S'enfuir ou secourir ?

5 minutes de lecture

C'est à peine si j'ose respirer de peur de me faire entendre. J'écoute avec attention, une main posée sur mon cœur comme si ce simple geste pouvait ralentir son rythme effréné. Cachée derrière une chaise, je suis trop loin pour décrypter ses paroles, alors... j'ose me rapprocher. Un pas à la fois, lentement, je vais me placer dos au mur jouxtant l'escalier. De la, j'arrive à discerner quelques mots.

  • Pitié... Je n'en peux plus... laissez-moi en paix, gémit une femme.

Mes jambes se mettent à trembler. Sa souffrance fait écho à la mienne, sourde, contenue, mais bien ancrée au fond de mon être. Je serais en droit d'appeler la police, de virer celle que je suppose être une sans-abri. Pourtant, je voudrais la rejoindre, l'aider à aller mieux.

Fuir vers la sécurité, ou prendre le risque d'aider ? La décision m'apparaît comme une évidence.

Je scelle mes paupières, resserre les doigts pour former deux poings et m'éloigne du mur. Lentement, je me retourne puis rouvre les yeux.

  • Je viens t'aider, dis-je en murmurant.

Mon pied nu et mouillé se pose sur la première marche. Un grincement s'en échappe. Bien qu'à peine audible, le silence se fait à l'étage. Je me fige. Ses plaintes reprennent de manière plus étouffée, comme si elle voulait se faire oublier. Je continue de monter.

Sa respiration qui se bloque, avant de laisser brusquement s'échapper l'air, la rattraper dans un hoquet, et recommencer, sans pouvoir se contrôler. Une bouffée d'empathie s'empare de moi, j'accélère. Ma peau est parcourue de frissons. Nous avons toutes deux connaissance de l'autre, j'arrive enfin à l'étage en essayant de la rassurer.

  • N'aie pas peur, je suis une amie.
  • N... non ! Laisse-moi ! Crie-t-elle à mon encontre.

Dans ma précipitation, je n'allume pas la lumière et me guide au reflet de la Lune à travers les fenêtres sur les petites flaques d'eau au sol. Elles me conduisent jusqu'à la salle de bain.

J'approche de la porte entrouverte, l'intérieur est faiblement éclairé par la petite lampe côtoyant l'évier. Le femme respire de façon saccadée, elle sait que je suis la, tout proche d'elle. J'inspire un grand coup, tâche de ne pas faire trembler ma voix.

  • Je vais entrer, ne me fais pas de mal.
  • NON !!

Malgré ses cris de protestation, j'attrape la poignée et ouvre en m'attendant à voir une femme blessée se soigner avec ma trousse de secours. A la place, je retrouve la pièce inondée. Je frissonne en sentant de l'eau gelée venir me chatouiller les orteils. Mes cils papillonnent quelques instants pour découvrir une femme aux trois-quarts immergés dans ma baignoire. Elle me dévisage, clairement terrorisée, sa main gauche blessée fermement tenue contre elle. Le sang qui s'écoule d'entre ses doigts est le même que celui vu sur mon carreau brisé, noir comme de l'encre. Il se dilue dans l'eau en de longs filets sombres se mêlant à ses cheveux éclatants, non pas d'une couleur rousse, mais d'un rouge sang, le même rouge présent aux commissures de ses lèvres desquelles dépassent deux canines aiguisées.

Cependant, toute mon attention se fixe sur la longue queue écailleuse se terminant par une nageoire caudale. Cette dernière se meut lentement à l'autre bout de la baignoire. Je prends peur, imaginant qu'un gros poisson est en train de l'attaquer ! Je me précipite vers elle pour l'aider. Elle se replie du plus loin qu'elle puisse, essayant de disparaître sous l'eau légèrement opaque alors que ses yeux se ferment. Elle fait penser à une enfant qui veut se faire oublier en se cachant sous sa couette.

Mes mains accrochent les bords en fonte tandis que je me penche, prête à extirper la bête hors de l'eau. Je me fige à nouveau alors que mon cœur rate un battement.

