83. Rafraîchissement indécent

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Port-Briec n’est plus loin. Jésus fredonne, Maman et moi parlons d’histoires de familles. Les désunions des uns et des autres nous paraissent encore plus futiles qu’avant, toutefois elles nous transportent chez nous, loin de ce monde. Maman retrouve même des couleurs et sourit en critiquant sa sœur.

— Quelle joyeuse famille, se moque Jésus.

— Nous dit celui qui n’en a plus, répliqué-je… Désolée, ça m’a échappé.

Il se tourne en affichant à grand sourire :

— Je préfère t’entendre me brocarder que ruminer.

Nos chevaux dévalent le sentier pentu descendant vers la plage. Le ciel est gris, le vent chaud et les vagues belles à souhait. Mirabelle s’arrête face à la mer. J’ôte mes bottes, y fourre mes socquettes et les laisse tomber sur le sable sec.

— Allez, viens Maman !

Mon chapeau choit, j’ôte ma chemise, puis je me mets debout sur la selle pour ôter mon pantalon.

— Ça je ne sais pas faire, déclare Maman en se déshabillant tant bien que mal sur son destrier.

Je me rassois pour talonner Marmiton et il rejoint l’écume. Maman et Jésus me suivent. Marmiton couche les oreilles mais avance quand même entre les vagues. Je monte à nouveau sur la selle et crie à Jésus :

— T’as déjà vu une bombe faire une bombe ?

Je m’élance dans les airs en regroupant mes genoux contre ma poitrine. Sa fraîcheur m’enveloppe d’un bien-être immédiat. Marmiton n’appréciant pas l’éclaboussure quitte l’eau avant de trotter librement sur la plage. Maman descend de Quetsche et me rejoint en sous-vêtements. J’insiste :

— Allez, Jésus, viens !

— Je n’ai pas pied !

— Mais juste au bord !

— Je n’aurai pas pied non plus !

— Tu auras moignon !

— Vous avez tort ! lance Maman. Qu’est-ce qu’elle est bonne !

— Et le tort tue de mer, plaisanté-je en m’enfonçant brièvement sous l’eau.

Maman sourit. Le besoin de rire se fait sentir chez chacune de nous, pour briser les tensions. Je baisse ma culotte ce qui fait froncer les sourcils de ma mère.

— Tu fais quoi ?

— Je fais pipi.

Maman se recule en nageant sur le dos, puis me dit lorsque j’ai fini :

— Tu portes la même culotte depuis trois jours, je ne pense pas que tu sois à ça près.

J’aperçois du coin de l’œil des enfants s’enfuir avec nos habits.

— Jésus ! Les vêtements !

Ses épaules se tournent aussi vite et lorsqu’il aperçoit les voleurs s’enfuyant vers la ville, il se lance au galop. Marmiton et Quetsche le suivent par mimétisme et nous nous retrouvons toutes les deux seules sur la plage. Les enfants disparaissent à un angle de mur, puis c’est au tour de Jésus de disparaître.

— Super, soupire Maman.

— Il va les rattraper.

— Espérons, avant que quelqu’un n’arrive.

— On ne choquera personne si on reste dans l’eau.

— Prions pour qu’il revienne vite.

— C’est ça. Prions. — Je commence à chanter. — Jésus reviens, Jésus reviens, Jésus reviens parmi les tiens.

Maman éclate d’un rire aigu. Elle m’éclabousse :

— T’es bête, ma fille !

Je l’éclabousse en retour et nous nous chamaillons comme des gamines. La silhouette d’un cavalier en approche nous interrompt. Nous descendons les épaules sous l’eau. Malgré la grisaille, l’étoile dorée scintille sur la tenue noire.

— Merde, c’est un shérif.

— On s’en fout, c’est juste cent francs pour atteinte à la pudeur.

— Tu caches ton argent dans ta culotte ?

Le cheval s’arrête au bord de l’eau et le grand blond au teint brûlé abaisse son foulard rouge pour nous saluer avec un sourire aimable :

— Bonjour Mesdames.

— Bonjour shérif, réponds-nous en chœur.

— Cela ne vous ennuie pas de vous trouver à une encablure des maisons d’où peuvent vous apercevoir de jeunes enfants ?

— Ben si, justement, ils viennent de piquer nos fringues, réponds-je.

— Piquer ?

— Voler nos vêtements.

— Je vais vous demander de sortir de l’eau et de mettre ces couvertures. Nous tirerons cette affaire au clair.

— On peut peut-être attendre que notre ami ait retrouvé les voleurs, suggéré-je.

