Chapitre 18 Sarah

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L’Université de Cunlhat est une grande batisse en pierre de taille, un ancien bâtiment administratif sous le Consulat. Elle est située à l’orée du village et a obtenu le nom d’Université sous un régime de dérogation encore permis au XIXème siècle, alors qu’elle n’accueillait qu’une ou deux centaines d’étudiants par an. Les promotions étaient réparties en 4 classes de lettres, A, B, C, D, et comportaient chacune 50 personnes. L’Université de Cunlhat, reconnue université publique en 1898, s’était spécialisée au fur et à mesure des années dans les échanges estudiantins entre les élèves de la capitale ou des grandes villes françaises et les élèves vivant à la campagne ou en zone rurale, dans le jargon utilisé par l’administration pour ne pas les fâcher. On y venait passer 6 mois, un an, parfois plus. Il était difficile d’y rester plus de 6 mois car les cours étaient rigoureux. De surcroît, personne ne voulait revenir à la capitale pour rester dans ce cadre merveilleux, à l’orée d’un village de 3700 habitants, en bordure d’un lac et des collines boisées du Livradois-Forez.

L’institution se voulait moderne et libérale, on pouvait lire sur un petit écritau au dessus de la porte d’entrée : ”Si tu es amèr(e) en quittant une institution, c’est l’institution qui a gagné. Si tu ne l’es pas, c’est toi qui as gagné.”.

Les places se disputaient âprement par des élèves soucieux de rester le plus longtemps possible. Sarah en faisait partie. Elle était en classe et rêvassait : la professeure de sciences sociales avait encore digressé et avec son débit, elle n’arrivait plus à suivre. Elle pensait à ce week-end et à ce garçon à la chevelure étonnante à qui elle se retenait d’envoyer un SMS avant le vendredi soir. Elle lui enverrait probablement ”Je sors de cours, petite bière ?”. Non, trop direct. Plutôt : ”hey, ça te dirait d’aller prendre une bière vers le lac , il paraît qu’il font l’happy hour à 20h exceptionnellement”. Terriblement banal, mais ce n’est pas le moment d’être créative, déjà que c’est elle qui le contactait..

”Pfff …Tellement finaliste”. Elle leva les yeux. Antoinette, l’intello de la classe, avait encore fait une saillie. Elle adorait utiliser des mots compliqués pour se faire bien voir des autres. Alors que tout le monde, pensait Sarah, était bien aussi intelligent qu’elle.

”C’est quoi ? finit par dire un garçon, l’américain de la classe, à la mâchoire carrée et qui porte des manteaux toujours au col relevé.

Contente qu’on lui demande, même si ce n’était que lui . ”Le finalisme, c’est prendre un fait historique et l’expliquer par ses conséquences, en gros lui inventer des causes, quoi. ”ouais donc c’est par exemple napoléon est devenu napoléon parce qu’il est petit et dodu donc il ne se fiasait pas de meufs ?”

Sourires dans la classe. ”Non, par exemple c’est dire que l’attestation de l’existence de Jésus et tout le nouveau testament comme l’ancien ont été écrits et perpétués par une caste bien spécifique pour asseoir sa domination sur le peuple”. La classe l’écoutait plus ou moins. La prof s’était arrêtée et ne semblait pas vouloir la couper, pour une fois qu’un débat se formait pendant son cours.

Une fille renchérit . ”C’est une façon très machiavélienne de voir les choses, de dire que les bases mêmes de la chrétienté existent pour endormir les gens”.

”En même temps, la phrase ”les premiers seront les derniers” est équivoque…. Souffle un garçon qui jusqu’ici dormait au vu et au su de tous, de la prof en premier.

”C’est du scepticisme aiguë, cette volonté de voir une manipulation dans toute chose”, renchérit la doyanne de la classe, que Sarah n’aimait pas trop mais qui avait la qualité de souvent clouer le bec à Antoinette. La classe était principalement constituée de filles. Les garçons atteignaient 30 ou 40% des effectifs, mais n’en paraissaient que 20%. Effacés, écrasés par les forts caractères des filles, ils étaient pourtant au centre de l’attention en un rien de temps.

La prof décida que cela devait se terminer. ”Oui, mais nous sommes ce que nous voyons dans les choses. Si nous voyons de la manipulation partout c’est que nous-mêmes sommes manipulateurs, en principe.”

Son téléphone vibra. TOut le monde l’entendit. Elle était gênée et alla l’éteindre sans regarder. ”Si on reprend juste sur le sujet que nous abordions précédemment…” Seconde vibration. Murmures dans la classe, la prof doit avoir un mec. Elle part de la pièce. Et déverrouille son téléphone sur le chemin. Cela semblait important. Un brouhaha s’installe. Plusieurs minutes s’écoulent et la classe commence à se demander ce qu’il se passe.

L’alarme incendie de l’école se déclencha.

”..Un homme armé serait entré dans l’école. J’ai pour instruction de vous garder ici avec moi” elle était livide. Une acclamation de peur surgit du groupe, tout le monde se précipita vers la sortie. Elle hurla non, nous devons rester ici il peut être dans les couloirs ! Tout le monde revint en arrière et se tut, obéit. Il y avait une porte de derrière. ”Madame faut se barrer de là” Une élève avait pris le lead d’un groupe formé par la moitié de la classe. Faut prendre la porte de secours.

Elle brisa la vitre de sécrité pour actionner l’ouverture de la porte. Le système de sécurité était ultra moderne et cela avait pour conséquence d’appeler les secours. A ce moment-là, un homme d’une trentaine d’années, barbu et basané entra dans la pièce en défonçant quasimant la porte après avoir dévalé le couloir. Il hurla Allah Uaqbar, tira une fois dans le plafond avec son AK47, des cris parsemèrent la pièce. Il pris le premier élève qu’il trouva sous la main, elle se mit à hurler non, je vous en supplie, aidez-moi en implorant les autres qui ne bougèrent pas : c’était une rousse qui ne parlait jamais pendant les cours car elle craignait la prise de parole en public, mais que la classe aimait bien.

Il pointa son arme vers le groupe aterré, certains faisant semblant d’être endormis. Il hurla les consignes : si quelqu’un envoyait un SMS ou appelait, il mourrait ”au nom d’allah”. Il emmena la rousse et claqua la porte.

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