Chapitre 16 Le deuil

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Les rideaux cachaient le ciel sans nuages tirant vers le bleu foncé. Sarah était rentrée depuis une demie-heure, elle a claqué la porte et est allée se terrer dans sa chambre sans dire bonjour. Cela lui allait très bien à Anaïs, que personne ne lui parle. D'ailleurs, elle ne voulait plus que cela arrive, jamais, dans aucun endroit du monde. Ou peut-être en Australie, oui, elle partirait en Australie tiens. Mais non, les araignées sont trop grosses là-bas, ou non, à Lyon, la ville qui décolle selon Challenges, ou quelque part loin. Là où elle ne découvrira pas qu'elle a un concubin gay alors qu'elle vit avec lui, l'a présenté à sa fille en pensant que cette fois, ça marcherait, que cette fois elle avait trouvé le bon, que son ex-mari n'était déormais que du passé, une erreur. Maintenant c'était elle, l'erreur. On ne se trompe pas deux fois à moins d'être le problème.

Charles n'était toujours pas rentré. Elle pris ses clefs de voiture, claqua les portes, eu a peine le temps d'entendre sa fille crier "Maman ?" en la voyant partir à grands pas des larmes sur les joues. Elle alla à cet hôtel, le Bayan Tree. Elle envoya un SMS à Stéphanie, dontelle retrouva le numéro dans le fin fonds de son agenda. "Comment s'appelle le mec ???" Elle avait oublié de lui demander, dans l'énervement, dans la tristesse. Elle l'avait expédiée, après avoir essayé de garder la face puis de verser une larme, puis deux. Elle roulait n'importe comment, le feu rouge était brouillé, elle ne voyait qu'une lumière rouge à sa droite. Dans le rétroviseur, une jeune fille écoutait de la musique et chantait à tue-tête. Les lampadaires balançaient une lumière crue sur les pavés.

Elle arriva à l'hôtel vers 21h30. Charles était sûrement rentré à cette heure-là. Elle avait dit à Stéphanie de ne rien lui dire, qu'elle réglerait toute seule son affaire comme elle l'avait toujours fait, et elle avait réussi à la remercier vaguement dans sa fureur.

C'était un hôtel trois étoiles situé dans la banlieue Est de la capitale, avec une dizaine d'étages et issu d'une architecture moderne. Le rez-de-chaussée débordait et rappelait le pavillon de Barcelone construit par l'architecte allemand Mies Von der Rohe en 1929 : un toit plat, prolongé d'une trame de poteaux et cloisons cadrant les vues de l'intérieur du bâtiment. Le père d'Anaïs est architecte et elle a eu droit à toutes les anecdotes paternelles lorsqu'ils partaient en vacances en Europe.

Elle franchit le seuil d'un pas ferme et bouscula une vieille femme, se retourna, s'excusa suite au "non mais franchement ! oh !". Elle trouva encore la force de s'excuser. Derrière le comptoir, une femme frisée discutait avec sa voisine. "Bonjour je souhaiterais savoir si cet homme a dormi ici dans la nuit du 25 au 26 avril" lâcha-t-elle essouflée.

Eclat de rire des hôtesses d'accueil. "Euuuuh vous êtes de la police ?" ricana une des deux avec un fort accent maghrébin.

"Non, je cherche juste à identifier un malfrat".

Deuxième éclat de rire. Mais pourquoi j'ai dit ça ? "S'il-vous-plaît, je crois que mon ami, euh, mon concubin me trompe avec une femme et qu'ils ont couché ensemble ici..." La solution la plus classique était peut-être la plus simple. Le hall était désert, et à ce stade, peu lui importait de se rendre ridicule. Elle retournerait au travail le lendemain, elle s'y obligerait, elle devrait affronter toute sorte de couples heureux, d'entrepreneurs chicaneurs et de groupes de jeunes je-m'en-foutistes déséspérants. Elle voulait son moment de vérité, même au prix de sa dignité. Et elle ne voulait en aucun cas confronter Charles, si doucereux, si perfectionniste, si runner et si malhonnête, pour entendre des mensonges si bien dits mais difficilement crédibles. Elle voulait encore moins passer la nuit chez elle.

"Madame, on peut pas vous dire ça, c'est confidentiel" les filles avaient repris un peu de sérieux, au vu de la mine dépitée d'Anaïs.

"C'est-à-dire que nous on est pas en mesure de vous aider même si on le voulait en fait."

"Et si vous me faites juste un signe de tête ? Oui, ou non ? Vous ne m'aurez rien dit. C'est juste un signe, votre employeur ne vous l'a pas refusé, si ?"

L'une regarde l'autre, des sourcils se lèvent, l'autre dit à l'une "après faut voir aussi si le gars il a pas oublié de payer ou signer un truc, dans ce cas là on a l'droit de mater j'crois".

"En fait, ça fait plusieurs jours que je le soupçonne, et son assistante est venue tout-à-l'heure et m'a dit qu'elle était tombée sur son ordinateur et..."

"Bon allez vas-y fais lui" la frisée s'était prise de pitié pour cette femme qui débarquait en chemise de nuit et finit par ouvrir le logiciel.

"Alors. 28 septembre c'est ça ?"

"Non, 25 avril" Anaïs était à demi-soulagée, par peur de voir se confirmer le mail si impossible, si fictif, sorti de la bouche d'une assistante quelques minutes avant. Se pouvait-il encore qu'il s'agisse d'une blague ? Stéphanie n'était pas la plus bout-en-train des filles qu'elle connaissait mais quand même, elle avait parfois des surprises. Peut-être était-ce une blague conjointe, ou de la jalousie, ou...

"Nope. Pas de type de ce nom-là."

Merde. Elle voulait une preuve, un bout de papier à tendre sous les yeux de son petit ami. Elle envoya un SMS à Stéphanie. "Tu m'as bien dit que l'hôtel était réservé à son nom, n'est-ce pas?" Les deux filles se sentaient arnaquées, une bonne histoire, un truc à raconter à leurs copains en rentrant le soir, et en fait rien du tout, la dame en pyjama a tout inventé.

Bon. Je crois que je vais devoir en parler à Fatima. Elle voulait l'éviter jusque-là, même si c'est son amie, elle reste sa collègue de travail et elle sentait que l'avoir trop impliquée dans ses histoires de coeur ces derniers temps avait eu un impact un peu négatif sur son travail. Elle restait associée minoritaire, après tout. Il était délicat de lui prendre la tête avec une histoire de cul - elle se forçait à penser que c'était une histoire de cul - alors qu'elle-même avait plein d'autres trucs à penser, ça ne se passe pas bien non plus avec son mari même si c'est beaucoup moins grave. "Ah non, peut-être que je me suis trompée. Demande Philippe Chavrier" le SMS lui a sonné le coeur. Elle failli avoir une attaque. Charles, son Charles, non seulement est gay, mais couche avec Philippe Chavrier.

Les choses se ternissent autour d'elle, elle défaille. C'en est trop. Puis plus rien.

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