19. Jour de pluie

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Seule, c’est la sensation qui me vient en me réveillant. La pluie bat sur la toiture. Ici, lorsqu’il pleut c’est aussi rare que violent. J’espère que ce sera assez bref, car je n’ai pas envie de traverser le jardin boueux sous ce déluge.

J’enfile ma nouvelle robe brune, puis mes nouvelles chaussures. Je recoiffe mon chignon à la lueur de la bougie, en me servant de l’écran éteint de mon téléphone comme miroir. Il va falloir que je demande à aménager un peu la chambre.

Je descends les escaliers. À la cuisine, Jacques est attablé avec les trois autres.

— Oh Fuck ! Ils vous ont relâché !

— Avec le nombre de témoins, je ne risquais pas grand-chose. Juste un petit rappel à l’ordre.

— Vous l’avez quand même blessé.

— Ça l’aidera à se rappeler quand il se verra dans un miroir.

— Mais le shérif ne vous condamne pas ?

— Le shérif lui aurait fait bien pire. Il m’a juste condamné à lui payer le médecin, pour donner l’exemple. Allez, t’en fais pas, la Punaise ! — Il m’étreint contre lui. — Tu dors encore !

— Un café, et ça va la réveiller, sourit Jésus.

— Très jolie robe, ajoute Christophe. Ça ta va bien.

— Merci. Je ne pourrai pas trop m’exhiber avec sur le marché. Vu ce qu’il pleut, je reste à l’intérieur, et je répète.

— Le programme est établi, conclut Jacques.

Christophe a mis de l’eau à bouillir. Je vais me préparer le café, certaine de mon dosage définitif dans la cafetière de porcelaine à deux étages.

Un café et une pause pipi plus tard, je regagne l’étage pour me brosser les dents à l’eau. Je délaisse ensuite la robe me glisse en sous-vêtements sur la barre. Jésus n’est pas encore installé, ce qui me laisse le temps de réveiller mes articulations. Le vent n’étant pas assez fort malgré la pluie, c’est dans l’obscurité que je m’assouplis.

Jacques ouvre les rideaux pour faire entrer de la lumière et me dit :

— Ne t’inquiète pas, avec la pluie, il n’y aura pas de curieux.

— Moi, je m’en fiche.

Les rideaux ouverts, je me rends compte que les fenêtres ont été taguées, chacune d’une lettre. Jacques devient rouge de colère.

— Cornegidouille !

Il surgit dehors pour lire. Bien qu’elles soient à l’envers, je lis bien « PUTTE. » Lorsqu’il rentre, trempé, je lui dis :

— Ça ne devrait pas être difficile de trouver qui a fait ça, c’est quelqu’un qui n’est pas allé à l’école.

— Je ne pense pas que dans la bande de Jeremiah, il y en ait un seul qui soit allé à l’école assez longtemps pour orthographier pute.

— C’est peut-être la bande.

— Je vais chercher le shérif. Dis à Christophe que je suis déjà parti.

— D’accord.

Il me regarde sans bouger et sourit.

— Quoi ?

— Rien. J’étais en train de maudire le jour où je t’ai fait entrer. Et quand je te vois ainsi dévêtue, je ravale mes pensées.

Il sort avec un air bienheureux qui me rassure. Qu’il regrette notre rencontre me ferait beaucoup de peine.

Midi se passe sans incident, et le soleil revient avant la fin du repas. Les pavés trempés brillent lorsque Christophe et moi décidons de rendre visite à Célestin Marielle, son investigation commençant à tirer en longueur. L’humidité dans l’air est décuplée, et l’ascension de la rue suffit à me mettre en nage. Mes cuisses glissent l’une contre l’autre à chaque pas, et la soif dessèche ma bouche.

Nous entrons dans l’office des Chemins de Fer, abri bienvenu dans cette torpeur tropicale. Célestin s’exclame en nous voyant :

— Bonjour Madame Fanny ! Bonjour Christophe ! Vous venez aux nouvelles ?

— Oui.

— Et bien, il semble que ce Monsieur ne fasse plus parti des Chemins de Fer. Si c’est le cas, il n’est plus dans le canton.

— Vous n’avez rien trouvé ?

