18. Interlude coquet

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Le coq ! Même le dimanche ! Cette saloperie n’est pas fichue de faire un jour férié.

— Oh Fuck !

— Allez ! C’est une nouvelle journée au Paradis ! me dit Jésus.

— Au Paradis ? Tu parles d’un Paradis.

— N’entends-tu pas encore ton prénom clamé par cent trois personnes en pleine extase ? Fanny ! Fanny ! Fanny !

— Non.

— Bon, ben moi, une petite toilette sur mes orteils, et je vais casser la croûte !

Il chantonne. Je lui tourne le dos pour regarder par la fenêtre le ciel bleu sur les toits de la ville. Nous sommes dimanche, simplement dimanche, ce qui signifie que cela fait deux semaines que je suis loin de chez moi. À peine deux semaines, et je me suis engouffrée dans un avenir de stripteaseuse.

— Allez ! Si tu veux manger, viens. Tu dois être affamée depuis hier.

L’aveugle cul-de-jatte a raison, alors je m’assieds pour m’habiller. Les courbatures me lancent alors que j’enfile mes sous-vêtements et la robe qui m’est imposée depuis six jours. Ô combien j’aimerais retrouver le doux confort d’un climat tempéré, des vrais WC propres avec du papier toilette doux au lieu des feuilles de journal.

Après le détour par la cabane au fond du jardin, je m’assois à table. Jacques entame la conversation avec le même mot que d’habitude.

— Bon ! J’ai beaucoup réfléchi cette nuit, et je propose qu’on débarrasse quelques vieilleries du grenier, et qu’on l’aménage en chambre pour la Punaise.

— C’est une bonne idée, répondent en cœur les deux autres.

— C’est gentil, réponds-je gênée. Mais je ne sais pas combien de temps je vais rester.

— Le temps d’amasser un peu d’argent pour partir à la recherche de ce Lebellier, tu es ici encore pour une semaine. Donc pour l’intimité de l’Estropié, on fera comme ça. Cet après-midi, on rassemblera tout ce qu’on peut vendre devant la devanture.

Le petit déjeuner terminé, l’étape cabane au fond du jardin de Jacques achevée, nous quittons l’auberge, exception faite de Jésus. Un client se précipite vers nous.

— Jacques ! Jacques ! Vous faites la Une. Vous voulez lire laquelle en premier.

Il brandit deux journaux. La Gazette de la Colline, et l’Echo du Seigneur. Jacques se saisit du journal à connotation religieuse.

— Je préfère par commencer par du torche-cul. Chaque année ils écrivent plus petit. — Il éloigne le journal de ses yeux. — Alors. Qu’est-ce qu’ils disent ? Au Païen, la débauche se professionnalise. Hier soir le Païen, non content du succès de l’épisode de débauche de sa serveuse sur le piano, a organisé une soirée hommage à la perversion. Comme promis par la publicité que s’est offert le Païen dans la gazette, la scabreuse serveuse s’est déhanchée nue, pour le plaisir malsain d’une centaine d’âmes égarées. Son corps s’est tordu dans les airs dans des mouvements surnaturels, dont les artifices étaient masqués par un éclairage coloré et vulgaire. Car en effet, rien n’a été laissé au hasard : encart dans le journal, affichage, musique et lumière, tout a été soigneusement orchestré pour satisfaire les plaisirs voyeurs concupiscents. — Jacques le chiffonne sans le finir. — De toute façon, personne ne lit ce torchon. Lis-nous la gazette.

L’autre journal affiche en titre : « Fanny » et le sous-titre : « L’artiste gymnaste. » L’homme le tourne vers lui et articule :

