Marche nocturne sur le quai d'Allier

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La nuit est sombre et pleine de terreur.

De ma gorge émane un rire nerveux alors que je range mes écouteurs, progressant vers ma petite maison en bordure de l'Allier, un grand affluent de la Loire. Le coin se fait calme la nuit tombée. Je regrette déjà le soleil en ce vendredi d'Hiver.

J'accélère le pas, essayant de faire taire mon imagination. Seulement cinq cents mètres me séparent de mon chez-moi et pourtant... A vingt-deux heures, on s'imagine tomber sur un pervers à chaque coin d'ombre. Neuf craintes sur dix ne se réalisent pas, je l'ai lu quelque part. N'empêche, je reste très trouillarde et surveille les alentours d'un regard alerte. J'ai déjà eu une mauvaise expérience sur ce trajet ; des crétins m'avaient suivie en voiture jusqu'à mi-chemin. C'est arrivé une seule fois en deux ans, mais depuis, je suis devenue légèrement paranoïaque.

Bientôt va venir le froid, bientôt va tomber la nuit éternelle.

Je soupire en rabattant les pans de mon manteau sur mon cou assailli par l'air gelé. En cherchant la lumière jaunâtre et réconfortante des éclairages publics, je repense à ces soirées avec mes amis pendant lesquelles nous regardions la série de Georges Martin. Personnellement, j'adorais Mélissandre et avais mis un point d'honneur à apprendre par coeur ses mystérieuses répliques. Elles me reviennent toujours en tête lorsque la peur m'assaye.

Plus que quatre cents mètres. Un défaut dans la chaussée manque de me faire tomber, je pousse un juron étouffé en me rattrapant de justesse.

  • Saloperie ! Tss.

Je m'arrête quelques secondes pour me masser la cheville gauche. Elle me fait encore mal après la mauvaise chute faite au sport. Les filles de l'équipe de volley voulaient appeler un médecin, voire carrément me déposer aux urgences, j'ai dû leur hurler dessus que j'allais bien. C'était faux, bien entendu, mais je me sentais à bout de nerf aussi la dernière chose que je voulais était de passer la nuit sur un banc d'hôpital.

En m'appuyant contre le mur, je sors mon téléphone de l'autre main et tape machinalement le code d'accès. 1... 9... 8... 4... L'écran se déverrouille sur un fanart de ma série préférée. La prêtresse rouge me fixe de son regard énigmatique alors que le mien farfouille dans ma messagerie.

Rien.

Je l'éteins avant de le remettre à sa place. J'inspire une grande bouffée d'air frais en fermant les yeux. Tant mieux finalement. J'ai besoin d'être seule pour le moment.

Passé quelques minutes, la douleur redevient supportable. Je reprends la marche avec prudence.

Plus que trois cent mètres. Le doux chuchotement de l'eau me rend le sourire. Je progresse aux abords de la rivière alors que je discerne à la lueur des lampadaires la masse aqueuse de l'autre côté du petit muret de pierre. Un hibou hulule au loin, quelques canards préfèrent s'éloigner lorsque je passe près d'eux. J'aime bien l'eau, j'ai toujours voulu vivre sur les rives. Hélas, il est devenu interdit de se baigner dans le coin... la Loire et ses affluents sont trop dangereux. De petits tourbillons se créent sans prévenir et peuvent se révéler mortels pour les baigneurs. Dommage, l'eau douce et fraîche des rivières est plus agréable que l'eau salée des océans.

Je détourne mon attention des sombres reflets. Je crois avoir entendu quelque chose.

En écoutant plus attentivement les environs, j'entends à présent des pas résonner derrière moi. Quelqu'un se rapproche. Je presse le pas.

Il accélère également.

Tous mes indicateurs virent au rouge. Je ne sais pas qui me suit, mais en l'espace de deux secondes, mon esprit imagine 40 000 possibilités, toutes plus effrayantes les unes que les autres.

Plus que deux cents mètres. Je claudique maladroitement, entends clairement l'autre se mettre à courir !

Un frisson de panique me parcourt l'échine, mes battements de coeur s'accélèrent. Un cri résonne alors.

  • Arrêtez-vous ! Police !

Je pile net et me retourne devant effectivement un agent des forces de l'ordre. Ce dernier arrive à ma hauteur en me pointant le faisceau d'une lampe en pleine poire. Je dois me couvrir d'une main alors qu'il me dit sur un ton agressif :

  • Pourquoi vous avez pris la fuite ?!
  • Euh... et bien...
  • Vous êtes seule ?!
  • Je...
  • Vous n'avez croisé personne ? Vos papiers !