Il secoue légèrement la tête sans répondre. Etant donné qu’il a amené deux couvertures, quelqu’un a dû lui raconter la scène. J’échange un regard avec Maman, et nous décidons d’obéir à l’homme de loi. Son visage se fige, la bouche entrouverte lorsque nos corps émergent peu à peu. Je laisse Maman s’enrouler la première dans la couverture rêche qu’il tend devant lui. Je m’en habille à mon tour, non sans humer une odeur de poussière et de foin très forte. Il ordonne :

— Direction le poste.

Nous ouvrons la marche. Nos pieds quittent le sol pour trouver le pavé de la rue, sale, humide des dernières pluies. J’essaie de ne pas m’écorcher et il se moque de moi :

— Il ne fallait pas enlever les bottes.

Je ne réplique pas, serrant les dents tandis que nous passons devant des boutiques. Les gens arrêtent leur conversation pour nous regarder passer avec un air amusé. Les mouettes suffisent à donner vie à leur rire intérieur. Des marins attablés à une taverne nous sifflent.

— Shérif ! T’as pêché de la sirène ?

— On peut les ramener à l’eau, si tu veux !

Le bureau du shérif n’est heureusement pas loin du bord de mer, à deux cent mètres du port. Nous nous faufilons à nouveau dans des ruelles jalonnées de boutiques sombres, et pénétrons dans son local. Il ressemble beaucoup à celui de Saint-Vaast par la simplicité de la pièce principale. Une table une chaise pour le shérif, deux pour recevoir des gens. Puis des grilles donnant directement sur deux cellules.

Il attache son cheval à l’anneau d’acier du mur puis passe la porte après-nous. Il nous dit :

— Vous pouvez poser les couvertures sur la table.

Nous obéissons et plions les deux étoffes avec soin. Lorsque nous nous tournons, il nous dit :

— Retirez vos sous-vêtements, nous allons les mettre à sécher.

— Merci, mais…

Il dégaine son revolver avant que Maman ait fini de répondre.

— Nous connaissons bien le shérif de Saint-Vaast, le prévins-je.

— Moi aussi, c’est lui qui m’a formé.

Son regard manifeste l’impatience, alors nous nous défaisons de nos derniers atours. La pudeur me revient comme si elle était toujours là et à l’instar de ma mère, je garde un bras en travers de la poitrine et une main devant le pubis.

— Mère et fille ? devine-t-il.

Maman opine du menton tandis que je soutiens avec colère son regard. Il a un sourire cruel.

— T’es la p’tite pute de Saint-Vaast ?

J’ai des répliques qui me viennent, mais aucune à laquelle il ne répliquerait pas. Je continue à le soutenir du regard. :

— Toi, rentres là-dedans. Toi, face au mur.

Je me tourne face contre la pierre, tandis qu’il me contourne en restant à distance. Il ouvre la grille de la cellule et y enferme Maman. Il n’y a plus rien qui puisse me rassurer.

— Toi, pose les mains sur le bureau.

— S’il vous plaît ! s’exclame Maman. Ne lui faites rien !

En passant devant lui, je commence à trembler puis me penche comme il le demande. La situation est extrême, sans issue diplomatique alors je commencer à chercher un moyen de prendre le dessus. Tandis qu’il me mate le cul, j’observe autour du bureau tout ce qui pourrait servir d’arme. Je note la présence d’un couteau sur l’étagère derrière sa chaise, mais il va falloir ruser pour l’atteindre. Sa main se pose sur ma fesse. Je regarde sous mon aisselle s’il a posé son revolver. Il est remis à dans son étui, le long de sa jambe. C’est ma seule façon de m’en sortir

Soudain, il me tire brutalement les cheveux en arrière, me forçant à me redresser et m’arrachant un cri de douleur :

— Tu crois que je ne vois pas ce que tu cherches ? !

Il me plaque violement contre la grille derrière laquelle Maman est retenue. Il saisit mon poignet gauche, le cogne contre les barreaux et ses menottes le heurtent pour se verrouiller autour. Il referme l’autre moitié sur le barreau mais sa poigne ne lâche pas mes cheveux. Sa première main vient sur mes fesses. Mes larmes ruissellent sur mes joues avec la même abondance que celles de Maman qui hoquète de sanglots :

— Lâchez-la, je vous en supplie !

Il ne lui répond pas. Les doigts viennent étreindre mes mains, alors que le shérif enfonce sa première phalange par mon anus. Je serre les dents en hurlant de rage.

