CHAPITRE 14

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L'Américain passe sa colère sur le général qui encaisse les coups en martyr bienheureux. “Il faut toujours se méfier des gens qui ne craignent pas la mort”, songe Kim Soon en observant le général au comble du plaisir. Ce sont des personnes dangereuses à la fois pour elles et pour les autres.

Une fois soulagé et bien défoulé, l'Américain délaisse le général et se déshabille entièrement, ordonne à tous les soldats de faire de même et de jeter leurs uniformes en tas sur la piste. Le général amoché en profite pour grimper en haut de la pile. Une fois installé sur son promontoire, il sourit en dévoilant une bouche parfaitement édentée, ouvre grand les bras pour accueillir le fourmipoulpe et ferme les yeux.

  • Complètement perché, celui-là, commente tout bas l'Américain, avant de lancer ses ordres : Soldats, changement de plan ! Positionnez-vous à l’écart, prêts à tirer quand le foutu monstre attaquera ce foutu appât de mes deux !
  • Cela ne servira à rien, commente Kim Soon. Les phéromones ont imprégné votre peau, vos cheveux. Elles se sont même insinuées jusque sous vos ongles. Même plusieurs douches n’y pourront rien : le fourmipoulpe est en route et il vous cherche déjà. La consolation, c’est que votre graine de héros n’a pas reçu une goutte de phéromone, il court un moins grand danger que vous.

L’Américain, nu comme un ver, enrage et jette un regard noir à son fils qui se tient debout à quelques pas, piteux, la tête baissée.

  • Vous proposez quoi, alors ? s’écrie-t-il, les poings serrés.
  • Attendre et voir, comme vous dites en Amérique. La bête ne devrait pas tarder, ce sera à moi de jouer. Je vais me positionner à proximité de l’appât. Gardons en tête d’apprivoiser le fourmipoulpe, tout va bien se passer. Nous allons le laisser s'occuper du général et après, une fois qu'il sera rassasié de plaisir, je pourrai lui parler. Mais de grâce, ne tirez que si la situation échappe à notre contrôle.
  • S’il nous attaque, croyez bien qu’on va vendre chèrement notre foutue peau !

Les minutes passent, longues comme un jour sans riz.

Frigorifiés à cause de leur nudité imposée, les marines serrent leur arme avec force pour se donner du courage. La tension est à son comble : le danger peut surgir de partout. Du ciel comme de la mer. Du monstre comme des hommes.

Certains soldats passent le temps en comparant l’anatomie des autres à la leur. En toute discrétion, ils échangent des regards moqueurs, complices, dégoûtés ou gourmands, gloussent parfois lorsque certains attributs masculins se mettent au garde-à-vous.

D’autres fixent droit devant eux, concentrés, prêts à affronter la mort.

La graine de héros se cure le nez et admire ses sécrétions nasales avant de les savourer avec une mimique de plaisir.

L’Américain, quant à lui, guette le ciel avec ses jumelles, il parcourt l’horizon de long en large, sursaute parfois à la vue d’une mouette ou d’un insecte qui passent dans son champ de vision, puis reprend son observation.

Kim Soon, stoïque, attend son heure, armé de sa seule patience.

Le silence avant la tempête, c’est déjà la tempête, sachaguitrise-t-il en observant les visages anesthésiés par l’angoisse.

Soudain, l’Américain pousse un cri qui déflagre comme un pet sucré du Commandeur Suprême après un repas un peu trop riche.

  • Il arrive, préparez-vous ! Pointez-vos armes sur lui ! hurle-t-il en indiquant de l’index une vague forme sombre qui glisse au-dessus de la mer en volant par à-coups, au rythme syncopé du battement de ses longues ailes.

Les regards convergent en direction de l’objet de toutes les craintes. Au bout de quelques minutes, les traits de l’animal se font plus précis, certains détails se dévoilent aux yeux de tous. Le monstre, qui de loin apparaissait si petit, révèle à présent sa taille réelle. Une bonne dizaine de mètres de haut pour autant de long. “Il a atteint sa taille adulte. Bébé a bien grandi”, songe Kim Soon, fier de sa créature, les larmes aux yeux. Les mandibules du fourmipoulpe claquent dans l’air à l’avant de sa tête oblongue. Ses six tentacules évoluent gracieusement dans l’air au gré de son vol onduleux, comme les bras souples des danseuses thaïlandaises qui faisaient autrefois tourner la tête au Commandeur Suprême, avant qu'il ne l'égare à jamais.

Seul l’un de ses appendices ne remue pas, pointé vers le bas tel la quille d’un voilier.

  • Regardez comme il brandit fièrement son hectocotyle ! commente Kim Soon, fasciné, avant de préciser, devant l’air ahuri du militaire : il s’agit de son appendice reproducteur. En d’autres termes, il a la gaule, pépère ! Vous lui faites de l’effet.

Le militaire maugrée. Pudique, il cache son propre appareil génital derrière ses jumelles sans quitter des yeux la bête. Le fourmipoulpe s’approche et passe enfin au-dessus d’eux dans un silence de mort juste brisé par le battement rythmique de ses ailes diaphanes. Il recouvre l’équipage de son ombre funeste à la manière d’un rapace au-dessus d’un mulot effrayé, laisse derrière lui une odeur nauséabonde puis s’éloigne et effectue un demi-tour avant de s’élever plus haut dans le ciel, tandis que les armes des marines sont dirigées sur lui. Le monstre se positionne alors en vol stationnaire au-dessus du porte-avions et se pare des couleurs chatoyantes de l’arc-en-ciel.

  • Il se fait beau pour vous séduire, explique Kim Soon. Il est en pleine parade nuptiale, c’est fabuleux ! Admirez ces nuances irisées ! s’extasie le scientifique.
  • On fait quoi ? On tire ? grogne le militaire.

C’est le moment que le général choisit pour se manifester à nouveau. Il se dresse sur son tas, joint les mains, lève la tête et implore le fourmipoulpe.

  • O, Engeance Sauvage ! Délivre-moi enfin des tourments terrestres ! Fais-moi rejoindre le Commandeur Suprême dans l'extase de la mort !

Le fourmipoulpe émet un hurlement strident, subtil mélange entre le cri du panda roux, la craie qui crisse sur un tableau et la voix d'un homme en proie au supplice du rat. Puis il fond comme un faucon sur un vrai idiot, à la vitesse de l’éclair et transperce le général de son hectocotyle triomphant sous le regard ébahi de l'assemblée.

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