Chapitre 13

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   Toute la soirée, j’ai discuté avec Lyd. Les rares moments où nous sommes séparés, c’est lorsque Maisy a voulu me présenter à tout le monde. Toutes mes appréhensions se sont envolées. J’ai parlé avec Greg et Kocksy, et même si c’était des banalités c’était agréable de pouvoir me changer les esprits.

Kieran est resté à l’écart, écoutant d’une oreille notre conversation. Notre jeu de regard a repris, sans que personne le remarque. Cette fois me mordre la lèvre inférieure ne fonctionne pas, je n’ai le droit qu’à son habituel sourire taquin. Sentant quelqu’un agripper ma main, je baisse la tête vers Maisy qui se frotte ses yeux fatigués. Je la trouve mignonne avec son pyjama de panda, surtout avec les oreilles qui accrocher à la capuche en fureur.

— Est-ce que tu veux bien me raconter une histoire avant que j’aille dormir ? me demande-t-elle d’une petite voix douce.

— Bien sûr ma chérie.

— Je reviens tout de suite, précisé-je à Lyd en suivant Maisy.

Passant par la baie vitrée, j’observe les moindres détails de la cuisine ouverte. Les meubles sont vétustes, mais la pièce est belle et lumineuse. Des dessins de Maisy sont accrochés sur le réfrigérateur ainsi qu’une photographie d’elle un peu plus jeune. La table à manger trônant au milieu est de meilleure qualité tout comme ses chaises modernes qui l’accompagnent. Les carreaux de ciment au motif divers jonchent le sol jusqu’à l’arcade qui délimite la salle du salon.

Le carrelage froid laisse place au parquet clair où les marques du temps y sont gravées. Contrairement à la cuisine, cette pièce est chaleureuse et contemporaine. Le canapé aux toiles noir est immense, je suis sûre que deux personnes peuvent y dormir confortablement l’un à côté de l’autre. Il fait face à un meuble en bois, où y poser une télévision qui doit faire trois fois la taille de la mienne. Une table basse est au milieu, posé sur un tapis gris.

Le mur à gauche est entièrement recouvert de brique usée, il y a plusieurs photographies et des dessins encadrés de sa fille qui y sont accrochés. Tandis que celui à droit à une porte vitrée coulissante qui mène à un couloir exergue, il y a seulement la place pour l’entrée et un escalier. Maisy me lâche la main pour s’appuyer sur la rambarde de celui-ci en le montant. Les marches se mettent à grincer sous nos pieds tout comme le parquet lorsqu’on arrive sur le palier de l’étage.

Je fais face à une porte entre-ouverte qui donne sur une salle de bain. Je me tourne et remarque qu’il en deux autres dont l’une a une peinture où est inscrit Maisy dessus. Je suis subjuguée devant la chambre mauve avec des nuances qui forme des étoiles. Au milieu de la pièce, il y a un tipi où plusieurs peluches de toute sorte y sont amassées. J’avance jusqu’au lit en fer-blanc où un voile transparent accroché au plafond le recouvre.

Maisy se glisse sous sa couette et attrape un ourson vert pomme. Je fais attention au joué trainant sur le sol et viens m’assoir sur le bord du matelas.

— Ta maman te raconte quel genre de conte pour t’endormir ?

— Je ne la vois pas souvent, soupire-t-elle en serrant un peu plus l’animal contre son ventre, elle vit dans une grande maison avec plein de monde. Il y a des messieurs qui prennent soin d’elle, car elle est tout le temps fatiguée.

Jamais je n’aurais pu deviner que sa mère était enfermée dans un centre hospitalier. En tout cas, c’est la description qu’elle vient de faire. Devant ses yeux tristes, je lui fais un sourire réconfortant et lui caresse sa main.

— Et si je te reconnais l’histoire de la Calchona. C’est un mythe populaire au Chili, ma maman me le raconter pour m’aider à m’endorme.

— Ça parle de princesses.

— Non encore mieux, de sorcière !

— Je peux écouter moi aussi.

Je tourne aussitôt la tête vers Kieran qui se tient accostée contre l’arcade de la porte. Je me demande depuis combien de temps il est là.

— Papa !

— Bien sûr, mais pas le droit de parler, lui ordonné-je en esquissant un sourire.

Il fait mine de sceller ses lèvres d’un signe de main, et avance pour s’installer sur la chaise prête du bureau. J’essaie de ne pas me faire déstabiliser par Kieran qui est en face de moi et me concentre sur le doux visage de Maisy.

