Chapitre 8 (suite) - 1401 -

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***

Une fois le défilé de la famille chargée de paquets cadeaux pour le bébé, dans la chambre de Picouly, enfin terminé, nous nous rendons au terrain pour continuer la soirée. Les femmes ont préparé un grand festin pour l’occasion, mais les hommes ne veulent pas s’y attarder trop longtemps. Ces derniers préfèrent largement se retrouver entre eux pour faire la fête et se saouler sans avoir droit aux éternelles remontrances. Ainsi, rapidement nous prenons la direction de la boîte de nuit la plus proche où nous avons nos habitudes depuis des années.

Depuis ma séparation avec Agnès, il m’arrive parfois de me laisser entraîner par mes cousins et de boire plus qu’il ne faut. Les vapeurs de l’alcool et la fumée des joints qui tournent m’aident à me détendre totalement et à oublier. D’autres fois, je préfère m’abandonner dans les bras de filles qui m’invitent chez elles. Tous les prétextes pour m’empêcher de ressasser cette vieille histoire sont parfaits.

Ce soir, j’esquive les bouteilles et les pétards. Je ne touche pas au verre plein posé devant moi afin d’éviter que l’on me resserve et j’étudie silencieusement la scène qui se déroule sous mes yeux. La révélation de Picouly m’a perturbé et je souhaite garder la tête froide pour analyser ce qui se trame autour de moi. Je me demande si cette idée est vraiment bonne, car sans surprise mon attention se porte sur Bastian qui depuis l’annonce de la grossesse de Belinda roule les mécaniques. Malgré les basses de la musique qui tonnent fort dans ma poitrine, je perçois tout de même les paroles de Bastian qui raconte ses derniers exploits de chasse. Comme si le fait de devenir père lui créditait du pouvoir. Je suis agacé de le voir se vanter, de l’entendre rire plus fort que les autres, de l’observer donner des ordres ou même commander les bouteilles qu’il ne peut pas payer. Je fume cigarette sur cigarette pour tenter de rester calme.

À ma droite, Paco et Yankee se saoulent ensemble, s’offrant des coups à tour de rôle tandis qu’un peu plus loin Tito entreprend une fille brune qui avale ses paroles en lui souriant niaisement. Sans que j’aie le temps de comprendre ce qu’il se trame, deux gars s’invitent entre mon frère et la séduisante brune. Ils ordonnent à celle-ci de rallier un groupe. Le ton monte et Tito bouscule l’un des hommes qui se rattrape au comptoir, renversant deux verres au passage. Il essuie son T-shirt rapidement et lève le poing en direction de mon frère.

Mon sang ne fait qu’un tour, saisissant ce qu’il va se passer, je bondis pour prévenir Paco et Yankee et tout notre clan se retrouve à défendre Tito.

Face à nous, les deux individus ont été rejoints par les membres de leur famille.

— Tu touches pas à ma sœur ! hurle un brun barbu.

Je comprends qu’il est aussi alcoolisé que Tito et que toute discussion est totalement inutile.

— Les Giminez… m’indique Yankee à l’oreille.

Il s’agit d’une famille gitane et je devine que Tito a bafoué le code d’honneur en parlant en public à la jeune fille.

Je n’ai dans tous les cas pas le temps de lâcher une quelconque excuse ou même de tenter une explication pour les ramener à la raison, puisque Tito lance un premier coup sec et franc dans le nez du barbu. Tout dégénère immédiatement. Une bagarre générale à laquelle je ne souhaite pas échapper démarre.

Je saute sur le premier venu et le frappe au visage. J’ai toujours aimé me battre, malgré toutes les réprimandes de Pierrot. Aujourd’hui plus personne n’est là pour m’empêcher de régler le compte à celui qui s’attaque à mon frère ou à ma famille. Les coups pleuvent autour de moi, des verres se brisent, des femmes hurlent, lorsque les lumières de la salle tamisée s’allument de pleins feux.

