17. Le jour de gloire

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Vendredi matin, j’ai passé cinq heures complètes à m’accorder sur la douceur du thème musical que je voulais. J’ai fredonné, chanté, corrigé en fonction de mes mouvements, pour que certaines notes tombent au bon moment. Jésus est d’une patience exceptionnelle, car il s’adapte, sans voir, et revient sur l’adaptation, dès que je décide de changer l’ordre de mes figures.

Les rideaux du Païen étant fermés, quelques curieux s’y sont agglutinés, espérant m’y apercevoir. Jacques lui, s’est étonné d’entendre nos discussions depuis la cuisine et du professionnalisme que j’apportais à la représentation. Depuis ce matin, il change complètement de comportement avec moi, me traite davantage comme une femme intelligente et non une ingénue dévergondée.



L’après-midi, le forgeron est venu terminer la trappe du plafond, et il a fixé les pieux tout autour de la table, créant une jupe d’éventails de pics de plus d’un mètre, infranchissables. Une partie est amovible, et peut être bloquée depuis la table.

Baptiste Chevalier l’a donc payé.

Le soir, l’imprimeur a fait l’affiche, annonçant des soirées de gymnastique érotique régulières. Une silhouette féminine en un seul trait est peinte, à côté d’un grand trait vertical. C’est sobre mais parlant. Un tableau noir indique le prix et la date de la première représentation. Jacques tiendra à jour un registre de réservations.



Nous sommes samedi, je peux donc confirmer que l’élixir de lune est efficace. Cela va bientôt faire une semaine que je suis en ville. Il est seize heures, nous fermons les rideaux. Baptiste Chevalier s’est installé, son fils assis à côté de lui. Jacques suggère :

— Christophe, emmène le petit jouer avec les poules, ce n’est pas un spectacle pour lui.

Christophe s’éclipse, sans aucun doute déçu de ne pouvoir être présent à l’avant-première, mais il obéit à son père. Je rejoins le débarras à l’étage, défais ma robe, puis mon chignon. Ce n’est qu’une répétition, et Baptiste semble être davantage porté sur les hommes que les femmes, je n’ai aucun doute de bien réussir. Un peu de magnésie sur les mains et les cuisses, puis je crie :

— Prête !

Le néon bleu au plafond et le rose sur la table s’allument en même temps. Je me laisse choir le long de la barre et me stoppe juste avant de toucher le sol. Baptiste se lève en hurlant, persuadé que je tombais. Jésus entonne donc la musique que nous avons travaillée deux matins de suite. Je me déploie sans poser un pied au sol, commence par un drapeau, puis viens danser autour de la barre. Baptiste approuve d’un hochement de tête, comme un directeur artistique sévère.

Il faut tenir vingt minutes de spectacle, dans l’étouffoir obscur de la taverne. La sensualité primant sur toutes les acrobaties, je les ai espacées. Les figures de danse au sol me reposent. Les dix premières minutes du spectacle se font sur une musique lente et poétique. Mon visage masque l’effort, mon corps se fait léger à chaque gainage et chaque démonstration de souplesse. La musique prend des accents plus érotiques et rythmés après la première moitié, pour réveiller le public en contemplation. Onduler face à la barre, quelques gestes évocateurs et lascifs qui suffisent à rendre fou Baptiste. Alors que je me hisse pour une nouvelle figure aérienne, jambes ouvertes à sa vue, il sort son pénis et commence à se masturber. Moi qui l’avais pris pour un homosexuel refoulé ! Jacques, figé dans la contemplation, ne le remarque pas. C’est dérangeant, mais ça dit combien j’aurai du succès. La répétition doit être menée jusqu’au bout et elle touche à sa fin dans cinq minutes. Je poursuis mes pendus tournoyants puis reviens régulièrement sur la table, reposer mes bras et faire chalouper le string qui divise mes fesses nues. J’ignore complètement le regard bovin de mon spectateur. Je ne me concentre que sur la répétition, sur mes placements qui permettront à chaque spectateur tout autour de la table de me voir sous tous les angles.



Les vingt minutes s’achèvent enfin. J’avais tellement sectionné les essais pour me concentrer sur la recherche de musique, que je ne m’étais pas aperçue de la difficulté. Je suis rincée, mon corps brille de sueur, et mes muscles sont endoloris. Il faudra que je prévoie de la magnésie près de la barre, car il fera encore plus chaud, une fois la salle comble.

Jacques rebranche son néon blanc. Baptiste sursaute, et range son sexe, sa main souillée de sperme. Jacques proteste :

— Oh ! Mais tu n’as aucune retenue !

