6. Se perdre ou s'évader ?

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Se perdre ou s'évader ?

Là, vers ce souvenir de l’ancienne balustrade en fer forgé, calée contre les volets clos. En lignes de force, volutes arc-boutées et alignées telles des guerrières prêtes à combattre. Les chaussettes minuscules au bord du lit, à terre, épuisées de marche et de confinement.

J’ai six ans. Je suis petit pour mon âge. Mon grand-père me dit pas plus haut que trois pommes. Ce que j’aime le plus, c’est le foot mais j’aime aussi les tracteurs, les vaches et les lapins. Je suis fils unique. J’aime bien ce mot « Unique » : le seul et le plus beau du monde. Ma maman me le répétait tout le temps. Elle me faisait des bisous du matin au soir et, parfois aussi, quand je dormais. À l’école, je n’ai qu’un copain ; il s’appelle Maxime. Zut, j’ai oublié de vous dire que moi, c’est André. C’est un prénom que j’aimais mais que je n’aime plus. Ça fait deux ans que je ne l’aime plus, depuis que je vais à l’école. Je sais pourquoi on me l’a donné et ça ne me plaît pas du tout. Mes parents n’ont pas voulu le changer. Il était trop important pour eux. J’ai les yeux noisettes-écureuil. J’ai un chat aussi. Enfin, c’est pas le mien, c’est celui du voisin, mais c’est tout comme si c’était le mien. Il vient me voir le soir, dans ma chambre. Il se pose sur la commode et me regarde…

À la bouche, un relent amer de ces choux de Bruxelles tant détestés.

... On m'a demandé si je savais écrire ; j'ai fait non avec ma tête. On m'a demandé de dessiner ; j'ai pas voulu. Du coup, je n’ai pas expliqué ce qui m’était arrivé. Je savais pas qu’on pouvait se disputer si fort dans une famille et qu’il y avait plein de secrets. J’ai compris que chacun en avait un. Sauf moi, mais je n’en suis pas sûr ! J’ignorais que mentir un petit peu, ça pouvait faire autant de mal. Les journalistes m’ont pris en photo, même si les gendarmes ont fait de grands gestes pour leur interdire. Ils ont parlé d’un "naufrage familial". Ça je l’ai entendu, et pas lu, parce que je ne sais pas encore bien lire. Mon grand-père m’a montré l’article. J’ai cherché ma photo, elle n’y était pas. J’ai vu l’autoroute et la barrière de sécurité, à l’endroit pile où on m’a retrouvé. Quand je la regarde, ça me fait peur maintenant. Au moment où j’y étais, je ne me rendais pas compte. Mon grand-père a lu l’article dans sa tête ; il a haussé les épaules et a déclaré : "Rien que des conneries, tout ça ! " Ça m’a fait rigoler. J’en ai pas su plus. Il parait que c’est pas pour les petits. Ça parle de moi, quand même ! J’ai demandé à Grand-mère ; elle a juste lu à haute-voix les passages où ils racontaient comment la gendarmerie et les pompiers sont arrivés et comment ils sont repartis avec moi. Quant à maman, je sais bien qu’ils ont écrit plein de choses sur elle, mais ça : personne n’a voulu me le dire. Alors, je reste tout seul avec mes questions.

Le dos vouté et bien loin de lui à cet instant, les épaules lasses du silence installé, elle se résigne à ouvrir le portail.

— Je sens bien qu’encore, vous me voyez comme un monstre d’égoïsme. Jugez-moi, c’est si facile !

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