— C’est ça ! Rugis ma petite chatte ! Je vais te faire rugir encore plus.

Il fait tourner son doigt avant de le retirer et me le plaque sur la bouche. Son doigt entre avec force en tirant ma joue, pour m’empêcher de le mordre et sa poigne tirant brusquement mes cheveux :

— On ne mord pas ! On Suce !

J’agite la tête pour lui échapper malgré la douleur à la commissure de ma bouche. Le goût immonde mêlant sueurs et sécrétions me donne un haut le cœur. Son doigt s’en va, je crache sur le sol. Il déboucle son pantalon, la ceinture de son colt tombe au sol avant qu’il ne sorte son sexe raide contre ma hanche. Il jette un œil vers la porte, pour s’assurer qu’il ne sera pas dérangé puis se pourlèche :

— Je vais te la mettre dans ton p’tit cul tout chaud !

J’essaie de dégager mes hanches. Soudain il s’immobilise. La voix de Jésus articule :

— Moi aussi, je vais te la mettre dans ton p’tit cul tout chaud !

Le shérif tourne lentement la tête pour regarder derrière lui. L’Estropié lui a planté le canon de son pistolet entre les fesses.

— Jésus ! Tu… Qu’est-ce que tu…

— Qu’est-ce que je fais là ? Je cherchais mes copines.

— On ne m’avait pas dit qu’elles étaient avec un aveugle.

— J’ai l’air aveugle ?

— Tu vois ?

— Et tu me fais regretter. Recule doucement ou t’auras deux trous pour chier.

— Attends ! Attends, Jésus ! C’est juste une pute !

— Pourquoi ? Elle t’a présenté un pédigrée ?

— Non, mais je le sais.

— Bah t’es mal renseigné. Lâche ses cheveux. — Il obéit et recule lentement. — Là, voilà. Tu restes comme ça. Où sont les clés ?

Le shérif, face cachée dans le coin du mur, sort la paire qui pend hors de son veston au bout d’une chaînette. Jésus la met en boule et me la lance. Je la rattrape de peu, puis me libère le poignet. Je détache la clé pendue au mur et ouvre la grille à Maman qui m’étreint brutalement en pleurant. Elle tremble contre moi, tandis que je sèche mes larmes. Jésus nous presse :

— Fanny, tu veux tenir le pistolet pendant que je vais cherches vos vêtements ? Ils sont sur mon cheval. — Je m’avance — Ne le tue pas.

— Et pourquoi ?

— Parce que c’est un shérif et que tout le monde l’a vu vous emmener. Je vais t’expliquer mon plan.

Je ravale ma rage puis empoigne la crosse. Maman enfile ses sous-vêtements, Jésus s’éloigne tandis que je m’aperçois que la mire est juste posée sur son anus. Je l’enfonce d’un centimètre et il hurle comme une fille :

— Arrête ça fait mal !

— Ça fait quoi ? Je vais te faire rugir, connard !

J’enfonce encore de quatre centimètres, l’obligeant à se dresser sur la pointe des pieds. Il grogne entre ses dents.

— Sale pute !

— Ce n’est quand même pas plus gros que ta bite !

Je fais tourner le canon tout en lui donnant un mouvement de va-et-vient. Jésus balance nos vêtements par la porte et m’ordonne :

— Arrête, Fanny.

Maman s’empresse de s’habiller, et je lâche la crosse pour que Jésus la reprenne en main. Je revêts mes habits d’aventurière sans parvenir à faire descendre la colère qui déferle dans mes artères. Je garde une botte dans une main et hèle le shérif :

— Hé, connard, regarde-moi !

Jésus le fait se tourner, comme un pantin de ventriloque. Je projette le talon contre ses couilles, et aussitôt qu’il se recroqueville, je lui abats sur le visage.

— Arrête ! s’exclame Jésus.

Je foudroie mon ami du regard puis chausse ma botte. Jésus le fait se déplacer contre la grille et m’ordonne :

— Menotte-le.

J’attache ses deux mains bien écartées aux barreaux. Jésus peut alors lâcher le pistolet qui tombe au sol. Déçu, Jésus éloigne l’arme d’un coup de moignon, puis dit calmement :

— Nous ne sommes pas loin de la gare. Nous allons passer la nuit ici, nous repartirons que dix minutes avant le départ du train. Si quelqu’un entre, pour ne pas qu’il y ait d’émeute, on l’enferme.

— Et lui ?

— On le laisse comme ça.

— Comme ça ? !