— Hier soir, comme beaucoup d’habitants, nous nous sommes invités par pure curiosité, parmi la clientèle du Païen. La surprise à notre arrivée, est une foule déjà dense dès les premières heures, impatiente de revoir celle qui par son impudeur a déclenché une violente rixe quelques jours plus tôt. Nous entrons. Cent chaises sont disposées tout autour d’une table protégée par des pieux en acier. Entre le plafond et la table, une barre lisse. L’ambiance est sinistre à souhait, et la célèbre Fanny se fait désirer. Après une attente certaine, qui nous donne presque envie de partir, Jacques Tardif éteint les lumières blanches. Il n’en reste que deux : un néon rose posé sur la table qui sert de scène, et un bleu, accroché au-dessus. Apparaît alors Fanny en haut de la barre, vêtue de presqu’aucun vêtement sinon d’une lingerie minimaliste masquant la poitrine et l’entrecuisse. Elle tombe, mais sa chute s’arrête quelques centimètres avant la table. La frayeur pour tous une fois passée, le pianiste entre en scène. Nos oreilles commencent à s’ouvrir, séduites par la justesse des notes et par la douceur de la mélodie. Puis nos yeux s’ouvrent béants, lorsque le corps jusqu’ici immobile s’arque autour de la barre. La souplesse de la danseuse nous sidère dès les premières secondes. Le spectacle commence, d’une sensualité inattendue. La jeune femme tournoie et décolle du sol dans une légèreté enchanteresse, défiant l’attraction avec une facilité déconcertante. Toujours dans l’émotion, elle nous tient en haleine durant presque une demi-heure. La musique appropriée à chaque pas, accompagne les figures relevant de l’impossible, sans départir une seule fois Fanny d’une grâce féline stupéfiante. Certes, ce spectacle n’est pas pour les yeux les plus chastes, car il dégage un érotisme assumé par l’impudeur de la danseuse. Néanmoins il dépasse tous les préjugés qu’on pouvait s’en faire avant de le voir. Lorsque la représentation se termine, la jeune femme est ovationnée à l’unanimité. Ce soir, un véritable talent s’est révélé. Dès lors, on ne surnommera plus Fanny la Puterelle du Païen, mais plutôt la Gymnaste Libertine de Saint-Vaast.

L’homme replie le journal. Jacques essuie ses yeux humides.

— Quelle plume !

— Où peut-on acheter le journal ? questionné-je. J’aimerais le garder en souvenir pour quand je rentrerai chez moi.

— Tenez.

Il me tend le journal. Je relis la conclusion, émue également par l’éloge. L’introduction commençait mal, la conclusion me gonfle le cœur.

— Les gens lisent plutôt quel journal ?

— Ça dépend du quartier. Je n’ai pas regardé si celui de l’Echo était signé. J’aimerais savoir si son auteur était vraiment au spectacle. Quand on est fervent croyant, on ne s’invite pas à un spectacle de gymnastique érotique.

— Il est possible que certains n’aient pas aimé, suggère Christophe.

Le client secoue la tête d’un air de dire que c’est impossible. Je lui souris, et Jacques rit :

— Il n’a pas du pouvoir s’endormir sans s’astiquer la chandelle. Il doit penser que gribouiller pareil torchon, ça le lave de son pêché.

— Se masturber, c’est pêché ? questionné-je.

— Pour un homme, mieux vaut violer que s’abandonner à la veuve poignet.

— Parce qu’on peut toujours dire que la femme l’a tenté ?

— Exactement.

— Et les femmes ont le droit de se masturber ?

— Pourquoi faire ?

— Pour le plaisir.

— L’onanisme, c’est interdit. Chez les hommes, la chose est un besoin nécessaire pour évacuer la tension. C’est toléré lorsqu’il est isolé, en mer ou ailleurs, loin de la possibilité de trouver une prostituée.

— Je veux rentrer chez moi, soupiré-je. Par pitié !

— Bon, je vous laisse, nous dit le client.

Jacques se met en marche puis grogne :

— De toute façon, le plaisir c’est accessoire, les femmes n’en ont pas besoin. Si ça devient un besoin, c’est contre-nature, il vaut mieux aller à l’église et demander une excision.

J’écarquille les yeux sans rien dire, choquée d’entendre ça de sa propre bouche. Christophe ne réagit pas non-plus. Jacques me frappe l’épaule et rit :

— Je te brocarde, la Punaise !

Je frotte mon épaule alors qu’il explose de rire. Il s’arrête de marcher, le visage rouge, et les yeux pleins de larmes. Christophe rit aussi, et c’est un peu contagieux. Lorsqu’ils cessent de se gausser, Jacques me dit :

— Je me doute, vu comment tu danses, que le plaisir solitaire tu connais. Ça ne nous regarde pas, mais ne touche pas aux légumes.

Il fait tellement sérieux, que je n’ose pas rire à sa blague.

— Je vous laisse fantasmer, je vais m’acheter une robe.

