29. La Confession

8 minutes de lecture

Le service de midi est fini.

J’ai beau avoir fait les boutiques, habillée d’une belle robe, ce matin, je comprends bien qu’il me sera très difficile de me faire des copines. Les filles de mon âge sont des êvaniques coincées. Et ce n’est pas en étant serveuse dans une taverne où se retrouvent des hommes que je tisserai des liens. La preuve en est, les seules femmes qui ont assisté à mon spectacle sont des prostituées venues me copier, sinon la femme de Célestin, qu’on pourrait qualifier de délurée.

N’étant donc pas une femme recommandable, et ayant besoin de rentrer chez-moi, assise dans un recoin de la taverne, je trempe la plume dans l’encrier, sans trouver mes mots.

— Tu écris quoi ? questionne Jacques depuis le comptoir.

— J’écris une lettre, mais je ne sais pas comment la commencer.

— À qui ?

— À l’Église.

— Si tu veux te confesser, autant aller voir le prêtre directement.

Il rit, mais il n’a pas tort.

— Je veux juste connaître l’histoire de la mine. Je ne vais pas leur raconter tu sais quoi.

— Vu l’âge du prêtre, il l’a peut-être connu. Il est de Saint-Vaast.

Je ferme l’encrier. Il a raison, mieux vaut aller directement rencontrer le serviteur de Dieu. Je monte à ma chambre pour revêtir ma belle robe crème et rouge, puis je quitte la taverne du même pas. Le soleil est haut, les rues presque désertes.

L’église est paradoxalement peu éloignée du Païen. C’est un édifice avec une haute tour carrée. Pas de cloche pour autant, ni de gargouille monstrueuse. Tout est géométrique et majestueux. Je passe la porte pour découvrir un édifice lumineux. Le pavage de faïence blanche est immaculé. Les vitraux colorés reproduisent des scènes de leur croyance. Surplombant un bassin d’eau limpide autour duquel des bougies sont allumées, Êve souffre. Le cercle est en bois, mais la martyre est sculptée dans la pierre blanche. La toge a été couverte de feuillure dorée, tout comme les liens à ses chevilles et poignets. Je m’arrête quelques secondes à observer son visage en souffrance.

Un homme très âgé, vêtu d’une soutane blanche et d’une écharpe rouge s’avance vers-moi en traînant ses pieds nus.

— Bonjour ma fille. Que puis-je faire pour vous ?

— Et bien je suis venue vous parler.

— Bien. Veuillez déchausser vos pieds à l’entrée et rejoignez-moi dans le parlementaire.

Tandis que je retourne à l’entrée, mes yeux suivent l’homme pour savoir ce qu’il appelle le parlementaire. Pieds déchaussés et nus, je l’approche et emprunte la porte voisine à la sienne.

Une plaque de bois dentelée nous sépare, comme dans un confessionnal. Il y a deux orifices par lesquels on peut passer un bras. La pièce est blanche et claire, illuminée par un vitrail représentant Êve avant sa mort. Une baguette d’encens brûle, posée dans un petit renfoncement.

— Vous pouvez ôter votre chapeau. Agenouillez-vous que je vous bénisse.

J’obéis, posant mes genoux sur le petit reposoir devant la cage, alors il passe ses deux bras par les ouvertures. Ses mains se posent sur mes cheveux et il psalmodie pour lui-même.

— Je vous écoute. De quoi vouliez-vous me parler ?

— Voilà. J’ai grandi dans les Marais Rouges.

— Vous êtes Fanny la Punaise ?

— Oui, c’est moi.

— Je rêvais de voir à quoi vous ressembliez tant d’hommes sont venus me parler de vous. Je suis bien heureux que vous ne ressembliez pas au démon que je m’étais imaginé. Continuez.

— Je me demandais pourquoi la station avait fermé, pourquoi la mine est abandonnée. Des croix êvaniques se dressent tout le long des rails qui y mènent. Cela reste un mystère pour moi.

— Je me souviens très bien. J’étais garçon d’honneur à cette époque. J’ai entendu de cette pièce même des confessions extraordinaires.

Il n’ajoute rien. Surprise de ce silence, je questionne :

— Pouvez-vous me raconter ?

