Chapitre 8 (suite 2) - 1489 -

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Dans la lueur d’un lampadaire, je me force à rester calme, à paraître poli et respectueux pour expliquer à l’agent qui semble diriger l’opération qu’il s’agit d’un énorme malentendu. L’homme qui est largement plus grand que moi, pourtant je suis loin d’être petit, n’a que faire de ce que je déblatère. D’un revers de bras ferme et musclé, il me coupe la parole pour m’obliger à reculer.

— S’il vous plaît, monsieur ! tenté-je à nouveau.

Je me racle le fond de la gorge, qui me pique à cause des gaz pour continuer de négocier :

— Monsieur l’agent, j’insiste ! Mon frère n’a rien à voir dans cette histoire. Il s’est retrouvé pris à partie et n’a fait que se défendre.

À mon grand dam, le gendarme n’écoute rien et s’agite dans tous les sens pour sécuriser les lieux. Il déroule un ruban rouge et blanc pour bloquer l’accès de l’entrée et s’aventure à l’intérieur pour entendre un videur qui souhaite lui donner sa version des faits.

Je ne lâche pas l’affaire, enjambe le barrage bicolore et lui emboîte le pas.

— Monsieur l’agent, je conçois parfaitement que vous tentiez de faire votre travail, il n’empêche que vous êtes sur le point de commettre une injustice…

Je pèse chacun de mes mots, pour montrer que je ne suis pas une vermine, mais également pour ne pas braquer l’officier qui commence à s’impatienter. Il gratte son menton rasé de près et soupire bruyamment.

— Écoute jeune homme, je ne sais pas qui tu es, mais tu ferais bien de me foutre la paix si tu veux pas que je t’embarque aussi.

Il pose ses yeux sur mes tatouages et m’examine, tentant de percer quel démon je suis derrière mon apparence bien propre. Son regard noir et déterminé me force à plier en retraite pour trouver une nouvelle stratégie.

— Pas de soucis ! murmuré-je avant de tourner les talons.

Durant quelques instants, je cherche des silhouettes connues autour de moi, mais en vain. Je décide de me rendre au fourgon de Paco et traverse le parking désormais chargé de monde. Je retrouve mon frère aîné, le visage tuméfié et rempli d’ecchymoses, mais également Yankee, ainsi que mes deux amis et une partie de notre bande.

— On fait quoi, Scar ? m’interroge un Karlo inquiet par la tournure des événements.

Je m’allume une cigarette et tire une latte avec intensité. J’ai besoin de quelques minutes pour réfléchir.

— Les condés, c’est jamais bon de les avoir sur le dos ! commente Yankee en soupirant.

Les mains enfoncées dans les poches, il trépigne dans ses baskets, à proximité de moi.

— Ils vont nous repérer et nous avoir dans le collimateur, maintenant ! ajoute Paco en se hissant au volant de son véhicule.

Il se penche sur le rétroviseur et regarde les blessures légères dessinées sur son visage. J’installe sur le siège passager, à côté de lui, pour m’isoler et songer loin de toute le monde à une issue. Je tapote le tableau de bord.

— La seule solution, c’est qu’il n’y ait pas de plainte ! me conseille Stazek qui est appuyé à côté de Paco.

J’ouvre ma fenêtre et souffle la fumée de ma clope vers l’extérieur avant de dire très calmement :

— Si c’est que ça, on peut s’arranger !

— Comment ? m’interroge Paco, en enfilant sa casquette.

Il tire sur la visière sur ses yeux pour dissimuler une partie de son visage écorché tandis que je lui demande s’il sait où je cache mon fric. Il acquiesce d’un signe de tête.

— Ramène-moi la boîte verte ! lui ordonné-je en descendant du fourgon. On se retrouve dans une heure, ici ! Yankee toi, tu viens avec moi…

Tandis que Paco tourne la clef dans le contact, je reprends à nouveau le chemin de la discothèque

— On fait quoi ? m’interroge Yankee qui marche dans mes pas.

Nous approchons de la foule rassemblée. J’aperçois Tito assis dans la voiture de gendarmerie qui semble sur le point de démarrer. Je ne vois pas Bastian, peut-être a-t-il déjà été emmené, mais cela m’est égal, il demeure le cadet de mes soucis.