Jacques rit à nouveaux aux éclats, fier de lui, tandis que je m’éloigne au milieu des gens. Le marché est bondé. Il y a beaucoup de femmes, donc beaucoup de cancans. Par les regards ou les discussions qui se taisent à mon approche, le sujet du jour fait peu de doute. Je mémorise l’éloge de la gazette pour garder les épaules droites et dignes.

Je pousse la porte de la boutique de robes. Le quarantenaire droit comme un balai, avec des petites lunettes rondes me dévisage avec dédain. Lui c’est certain, il est croyant jusqu’au bout des ongles. Une croix êvanique est même accrochée au mur. Pourvu qu’il ne me ferme pas sa porte comme le jour où je cherchais du travail.

— Bonjour Madame.

— Bonjour, je cherche une robe… un peu plus belle que celle-ci, pour sortir.

— Il est clair que celle que vous portez est passée de mode.

— J’ai déjà des vues sur la brune ici.

— Elle est sobre. Mais si elle est à votre convenance. Voulez-vous l’essayer ? Si elle vous convient, nous ferons les retouches nécessaires.

— Oui. Il y a un endroit pour…

— Par ici.

Je suis la main qu’il me tend. Il y a une petite pièce. Il hurle :

— Valérie !

Une fille de treize ou quatorze ans, coiffée avec élégance fait son apparition :

— Oui, Père ?

— Cette cliente voudrait essayer cette robe.

— Oui, Père.

L’homme s’éclipse en fermant la porte. J’enlève ma robe, et la fille reste figée sur place, intriguée par mes sous-vêtements atypiques. Je préfère ne rien dire.

— Je peux essayer ?

Elle me tend la robe, alors je l’enfile devant le miroir. Elle tourne autour, replace la jupe puis commente :

— Il faudra la raccourcir un peu, et je pense qu’elle sera trop juste au niveau des épaules. Puis-je me permettre de fermer le corset ?

— Vas-y.

Cette robe change du bleu, je l’aime beaucoup. Le corsage cintre bien au niveau des hanches et me donne des airs de femmes de ce siècle. Mes running détonnent malheureusement déjà beaucoup avec la première, c’est encore pire avec celle-ci.

— Puis-je appeler mon père ?

— Bien sûr.

Elle ouvre la porte puis elle questionne lorsqu’il entre :

— Que pensez-vous des épaules ?

— C’est tendu. Mais ça peut se rattraper facilement.

— Et vous auriez des chaussures qui respirent bien ?

— Je vous conseille le cordonnier, juste à côté. Est-ce que je prépare la robe pour aujourd’hui ?

— Oui, s’il vous plaît.

— Valérie, le ruban.

Il mesure mes épaules, épingle le bas de la robe et les manches, puis s’éclipse pour que je puisse me revêtir.

La matinée s’écoule lentement. Le choix de chaussures est difficile, et je me laisse tenter par une broche à cheveux trouvée sur un étal du marché, pour tenir mon chignon.

Je rejoins Jacques en pleine conversation au comptoir du Païen. L’homme a le même âge et le même nez, mais la silhouette moins grosse. Ce doit être son frère, il faisait partie des invités. Il me suit du regard lorsque je passe en lâchant un bonjour. En cuisine, Christophe est affairé.

— C’est toi qui cuisine ?

— Ça négocie en salle, donc si nous voulons que les clients mangent.

— Ça négocie quoi ? Le prix de la poule ?

— C’est ça. Papa veut acheter une poule, et Tonton veut quelque chose que Papa ne veut pas lui donner.

— Un souvenir de famille ?

— Pas vraiment.

Au rougissement, le visage de Christophe m’indique clairement le sujet.

— Moi ?

— Il est persuadé que Papa ne t’héberge que parce que tu partages son lit.

Je sors trois billets de dix francs de ma robe, puis rejoins Jacques en salle.

— Tenez Monsieur Tardif, mon loyer du jour, avant que j’oublie.

— Merci Fanny.

Je m’éloigne, sans savoir si ça aide Jacques dans sa discussion, mais ils reprennent à voix basse pour ne pas que j’entende. Vu l’attitude de Jacques, les mots doivent être assez violents.

Midi approche, et son frère prend place à une table. Nous commençons le service, les clients m’octroient de nombreuses salutations en m’appelant par mon prénom. Ils sont souriants, aimables et c’est agréable d’être une star.

Lorsque le service approche de la fin, je commence à ramasser les couverts. Jeremiah, le forgeron, raconte fièrement à ses amis les heures passées à la forge pour assembler les herses. Entendant ça, je lui souris :

— C’est vrai ? Merci beaucoup.

