3. Encore le poste d'aiguillage

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L’aube pointe à peine quand je m’éveille. La température ne fait que peu de doute sur l’absence de récompense de mes espoirs. Les piqûres de moustiques sur mes cuisses et mes bras me démangent. J’enfile mon short sans changer de sous-vêtement, et mets le t-shirt sans même désirer une douche. Pas d’étirement avant d’être allée à la fenêtre.

Les marais sont toujours là, et la brume du matin joue de poésie avec les rayons du soleil. C’est à la fois beau et déprimant.

Deuxième matin sans café. Il ne manquait plus que la migraine et les démangeaisons. Il me faut m’hydrater, mais qu’est-ce qui serait le mieux ? Le jus de fruit sucré ou la bière alcoolisée ?

Mon petit déjeuner avalé, la crème passée sur les piqûres de moustique, j’ai gagné le toit terrasse. Je préfère ne rien faire dehors plutôt que ne rien faire à l’intérieur.

En observant ce décor étrangement rougeâtre et calme, il me vient ce regret de ne pas avoir couché avec Alexandre. J’avais peur de ne pas avoir assez réfléchi, il n’en reste que le goût de trop peu de sa langue. Parfois, cela vaut le coup de ne pas peser chaque éventuelle conséquence. Nous aurions tous deux passé un bon moment, et nous nous serions réveillés à deux dans ce marais.

La brise chaude et terreuse glisse dans mes cheveux, sans pour autant me rafraîchir ni faire tourner l’éolienne. L’éolienne serait bloquée ? Ça explique peut-être le souci ! Il faut la graisser.

Je descends les marches en trottant, puis remonte par l’intérieur jusqu’à ma cuisine. Je m’empare de l’huile d’olive, cale la bouteille sous le bras, puis gagne les quatre larges pieds en bois, pour en commencer l’ascension. La structure est faite de croisement de fers. Ils sont assez espacés, mais je n’ai jamais eu peur de la hauteur. L’acier tranchant s’enfonce dans mes phalanges, mais la douleur ne freine pas mon espoir.

Arrivée à dix mètres de haut, j’enroule mes cuisses autour de la structure du mat en verrouillant ma cheville, puis essaie de faire tourner l’hélice à la main. Elle pivote aisément sur son axe, mais une sorte de filasse noire s’est bloqué dans son moyeu. Je la gratte avec l’ongle, jusqu’à ce que le vent lui-même fasse crisser le métal. Il me suffit de verser l’huile d’olive pour faire disparaître le son strident. L’hélice tourne avec liberté sans un bruit.

Je laisse tomber la bouteille vide dans les fougères, puis reviens sur terre. Le cœur gonflé de fierté, j’ai envie de raconter à mon père que j’ai réparé toute seule une éolienne. Je la prends en photo, pour m’en souvenir le jour où je leur raconterai ma mésaventure, puis je regagne l’intérieur.

La lumière de la cuisine est allumée ! Le réfrigérateur s’est réenclenché ! Je m’empresse de brancher mon téléphone, et de me faire un café. Bien brûlante l’eau sera désinfectée. La porte !

Je me jette sur la porte, la verrouille, la déverrouille, l’ouvre…

Rien ne se passe.

L’électricité n’a rien à voir.

Je pince les lèvres pour me retenir de pleurer, puis je prends ma tasse de café pleine. Je m’assois délicatement sur le canapé pour humer cette odeur qui m’a tant manquée hier. Je goûte la première goutte. Fuck ! Que c’est délicieux ! J’en ai les larmes aux yeux. Mes paupières les laissent ruisseler sur mes joues.

J’ai continué de manger ce qu’il y a dans le réfrigérateur. Il est quinze heures, et celui-ci vient de s’éteindre. Le vent est tombé, et le désespoir s’est relevé. Si mon père était là, il fabriquerait un vélo pour faire tourner cette fichue dynamo. Il n’y a rien ici pour que je puisse même essayer de bricoler. Pour ce que j’arriverai à faire, de toute façon.

Le câble entre dans le mur au-dessus de la cage d’escalier. Je déplace une chaise dans le couloir, puis y monte afin de pousser la trappe au plafond. Le câble passe en effet dans le grenier, haut d’environ un mètre. Un peu par espoir, mes bras me hissent à l’intérieur.

À quatre pattes, à la lumière du téléphone, je longe le câble qui est branché sur un énorme transformateur de quatre mètres de long. Des toiles d’araignées en abondance sont tissées tout autour. À son extrémité, au niveau de ma salle de bain, perce la gouttière provenant de la citerne. Elle s’enfonce entre le mur de la salle d’eau et de la cuisine.

Les araignées étant plutôt robustes et velues, je ne m’aventure pas plus loin. Il n’y a rien ici qui me donnerait de l’électricité. Je descends par la trappe, puis enlève les toiles d’arachnides de mes cheveux. Mon impuissance face à la situation me déprime.

Les cheveux brossés, j’ai testé le levier d’aiguillage, en espérant que cela permette de faire retourner l’appartement chez moi. En vain…

Debout sur le toit, je capture le panorama avec mon téléphone. Le soleil couchant offre une lumière particulièrement belle, à la végétation rouge. On se croirait sur une autre planète. Si tout ne se déroule pas dans ma tête, cela me sera utile pour témoigner de mon histoire. Pourvu que tout ne se déroule pas dans ma tête ! Tournant le téléphone vers moi, j’adresse un message :

— C’est Fanny. Le deuxième jour touche à sa fin. Et je suis complètement déprimée.

Les moustiques lançant l’assaut du crépuscule sur mes cuisses, je gagne l’intérieur de l’appartement. Pour calmer les démangeaisons et garder un minimum d’hygiène, une douche froide devient vitale. Je me dévêts de mes vêtements humides, puis gagne la salle de bains, sans fermer la porte pour garder un peu de lumière. L’eau est plus tiède que froide, toutefois je ne m’y attarde pas. Le gant savonne avec fermeté les piqûres de moustiques, mes doigts imprègnent mes cheveux de shampooing. Puis lorsque l’eau coule à nouveau, je m’oblige à rester dessous. Mes muscles s’arrêtent rapidement de frissonner, et la tiédeur rafraîchissante se transforme en sensation bienfaisante.

Je ne sors de la douche qu’après dix longues minutes. Les fenêtres fermées pour barrer la route à mes agresseurs ailés, nue pour survivre à l’étouffoir, à genou devant le réfrigérateur chaud, je refais l’inventaire. Il n’y a plus de glace dans la partie freezer. Les boissons sont tièdes, mais il va falloir m’en contenter.

Pas un train n'est passé aujourd’hui. Toutefois, une solution à ce calvaire serait de chopper le prochain pour gagner la civilisation. Cela pose un énorme dilemme. Et si l’appartement retourne à sa place par magie pendant que je suis partie ?

Je ferme le réfrigérateur, plongée dans ma lutte mentale, entre logique de survie et incohérences. Si je ne suis pas dans le coma ou dans un asile de fou, comment réagissent mes parents sans avoir de mes nouvelles ? Que se passera-t-il s’ils ouvrent la porte ?

J’enfile une culotte et roule sur mon lit. Je suis fatiguée… physiquement. Mais mon esprit tourne à toute vitesse. Cela va être difficile de fermer l’œil.

Dire que j’aurais pu être prisonnière avec Alexandre !

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