— Tu veux quoi ? Avoir le sang d’un shérif sur les mains ?

— Sans aucun problème. Léonie, au moins, elle ne fait pas de chichi.

— Tu auras d’autres occasions de te venger. Assieds-toi, et ret…

— J’ai une tête à avoir envie de m’asseoir ?

— Moi j’ai besoin de m’asseoir, soupire Maman.

Elle prend place sur une chaise et je me mets à côté d’elle pour placer ma main sur son épaule.

— Ça va Maman ?

— Partir à l’aventure avec toi, ça a été la chose la plus folle de ma vie… en termes d’émotions. Quand je serai de retour, j’aurais vieilli de dix ans.

— Mais non, réplique Jésus. Je vais prendre place sur la chaise à balancier devant le bureau, pour dissuader les quidams d’entrer. Fanny, j’aurai besoin de toi pour fermer les volets

J’emboîte le pas de mon ami jusqu’à l’extérieur. Et tandis qu’il se hisse sur le rocking-chair, je ferme les volets, enfermant Maman dans la pénombre avec mon violeur. Jésus pose son pistolet sur ses cuisses puis commence à se balancer, le visage plus fermé que d’ordinaire. Ce qui vient de se passer ne lui inspire pas le sourire. Je pose mon front contre celui de Marmiton et pose un bisou sur le pelage gris. Ses naseaux brûlants viennent humer ma chemise. Je lui murmure :

— Moi aussi, j’aimerais qu’on parte.

— Fanny, s’impatiente Jésus. Rentre à l’intérieur. Faut qu’on croit que le shérif est en train de faire son affaire.

Je passe devant lui en répondant :

— Merci pour ma réputation.

— C’est juste pour aujourd’hui.

Je m’enferme dans le sombre bureau puis ramasse le pistolet de Jésus. J’enlève les cartouches, puis les mets dans ma poche, ce qui intrigue Maman.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Tu connais la roulette russe ? Tu laisses juste une balle, et tu paries si tu vas vivre ou pas.

Les six cartouches sont manquantes, mais le shérif ne peut pas le savoir. Je pose le canon sur sa joue et lui ordonne :

— Suce !

Il ouvre la bouche et à peine le canon à l’intérieur, il a un soubresaut d’écœurement. Je fais roulet le barillet, arme le percuteur et lui souris :

— Alors ? Une chance sur six.

La peur blanchit ses traits et fait naître des larmes dans ses yeux. Il ressent enfin la peur comme une femme. Ça ne rend le personnage que plus abjecte. Comment un humain capable d’avoir peur et d’avoir mal peut faire souffrir un autre humain ? Ma mère n’apprécie pas le spectacle.

— Fanny, laisse-le.

— Mais je n’ai pas envie de le laisser.

J’appuie sur la détente. Il sursaute en hurlant dans le canon. J’articule :

— Plus qu’une chance sur cinq.

Il ferme les yeux, les larmes ruisselant abondamment et la gâchette émet un bruit sec.

— Une dernière pour le plaisir ? Une chance sur quatre.

Il me supplie, mais le canon déforme le sanglot inintelligible. Ma mère soupire :

— Fanny, ça ne sert à rien. Jésus te l’a dit, si tu le tues tu ne pourras plus jamais revenir dans ce mon… ce pays.

— Je n’en ai rien à foutre.

Mon bras se tend, le shérif ferme les yeux et à nouveau c’est un clic sec qui brise le suspens. Je retire l’arme dégoulinante de salive et l’essuie sur la chemise de notre prisonnier. Dos à lui, je montre le barillet vide à ma mère. Elle secoue la tête, puis me voyant sourire, elle sourit à son tour et éclate brutalement d’un rire nerveux et communicatif. Je ris à mon tour, puis l’absurdité du fou rire fait remonter le ressentiment des minutes qui ont précédé. Les pleurs prennent place sur le rire. Maman se redresse et me prend dans ses bras.

— Ça va aller. Ça va aller.

Ses doigts peignent mes cheveux. Je me laisse bercer de sa douceur silencieuse pendant de longue minute, comme si j’étais redevenue une enfant.

Les fenêtres ouvertes pour essayer d’apporter un peu d’air, nous patientons, commençant à ressentir la faim du soir. Nous écoutons les passants dans la rue. Durant plusieurs heures, Jésus a repoussé quelques personnes à la recherche du shérif. Jusqu’ici, cet idiot n’a pas bronché, trop peu enclin à ce qu’un Briéchois le découvre dans cette posture humiliante. Notre prisonnier grogne :

— J’ai envie de pisser.