— Hélas, je sens ma vieille mémoire défaillir. Peut-être la vue d’une nymphe me rappellerait ma jeunesse.

Mes sourcils se froncent en comprenant son souhait.

— Je ne comprends pas.

— On me raconte tant sur vous, et je n’ai jamais pu vous voir. Que dirait-on si je posais un pied dans le Païen à l’heure où la déesse impie de l’amour tournoie dans les lumières. Si mes vieux yeux pouvaient comprendre ce qui tourmente tant les hommes de cette ville…

— J’ai compris.

Je défais à contrecœur ma robe. Bien que je n’aie que peu de pudeur, me déshabiller contre ma volonté, me hérisse ce qui me reste de poils. Le vieux prêtre ne disant mot, je délace mon corset. Une fois en sous-vêtement, je lui demande :

— Satisfait ?

— Un homme d’église a le droit a bien plus d’égard que les autres. Il y a des femmes qui en ce lieu ont montré bien plus.

— Vous bluffez. Vous ne savez rien de ce qu’il s’est passé.

— Je ne suis pas censé avoir entendu les confessions. Mais les mineurs ont découvert un passage vers l’enfer, certains y ont vu des yeux ramper… ma mémoire… elle s’en va. — J’enlève mon soutien-gorge. — L’Eglise a envoyé ses propres soldats pour aller conquérir l’enfer et y dérober ses secrets. Il y a eu une bataille violente, de nombreux hommes sont morts en essayant de piller les artefacts… Ma mémoire. — Je baisse ma culotte. — Oh ! Elle n’a nul duvet ! Qu’est-ce qu’elle est belle !

— Racontez-moi la suite.

— L’Eglise ne pouvait pas contenir les forces démoniaques, elle a alors décidé de condamner la mine pour éviter que les enfers reviennent sur Terre. Ma mémoire… Ma jeunesse est si loin. Peut-être que si je pouvais caresser ce joli con, ma jeunesse me reviendrait-elle. Approche. — Je remonte ma culotte, agrafe mon soutien-gorge. — Je ne me souviens plus.

— Dommage pour vous, vieux schnock. Vous faites un bien mauvais homme d’église. Et en plus, vous ne m’avez rien appris.

Je serre avec force mon corset, m’en voulant d’avoir cédé aux appétits lubriques du prêtre. Ses yeux ne me quittent pas jusqu’à ce que la robe soit remontée sur mes épaules. Il n’ajoute rien, espérant sûrement que la curiosité me fera revenir vers lui. Je quitte la pièce en colère, chapeau à la main. Je hais les hommes de ce monde.

Bottes aux pieds, je sors sous le soleil. Pourquoi n’y a-t-il quasiment jamais de nuage dans ce pays ? Descendant les pavés, mes yeux captent la silhouette de Christophe qui a quitté le Païen. Voilà qui est inhabituel, lui qui passe d’ordinaire ses heures à son potager. La ville est presque déserte, alors je le suis à travers les ruelles de terre sèche, jusqu’à l’orangeraie située sur les flancs les plus escarpés de la ville. Au loin, la mer qui inonde les grèves scintille, tandis que Christophe retrouve la jeune Valérie, cachée derrière un buisson. Il s’interrompt, raide comme un bâton. Je ne peux entendre ce qu’il balbutie, cependant elle sourit en rougissant, puis ils s’assoient l’un à côté de l’autre. Première rencontre chaste et mignonne, loin de la lubricité qui anime les plus vieux. Une jeunesse encore immaculée, comme un espoir pour les nouvelles générations. Pourquoi les gens perdent-ils cette innocence si vite ?

Je les laisse à leur intimité, et rejoins l’ombre de la taverne. De là, je peux élaborer un plan pour séquestrer le prêtre et l’obliger à me raconter tout ce qu’il sait de la mine.

— Alors ? rit Jacques.

— Il sait des choses, mais il ne veut pas me les raconter. Il m’a parlé des yeux qui rampent dès le début. Il m’a dit que la mine était une porte sur l’Enfer et que l’Eglise avait essayé de les piller. Quand ça a dégénéré, l’Eglise a condamné l’accès.

