CHAPITRE 13

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Les cheveux au vent, debout sur le pont du porte-avions, Kim Soon observe l’horizon en se demandant s’il n’est pas en train de commettre la plus grosse erreur de sa vie. Après tout, sa brillante idée consiste ni plus ni moins à se jeter dans la gueule du fourmipoulpe.

L’Américain surgit derrière lui et interrompt cette morne réflexion en posant une grosse main velue sur son épaule. Entre deux mastications parfum fraise des bois, le militaire lui susurre à l’oreille.

  • Alors, l’intello ! Prêt à mourir en héros?
  • Le véritable héros ne meurt jamais, répond Kim Soon d’une voix blanche.
  • Les cimetières sont pleins de héros, pourtant. Vous dites n’importe quoi !

Kim Soon soupire. Il n’a pas le temps de se lancer dans un débat sur l’empreinte que l’homme peut laisser au-delà de sa mort. L’homme est un météore qui crève la surface d’un lac. Les ondes de sa vie se propagent après l’impact. Au fond, on ne meurt vraiment qu’à partir du moment où ces ondes s’effacent, au moment où les vivants vous ont oublié, saint-augustine-t-il avant de chasser ces sombres pensées philosophiques : mourir n’est pas à l’ordre du jour. Kim Soon ne compte pas crever. Et certainement pas aujourd’hui, dévoré par sa créature.

  • Comment allons-nous procéder, monsieur ? demande-t-il, soucieux de revenir au concret.

De l’index, le militaire désigne un canot de sauvetage pendu par deux filins.

  • Le plan est simple. Vous grimpez dans cette foutue embarcation. On la met à l’eau et on la tire, vous restez à une centaine de mètres derrière nous. A notre signal, vous appuyez sur le pulvérisateur et vous aspergez le canot. Lorsque le fourmipoulpe se pointe, vous parlementez avec lui, vous lui dites qu’on est des gentils, qu’on a besoin de lui, bref vous lui déballez le grand jeu de séduction, après tout, lui aussi il est là pour séduire. Nous, on reste à couvert. Si la bête se calme à votre contact, on vous ramène gentiment ici tous les deux. Si ça foire, on vous arrose de ferraille, le foutu monstre et vous avec. Et cherchez pas à nous la mettre à l’envers, nos agents secrets ont retrouvé votre femme et votre fille, il suffit d’un ordre pour qu’elles soient exécutées ! Pigé ?
  • J’ai très bien compris, répond Kim Soon en déglutissant avec difficulté, conscient de la folie que représente cette entreprise. Pouvez-vous me redonner les phéromones que je vous ai confiées ?

L’Américain invite Kim Soon à se retourner. Dans l’ombre de la tour de contrôle se découpent les silhouettes alignées des marines, au garde-à-vous.

Sur un geste du gradé, l’un d’entre eux sort du rang, le visage à moitié masqué par une visière trop longue, vêtu d’un uniforme trop grand pour lui. Sur ses bras tendus vers l’avant se trouve un coussin rouge et sur cet écrin repose le pulvérisateur rempli de phéromones.

  • Mon fils, annonce fièrement le militaire. De la graine de héros ! Je lui ai donné la lourde tâche de vous apporter le pulvérisateur !
  • Vous ne croyez pas que vous en faites un peu trop ? demande Kim Soon, pourtant habitué à ces démonstrations pompeuses.

L’Américain n’ose pas avouer que ce cérémonial était prévu à l’origine pour mettre en avant son fils chéri lors de la visite du président. Hélas, ce dernier a modifié son agenda au dernier moment à la suite d’une partie de golf inopinée, il ne viendra finalement pas. L’homme le plus puissant et le plus courageux d’Amérique s’est contenté d’un message laconique invitant l'équipage à “mettre fin à ce bordel sans nom”. Le militaire, n’ayant pas eu le temps de prévenir son fils, a finalement maintenu cette cérémonie devenue inutile.

  • L’instant est solennel, l’intello, ment-il avec assurance. Il faut marquer le coup.
  • En tout cas, Il faudrait lui dire de faire attention à ne pas se casser la figure, s’inquiète Kim Soon en observant la démarche hésitante et chaloupée du marine. Ce serait dommage que le contenu du récipient se répande sur le pont.
  • Vous faites pas de bile. Mon fils est le meill… Mais… CEQCB*! s’écrie le militaire, tandis que le porteur du flacon s’arrête au beau milieu de la piste et jette sa casquette au sol, dévoilant sa véritable identité, à la surprise de tous.

Kim Soon, ouvre de grands yeux et se tourne vers l’Américain, ahuri.

  • Ce n’est pas votre fils, c’est mon général.
  • Je vois bien que c’est pas mon couillon de fils ! hurle l’américain, furieux.
  • Selon toute vraisemblance, le général s’est évadé et substitué à votre fils, répond Kim Soon posément.

L’imposteur au visage tuméfié et à la moustache grillée saisit le pulvérisateur, s’asperge de phéromones comme on met du déodorant, lève les bras au ciel et hurle comme un damné :

  • Je me donne à toi, ô fourmipoulpe ! Fais-moi rejoindre notre Chef Cosmique dans la mort ! Dévore-moi, découpe-moi, mange-moi, Hideuse Calamité !

Déjà, l’Américain se rue sur le général pour le neutraliser, bientôt suivi par les autres marines dans un gigantesque enchevêtrement de corps. Le général se débat, il ne compte pas se laisser faire.

Pendant ce temps, personne ne prête attention au véritable fils de l’Américain, qui vient d’arriver sur le pont, en rampant comme un ver, seulement vêtu d’un caleçon, saucissonné et bâillonné.

Lorsque le général est enfin capturé et ligoté, Kim Soon ne peut s’empêcher de partager avec tous ce terrible constat :

  • A présent, vous êtes tous recouverts de phéromones. Le fourmipoulpe ne va pas vous louper.

* C’Est Quoi Ce Bordel, en français dans le texte.

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