— Ben pisse parterre, soupiré-je.

— Ça ne va pas ! On doit dormir ici, proteste Maman.

Elle entre dans la cellule, ramasse le pot de chambre en fer et le présente au bassin du shérif. Je détourne le regard alors que l’urine roule bruyamment. La nuit ne semble plus bien loin. Alors que Maman pose le pot dans la cellule, j’entends la voix de Jésus par la fenêtre :

— On n’entre pas. Le shérif est occupé.

— T’es qui toi ?

— Jésus.

— Jésus qui ?

— Le shérif ne t’a jamais parlé de moi ? Je suis un de ses vieux potes. Je l’ai connu tout minot quand il tétait encore son pouce, à chaque fois que le shérif de Saint-Vaast lui mettait une branlée.

— Peu importe. Il faut que je le voie.

— Ses ordres sont clairs. Il s’amuse avec les deux catins qu’il a ramassé à la plage. C’est un peu intime, comme moment.

— On a l’habitude de partager ces moments, je suis son adjoint.

Notre prisonnier s’exclame brutalement :

— Thomas !

Je bondis, pistolet à la main et lui murmure :

— Chhhht !

Trop tard, la porte s’ouvre. Je pointe mon pistolet sur la tempe du shérif et un beau gosse brun avec un foulard rouge entre dans la pièce. Je m’écrie :

— Bouge pas ! Ou je lui crève la cervelle !

— Elle n’a qu’une balle ! s’exclame le shérif.

— T’as une chance sur trois, tu te souviens ?

Le brun lève les mains pour apaiser la tension.

— Calmez-vous Mademoiselle. Je ne vais pas sortir mon arme.

J’appuis sur la détente et le clic sec fait sursauter les deux hommes. Je m’écrie :

— Plus qu’une chance sur deux !

Jésus entre, pointe son arme sur le brun et dit :

— On arrête le jeu ici. Carole, prenez-lui son arme.

Maman se lève alors que le brun tend les mains vers le plafond. Il a l’air tendu, prêt à faire une connerie. J’arme le percuteur et articule :

— Petit rappel, une chance sur deux.

— Moi, je suis plein, articule Jésus. Tu bouges une main, t’as un organe en moins.

Maman sort prudemment le pistolet de l’adjoint, puis recule à mes côtés pour me le tendre. Je lui tends l’arme vide puis Jésus ordonne :

— Carole, ouvrez la cellule. Toi, enlève ton pantalon, tes bottes et ta veste.

L’adjoint se déchausse. À la première botte, il dévoile un couteau caché à la cheville. Il baisse son pantalon, se défait de sa veste, puis entre en chemise dans la cellule. Avant de verrouiller la grille, Maman demande :

— On le laisse debout, lui ?

— C’est encore bien trop gentil, répliqué-je.

Elle hausse les épaules, tourne la clé, puis Jésus repart monter la garde. Je le hèle au travers de volets :

— Jésus ! Quand est-ce qu’on mange ?

— Je vais chopper un gosse et lui glisser une pièce.

Je lève la languette de l’interrupteur, et le néon illumine le bureau. Maman dit au brun :

— Désolée, ce n’est pas après vous, mais…

— Si si, l’interromps-je. L’adjoint a l’habitude de partager ces délicieux moments de viol avec son shérif. C’est ce qu’il a dit.

— Je parlais de soirées avec des putains, pas de viols, proteste le jeune.

— Et la différence ? questionné-je sarcastique. Vous les payez ?

— Je comptais vous payer, articule le shérif.

Je lui agrippe les cheveux et lui tire la tête en arrière avant d’articuler lentement chaque syllabe :

— Je, ne, suis, pas, une, pute !

Je lui claque le front sur les barreaux avant de lui tirer à nouveau les cheveux en arrière.

— T’apprécie de te faire menotter, tirer les cheveux et sodomiser ? — Il ne répond pas. — Ça change quoi si je te paie ?

Mes doigts le lâchent, le temps de retourner au bureau empoigner le pistolet déchargé. Maman affiche un air inquiet mais n’ose pas m’interrompre.

— Tu veux combien ? J’ai envie de t’enculer avec ! Combien tu prends ? ! — Il reste silencieux. — T’as l’air d’avoir aimé tout à l’heure, peut-être pour zéro franc. J’ai envie de jouer à nouveau à la roulette russe. Mais cette fois-ci, je te la mets dans le cul.

