77. Tout feu tout flamme

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La voix de Jésus me fait sursauter :

— Au feu !

Ma mère se précipite en nuisette hors de la chambre. Les pas lourds de Jacques ébranlent les escaliers juste après ceux de son fils et de Martine. Vêtue de ma culotte uniquement, je me précipite à leur poursuite. Christophe vient de remonter un seau d’eau du puits. Des tables sont en flamme. Jacques hurle en empoignant l’anse :

— Faites une chaîne !

Il se place en tête, suivi de Martine, ma mère, puis moi. Le seau me revient, et Christophe le plonge à nouveau. Je fais passer le seau et Jacques vise la base des flammes. Au troisième passage, Jésus y trempe une couverture puis rampe vers les flammes pour les écraser et les étouffer. Progressivement, nous avançons, mais les flammes au fond de la pièce continuent à grandir et viennent manger les deux piliers de bois. La fumée grise et épaisse roule sur le plafond et embrume la salle. Ma gorge d’assèche, ma peau est brûlante.

— Plus vite ! aboie Jacques avant de tousser.

Notre chaîne s’espace à travers la pièce. Le couple de voisin frappe au carreau.

— Des renforts ! s’exclame Jésus.

Il bondit sur ses mains pour aller leur ouvrir. Ils entrent avec un seau qu’ils confient à Christophe, puis viennent renforcer la chaîne. Les minutes sont laborieuses. Jacques a beau viser la base des flammes, ce n’est que centimètres par centimètres qu’il parvient à les éteindre, jetant un seau régulièrement vers le plafond pour l’humidifier et l’empêcher de s’embraser. La respiration est difficile, mais chaque centimètre gagné est un espoir d’y parvenir.

Les minutes sont longues, épuisantes, mais finalement, le feu fini par être étouffé. Les poutres noircies et craquelées rougeoient, mais nous les détrempons avant que le feu reprenne. La voisine s’assoie sur une chaise :

— Dieu soit loué !

— Pas certain que Dieu ait été pour quelque chose, mais il s’en est fallu de peu, grommèle Jacques. Il se traîne vers son comptoir puis sort une bouteille de whisky.

Martine nous dit :

— Jésus a entendu un bruit de verre, et il a voulu voir. Sans ça, nous mourrions tous, brûlés vifs !

Le voisin lorgne mes seins tandis que je plonge un verre d’eau dans le seau et ma mère me murmure :

— Tu devrais t’habiller.

— Je transpire comme une truie.

— Le type te mate.

— Et alors ?

Je m’assois sur une chaise intacte, près de ma table de danse à demi dévorée par les flammes. Jésus inspecte et commente la vitre brisée en supposant de la trajectoire d’un projectile enflammé. Nul doute que l’estrade circulaire de danse était visée en priorité.

— Ce sont sûrement ces harpies, grommèle Martine. Elles nous ont promis qu’elles empêcheraient le spectacle d’avoir lieu.

— Ne tirons pas de conclusions hâtives, les défend Jacques. Ce sont des femmes de piété, pas des meurtrières.

— Peut-être devriez-vous fermer, suggère le voisin, ou revenir à vos premières activités.

— Céder ? s’étonne Jacques. C’est mal me connaître.

L’homme fuit le regard de colère du tavernier et les arrête à nouveau sur mes seins. Sa femme pose une main sur son bras.

— Bien. On devrait y aller.

Ils se lèvent tous les deux, puis ils croisent le shérif qui entre. Son étoile dorée brille sur son veston parfaitement noir. Il pose son chapeau sur le comptoir. Jacques répond :

— Vous arrivez en retard, shérif.

Ses yeux clairs se posent sur ma mère en nuisette qui balaie la cendre encore chaude. La voix rauque de l’homme au foulard rouge répond :

— Je m’attendais à un spectacle plus désolé. Arrêtez de balayer.

— Ça l’aurait été si Jésus n’avait pas entendu la vitre se briser. Une idée de qui a pu faire ça ?

— Pas pour le moment, mais tout se sait à Saint-Vaast.

Il avance puis ses yeux scrutent la fenêtre avant de se porter vers ma piste de danse. Il frotte les cendres puis en sort un éclat de verre.

— Bouteille remplie d’huile.

— À quoi vous voyez ça ? demande ma mère en s’approchant.

— Verre bombé, épais. Verre clair, et l’odeur d’huile imprègne encore.

Ma mère le hume et les yeux du quinquagénaire se perdent quelques secondes dans le décolleté de la nuisette. Puis il s’accroupit, fouille les cendres, trie les débris consciencieusement, et dit :

— C’est une bouteille cylindrique, sans gravure. Une flasque quelconque. Mais je sais qui interroger demain.

— Et qu’arrivera-t-il au coupable ? demande Maman.

— Il sera pendu pour tentative d’homicide.

— C’est à ça que servent les impôts, sourit Jésus.

— Un homme met le feu à un bâtiment, vous le pendez, et un homme tente de violer ma fille, personne ne fait rien.

— S’attaquer à un bâtiment par les flammes, c’est risquer d’incendier tout Saint-Vaast. C’est un comportement inexcusable.

— Et violer ?

Les yeux perçant du shérif se posent sur moi :

— Si votre fille n’attisait pas tout Saint-Vaast par son absence de parure, j’aurais une position très différente.

— Mais va t’habiller ! s’écrie Maman hystérique.

Je soupire en me levant et le shérif esquisse un sourire en observant la nuisette :

— Qui prêche conseil, montre l’exemple.

Il coiffe son chapeau, puis passe la porte de la taverne.

— Je vais me coucher, annoncé-je par-dessus mon épaule.

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