— On dit que la Calchona était une sorcière qui avait un mari et deux petits enfants. Cependant, sa famille ne savait pas qu’elle pratiquait la magie. Dans sa maison, elle cachait des potions qui permettaient de transformer des humains en animaux. Elle utilisait ses pouvoirs seulement la nuit pour ne pas être vue par les siens. Elle avait l’habitude de se métamorphose en une immense brebis pour aller se promener dans les champs jusqu’au matin. Elle reprenait sa forme naturelle grâce à ses élixirs, commencé-je à réciter tout en mimant de grands gestes.

Un jour, elle oublia de lancer le sort qui endormisses sa famille, et ses enfants la virent se transformer. En l’apercevant faire, ils eurent envie de l’imiter, s’appliquèrent des potions, et se changèrent en renard. Mais une fois métamorphosés, ils se rendirent compte qu’ils ne savaient pas comment faire redevenir comme avant, et ils se mirent à pleurer. Les sanglots réveillèrent le père qui ne trouva personne, si ce n’est ces petits animaux.

Devant le visage attentif de Maisy et Kieran, je ne peux m’empêcher de sourire. Ayant réussi à capter leurs concentrations, je continue l’histoire en prenant soin de mettre le ton, comme le faisait ma mère ;

— Plein d’amour pour ses enfants et ayant souvent entendu des légendes de sorcière, il imagina que les flacons pouvaient contenir des potions, et que les renards étaient peut-être ses progénitures. Il essaya les élixirs sur les mammifères, qui se transformèrent aussitôt en humain. Ils racontèrent à leur père que leur mère était à l’origine de ses méfaits. Effrayé, il prit les breuvages et les jeta dans la rivière afin que cela ne puisse pas se reproduire. Plus tard, lorsque la Calchona, sous sa forme animale, rentra, elle trouva seulement quelques fioles quasiment vides. Elle essaya quand même de les utiliser, mais cela ne fonctionna que pour ses mains, son visage et ses cheveux. C’est ainsi qu’elle resta pour toujours sous la forme de cet être mythologique mi-femme, mi-brebis.

— Est-ce que tu penses qu’elle peut aussi me transformer en renard ?

— Je ne crois pas ma chérie, elle n’a plus de potions magiques pour cela.

— Dommage, c’est trop mignon.

— Tu n’as pas besoin de ça, tu es déjà ravissante ma coccinelle.

— Est-ce que tu peux me raconter une autre histoire Camélia ?

— Désolée, mais il est l’heure de faire un gros dodo, répond Kieran en se redressant sur ses pieds.

Je me lève à mon tour et le laisse s’approcher de fille. Il prend ma place et vient mettre correctement sa couette jusqu’à son menton.

— Ce n’est pas juste, maintenant j’ai six ans, je suis une grande fille.

— Est-ce que la grande fille c’est brosser les dents.

— Oui, regarde.

Elle lui fait un immense sourire fièrement.

— Parfait, aller dort bien ma coccinelle, je t’aime, lui murmure-t-il en embrassant son front avec douceur.

Je sors suivie de Kieran qui éteint la lumière de la chambre. Seul un faible éclairage rose transperce l’obscurité de la pièce. Il ferme la porte avec délicatesse et se pose contre le garde-corps me fessant face.

— Tu sais que ma fille ne parle que de toi, elle t’apprécie énormément.

— C’est réciproque, elle est adorable.

— Ce n’est pas vraiment une de mes qualités, rit-il avant de reprendre plus sérieusement, parfois je me demande si elle vient vraiment de Mégane et moi.

— Elle m’a dit que sa mère vivait avec d’autres personnes, prononcé-je doucement en m’avançant vers lui.

— Elle est dans une sorte de maison de repos après avoir tenté de mettre fin à ses jours, me confesse-t-il en regardant le mur en face de lui, Maisy ne la voit que rarement.

Il tourne sa tête vers moi et ses iris sombres plongent dans les miens. Je ne sais pas quoi répondre face à sa révélation, je garde le silence, mais ne détourne pas les yeux.

— ça ne doit pas être facile pour vous.

— Fais gaffe, on peut presque croire que tu commences à m’apprécier, me lance-t-il en s’approchant.

Il est si près de moi que son parfum m’envoute, malgré mes talons hauts je suis obligée de lever légèrement la tête si je veux voir ses iris.

— Je devrais peut-être faire plus attention alors, murmuré-je.

— Si je t’offre quelque chose à boire, tu refuseras.

— Ça dépend de ce que tu as à offrir.

— Qu’est-ce qui te fera plaisir ? me demande-t-il doucement.

— Quelque chose de fort.

— Viens avec moi.

Un frisson parcourt mon corps en sentant ses doigts frôler ma peau. Cela dure à peine une seconde, mais ça suffit pour les battements de mon cœur pour s’accélérer. J’essaie tant bien que mal de ne rien laisser paraitre et le suis dans la cuisine. Il fouille dans l’un des placards et en sort deux bouteilles.

