1. Images

3 minutes de lecture

1.

En Haute-Loire, un virage sur cette route de hameau qui longe la Prade. Ou plutôt un petit tournant au loin, pas trop loin cependant… à trois cents mètres à peine de là où on se tient.

Il suit la trajectoire d’un muret en pierres. Peut-être est-ce l'inverse. Trois peupliers alignés sur le côté l’annoncent. Plus haut sur le piton volcanique, les ruines du château d’Artias dictent la teneur féodale du paysage.

On avance à pas lents, du rural collé aux semelles, de l’énergie en tête et de la joie au cœur.

Toute la puissance de la paysannerie se niche dans cette courbe.

2.

Ces fourches de campagne : des embranchements aux directions rendues incertaines par l’hiver.

Ces faux carrefours signent la solitude et l’isolement ; la saison de l’errance s’imprime dans les esprits.

Les nuages affichent un "presque-trop-tard " pour songer à s'enfuir et le ciel s’alourdit de leur gris. Un gris uniforme, pas celui de la guerre mais celui de l’ennui ou de l’absence de peine à la tâche, celui des chemins à bosses, à creux et à vides.

Quand la terre commence à exhaler sa blancheur et combat la pesanteur ambiante, la neige d’ici invite et pousse à l’espoir.

3.

Le temps d’une récréation, dans un coin de salle de classe : trois enfants postées entre la porte-fenêtre et le tableau vert empoussiéré de craie.

La "convoquée" se tient face aux deux autres.

Au centre du triangle de têtes baissées, un cartable ouvert baille l’objet du vol : un jouet en plastique à la sangle noire et rugueuse. L’orange et le jaune criards de la babiole mobilisent les convoitises et piègent les consciences.

Moments d’incompréhension, puis de stupeur et de sidération sous la double accusation portée.

Le jeu malsain accomplit son œuvre : la honte envahit l'une des petites ; le doute amplifie le sentiment et interroge sa possible folie.

Ah cette violence des amitiés enfantines qui surgit là, entre le dehors et le dedans, entre un rayon de soleil et une ombre verte, avec pour décor un tribunal en paillettes de poussière, emprisonnées dans les mailles d’un éclairage tronqué !

4.

Une rue encombrée de trottoirs, de niveaux et de murs derrière lesquels les âmes se calfeutrent. Le silence se plombe de chaleur. On pourrait croire à l’immobilité, or tout est mouvement. Des arbres feuillus se balancent, des arbustes touffus se dessinent en ombres, en contours et détours. Des portes devinées dévoilent des incapacités à entrer ou à s’échapper. Une enfant est poussée, puis oubliée dans son landau… en contrebas.

5.

Des chaussettes au bord du lit, à terre, épuisées de marche et de confinement. Ratatinées, entortillées, bouchonnées au sens propre comme au figuré. Un coussin alangui sur l’accoudoir, dans l’attente d’un bras, d’une main ou d’une épaule. De cette espérance, il s’arrondit de jour en jour. Balustrade en fer forgé, calée contre les volets clos. En lignes de force, volutes arc-boutées et alignées telles des guerrières prêtes à combattre.

Une chambre !

6.

38, 39, 95, 165, 62, 84, 2 et 8 : une personne, en vrac.

7.

À ces tombées de nuit-là, les poussières de bruine révèlent les secrets de hameaux, entre la lumière et l’ombre.

8.

Elle se tient droite sous l’auvent, les bras croisés, le regard froid. Lui hurle sa haine, fonce sur l’enfant, à pleines mains lui prend la gorge et serre. Effroi, celui de la dernière seconde qui se vit. C’était dans un jardin, une fin d'après-midi de printemps à peine pluvieux. Un cousin saute le muret et son grillage. Des cris, des mouvements de coudes ; les doigts qui s’échappent. Reste la rage au centre, entre violence et terreur. Malgré cela, une odeur d’herbe suave et la douce chaleur d’un rayon de soleil sur les épaules.

9.

Un verrou, puis un autre et un autre encore. Ils sont petits, voire minuscules, enchaînés les uns aux autres.

10.

La pensée d’un baiser sur sa joue, et l’odeur de sa grand-mère l’enveloppe d’un doux mélange de savon de Marseille et de crème Mustela.

11.

Retrouver sa plus belle gomme rose et bleue, brisée en deux par sa faute. Ses larmes ont jailli car elle portait l’une de ses histoires ; celle-ci venait de se figer dans la cassure. Enfance.

12.

Écrire en alternant main droite et main gauche, puis les deux en même temps, et sentir le monde à portée de mains. Adolescence.

13.

Le trapèze, un muscle extrinsèque, une ironie corporelle pour sa douleur associée qui cache l’utilité première jusqu’à vouloir refuser (nier) le geste qui fait souffrir.

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