Chapitre 20 (suite) - 1070 -

4 minutes de lecture

Agnès m’entraîne vers l’intérieur, elle me prend par le bras et tout étourdi de la retrouver qui plus est mariée, je me laisse porter. Je suis en état de choc, en une fraction de seconde elle a ruiné tous mes plans, mes désirs, mon avenir.

Passé la terrasse en bois qui surplombe toute la propriété, nous avançons dans un hall magnifique. Un lustre en cristal brille de mille feux et éclaire la pièce chaleureusement décorée où de nombreux portraits de famille ornent les murs. Nous foulons un grand tapis persan en soie avant de pénétrer dans le salon. Un superbe bouquet de lys est posé sur la table basse qui sépare les deux canapés. Agnès me pousse vers le premier et s’assoit à côté de moi sans me lâcher la main ni me quitter des yeux.

— Je veux tout savoir, Oscar ! Il n’y a plus personne entre nous maintenant, tu peux tout me dire !

Comment pourrais-je tout lui dire ? Que je ne l’ai à aucun moment oublié, que je l’aime plus que moi-même, alors que désormais elle est mariée ? MARIÉE ! Je détaille la bague étincelante qu’elle porte à son annulaire doublé de son alliance. Ce n’est donc pas une mauvaise blague qu’elle me fait. Quelqu’un lui a volé son âme, elle s’est engagée pour la vie. Elle m’avait oublié, moi qui n’ai pas cessé de penser à elle. Je dois être maudit, condamné à être seul. La désillusion est totale, rien ne se passe jamais comme je le voudrais. Quelle idée j’ai eu de venir me perdre ici ?

Ses yeux brillent alors que ses doigts fins caressent le dessus de ma main, juste sur mon tatouage de la dame de cœur. Inconsciemment, elle trace des petits cercles qui me chatouillent, mais ne me réconfortent pas.

— Suis-je bête, tu as fait un long voyage, tu as peut-être faim ou soif ? Je peux te servir quelque chose ?

— Non, ça va, merci !

— Alors Oscar, qu’est-ce qui t’amène ici ?

Je soupire et me force à sourire pour cacher ma déception, puis je finis par lui avouer que j’avais besoin de m’éloigner un peu pour prendre du recul.

— Tu vis toujours sur ton camp de gitans ?

— Oui !

— Oscar, tu vaux tellement plus ! Tu devrais rester ici ! Les USA, c’est ta chance ! Personne ne te connaît et tu pourrais redémarrer une nouvelle vie !

C’est ce que je comptais faire jusqu’à ce que je découvre qu’elle s’est engagée. Maintenant, je dois réfléchir à nouveau. Sans rien laisser transparaître, je m’interroge sur les différentes options qui s’offrent. Dois-je m’échapper au plus vite, fuir encore et encore ou tenter malgré tout de regagner son cœur ? Pourrais-je seulement redevenir celui que je suis, un homme qui se bat jusqu’au bout, coûte que coûte ?

— Bon, je vois que tu es toujours aussi bavard ! Je vais te chercher quelque chose à grignoter. Tu restes avec nous ce soir, pas vrai ?

— Je ne veux pas déranger !

— Pour une fois qu’un membre de ma famille me rend visite, il ne dérange pas ! Je fais préparer la chambre d’ami pour toi !

Un membre de sa famille… Elle va donc me présenter ainsi, comme son frère adoptif ou son cousin. Je ne suis plus celui qu’elle aime, elle a effacé toutes les années durant lesquelles nous nous sommes désirés ou l’un ne pouvait pas vivre sans l’autre.

Agnès retire ses mains douces des miennes et se lève avec délicatesse pour s’enfuir vers la cuisine. Elle m’abandonne dans le petit salon aux murs blancs. Aucun feu ne brûle dans le grand foyer en pierre, il fait si chaud, l’air est étouffant. Mais je peux imaginer l’hiver et la famille entière rassemblée autour de l’âtre qui crépite. Cela me rappelle le haras avec toutes ses cheminées allumées qui chauffaient la maison humide, le soir, quand la température baissait.

— Tu avais donc reçu ma lettre… ma lance soudain Agnès en apparaissant les bras chargés d’un plateau.

— Oui !

— J’ai attendu des mois et des mois que tu me répondes…

Dans cette phrase et surtout dans ses yeux qui soutiennent les miens avec tant d’intensité, je sens tous les reproches qu’elle m’adresse. Elle a raison c’est moi qui l’ai abandonné, je ne dois pas l’oublier.

Je pousse le vase sur la table pour qu’elle puisse déposer le plateau, puis nous nous asseyons à nouveau à nos places réciproques, mais un peu plus éloignées, dans le canapé moelleux.

— Je t’ai fait un café ! m’annonce-t-elle en me tendant une tasse. Tu veux du sucre ?

— Non merci, c’est parfait !

Elle souffle dans sa tasse pour la refroidir, puis elle me demande :

— Comment tu as su que j’étais ici ?

— L’adresse sur ta lettre…

En buvant le café, nous échangeons sur nos frères respectifs, sur les chevaux, la vie au ranch, la France et tout un tas de sujets en évitant de parler de nous, de notre relation, de notre amour qui est désormais tout à fait banni.

Un peu plus tard, lorsque la lumière dehors commence à baisser, du remue-ménage se fait entendre dans la maison. Des portes claquent, de la vaisselle s’entrechoque, la demeure se remplit de vie.

Les lattes du plancher grincent et je devine des pas qui s’approchent. Un individu entre dans le salon, Agnès se tourne et sourit. Ils échangent quelques mots en anglais et sans qu’elle ait besoin de me le dire, je comprends qu’il s’agit de son mari. Un homme grand et robuste, avec des yeux bleus et limpides, s’avance vers moi, l’air aimable. Je me garde de répondre à son sourire et hésite même quelques instants à serrer la main qu’il me tend.

— Voici Brian ! Il ne parle pas français.

Finalement, je le salue d’un signe de tête assez froid et nous nous observons du coin de l’œil. Il fait à peu près ma taille et se présente bien bâti, un corps charpenté grâce aux durs travaux extérieurs. Il porte lui aussi la traditionnelle chemise texane sur son jeans.

— Je vais te montrer ta chambre et la salle de bains. On se retrouve pour déjeuner ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Antoine COBAINE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0