— C’est un plaisir.

Sa grande main se pose sur mes fesses avec fermeté. Je sursaute avant de la repousser en souriant gentiment. Ses doigts puissants restent accrochés, s’enfonçant douloureusement dans mon sillon. Ma main le gifle violemment. Son regard vire au rouge et il se lève brutalement haut de ses deux mètres. Il me plaque violemment dos à la table.

— Toi, la pute, tu vas dérouiller !

Sa grande main me saisit à la gorge, étouffant mon cri, tandis que l’autre remonte sous ma robe. Il s’arrête brutalement lorsque le fusil de Jacques appuie sur sa joue.

— Ta mère ne t’a jamais appris à parler aux dames ?

— Ne faites pas ça Monsieur Tardif, le supplie un de ses amis. Il a été pris sous la colère.

— Ce n’est pas une dame, c’est une pute, répond un autre.

— Enlève tes mains de la Punaise.

Enfin les doigts de Jeremiah quittent ma cuisse et desserrent mon cou. Je recule sur la table pour me dégager de ses jambes et en descendre. Jacques articule doucement :

— Pose tes mains à plats sur la table. — Jeremiah pose ses larges paluches sur le bois. — Fanny, prends le couteau. Il t’a touchée, tu as le droit de lui planter la lame dans une main. T’es gaucher ou droitier ?

— S’il te plaît ! Fais pas ça ! me supplie Jeremiah.

— Jacques ! s’exclame la voix de l’adjoint du shérif.

Il entre avec Clément, mon amoureux timide à la grande mèche. Il a dû aller chercher de l’aide.

— Tu tombes mal, César, je suis en train de m’occuper d’un paltoquet qui a oublié la galanterie. Fanny, dépêche-toi de choisir.

Tout le monde reste silencieux, immobile. Je me sens bien incapable de planter le couteau dans la main, encore moins devant tous ces regards. Alors je dis :

— C’est bon Jacques. Il a construit la scène, je lui accorde cette erreur… il est gracié.

— Une erreur ? ! Si je n’avais pas été là, tu crois qu’il serait allé jusqu’où dans son erreur ?

— S’il te plaît, le supplié-je en sentant les larmes monter. C’est bon.

— C’est bon ? ! Il n’y en a pas un qui a bougé ici ! Bande de jocrisses lubriques ! Tout le monde était là hier soir pour te voir danser ! Pour se rincer l’œil, il n’y a pas de souci ! Je vous signale, bande de poltrons sans-couilles ! … Que… que… Vous croyez que si vous laissez faire ça, le Punaise aura encore envie de danser pour vous ? Le spectacle se déroule sur cette table, pas sur une autre ! Et encore moins en duo avec un paltoquet plus laid que son enclume !

La rage de Jacques fait trembler Jeremiah au bout du fusil. Personne ne dit mot. Même moi, il m’effraie. D’une voix calme et presque inaudible, il ordonne :

— Ouvre bien grand la bouche, connard.

Jeremiah gémit en ouvrant la mâchoire, tremblant de tous ses membres. La détonation fait sursauter tout le monde. La balle traverse les deux joues de Jeremiah qui tombe à genoux en hurlant. L’adjoint du shérif se précipite pour prendre le fusil à Jacques, mais celui-ci le garde contre-lui.

— Occupe-toi plutôt de lui trouver un médecin.

César lui flanque un coup de tête, et le désarme. Jacques recule, complètement étourdi. L’adjoint prend alors la parole d’une voix autoritaire :

— Tout le monde quitte l’auberge sans oublier de payer. Christophe vous encaissera. Jacques tu l’aides à avancer, tu l’emmènes chez le médecin.

Le petit shérif me plaque la carabine entre les bras, puis dégaine son pistolet, pour s’assurer que Jacques obéisse. Il fait signe aux amis de Jeremiah de passer à la caisse.

— Vous, vous quittez les lieux en premier.

Le Païen se vide petit à petit. Il ne reste que Clément, le grand brun à la mèche qui s’avance vers moi :

— Ça va Fanny ?

Je me rends compte que je n’ai pas bougé depuis plus de dix minutes.

— Oui, merci d’avoir appelé le shérif.