— Tequila ou vodka ?

— Tequila s’il te plaît.

Il verse le liquide translucide dans le fond des verres et m’en tend un, avant de prendre le deuxième. C’est exactement ce qu’il me fallait pour m’aider à me vider l’esprit au moins pour quelques secondes. Je trempe le bout de mes lèvres avant de boire cul sec sous le regard dubitatif de Kieran. L’alcool se déverse le long de mon pharynx en venant le brûler. Malgré cette sensation désagréable, je savoure son goût.

— Tu as des soucis, me demande-t-il en me dévisageant.

— Merci pour ce verre.

Je le pose sur le comptoir et sors rejoindre les autres dans le jardin pour prendre l’air. Ce n’est pas parce qu’il s’est confié à moi que je dois faire la même chose. De toute façon qu’est-ce que ça changerait, il ne peut rien faire pour moi, personne ne le peut ! Je dois me débrouiller seule, sans l’aide de personne et encore moins de trafiquants.

Plusieurs semaines se sont écoulé depuis la soirée de chez Kieran, je ne l’aie revenue que quelquefois. Depuis que Maisy est retourné à Denver, il vient moins souvent voir Faith. De toute façon, cela n’aurait rien changé, lorsqu’on se croise c’est à peine si l’on s’adresse la parole. C’est sûrement mieux ainsi, je n’ai pas la force de faire semblant que je vais bien.

Plus les jours passent et plus Roger se fait un malin plaisir de me rabaisser au travail. Je fais des insomnies toutes les nuits, je ne sais plus quand est-ce que j’ai dormie plus de trois d’heure d’affilés. Mon estomac se noue dès que je franchis la porte du cabinet, cela empire dès que je le vois rentrer dans mon bureau.

Je suis tellement nerveuse que j’ai des douleurs dans la poitrine, ma bouche devient sèche, j’ai des nausées et j’ai cette désagréable sensation que mes jambes vont me lâcher. Roger ne cesse de dévaloriser toutes les tâches que j’effectue, pourtant je ne compte pas mes heures. Tous les soirs, je ne pars pas avant vingt d’heure, parfois même plus tard.

Je reste jusqu’à ce qu’Andréa s’en aille, je ne veux pas me retrouver seule avec Roger. J’évite autant que possible de passer plus de temps qu’il ne faut avec lui. Le midi, je vais sur la plage, j’observe les vagues s’écraser sur le sable. Je n’ai plus d’appétit, la nourriture ne me donne plus envie. Mon stresse prend le dessus, je ne fais que de penser au travail. Je sais que si je fais le moindre faux pas, Roger ira tout de suite en parler à Andréa.

Je ne peux pas me permettre de perdre ce travail, je n’ai rien d’autre et les factures s’accumulent. Pour pouvoir terminer à temps les dossiers qu’il me transmet, je suis obligée de les ramener chez moi. Si je ne finis pas dans les délais, il se fait un malin plaisir à me le faire remarquer.

Comme chaque soir, le soleil se couche au moment où je rentre dans l’immeuble. Les faibles rayons de lumières s’atténuent pour laisser la place à l’obscurité. Épuiser je me traine, ma migraine s’accentue au moindre bruit qui résonne dans le couloir désert. J’insère ma clé dans la serrure de ma porte d’entrée au même moment que Faith sort de son appartement.

— Vous n’allez pas l’air dans votre assiette ? s’inquiète-t-elle en fronçant les sourcils.

— J’ai eu beaucoup de travail aujourd’hui, je suis juste fatiguée.

— Je suis sure qu’un bon repas vous ferait du bien, il me reste du poulet et quelques légumes de mon diner. Je peux vous en servir si vous voulez.

— C’est gentil, mais je n’ai vraiment pas faim et en plus je dois terminer un dossier.

Roger n’a cessé de me répéter toute l’après-midi que je dois absolument achever ma synthèse sur l’entreprise Riom. Si je souhaite pouvoir le rendre à l’heure, il faut que je m’y mette tout de suite. Une simple pomme devrait me suffire pour manger.

— Demain soir, tu dines chez moi, j’irai acheter des plats indiens, depuis le temps que vous voulez me faire goûter cette cuisine.

— Je ne sais pas si je pourrai.

— Ce n’est pas une question, soyez à l’heure sinon je viendrais vous chercher, sourit-elle avant de me saluer et de partir.

Je pénètre dans mon appartement et dépose mes affaires sur le comptoir. Je tente de trouver une solution pour annuler le repas de demain soir. J’avale deux comprimés d’aspirine et me déshabille pour aller prendre une douche. En ce moment, c’est la seule chose qui m’aide à m’apaiser, même si cela ne dure que quelques minutes.

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