Je m'exécute aussi vite que je peux. Mes mains fouillent, je pousse un autre juron, ils ne sont pas là. Ah, si... Ils étaient dans l'autre poche. Je lui tends enfin ma carte d'identité en reprenant peu à peu mon calme.

  • Je... je ne fait rien de mal, je rentre juste chez moi...

Il s'en saisit et m'examine en détail. L'attention dont je fais l'objet commence à m'agacer. L'adrénaline retombe, j'ai presque envie de rire, de façon nerveuse, mais me retiens. Il se saisit d'un talkie-walkie à sa ceinture.

  • Ici l'officier Colar, en patrouille sur le quai d'Allier. Je suis avec une certaine... Ambre Dubois, jeune femme, 26 ans, blonde, résidant au... 51 rue Blanche. Vous pouvez certifier ?

Je hausse un sourcil, surprise. Je n'aime pas cette intrusion dans ma vie. L'homme veille à ce que je n'entende pas son interlocuteur.

  • Oui... D'accord. Non... Il n'y a qu'elle ici. Oui, je poursuis les recherches.

Il range son appareil et me rend ma carte, plus détendu tout à coup.

  • Que faites-vous dans le coin, Madame Dubois ?
  • Mademoiselle. Je rentre chez moi après avoir fait du sport, rétorqué-je d'une voix étouffée en rangeant mes papiers.

Il m'a déjà oublié, ses yeux surveillent les alentours. Son comportement étrange, allié à ses précédentes paroles, titille ma curiosité.

  • Vous cherchez quelqu'un ?
  • Oui, répond-il sèchement en se rappelant visiblement de mon existence. Hum... un dangereux prisonnier s'est échappé d'un... d'un convoi pénitentiaire non loin, ne vous inquiétez pas, nous allons mettre la main sur lui, enchaîne-t-il sur un ton rapide et légèrement tremblant, comme s'il cherchait ses mots.

Quoi ?! Un timbré rôderait peut-être à côté de chez moi et il ne veut pas que je ne m'inquiète ?! Mes joues prennent une teinte blafarde alors que je chancelle une fois encore. Il se rend compte de son erreur et propose de me raccompagner. J'accepte d'un timide hochement de tête. Nous reprenons donc la route. Aucun de nous ne parle, je tente de cacher ma douleur à la jambe, heureusement il ne voit rien, ses yeux scrutant la pénombre environnante.

Plus que cent mètres. Ma maison est au bout de la rue, avec un petit jardin à l'arrière donnant directement sur une portion de l'Allier. C'est l'un des coins les plus calmes de la ville déjà réputée tranquille.

Victoire ! Nous atteignons la porte. Nos mouvements font s'allumer une ampoule installée au-dessus de l'entrée. Il me salue rapidement et retourne à sa patrouille. Je profite de la fugace lueur pour trouver la bonne clé dans mon trousseau en marmonnant une énième réplique.

Il n'est pas d'ombres dans le noir. Les ombres sont les servantes de la lumière, les filles du feu.

Je pénètre les lieux, referme derrière moi en poussant un soupir d'aise. La tension s'évanouit, je ferme à double tour, mesure inutile, mais rassurante. Mes muscles se détendent, j'ai même l'impression d'avoir moins mal à la cheville. Je me débarrasse de mon manteau ainsi que du lourd pull qui se cachait en dessous. Je dois passer plus de temps pour mes chaussures, mais j'arrive après quelques efforts à me retrouver pieds nus sur le tapis du salon. J'adore cette sensation de douceur. Mes affaires de sport rejoignent ma pile de linge sale que j'accumule depuis le début de semaine. Je me dirige alors vers la cuisine, en quête de pain et de beurre.

Une fois arrivée dans la pièce, je m'aventure sur le carrelage froid en grimaçant légèrement, trop flemmarde pour mettre une paire de pantoufles. C'est alors que je le sens.

De l'eau. Je viens de marcher dans une flaque d'eau. Je ne comprends pas, il ne semble pas y avoir de fuites... Je frissonne. Il fait froid. Pourquoi ? Il faisait pourtant chaud dans le salon... J'étudie les lieux, pensant voir une fenêtre laissé entrouverte.

Mon sang se glace de terreur.

La porte arrière donnant sur le jardin, entrouverte... Ce n'est pas un oubli de ma part, le carreau a été fracturé. Je m'en approche lentement, le souffle raide. Il y a un peu de sang sur le verre brisé, du sang noir et frais.

En même temps, de l'étage résonne une longue plainte douloureuse.

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