Je fais rouler le barillet. Il se colle aux barreaux en éloignant ses fesses et proteste :

— C’est bon ! C’est bon ! Je présente mes excuses ! D’accord ? Je suis désolé, j’ai été violent ! Pardon si je t’ai fait mal !

— D’où tu me tutoies ?

— Pardon, Madame. Pardonnez-moi.

— Dommage, c’est trop tard.

Je m’assois sur le bureau, ne trouvant pas comment passer mes nerfs. Je n’ai même pas envie de le violer à nouveau avec le pistolet, ça n’est pas assez douloureux pour lui. Je voudrais qu’il subisse le double, le triple de ce que je suis capable de lui faire. J’aimerais qu’il souffre tellement qu’il en meure.

Je sors les six cartouches de ma poche, puis m’assois sur le bureau pour les replacer dans le barillet. Maman se rassoit sur sa chaise en soupirant :

— Comment on en est arrivé là ?

— En se baignant, réponds-je.

— Et tu ne préfères pas aller à la plage par chez-nous ?

Je hausse les épaules avant de trouver une réponse.

— L’eau est trop froide et puis tu peux te baigner que deux mois dans l’année. Quand tu ne tombes pas sur des cons, ça se passe bien, ici. Regarde au Païen, des fois tu discutes avec des clients.

— Les gens qui fréquentent le Païen sont sympas, mais ce ne sont pas tous des lumières. Et quand je sors, la moitié me regarde en faisant des messes basses parce que je suis la mère de… de la Punaise.

— Tu peux dire l’étoile montante, la star de Saint-Vaast. C’est ce que tu allais dire ?

— Tout à fait, mon cœur.

— Y a du savon dans cette cabane pour laver le flingue ?

— Près du puits, répond l’adjoint.

Son regard désigne la petite porte derrière le bureau. Je l’ouvre puis m’y glisse en lui lâchant :

— Parce qu’il pue du cul, ton shérif.

Un escalier étroit permet de monter à l’étage, une autre porte donne sur une courette avec un petit jardin mal entretenu. Il fait nuit. Un puits et une vasque avec une pierre de savon repose à quelques mètres des toilettes. Je trempe le canon, passe la pierre de savon sur le métal, puis l’essuie avec le torchon gris de crasse. J’hasarde mon nez pour humer et m’assurer que de toute façon, la salive du shérif avait déjà bien fait le travail. Je profite d’être ici pour aller uriner dans la cabane. Lorsque je reviens, je dis à Maman :

— Les chiottes sont au fond du jardin.

— J’y vais.

Je me retrouve seule avec les prisonniers, à la recherche de sévices rapides à administrer. Malheureusement, les idées ne me viennent pas avant que Maman revienne.

— Je vais prendre l’air, dis-je, j’en ai marre.

J’ouvre la porte. Jésus tourne la tête vers moi.

— Que fais-tu ?

— Je m’emmerde Jésus. J’ai envie de taper ce connard de toutes mes forces jusqu’à ce qu’il en crève. Si tu veux aller pisser, je peux te remplacer.

— C’est une bonne idée. Y a un petit blond qui doit nous apporter de la bouffe, tu lui passeras cinq francs.

— J’ai nettoyé ton pistolet.

— C’est gentil. Donne, je le préfère, il a toujours été fiable.

Nous échangeons nos armes, puis il me tend cinq francs avant de se glisser du rocking-chair. Je prends sa place, puis me balance tranquillement.

Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons tous à l’intérieur avec des cornets de viande-surprise. Jésus en a acheté un pour l’adjoint.

— Y a quoi dedans ? demande Maman.

— Des oignons, plaisante Jésus.

— Je vois bien, mais la viande ?

— De bœuf, du mouton, du porc, du poulet ou d’autres animaux, répond le brun derrière les barreaux.

— C’est gras, mais j’ai tellement faim.

Personnellement, je suis tellement fatiguée que je peine à finir mon cornet. Je questionne Jésus :

— On fait comment ? On dort par terre et quelqu’un monte la garde ?

— On fait un roulement de trois.

— Je veux bien commencer par dormir.

— Je veux bien faire la première garde, glisse Maman. Jusqu’à minuit ?

— Je prendrai le relai, déclare Jésus, pour laisser la petite roupiller.

— T’es plus petit que moi, nabot, répliqué-je. Et je vais m’endormir avant que tu ronfles !

Il sourit puis me regarder dérouler mon sac de couchage. Après la nuit infernale à l’aller et la nuit quasiment blanche dans l’étreinte de Léonie, le sommeil n’attend plus.

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