— Non ! Désolé, mais c’était trop pour moi ! Je n’ai pas pu m’en empêcher !

— Bon, en tout cas, tu pourras te vanter de l’avant-première ! Tu nous ramènes plein de clients pour ce soir.

— Compte sur moi ! C’était… Somptueux ! Et vraiment très acrobatique. Sylvain ! !

— Attends, tu pourrais au moins nettoyer ton foutre !

— Désolé, ma femme m’attend.

Le garçonnet apparaît, alors Jacques ne dit rien et laisse mon créancier sortir. Il y a foule à la porte et quelques visages m’aperçoivent. Jacques ferme à clé et me dit :

— T’as plus qu’à nettoyer, la Punaise.

— Pourquoi moi ?

— C’est toi qui l’a provoqué, non ?

— Fuck ! J’hallucine !

— Allez ! Et rapidement, après j’ouvre.

Furax, je démonte les entraves en fer forgé, puis me fraie un passage entre les chaises vers la cuisine pour trouver un linge. J’espère qu’il n’y aura pas une mare de sperme à nettoyer tout à l’heure. Je commence d’abord par ma table, dont le vernis est glissant de sueur, ensuite j’attaque le parquet au pied de la chaise. Jacques qui me mate, dit :

— Je ne trouve pas que tu aies un beau cul, la Punaise ! Mais cornegidouille ! Ainsi mis en valeur, il ferait bander un mort.

Je lui jette le linge souillé.

— Cadeau.

— Va te reposer. Je vais faire entrer les consommateurs.

Je remonte sur mon podium, ferme la herse, puis grimpe à la barre jusqu’au plafond pour passer la trappe. Il ouvre alors ses portes. Il reste trois heures avant la représentation, mais aucun n’est venu consommer, ils sont tous venus réserver.

J’accroche mes sous-vêtements à un madrier en espérant qu’ils sèchent un peu, puis j’enfile la robe sur mon corps nu pour gagner le rez-de-chaussée. Je ne suis pas très satisfaite de cette représentation à blanc. J’ai manqué de suavité et d’expression. Je suis restée concentrée sur l’ordre de chaque mouvement, alors que les inverser importe peu. Il faut avouer aussi que voir mon créancier, le gland dans la main, ne m’a pas donné envie d’être plus féline, ni plus désirable.

Je gagne d’abord le puits, pour remonter un seau d’eau fraîche, et m’abreuver à grosse gorgée, puis je rejoins Jésus tout en repensant à mon travail. Oui ça a été un travail, propre, soigné, mais sans âme. Bref, le public ne s’en offensera pas. Ça m’inquiète de tenir à nouveau vingt minutes. Demain, je ne vais plus sentir mes membres.

Par le portillon, j’aperçois Baptiste Chevalier qui n’a pas du tout rejoint sa femme. Je murmure à Jésus :

— L’autre dégueu est toujours là. S’il y a une prochaine fois, je lui fais lécher son sperme.

— C’est la rançon du succès, répond Jésus.

— Et toi mon pauvre, tu ne vois rien.

— J’imagine. Jacques m’a décrit ce que tu appelais le string. C’est plaisant à t’imaginer porter ça sous ta robe.

— Désolé de casser ton fantasme, je suis toute nue sous ma robe.

— C’est vrai ?

— Eeeeeet oui !

— Hé ! Hé ! Gourgandine !

— Voilà le Maire.

Le petit homme en costume bleu approche, les pommettes ridées hautes de malice. Il saisit délicatement mes doigts et sa moustache effleure ma main.

— Mes hommages. Monsieur Chevalier ne tarit pas d’éloge sur votre spectacle.

— C’est un travail de duo. Sans musique, ce serait vulgaire.

— Mon impatience est incommensurable.

— Prenez donc un verre, le spectacle ne commence pas tout de suite.

— Excellente idée.

Le jeune forgeron entre avec son sourire lubrique. Je murmure à Jésus

— Je m’en vais, il y en a qu’on préférait ne pas avoir dans la salle. Rien qu’à leur tête, je sais que je vais devoir nettoyer. Oh Putain ! Célestin !

Le petit homme rond des chemins de fer entre, avec une grande dame à son bras et un grand colosse qui doit être son fils. Il marche dans notre direction. Je lui souris chaleureusement :

— Monsieur Marielle !

— Bonsoir Madame Fanny. Je vous présente ma femme, et ce fier gaillard, c’est mon fils.

— Enchantée. Vous venez m’apporter des bonnes nouvelles ?