— Rien ! Sauf un dernier élément sur les versements. Il semblerait qu’à la fermeture des Marais Rouges, sa paie lui ait été envoyée par chèque à Port-Briec. Vous voulez l’adresse ?

— Mais oui ! m’exclamé-je.

Il s’éloigne vers son bureau, puis revient avec une feuille sur laquelle il a écrit l’adresse. 5 Longue Rue à Port-Briec. Mes doigts nerveux se saisissent délicatement du bout de papier. Enfin une piste !

— C’est loin, Port-Briec ?

— À une demi-heure par le train, répond Célestin.

Je lâche un soupir de soulagement.

— Et c’est cher, le train ?

— Le billet pour Grand-Briec est à vingt-cinq francs.

— Merci, Monsieur Marielle

— À votre service Madame Fanny ! Et encore bravo pour votre spectacle.

Nous sortons dehors, et en essayant de me faire une idée sur l’économie, je demande à Christophe :

— C’est moi où ce n’est pas cher soixante-dix francs pour vingt minutes de striptease ?

— Pas trop. Mais on ne peut que regarder, alors je ne sais pas.

— Et une pute, ça prend combien ?

— Je ne sais pas non plus.

Il a l’air honnête.

— Si jamais on ne trouve pas Lebellier, je vais vendre plus cher, et changer le spectacle.

— Ce soir ?

— Non. Mais si jamais je dois en faire d’autres. Déjà, je couperai le spectacle en deux, car vingt minutes, c’est intenable.

— Mais ce soir, si ceux qui sont venus avant-hier ne sont pas intéressés par revenir et que tu n’as pas assez de spectateurs pour rembourser Baptiste Chevalier ?

— Peut-être que je serai repartie, et dans ce cas, je m’en ficherai complètement.

Nos pas nous mènent à la gare. Je traverse les voies jusqu’au guichet.

— Bonjour Madame Fanny ! me salue avec enthousiasme le guichetier moustachu.

Je ne me souviens guère de lui, mais je fais semblant :

— Vous, je vous ai vu à mon spectacle.

— Et j’y reviens ce soir.

— Tu vois, dis-je à Christophe.

— Que puis-je pour vous ?

— Je voudrais un billet pour Port-Briec. Pour demain, c’est possible ?

— Bien sûr.

— Deux billets, corrige Christophe.

— Tu m’accompagnes ?

— Papa ne te laissera pas partir seule.

— Ce n’est pas faux.

L’homme choisit des coupons, puis tamponne et signe Port-Briec parmi les différentes destinations inscrites.

— Voici vos tickets. Le train part à dix heures, et ça vous fera cinquante francs.

Célestin ne s’était pas trompé sur les prix. Emportant nos billets, nous retournons au Païen trouver Jacques en train de gratter la peinture du tag. Mon dos dégouline sous la chaleur et je retrouve l’ombre avec soulagement. Jésus nous charrie en reconnaissant nos pas :

— Ça va les amoureux ?

— T’es débile, l’Estropié, réplique Christophe.

— J’ai touché une corde sensible ?

— Il est trop jeune pour moi, rappelé-je.

— Comme moi, plaisante-t-il.

— C’est ça, dans l’autre sens, lui rappelé-je.

— À ta voix légère et apaisée, je dirai que Célestin a retrouvé ton bonhomme.

— J’ai une piste à Port-Briec.

— Ah ! C’est une belle ville !

— J’y vais avec Christophe demain.

— Je vous accompagnerai bien. Ça me ferait plaisir de ressentir l’odeur de la mer sur le port.

— Si tu veux, je te porterai, répond Christophe.

— Je ne sais pas, je ne veux pas m’immiscer entre vous deux.

Je lui file une petite tape sur son crâne chauve :

— C’est décidé, tu viens.

Ça m’attriste de le voir enfermé, dans cette taverne. Ce sera l’occasion de garder un bon souvenir de moi, comme une de ses dernières sorties.

Quelques heures plus tard, en string et soutien-gorge, j’observe depuis la trappe la salle bondée. Certains visages me sont familiers. Même le Maire est revenu. J’ai un peu le trac, mais grandement moins que la dernière fois. Je sais comment danser, je sais comme mon final sera accueilli. Les lumières blanches s’éteignent. La motivation gonflée par l’idée d’aller à la rencontre de Lebellier je me lance.

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