Mon épaule collée à celle de Tito, nous unissons nos forces pour frapper du poing tous ceux qui tentent de s’approcher. Paco menace avec un tesson de bouteille nos ennemis.

Yankee pose sa main sur mon avant-bras et me signale :

— Bastian est sorti chercher le fusil…

Mais qu’est-ce qu’il lui prend ? Il est vrai que nous avons toujours des armes dans les voitures ou les fourgons, mais les utiliser en pleine discothèque n’est absolument pas une bonne idée.

Je n’ai malheureusement pas le temps d’aller le dissuader qu’il entre dans toute sa splendeur, se prenant pour le chef d’un gang, et braque son flingue en avant.

— Z'allez manger vos morts, les Giminez ! crie-t-il tandis que tout le monde se tourne vers lui, médusé.

La crosse du fusil contre sa joue et le canon tenue par sa main ornée d’orteils, il vise l’un des deux barbus qui lève aussitôt les bras en l’air.

Mon cousin n’est plus très loin de moi et je tente de le ramener à la raison en lui demandant de poser son calibre. Je n’ai malheureusement pas le temps de terminer ma phrase que les videurs de la boîte de nuit interviennent aspergeant tout le monde avec des bombes lacrymogènes.

Nous sommes tous calmés sur le champ. Tandis que des cris persans se font entendre partout autour de moi, je deviens totalement aveugle. Mes yeux me piquent et pleurent, j’ai le nez qui coule et la gorge qui me brûle. J’oublie mes adversaires, la cause de la querelle et l’honneur de ma famille, je n’ai qu’une envie : trouver la sortie pour prendre l’air. En me tamponnant les paupières d’un revers de manche et en les frottant activement, je marche à tâtons dans le long corridor qui mène vers l’extérieur. Sans pouvoir les reconnaître, je me fais bousculer par deux individus tandis que j’en percute d’autres. Je ne suis, semble-t-il, pas le seul à vouloir m’échapper. Un remue-ménage se trame autour de moi sans que je puisse le voir.

Une fois dehors, je tousse et crache ce goût amer que j’ai dans la bouche, j’essuie encore et encore mes yeux qui ne cessent de verser des larmes. Je m’adosse contre un mur, sans y voir très clair, j’ai beau forcer, je n’arrive pas décoller les paupières.

Je me laisse glisser contre le sol et appuie mon dos contre le crépi granuleux. Je souffle et tente de rester calme. Le gaz va s’évanouir et je vais rapidement retrouver mes sens. J’oblige mes paupières à s’ouvrir et j’aperçois autour de moi des silhouettes. Je cherche parmi elles mes frères ou quiconque appartenant à mon clan, mais ils sont un peu loin.

Du côté de la route, des sirènes tonnent et font cesser le brouhaha. Les flics… Il ne manquait plus qu’eux. Les gyrophares bleus approchent à vive allure. J’ai à peine le temps de me redresser pour partir à la quête des miens qu’ils déboulent en hurlant :

— Plus personne ne bouge !

Je m’immobilise dans l’ombre d’un pilier. Je ne suis assez loin de l’entrée, mais suffisamment près pour observer en toute discrétion. Un videur explique ce qu’il s’est passé pendant que les gendarmes plaquent à terre un des bagarreurs. Ils lui enfilent des menottes et l’enfourguent dans leur fourgon.

Tandis que j’ai totalement récupéré mes facultés, j’entends des cris de contestation provenant de la discothèque. Je reconnais la voix de Tito, pourtant il n’est pas le premier à sortir. Bastian est bousculé et envoyé au sol sur le perron. Il atterrit sur les pieds d’un gendarme qui ne met pas longtemps à le réceptionner. Son collègue tenant bien en main son fusil, je découvre que cet imbécile de Bastian n’a même pas eu l’idée de s’en débarrasser. Mon frère le suit de près, maîtrisé par deux videurs qui portent des masques anti-gaz.

Comprenant qu’ils vont être interpellés, j’arrange mon col de polo et rentre ce dernier proprement dans mon pantalon pour tenter de discuter avec les officiers.

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