Le propriétaire de la discothèque discute avec un de ses videurs et quelques fidèles. C’est à lui que je souhaite m’adresser. Il connaît sa clientèle et les habitués qui fréquentent son établissement, mais surtout leur portefeuille et leurs dépenses dans la boîte de nuit. J’ai eu quelques fois l’occasion d’échanger avec lui, mais je ne suis pas un bavard et je ne m’éternise jamais avec les gens. Aujourd’hui, je n’ai pas le choix, je dois nouer les liens.

— Comment il s’appelle ? questionné-je discrètement Yankee qui saisit où je veux en venir.

Celui-ci se penche vers moi et me souffle à l’oreille :

— William !

Tandis que sa cigarette se consume dans le cendrier à proximité de la caisse enregistreuse, le gars, bodybuildé à la Arnold Schwarzenegger, accoudé au guichet en acier, ne perd pas une miette de ce qu’il se passe dans sa discothèque. Dans le hall d’entrée, il est aux premières, il peut percevoir d’un côté l’intérieur de la salle de danse et de l’autre le parking bondé. Je tends ma main vers lui et lance :

— Bonsoir William ! On peut discuter ?

Il jette un regard interrogateur vers un de ses sbires, mais je l’arrête sur le champ en ajoutant :

— Seuls !

Il a la réputation d’être facilement abordable et me le prouve immédiatement en acquiesçant d’un signe de tête. Il me stipule de le suivre dans le vestiaire où nous nous faufilons parmi les portants chargés de manteaux et de blousons non récupérés. Yankee se positionne dans l’encadrement de la porte et tourne le dos pour me laisser négocier.

— Je t’écoute ! m’indique William, intrigué.

Debout dans l’allée, il se tient raide sur ses jambes, les bras croisés sur son torse. Je le trouve plutôt impressionnant et ne voudrais pas me recevoir un coup de sa part. J’enfonce les mains dans mes poches, me racle la gorge et me lance, un peu effrayé qu’il ne me pense pas sérieux.

— On se connaît sans se connaître vraiment, pas vrai ?

— On peut dire ça comme ça, en effet !

Il ouvre grand ses paupières, s’efforçant de m’analyser tandis que je me redresse, pour prendre de l’assurance. Je dois lui montrer qui je suis : pas un jeune adulte qui se cherche, mais un homme qui n’a pas froid aux yeux, que rien n’arrête, capable de tout affronter, même le pire. Et puis, surtout, j’ai un excellent argument de persuasion, un argument que je qualifierai d’indiscutable.

— On te laisse un paquet de fric quand on vient en boîte et cela depuis pas mal de temps maintenant !

— C’est vrai… approuve-t-il.

— T’as pas vraiment trop à te plaindre de nous, je pense qu’on se tient comme il faut, non ?

Je sous-entends ce que nous sommes : des gitans. Je ne peux pas renier mes racines, ni ce que je suis, nous avons mauvaise réputation, il faut voir la vérité en face. Cependant, nous ne sommes pas les pires, nous sommes assez respectueux quand nous venons en discothèque. Nous essayons de gérer au mieux les débordements et les bagarres, ces derniers temps, nous nous en sortions plutôt bien.

— Ça va ! reconnaît-il, à mon plus grand soulagement.

— Écoute, ce soir mon frère a été embarqué et j’ai un service à te demander…

Je le regarde droit dans les yeux et attends qu’il réagisse. Toujours intrigué, il m’interroge :

— Lequel ?

— Bien entendu, tout service rendu à mon clan est récompensé.

Le patron de la boîte plisse ses yeux et fronce ses sourcils, il cherche à comprendre où je désire en venir et s’impatiente :

— Qu’est-ce que tu veux exactement ?

— Que non seulement tu ne portes pas plainte contre mon frère pour les désagréments causés, mais qu’en plus tu te débrouilles pour le faire relâcher immédiatement.

Il réfléchit quelques instants sans me quitter des yeux. Très sérieusement, j’ajoute en le pointant du doigt :

— Je ne te laisse pas vraiment le choix !

Surpris, il garde le silence et me détaille jusqu’à ce que Yankee se tourne vers nous pour indiquer que Paco est déjà revenu.

Je fais signe à mon beau-frère que j’ai terminé et je lance au patron de la boîte de nuit mes dernières intentions :

— Je vais te verser une grosse avance et demain, lorsque mon frère sera libre, tu auras le reste…

— Marché conclu ! finit par lâcher l’homme musclé. Laisse-moi quelques heures, je m’occupe de tout…

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