— Pas encore. Il me reste un registre à éplucher. C’est qu’il a disparu depuis longtemps, votre Monsieur Lebellier.

— Vous ne venez pas pour le spectacle ?

— Si, si. C’est notre sortie en famille, et nous sommes curieux. Notre fille n’a pas eu envie de venir, elle est très à cheval sur la religion et toutes ces choses. Mais nous, ben ça nous sort un peu.

— Vous serez sans doute la seule femme, indique Jésus.

— Ce n’est pas une surprise, répond-elle.

— Bon, je vais me préparer.

Je m’éclipse, un peu déçue. Même s’il avance sur le sujet, l’espoir de retrouver Augustin Lebellier s’amincit avec le temps. Si on ne le retrouve pas, quelle chance me restera-t-il de rentrer chez moi ?



Les portes de la taverne sont fermées, les fenêtres closes par les épais rideaux. Jésus a commencé à jouer ses airs habituels pour faire patienter. Christophe propose des consommations. Je dépose la robe, puis enfile mon ensemble fluo et dentelle noire. J’ai le trac, un truc de dingue. La répétition face à Baptiste était brouillonne, aucunement digne de ce dont je suis capable, et loin de ce que je dois offrir à ces gens. Il y a cent personnes entassées dans la taverne. Cent individus qui vont me juger, amplifier ma réputation ou l’améliorer. Si je fais preuve d’une grande qualité physique, je suis certaine qu’on me respectera bien plus comme une gymnaste qu’une fille de joie. Mais pour être élevée au rang d’artiste, il va falloir sourire, exprimer des sentiments, et les bercer de sensualité.

Les néons blancs s’éteignent, Jésus arrête de jouer. C’est à moi. Mon cœur bat à mille à l’heure, mes jambes tremblent. Même si tous ne sont venus que se rincer l’œil, la médiocrité n’est pas permise.

Mes cuisses enserrent la barre. Les regards se lèvent. Je lâche tout. Un cri de stupeur saisit la salle, le cri aigu de la femme de Célestin brise les tympans. Mon corps est encore loin du sol lorsque le piano commence à jouer. Les yeux fermés pour savourer chaque note, je me déploie comme une fleur. Lentement, mes jambes se tendent au-dessus du sol, comme une bannière sous les reflets roses du néon. Le souffle des spectateurs est coupé. Alors, avec grâce, je pose les pieds pour faire le tour de la barre. Mains sur la hanche, sans omettre le sourire aux lèvres, je pavane, un pas après l’autre pour rester dans la poésie musicale. Les hommes ne sont pas dans l’attente, ils ont déjà ce pourquoi ils sont venus : une jolie fille presque nue. Je pourrais tourner des heures sur la table sans faire aucune figure, qu’ils ne broncheraient pas. Ce sont des lubriques qui veulent de la stripteaseuse. Certes, que je sois une artiste acrobate leur permet de justifier leur présence, de dire qu’ils sont venus admirer les prouesses et non les sous-vêtements. Et bien fournissons leur cet alibi.

Second porté, je me hisse et tourne autour de la barre. Les épaules calées, les pieds joints au-dessus du vide, j’ondule doucement comme une sirène glissant sous l’eau. Pas de précipitation dans la musique, je tournoie et me recroqueville au sol. Je m’offre un tempo de repos avant la prochaine figure. Mon corps roule librement au sol en dessinant des courbes avec ma jambe, et lorsque mes mains rencontrent la barre, elles me hissent, les jambes vers le haut, comme si la pesanteur n’existait plus. Les mollets se nouent, puis mon corps rampe vers eux comme un serpent-liane prenant de la hauteur.

Tournoyer devant cent personnes, c’est plus facile que devant une seule. Mon attention n’est plus focalisée que sur le spectacle. Je ne vois même pas leurs airs béats. Mon trac a disparu, rien ne compte que la musique qui bat dans mes veines. Mes muscles se dessinent sur mon ventre et mon dos à chaque gainage sans marquer l’effort sur mon visage. Les dents serrées, la respiration souple, jamais je ne fronce les sourcils. Je suis une poupée au visage doux et inanimé, dont les mouvements érotiques semblent être l’œuvre d’un marionnettiste. Plus mes acrobaties sont hautes, plus j’ai le droit à des exclamations. Plus mes jambes s’ouvrent, plus j’ai le droit à un silence religieux. Les dix premières minutes m’exténuent. La musique évolue, plus marquée dans le rythme. La chorégraphie est maîtrisée, et la sensualité transfigurée. Le visage apaisé, et le corps souple, mon bassin se joue de leur libido dans des mouvements ronds et amples. Légère, fluide et aérienne, ma silhouette brillante les captive. Moi-même je me sens voler, ignorant les heurts dans mes poignets et mes pieds, enivrée de mes élans grisants. Je suis un colibri rose et bleu, libre et furtif, emmêlé aux notes du soliste. Chaque passement de jambes dévoile tout de mon string, instillant ce qu’il recèle dans l’imaginaire. La chaleur m’a couverte d’une sueur qui exacerbe mes airs de fille transie par la fièvre d’un orgasme à venir.

