4.1 Résurgence d'un instant d'écriture

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" 38, 39, 95, 165, 62, 84, 2 et 8 : une personne, en vrac ! "

J’avais beau chercher, je ne me souvenais pas du lieu précis où cela s’était écrit. En voiture, sur un chemin de campagne, dans une rue, chez moi, ou un peu de tous à la fois ? En aucun cas nulle part.

La trace remonta en mémoire alors que je me trouvais à l’abri, dans la profondeur d’un fauteuil et sous la chaleur d’un plaid. Au-dehors, le Mistral soufflait de plus en plus fort et m’incita à partir à la recherche de l’endroit où je gardais cette phrase. Je la retrouvai sur un bout de prospectus déchiré, coincé entre deux feuillets d’un carnet d’écritures. Ce même carnet dans un carton de déménagement-emménagement, trimballé pour un changement de résidence et redécouvert par le hasard des circonstances venteuses.

La phrase et le prospectus déchiré étaient tous deux orphelins de lieu et de date. L’anthracite du crayon de papier contrastait avec les couleurs criardes de la réclame. Celle-ci promouvait "Trois pour le prix d’un, achat en gros. " Comme je n’aime pas ces sollicitations ni ce bariolage abrupt, il devait y avoir urgence à l'écrire et de la volonté à la conserver en l’état. Des virgules se succédaient, un deux points comme une césure, et une exclamation pour clore, tout cela dans un griffonnage malhabile contournant trois côtelettes d’agneau au rose vif et à neuf euros le kilo. Ce n’était pas cher.

La suite de chiffres, de nombres en désordre indiquait-elle un âge, une taille, une résidence, une identité ? Peut-être un code de carte bancaire, un numéro de fidélité ou d’abonnement ? Je ne savais plus. Le "en vrac" donnait à sourire ; pas de classification ni de chronologie, ni de mise en sens, en apparence. Une définition comme une autre qui interrogeait davantage que certaines agencées.

De cet imparfait, je m’efforçai à en retrouver la date, le comment, le pour quoi. Là encore, je ne me souvenais pas si la déchirure du papier se situait avant ou après l’écriture. Avant, elle aurait ainsi conditionné la contrainte de l’enchevêtrement des mots et des images ; après, cela aurait pu correspondre à un mouvement déséquilibré par l’urgence d’en garder la mémoire. Je me questionnai aussi sur la partie absente. S'il existait d’autres phrases entrelacées, je n’avais pas dû juger utile de les préserver. Je conclus que, de celle-là, je voulais en faire quelque chose.

Quand je l’écrivis, j’habitais dans l’Ain, un ersatz de ma Haute-Loire racinaire, avec son brouillard, son ciel lourd de fin d’automne. Une période où la saison décline ses gris à perte d’horizon, des gris anthracite aux nuances de noir.

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