Il s’incline légèrement, puis quitte à son tour la taverne. La fesse douloureuse de la poigne de mon agresseur, je repasse dans ma tête les évènements en ordre déchronologique. Je sens mes mollets défaillir. Je m’assois sur une chaise, la carabine sur les genoux. Jamais personne ne me croira à la maison quand je raconterai cet épisode de fou.

Christophe s’avance vers moi avec un shooter de whisky.

— Tu as l’air pâle. Je vais nettoyer le sang.

Il s’affaire avec un seau et un linge pour nettoyer le parquet. Jésus revient du jardin et demande :

— Ça va aller pour la répétition, la Punaise ?

J’avale cul sec mon verre et me ressaisis.

— Oui.

Durant la répétition, la scène n’a pas arrêté de tourner dans ma tête. Me concentrer a été impossible. Pas de grâce, pas de volupté, juste des figures sans conviction. Christophe a descendu quelques vieilles affaires du débarras, et les a entreposées dans la salle. Jésus a proposé de changer quelques notes, d’améliorer sa mélodie. Il me confie qu’il n’avait jamais touché à un piano avant d’être aveugle. Jacques en a acheté un lorsqu’ils se sont installés. Une sorte de coup de tête dans l’espoir de trouver quelqu’un pour jouer. Ils ont voulu embaucher, mais au final, c’est Jésus qui s’y est mis en s’amusant à retrouver des mélodies de son enfance.

Il est seize heures. M’activer permet de ne pas penser à l’absence de Jacques. J’ai fait une toilette, remis une robe, et j’ai rouvert les rideaux ainsi que la porte. Je garde la carabine et un couteau de cuisine à portée de main derrière le comptoir, et je sers le premier client qui était là ce midi et qui me dit :

— Jacques a bien fait.

— Je ne sais pas. Il voudra se venger.

— Les mecs comme Jeremiah reviennent toujours se venger après une humiliation en public. Qu’il ait tiré ou non, ça n’aurait rien changé.

— Vous pensez qu’il va revenir ?

— Pas tout de suite, mais c’est certain.

J’espère être partie d’ici la fin de sa convalescence. Je remplis un deuxième verre à l’homme qui me fait signe, et me confie, la main tremblante :

— Je… Je me sens un peu coupable de ne pas avoir réagi aussi vite que Jacques.

— D’où je viens c’est pareil, les gens sont peureux.

— Non Jacques a fait une erreur. J’ai vu les gens se lever. Si Jacques n’avait pas bougé, d’autres l’auraient fait, j’en suis sûr.

Je hausse les épaules, car nous ne saurons jamais. Baptiste Chevalier arrive, suivi de son fils muet.

— Bonjour Fanny !

Le voyant faire le tour pour me faire la bise, je pose le fusil devant-moi.

— On reste de ce côté du comptoir.

— Je… je voulais juste faire la bise.

— Désolée, on ne m’approche pas ce soir.

— Ecoute, si c’est pour… parce que j’ai… pendant la représentation, c’est un peu excessif.

— Ne lui en voulez-pas, le rassure le client. Jeremiah a essayé de la violer ce midi.

— Non ? Devant tout le monde ? Mais et Jacques ?

— César l’a embarqué, il a tiré sur Jeremiah. Et il ne l’a pas loupé.

Je pose le pot en terre contenant les quatre mille francs que j’ai préparé pour lui. Je décide de l’humilier devant le client.

— Ça, c’est pour vous. Mais pour en revenir à votre branlette sur le parquet. La prochaine fois, c’est vous qui nettoierez.

Il fait la moue de celui qui ne comprend pas puis balbutie en prenant son dû.

— Bon. Vous saluerez Jacques si vous le voyez. À bientôt.

Il s’éclipse penaud et le client rit.

— Il a pris la mouche !

Christophe revient à ce moment-là :

— J’ai ta robe.

— Il n’a pas demandé de supplément ?

— Non. Je la mets dans ta chambre.

— Merci.

Le soir tombe, il y a peu de monde. Lorsque nous nous couchons, Jacques n’est pas rentré. Christophe a mis mon matelas dans le débarras, à même le parquet, au milieu du mobilier et des vieilles valises qu’ils ont voulu garder. Ici, pas de fenêtre, et pas de lumière car il n’y a pas de vent.

Je me couche, me sentant un peu seule, et n’ose pas souffler sur la bougie. Si Jacques ne revient pas, qu’allons-nous devenir ?

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