Il existe mille et une inspirations dans ma culture, tandis que mes admirateurs n’ont connu aucun cinéma pouvant leur offrir la lassitude du déjà-vu. Ce spectacle bouillant, c’est la première fois qu’il met leurs hormones à l’épreuve. À singer ce désir factice, je finis par le créer. Mes propres compressions du pubis sur la barre font monter une envie, à la fois profonde, et à la fois bridée par la gêne de l’exhibition. J’ai envie… envie de tout enflammer autour de moi. Plus besoin de cacher mon regard de fauve, tapi dans mes cheveux sauvages. Je capte l’assistance, comme Kaa s’emparant de Mowgli. À l’instar d’il y a trois jours, je m’autorise certaines caresses autoérotiques sur les cuisses et quelques provocations de la croupe, lorsque j’ondule face à la barre.

La musique s’emporte, avec le final. Je grimpe sur le mat, et tournoie sans fin, balance, enchaîne les figures et les démonstrations de souplesse. Après un dernier grand écart vertical, je me hisse au plus haut, enroule mes mollets et cuisses pour terminer suspendue la tête en bas en guise de salut.

Jacques rebranche les lumières blanches. Les gens se lèvent dans un ban d’applaudissement retentissant. On siffle, on m’acclame comme une véritable artiste.

— Fanny ! Fanny ! Fanny ! Fanny !

Je suis en nage. Craignant de glisser, je remonte par la trappe, le cœur battant, exténuée mais ravie. J’ai décuplé ma sensualité par rapport à l’avant-première. J’ai été au top de mes capacités.

— Fanny ! Fanny ! Fanny ! Fanny !

Les rappels ne cessent. Je reprends un peu de magnésie, puis me laisse glisser sur la barre. Je me prête au jeu et m’incline face à eux, comme une actrice de théâtre, sans oublier qu’en me penchant face à certains, j’arrondis ma croupe pour les autres.

— Fanny ! Fanny ! Fanny ! Fanny !

Il me faut saluer aux quatre points cardinaux pour que les applaudissements cessent.

— Et pour Fanny ! Hip hip hip !

— Hourra !

Je suis rouge de gêne et de bonheur. Finalement, j’aurais aimé que mes parents voient ça… mais peut-être pas mes frères. Christophe s’avance à travers la foule et me tend un pichet d’eau. Je me penche au-dessus des pieux pour l’attraper. Je le bois cul sec en en laissant couler sur mon buste. Je sais que ça érotise les hommes, et ça me rafraîchit. Tout ce pourquoi j’ai travaillé en hip hop, en fitness comme en pole-dance m’a préparée à ce jour. Les larmes me montent aux yeux. Je pleure de joie, comme une miss. Fuck ! Ce n’était pas prévu !

Jacques vient à ma rescousse :

— Messieurs ! Je pense que ces émotions vous ont donné soif !

C’est parti pour un brouhaha de commandes. Je sèche mes yeux tandis que les hommes me disent tour à tour combien j’ai été formidable. Je les remercie, je souris, jusqu’à ce que la femme de Célestin s’avance. Son mari a un sourire collé au visage, son fils est rouge comme une tomate, et la femme élancée, très digne prend la parole :

— C’était inattendu et obscène. Je dis inattendu, car je ne m’étais pas préparée à voir à de telles prouesses physiques.

— Mais vous n’avez pas aimé.

— Mais j’ai adooooré !

— Même si c’était obscène ?

— Mais n’était-ce pas le but de cette danse acrobatique ?

— Si.

— Je n’ai jamais vu, même dans les plus grands cabarets de ce pays, une telle audace dans la danse. J’ai vu du plaisir charnel à travers votre seule personne, comme si l’émoi d’un amant passé ressurgissait à travers vous. Vous êtes une femme, et pourtant, vous voir m’a inondée. —Célestin rit de gêne, tandis que le Maire opine de la tête pour approuver chaque parole. — Votre corps exprime si bien la sexualité. Il est l’antithèse d’une époque qui cloître nos sexes à un tabou religieux. Vous m’avez bouleversée. Aujourd’hui, on voudrait oublier le plaisir que la femme peut vivre et désirer dans la plus grande intimité. Vous me renvoyez à ma jeunesse où je me sentais honteuse de ressentir des choses, et où il fallait me cacher pour me découvrir. Encore félicitations !