— Ça se tient, réplique Jésus en arrêtant de jouer du piano.

— Il t’a quand même appris des choses.

— Rien de très utile. Il a fallu que je me déshabille pour avoir ces informations.

— Oh le vieux renard ! rit Jésus. Il n’est pas fou !

— Et si j’avais voulu la suite de l’histoire, il aurait fallu que je laisse me tripoter. Mais je compte bien avoir la suite de l’histoire, même si je dois le ficeler à une chaise et lui brûler ses pieds dégueulasses avec ses chandelles.

— Calme-toi, Fanny, me dit Jacques. Nous en reparlerons ce soir.

Trois clients entrent en effet dans la taverne.

Lorsque Christophe revient assez tard, il n’y a plus de client. Je suis assis à une table près du piano. Jacques grogne après son fils :

— Tu étais sorti ?

— Oui.

— Mais t’es sorti où ?

— Voir Raphaël.

— Cela faisait belle lurette que vous ne vous étiez pas parlé !

Christophe sentant son mensonge lui échapper, baisse les épaules et avoue dans un soupire :

— J’étais avec une fille.

— Cornegidouille ! Je n’y crois pas ! Tu l’as embrassée ?

Christophe rougit.

— Oui.

— Dis-moi ! Allez, je connais son nom ?

— Valérie Lenoir.

Jacques éclate de rire et débouche une bouteille.

— Ah ! Crénom ! Quand Lenoir va apprendre ça ! Ça va lui briser le manche qu’il a dans le cul ! Faut fêter ça !

Jacques quitte son comptoir, un verre à chaque doigt, et la bouteille de whisky dans l’autre main. Il rejoint ma table, et Christophe s’assoit sans oser dire un mot.

— Sacrée journée ! La Punaise qui entre dans une église, et mon fils qui baise la fille de Lenoir !

— Tu as été à l’église ? me demande Christophe pour fuir la conversation.

J’opine du menton.

— Je n’ai rien appris sur ce qui s’est passé à la mine.

— Il pense que tu es une menteuse, confie Christophe.

— Comment tu le sais ?

— Je suis allé le voir quand on est rentrés, pour… En fait pour savoir si Valérie lui avait parlé de moi, parce que je savais qu’elle était allée au parlementaire. Et je lui ai parlé des yeux qui rampent et de la forteresse, et il a dit que t’étais une affabulatrice.

— Mais ton père a dit de ne rien dire ! lance Jésus.

— Mais c’était avant ! Nous venions juste de rentrer !

Je m’exclame :

— Attends, tu lui as parlé des yeux qui rampent ? !

Alors que je réalise que le prêtre n’a fait que répéter ce que Christophe lui a dit pour que je me déshabille, Jacques éclate de rire :

— Ah ! Ah ! La Punaise ! Tu t’es bien fait balader par le vieux chacal !

Je laisse ma tête retomber sur mes bras, dépitée. Journée de merde ! Si le prêtre n’a fait que répéter la confession de Christophe, alors il ne peut rien m’apprendre. Les larmes me montent aux yeux. Cette nouvelle piste qui s’efface me brise la respiration. Jacques pose sa main sur mon épaule :

— Allez, la Punaise ! Ça arrive à tout le monde de se faire arnaquer. Ce n’est pas comme si c’était la première fois que tu enlevais ta robe.

Sans relever la tête je lui dis :

— Je me suis mise à poil ! Quand il m’a parlé des serpents, j’ai tout enlevé !

— Ah ! fait Jésus.

Je relève la tête et essuie mes yeux :

— Non, mais… Je m’en fous de m’être foutue à poil. Mais c’est juste que j’y ai cru ! J’ai cru que j’avais une nouvelle piste ! Qu’il me dirait où sont emmenés les artefacts des enfers et retrouver les plans de mon appartement avec un interrupteur caché, ou une amulette ! C’est ça qui est horrible !

— Tu te fais du mal tout seule, dit Jésus en passant sa main sur mon dos.

— Je sais.

— Bon ! conclut Jacques. On fait une petite belote pour oublier tout ça ?

J’avale mon verre cul sec et lui fais signe de m’en servir un second.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire petitglouton ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0