Chapitre 12 Un cours mouvementé

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"Il y a quelques mois de cela, j'ai feuilleté un ouvrage du philosophe idéaliste allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel qui n'est pas dans votre programme, mais peu importe" Fatima aimait s'épancher devant les lycéens de Condorcet à qui elle dispensait des cours de philosophie une fois par semaine. "Celui-ci a donné, de 1818 à 1829, de nombreuses conférences sur l’esthétique à l’université d’Heidelberg en Allemagne. Ces conférences ont été publiées dans un ouvrage quelques années après, en 1835".

Elle regarda la classe, éberluée, puis repris. "Quelque chose m'a frappée en commençant la lecture de ce recueil. En effet, l’ouvrage est une réflexion approfondie sur l’esthétique abordée d’un point de vue philosophique. Cette réflexion se veut indépendante, comme à l’accoutumée, du plus grand nombre de biais cognitifs et d’opinions subjectives du philosophe. Car vous savez que le philosophe, lorsqu'il réfléchit, doit être capable d'être le plus objectif possible."

Or, dit-elle, "Hegel a tellement réfléchi sur la pensée politique et sur le droit que sa réflexion sur l’esthétique ne peut qu’être complètement imprégnée de cette vision scientifique. "

La classe ne moucheta pas.

"Madame, un mec il peut pas réfléchir sur quelque chose s'il est complètement partisan non ? Genre Une pomme elle peut pas réfléchir sur les pommes ?"

"C'est un peu con ce que tu dis, Rémi. Mais passons, nous sommes des personnes tolérantes à la connerie. Jeanne ?" Fatima savait qu'elle ne vexerait pas Rémi, qui était un élève bien trop perché pour cela.

"Moi je pense qu'on peut réfléchir sur un sujet en en faisant partie" déclama Jeanne.

"En effet, mais surtout, la spécificité du philosophe politique est, comme celle du juge administratif, celle de vouloir faire rentrer à peu près tout objet de science sans son champ de compétence scientifique, et de le faire avec brio."

"Qu'est-ce que le juge administratif a à faire là-dedans madame ?" Rémi, encore.

"Je suis avocate de formation je te rappelle Rémi. J'ai arrêté, mais j'ai encore des restes. En fait, le juge administratif est un juge de l'Etat, et il est particulièrement friand des travaux des autres juges, il veut leur prendre tous leurs travaux et se les attribuer, en un sens."

Fatima jeta un oeil à Sara. Elle n'écoutait plus depuis un moment, son regard fuyait sur son portable, posé à côté de sa trousse. Elle, elle est amoureuse, se dit-elle.

"Au demeurant, il est bien sûr compliqué de réfléchir sur l’art par une pensée indépendante, même si Kandinsy l’a fait dans un ouvrage de 1911, “Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier”. L’artiste est-il mieux placé que le philosophe pour réfléchir sur l’art ? C’est là qu’intervient Max Weber et sa “neutralité axiologique” : le chercheur ne peut jamais être complètement indépendant de son objet d’étude."

Et hop, un SMS de parti. Fatima commença à s'impatienter.

"Dés lors, Hegel ne peut être complètement indépendant lorsqu’il parle du goût. Mais cela s’applique à beaucoup de professions. La spécificité d’Hegel, c’est que c’est un philosophe rationnel tellement politique qu’il ne peut, en toute hypothèse, comprendre les spécificités apolitiques de l’art et de sa perception."

Le portable était maintenant sur ses genoux, elle textotait de ses deux pouces.

"Peut-être qu’aucun penseur politique ne pourra réellement comprendre l’art sans passer par des représentations ou des explications. L’analyse est permanente, et l’apolitisme que contient la plupart des oeuvres ne leur est compréhensible que par une analyse strictement politique...SARA SORS DE CETTE CLASSE !"

Un silence gênant se fit. Les élèves, d'habitude bien élevés, ricanèrent lorsqu'elle se leva pour sortir en déposant le portable sur la table de Fatima, comme elle lui avait demandé.

A la fin de la classe, elles parlèrent toutes deux dans le couloir. "Ca ne va pas très bien..." Fatima la coupait "écoute jeune fille, je sais que ça ne va pas toujours fort à la maison mais si tu ne suis pas en cours, tu ne suivras jamais et tu ne progresseras pas, tu n'arriveras à rien dans la vie. Moi j'étais comme toi mais il faut s'accrocher". Sara était maintenant en larmes. Fatima devinait que la situation était pire que ce qu'elle pensait. "C'est maman... elle a fait un truc...grave."

Fatima ne savait ou se mettre."Ecoute, j'ai rendez-vous, mais appelle-moi ce soir sur ce numéro, on en parlera et je n'en parlerai pas à ta mère, mais sois compréhensive elle a un job difficile et elle fait beaucoup de choses pour toi."

Peu après, Fatima continuait de gravir les marches du métro Abbesses à n'en plus finir, lorsque quelque chose lui vient à l'esprit. Aujourd'hui, c'était la saint Frédéric. Le Saint Patron des Frédéric fut l'évêque d'Utrecht de 825 à 838. Il fut toujours représenté avec des épées qui lui transperçaient le corps, laissant sortir ses entrailles.

Elle se dit alors, peut-être est-ce pour cela qu'Hegel avait été prénommé de la sorte : il a toujours tenté de faire sortir la vérité de ses entrailles. C'est pour cela qu'il a tant réfléchi sur l'art ; c'est un romantique à mort.

Elle pensa à Sara qui n'avait rien écouté de son cours, et sonna à la porte de l'immeuble de son rendez-vous.

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