5. Un virage pour l'amorce d'une histoire

Une minute de lecture

Ils longent la Prade, à trois cents mètres à peine : le virage, puis la maison.


Elle, à petits pas sautillants et rapides ; lui, en longues enjambées pesantes. Plutôt bien que mal, ils progressent au même rythme. La pluie a cessé de ruisseler sur les peupliers. Silencieux, chacun profite de la présence de l’autre. La tendresse colore leurs pensées, atténue la noirceur de leurs souvenirs et la grisaille de la tombée de nuit. À mi-parcours, elle lui prend le bras ; il accepte cette main sur lui. Une odeur de luzerne se dévoile, à chatouiller l’un et l’autre : un toussotement ; deux éternuements.
— J’ai toujours voulu écrire ce qui était caché derrière les apparences. Les non-dits ou les mal-dits. À tort, peut-être…
— Mon histoire remonte à loin.
— Non pas pour blesser…Voyez-vous ? Plutôt pour comprendre.
— Je n'étais encore qu’un gosse.
— L’incompréhension a fait partie de ma vie : la mienne, comme celle des autres.
— J’avais une mère…
— Jusqu’à ce que je touche aux mots, jusqu’à me perdre et m’y noyer.
— Folle, à c’qu’on m’a dit.
— Je n’ai pas voulu d’enfant.
— J’avais, je n’ai plus. Quand on y pense, c’est moche cette façon de dire les choses.


Leurs soupirs se rejoignent dans l’humidité de l’air, en spirales transparentes.


— C’est bien ainsi !
— Mon père est mort peu de temps après.
— Oui, vraiment, c’est mieux ainsi !
Ses mains s’agitent, chassent les dernières poussières de bruine ; ses yeux s’enflamment. Il l’envie, lui qui s’effondre à la moindre émotion. Elle, non. Il croit bien qu’elle vient de gagner dix bons centimètres de hauteur. Ses prunelles picotent l’horizon.

Elle soupire dans une grimace un « Les autres m’importunent tant ! » L'espace d'une seconde elle lui apparaît plus petite, maniérée, malsaine, méchante. Et cette méchanceté latente lui donne des allures de sorcière. La mèche évadée qu’il jugeait gracieuse, grisonne et perd de son éclat. Son regard évoque celui d’un vautour.

Vite oublier sa présence, se souvenir d’un ailleurs, repousser le contentieux.
Ne pas se retourner, ne pas…


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