— Merci beaucoup. Ça me touche que vous pensiez ça.

Le Maire profite qu’elle laisse sa place pour poser ses deux mains sur les pieux.

— Fanny ! Je vous aime ! Je n’aurais pas les mots de Madame Marielle. Mais moi aussi, mon corps est revenu à l’état de première jeunesse ! Vous nous avez préparé un spectacle, digne des plus grandes gymnastes de ce monde, qui nécessite un travail de plusieurs années. Félicitations !

Les hommes se succèdent en compliments, mais je garde précieusement l’éloge de la femme que je vois caresser l’épaule de son mari.



La soirée s’éternise, je raconte combien d’années il m’a fallu pour atteindre ce niveau. Fatiguée, mon seul plaisir réside dans celui d’être à moitié nue sans que cela n’outre personne.

Lorsqu’enfin nous sommes seuls, Christophe a rangé les chaises et repositionné les tables. Son père s’installe à l’une d’elles avec son registre et la petite caisse métallique dans laquelle il a rangé les billets. Je défais la herse, puis le rejoins. Christophe dépose des assiettes sur la table, puis aide Jésus à s’asseoir. Jacques grogne :

— Tu pourrais peut-être te rhabiller, maintenant ?

— Ça fait trois heures que je suis en string, ça change quoi, maintenant ?

— Ça change que j’aurais moins envie de te sauter dessus. Ils étaient cent trois à te regarder.

— Ça fait cinq mille cent cinquante francs.

Il fronce les sourcils, compte dans sa tête.

— C’est ça. — Ses doigts épluchent les billets puis, il me fait un petit tas. — Tu n’as plus qu’à aller à la banque pour ouvrir un coffre.

— Je vais en donner quatre mille à Baptiste Chevalier. Ça fera presque la moitié de ma dette. Si nous remettons ça demain soir, on devrait le rembourser.

— Dans deux jours, la Punaise. Il faut faire mariner les gens, laisser monter la critique et que tu te reposes. Chevalier peut attendre, il ne devrait pas trop avoir de doute à être remboursé. Christophe, demain, tu iras acheter une poule à ton oncle, nous manquons d’œufs le matin. Bon appétit.

Nous mangeons silencieusement. J’ai un appétit d’ogresse. Je ramasse mes billets, puis me lève de table.

— Bonne nuit Messieurs.

— Bonne nuit la Punaise, répond Jacques.

— Bonne nuit Fanny, disent les deux autres.

— Faites de beau rêves, minaudé-je.

Jacques et Christophe matent mes fesses jusqu’à ce que je disparaisse dans le couloir menant à l’étage. Au passage, je récupère un seau d’eau au puits.

Une fois dans la chambre, je range les billets sur le secrétaire, puis fais une toilette. Une douche d’une heure siérait mieux à ce niveau de sudation. Je lave mes sous-vêtements avant de les suspendre près de la fenêtre. Dans deux jours ils resserviront.

Je me couche nue, comme ces dernières nuits et éteins la lumière. Deux jours… deux jours pour peut-être améliorer le spectacle. Si je rends quatre mille francs, il m’en reste mille trois cent soixante. Je pourrai acheter une robe un peu plus classe.

La porte s’ouvre, Jésus entre puis referme, indifférent à l’obscurité. Il bâille un peu bruyamment, puis se vautre d’épuisement.

Les minutes passent sans que le sommeil ne vienne. Il me semble les entendre encore crier mon nom. Mes doigts pianotent sur ma peau, au souvenir de la légèreté de mes envolées, de l’ivresse provoquée par les tours. Sans faire attention, perdue dans le souvenir de la soirée, mes doigts valsent autour de mes tétons. La barre contre mon entrecuisse se rappelle à son bon souvenir. Deux de mes doigts courent vers la fente de mon intimité. Sitôt arrivé au sommet du mont, il pressent délicatement la commissure de la vallée. La peau est moite, mais toujours glabre. Mon désir à fleur de peau me brûle. L’envie de sexe s’embrase avec frénésie. Sans faire bruisser mon bracelet, mes deux doigts pianotent dans une course effrénée. Dans l’obscurité de la chambre, la respiration coupée, sans un bruit mon corps se cambre.

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