercure s’assoit sur le tabouret en face du clavier. Juste derrière il y a un matelas recouvert d’un drap bleue, il est à même le sol et il n’y a aucune couverture, ou même oreiller. Le rouquin se met à rougir en évitent le regard de son amoureuse.
 « Je ne suis pas doué du tout, mais à force de jouer avec, j’ai réussis à apprendre quelque chose. »  Agathe lève les yeux sur plusieurs feuilles raturées dans tous les sens, de chiffres et de graffitis qui semblent représenter les touches du clavier. Mercure ne connaît pas le solfège, il se débrouille comme il peut pour marquer et jouer de nouveau ce qu’il a inventé, seulement à l’oreille. Ce sont des notes et des mélodies qui lui paraissaient bien sonner, qui empilées les unes avec les autres sont capables de chanter un minuscule requiem.
 Mercure lève les mains au dessus du clavier, Agathe est déjà surprise de le voir s’apprêter à utiliser ses deux mains. Ses doigts effleurent les touches, puis appuient dessus, cinq à la fois, c’est un accord parfaitement réalisé.
 Agathe ressent un frisson qui passe dans son dos.

Le rythme est lent, tranquille. Il s’imprègne superbement de l’atmosphère et l’ambiance travaillés, et les œuvres de porcelaine de la maison. Agathe entend effectivement d’avantage le tapotement et les cliquetis de la porcelaine qui passent par dessus la sonorité classique des cordes d’un piano. Pourquoi ça lui va si bien ? Elle ne pouvait de toute façon pas imaginer que Mercure fasse les choses comme tout le monde. Ce piano, il était presque fait pour lui, personne d’autre n’aurait pu l’utiliser.
 Elle ne fait même plus attention à son niveau autodidacte qui est très bon. Agathe s’approche et s’appuie sur le meuble du piano pour observer les doigts de Mercure se balader sous les rayons intrusifs du soleil.
 Personne ne voit le temps qui passe et le soleil qui s’évanouit. Ne reste que le son qui passe dans la tête d’Agathe, qui s’y inscrit et s’y grave plus profondément qu’au fer chauffé. Peu-être que le rythme est un peu plus soutenu et si elle ne le regardait pas, Agathe jurerait entendre deux ou trois mains de plus sur ce clavier. Ça picote et ça crépite dans sa tête, à plusieurs reprises dans son cœur. Ça ne s’arrête pas. Ça ne s’arrête pas, ça ne s’arrête jamais.

Mercure tombe en arrière, sur le matelas, la musique s’arrête.

Agathe se tourne de façon précipitée vers la fenêtre du mur le plus proche, il n’y plus le moindre rayon de soleil, il fait nuit. Alors voilà, le silence est revenu. L’obscurité empêche de discerner les motifs de porcelaine, ni la musique, ni Mercure. La jeune femme lâche un soupire en balançant sa tête vers le bas.
 « Voilà à quoi servait le matelas. Combien d’heure as-tu passé ici pour apprendre ça ? »

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