Il n'y a pas deux êtres là-dedans.

Il n'y en a qu'un.

Sous la surface, je discerne la longue queue écailleuse venir se jumeler à son bassin. Les écailles aux reflets verts qui la composent se font plus petites à mesure que je remonte son corps des yeux, jusqu'à devenir... de la peau. Impossible ! J'ai peur de la suite, heureusement, le haut de son corps fait penser à une humaine si l'on oublie sa dentition acérée et ses oreilles ressemblant à deux nageoires élancées. Au moment où nos regards se rencontrent, le temps semble s'arrêter. Ses pupilles semblables à celles d'un chat se font plus fines. J'écarquille les yeux en ayant un réflexe de recul. Mon geste vif brise le faux calme ambiant.

Elle pousse un cri strident et se jette sur moi ! Je hurle de douleur en sentant ses ongles se planter dans ma peau pour me retenir. Elle va me dévorer ! Par la force du désespoir, j'arrive à m'esquiver au prix de sanglantes entailles le long de mon bras. Je me relève d'un bond, hors de sa portée. Elle est à terre, toujours sifflante de rage. Ses mains raclent le sol pour se trainer dans ma direction. Heureusement, elle est pataude hors de l'eau. J'en profite pour prendre la fuite.

La douleur explose soudainement au niveau de ma cheville !

Je chute de nouveau à terre. La créature en profite pour me rattraper et se juche sur moi. Je suis clouée au sol.

  • Non, non !

Mes bras tentent d'attraper le battant de la porte, elle les bloque sans mal. Je suis totalement à sa merci. Mes vêtements se retrouvent trempés, tout comme mes cheveux qu'elle écarte à l'aide de ses dents. Sans attendre, elle mord vivement la chair, enfonçant ses canines dans ma jugulaire ! Je crie d'autant plus fort, je crie, je crie... mon corps est tendu comme un arc. Je la sens aspirer le fluide vital, la sensation est... immonde ! Mes forces m'abandonnent à mesure qu'elle suce mon sang, je finis par m'immobiliser, sans force.

Je ne sais pas combien de temps nous sommes restées ainsi. Lorsqu'elle se reculait, je prenais l'espoir qu'elle allait s'arrêter, mais c'était pour mieux prendre prise. Mes bras s'agitent mollement, elle ne me retient plus, c'est inutile, que pourrais-je faire ?

Enfin, elle cesse de mordre. Je doute que ce soient mes sanglots qui l'ont fait arrêter, mais elle me laisse tranquille. Je la sens s'éloigner, je n'ose pas bouger un muscle. Mon cou me fait atrocement mal, j'arrive à poser une main sur ma plaie que je sens poisseuse.

  • Tss !

La voilà qui revient. Elle écarte ma main de force, je panique, pense qu'elle va recommencer. Elle va m'achever ! Je tente de me débattre, il lui suffit de resserrer la prise sur mon poignet pour anéantir mes efforts de rébellion.

  • Arrête de bouger, dit-elle en plaquant une compresse sur ma plaie.

Je grimace de douleur, elle la maintient en place en enroulant mon cou d'un tissu à plusieurs reprises. Après m'avoir soigné, je la vois se traîner pour fermer la porte. Ensuite, elle retourne dans la baignoire en gardant la clé au creux du poing

Mes pleurs sont devenus des sanglots étouffés. Je me traîne contre la porte et m'y adosse, à deux mètres d'elle, je ne peux plus m'éloigner. Mon regard s'attarde sur sa queue de poisson qui se balance doucement comme celle d'un chat. Pour sa part, elle s'est accoudée au rebord de la baignoire et me fixe en penchant la tête sur le côté. Elle paraît plus rassurée, plus sûre d'elle, même s'il reste une étincelle de peur, la, tout au fond. Après ce qu'elle m'a fait, elle reste apeurée.

Je pourrais la trouver magnifique, si elle ne se léchait pas ses lèvres encore rouges de mon sang.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire Symph' ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0