Chapitre 22 - 1146 -

5 minutes de lecture

Je mets du temps à accuser le coup. C’est bel et bien fini, la faille qui nous sépare est devenue un profond cratère. Avoir découvert Agnès heureuse, vivre avec elle chaque jour, sentir sa proximité est insupportable. Je ne tiens plus, je ne peux pas l’accepter.

Seul, j’erre dans le pays durant plusieurs semaines, à la recherche de moi-même. Je ne me reconnais pas, je ne sais pas qui je suis et ce que je fais sur ces terres étrangères. Puis un matin, tout semble évident.

Je rentre au terrain, c’est décidé. Ma place est là-bas, de manière définitive. Ce sang qui coule dans mes veines est plus fort que tout. Ma famille m’appelle au plus profond de moi, elle me manque. Je saute dans le premier avion pour les rejoindre.

Lorsque le taxi me dépose en bordure de route, à côté du petit calvaire blanc, je revis. L’air frais et humide de l’automne me fait légèrement frissonner. Les odeurs de champignons, de résine et d’herbes mouillées embaument mes narines, je remplis mes poumons de cet air pur et gonfle ma poitrine, puis je remonte le col de mon polo et charge mon sac sur l’épaule. J’avance en mocassins en daim sur le chemin boueux et râle intérieurement en songeant au prix que j’ai mis dans la paire de chaussures. Tant pis, je suis heureux, je me sens à nouveau libre, sans contrainte, sans compte à rendre ou d’ordre à recevoir, sans travail, sans lendemain, presque sans soucis.

Lorsque j’arrive au portail, je suis accueilli par une horde d’enfants qui tournent autour de moi en criant mon nom.

— Le chef est revenu !

— Scar est là !

Cela me fait chaud au cœur de découvrir qu’ils ne m’ont pas oublié, même si auparavant, je ne leur ai jamais accordé d’attention. Les gosses ont toujours été le cadet de mes soucis.

Un sac sur l’épaule, l’autre à la main, je me dirige vers le vieux chalet. Le soleil est au plus haut point et je sais que je vais retrouver toute la famille réunie autour de la grande table, à débattre de tout et de rien dans un brouhaha épouvantable. Cette effervescence que j’avais du mal à supporter m’est devenue si familière, que j’ai maintenant envie de les rejoindre.

À l’extérieur, je reconnais Tito qui fume une cigarette adossé au mur en crépis fané. Lorsqu’il m’aperçoit, je l’entends lancer un juron avant que son visage ne s’éclaircisse et laisse apparaître un large sourire.

— Scar est rentré ! indique-t-il en passant à côté de la porte ouverte du chalet.

Puis il se dirige vers moi et m’étreint chaleureusement.

— Mais t’étais où ? On t’a cherché partout ! me reproche-t-il lorsqu’il me lâche enfin.

Ensuite, il me met une tape sur l’épaule et remonte sa casquette.

— Je suis là, c’est ça qui compte !

Je le trouve changé. Il s’est épaissi et porte désormais une barbe de quelques jours. Les deux adolescents que nous étions ont disparu de manière définitive pour laisser place à des hommes.

Petit à petit, les uns et les autres sortent de leur repaire pour vérifier l’annonce de Tito. Ils me traitent comme un revenant, un survivant, un naufragé qu’ils n’ont pas vu depuis des années alors que je suis parti il y a à peine quelques mois.

— Chef, t’es de retour ! me félicite un cousin en me mettant une tape dans le dos.

J’aperçois Picouly que j’avais quittée contrariée. Même elle, semble heureuse de mon retour, elle s’élance vers moi, le ventre bien rond, et comme à son habitude, fait mine de se fâcher.

— Pourquoi t’es pas revenu plus tôt ?

— Je rentre, c’est l’essentiel !

Elle m’embrasse sur chaque joue et ne me lâche plus, puis elle m’annonce qu’elle attend encore un bébé.

Je suis un peu étourdi par les témoignages d’affection et de respect que chacun me prodigue. Je ne remarque pas de suite Lucinda qui sourit face à moi avec son fils dans les bras. Je cherche autour d’elle pour voir mes chiens et lui demande aussitôt où ils sont.

— Ils t’attendent sur ton terrain ! Avec ta caravane ! me répond-elle avec gaieté.

Je suis rassuré et je n’ai qu’une seule envie, partir m’enfermer chez moi et dormir. Cependant, je comprends que ce ne sera pas possible de suite. Picouly m’entraîne à l’intérieur du chalet tandis que Tito me décharge de mon sac.

— On a des choses à te raconter, m’annonce ce dernier en me prenant par le cou.

— Et ton retour à fêter ! lance Picouly. Mais tu dois avoir faim ?

— Je te prépare une assiette, indique Lucinda.

Elle pose le marmot aux cheveux blonds dans une poussette et se précipite dans la cuisine. Je ne peux m’empêcher d’y jeter un œil et de constater qu’il a beaucoup grandi. Tandis qu’il mordille un jouet et s’agite, je retrouve sur son front sa tache de naissance indélébile. Je ne sais trop quoi penser de lui et une fois de plus, je m’oblige à détourner le regard pour ne pas m’y intéresser.

Tito accroche mon sac sur un clou dans le mur près de la porte d’entrée pendant que je m’assois au bout de la table, à la place que j’occupais autrefois. Mon frère se met naturellement à côté de moi.

— Paco rentre demain ! m’indique-t-il. On sera enfin tous réunis ! On va pouvoir reprendre les affaires…

— On verra ça ! T’as des nouvelles de Karlo ?

Pour le moment, je ne sais pas si je suis prêt à m’engager sur une quelconque opération. J’ai besoin de me poser, de réfléchir, d’analyser la situation.

— Il est toujours en Espagne avec la Belinda et son petit. Ils reviendront pas.

— Ils ont raison…

Au moins, ils sont en dehors des frontières. Je m’interroge sur le fait qu’aucun de nous n’ait été tracassé, je voudrais bien savoir où en est l’enquête.

— Mais, pourquoi ? On n’a pas été inquiétés ! On s’est tous affolés et on a foutu le camp comme des rats, mais finalement le requin s’en est sorti.

— Tant mieux !

Lucinda dépose devant moi une assiette fumante de viande en sauce. Sans m’attarder, je la remercie avant de questionner Tito à son sujet.

— J’ai peu de nouvelles de l’oncle Loran et de Bastian. Lucinda n’a plus de contact, j’ai veillé au grain…

— Et Stazek ?

— Rien ! Il a complètement disparu de la circulation…

— C’est pas normal, cette histoire. Y a un truc qui cloche, Tito !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire Antoine COBAINE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0