Chapitre 2.2 Charles ou la dédramatisation

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Anaïs vivait une histoire sans passion. Sa fille ne comprenait pas pourquoi sa mère la quittait le soir sans prendre de baby-sitter ni dire où elle allait, mais elle sentait que c'était pour son bien, donc elle ne disait rien et jouait à la Nintendo DS. Sara était d'une grande intelligence, trop sensible pour son âge, elle percevait déjà beaucoup de choses, malgré ses notes moyennes. On la menaçait plus ou moins de l'expulser mais elle savait qu'elle pourrait avoir la moyenne. Elle pourrait toujours remonter ses notes au dernier moment, se disait-elle. Pour éviter la mutation dans un autre collège, où elle ne serait pas sûre de se retouver des amis.

Ce soir-là, Anaïs n'était pas rentrée à la maison. Elle était repartie voir son nouveau petit copain, cela faisait désormais cinq ans qu'ils étaient ensemble. Elle avait préféré repasser à l'espace de coworking pour lequel elle se dévouait corps et âme, lorsqu'elle ne peignait pas pour des particuliers aisés qui souhaitaient redécorer leur appartement avec des portraits de leur entourage.

"Hazmah, pourrais-tu préparer la salle 12 rue Galande pour PhysicOurWorld s'il-te-plaît, ils devraient arriver dans trois quarts d'heure organiser leur plan de financement", Anaïs raccrocha après avoir laissé un message à son assistant. Elle en était très contente, elle l'avait dégoté par une annonce sur Vivastreet et il s'était révélé complètement passionné par l'organisation et la gérance d'espaces de coworking. PhysicOurWorld était une entreprise qui voulait faire de l'argent en vulgarisant la physique. Elle aimait bien leur projet, elle avait donc proposé la location de ses locaux. Le créateur de la boîte était un grand sportif, un intellectuel terrassé par sa passion de la physique, et il allait bientôt la retrouver pour une séance de cinéma au pathé Wepler, à 19h30.

"Tu as l'air toute penaude" dit-il en l'embrassant.

"J'espère que le film que tu as choisi est à la hauteur de ma santé mentale du moment".

Ils entrèrent dans la salle de cinéma et s'asseyèrent à côté d'un couple de jeunes d'une vingtaine d'années qui s'embrassaient du bout des lèvres en se tenant la main sagement. La fille se passait souvent la main dans les cheveux et le garçon éternuait encore plus souvent.

La séance commença. Anaïs s'ennuyait ce soir,avec lui. Mais elle aimait ses sourires francs et sa volonté féroce de tout finir, lorsqu'elle avait plutôt une volonté plus handicapante de tout commencer. Il portait toujours un bracelet de surfeur alors qu'il était toujours habillé très chic. Il n'était pas très intellectuel mais prenait presque tout avec humour et était plutôt cultivé, peut-être un peu au-dessous de la moyenne des parisiens.

Mais surtout, se disait-elle, sa fille l'aimerait.

Quand ils rentrèrent du cinéma, en ouvrant la porte de l'appartement d'Anaïs, ils firent très peu de bruit pour ne pas réveiller Sara.

Cependant, alors qu'ils se préparaient à se coucher, Anaïs entendit des murmures et des bruits de voix dans la chambre de Sara.

Elle se dit qu'elle avait du se tromper. Puis en enfilant sa chemise de nuit, elle retendit l'oreille : quelqu'un murmurait en effet.

Elle sortit de sa chambre et fonça droit vers la chambre de sa fille. En ouvrant la porte, elle entendit des bruits de précipitation. Sa fille était debout face à la glace, seule.

"Il y a quelqu'un avec toi?" demanda Anaïs comme si la réponse allait être honnête.

"Non, pourquoi ?"

"J'ai entendu des voix Sara, tu ne parlais pas toute seule..."

"Ah, oui ben j'étais au téléphone quoi."

Elle mentait tellement mal qu'Anaïs pris le parti de faire le tour de sa chambre. Elle avait un immense placard coulissant, quelqu'un aurait très bien pu s'y cacher.

"Dans ce cas tu ne verras pas d'inconvénient à ce que j'ouvre ton placard".

"Non, vas-y".

En coulissant la porte, le coeur d'Anaïs fit un bond.

Un jeune homme d'environ un mètre quatre-vingt dix s'y trouvait, souriant penaudement en s'excusant."Pardon madame, excusez-nous".

Anaïs, furieuse, retourna dans sa chambre après avoir réexpédié le jeune homme chez lui et entendu sa fille lui expliquer par monts et par vaux que c'était "un ami" et qu'elle avait "bien le droit d'inviter des amis chez elle puisqu'elle le faisait aussi".

Dans le lit, avec Charles, elle se retourna de l'autre côté et pensa. Charles n'était même pas venu l'aider et était complètement en dehors de ça, d'ailleurs, il s'en fichait pas mal.

Depuis que Fabien et Anaïs avaient divorcé, Anaïs avait plutôt préservé Sara des hommes qu'elle avait rencontrés. Mais Charles malgré son air débonnaire, avait un caractère tellement posé et enfantin qu'elle l'avait tout de suite estimé prêt à être le premier homme qui viendrait dormir à la maison.

D'autant que sa fille voyait peu son père, qui était surmené de travail puisque sa carrière avait récemment décollé, grâce à la start-up qu'il avait créée avec ses amis il y a de cela dix ans. Anaïs de son côté, peinait à joindre les deux bouts en tant que gérante de l'espace de coworking ne lui rapportait pas un salaire suffisant pour sa fille et elle, pour une location à Paris. Elle avait auparavant été salariée dans le conseil en stratégie d'entreprise, mais avait eu des déboires avec ses chefs, notamment certaines histoires qui frolaient le harcèlement sexuel.

L'éducation de sa fille, elle la voulait parfaite d'autant plus qu'elle n'avait pas un père présent. Charles ne comblait absolument ses attentes sur le père idéal pour Sara, mais il avait une grande qualité de dédramatisation qui suffirait sûrement pour passer les prochains mois, les prochaines années.

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